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Alexis Wawanoloath est Abénakis du côté maternel et québécois du côté paternel. Le 26 mars 2007, il est élu à l’Assemblée nationale du Québec pour le Parti québécois comme représentant de la circonscription d’Abitibi-Est. Il devient alors le premier député autochtone élu depuis l’obtention du droit de vote des Autochtones aux élections provinciales québécoises en 1969 et le deuxième député autochtone élu dans l’histoire de la province. Cet entretien retrace son parcours et sa vision de l’engagement politique des Autochtones.
Simon Dabin (SD) : Pouvez-vous vous présenter, tout d’abord, et nous parler de votre parcours politique et militant ?
Alexis Wawanoloath (AW) : Je suis né à Val-d’Or d’un père québécois et d’une mère abénakise et huronne. Ce métissage a eu très tôt une incidence sur mon militantisme. En effet, j’ai eu conscience assez jeune du fait que je suis Autochtone. J’ai pensé faire de la politique dès mon adolescence. Au secondaire, j’ai commencé à m’impliquer dans le conseil d’établissement[1] et j’ai eu quelques emplois, notamment au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Malgré ces premières implications, et même si je voulais devenir politicien, lorsque je regardais le parcours « normal » (ou « classique ») pour le devenir, je considérais que ce n’était pas accessible pour moi. C’est une professeure qui m’a envoyé voir un conseiller d’orientation. Ce dernier m’a dit qu’il y avait plusieurs façons de faire de la politique, dont le fait de commencer à s’impliquer dans un parti. La graine était plantée !
Je n’ai pas fini mon secondaire cinq. Je suis allé à l’école pour adultes, mais ça n’a pas fonctionné. Je suis parti vivre et travailler en Europe. Finalement, je suis revenu au Québec [et] j’ai suivi des cours à l’UQAM [Université du Québec à Montréal] comme étudiant libre en histoire. Par exemple, dans le cours d’histoire des Autochtones, je m’obstinais avec le professeur sur la gravité des pensionnats. Puis, je suis devenu éducateur en services à l’enfance autochtone à Val-d’Or tout en reprenant des cours au cégep. En revenant à Val-d’Or, j’ai décidé de m’impliquer dans le conseil d’administration (CA) du Centre d’amitié autochtone en tant que représentant des jeunes. J’ai perdu ces élections. Édith Cloutier, alors directrice générale du Centre, est venue me voir pour me dire que j’avais un beau potentiel et qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, qu’elle allait s’organiser pour me trouver une place au sein du CA. Elle m’a donc mis sur le comité des jeunes. À partir de là, j’ai commencé à représenter les jeunes en milieu urbain au Québec dans différentes structures d’amitié au Canada et dans les structures de représentation des Premières Nations du Québec. Très rapidement, je suis devenu le premier président francophone du Conseil des jeunes autochtones de l’Association nationale des centres d’amitié autochtones (ANCA).
Pendant ce temps, je continuais de m’impliquer [dans le] programme d’éducation [en services] à l’enfance de l’Abitibi-Témiscamingue et dans l’association étudiante du Cégep[2] de l’Abitibi-Témiscamingue, campus de Val-d’Or. La stratégie que j’utilisais, et que j’ai continué d’utiliser, était de me présenter au poste le plus haut en élection (même si je n’avais aucune chance), puis de me présenter à tous les postes subséquents pour avoir le plus de tours de parole possible. J’ai utilisé cette technique-là à l’Association nationale des centres d’amitié autochtones : je m’étais alors présenté à la présidence en espérant me faire élire comme trésorier, mais j’ai été élu président.
Bref, je faisais alors partie de sept ou huit CA différents et j’ai commencé, en parallèle, à travailler comme technicien en travail social à l’école primaire, car une femme, Marie St-Germain, m’ayant vu dans les journaux, avait décidé de me faire venir pour que je rencontre les jeunes. Les deux directeurs d’école m’ont alors dit qu’ils m’embauchaient, car j’étais un modèle pour la jeunesse. Mais, en tant que tel, je devais continuer de pouvoir m’impliquer. En somme, j’étais payé pour m’impliquer.
C’est à cette époque, à l’été 2005, que j’ai mentionné à un militant politique, lors d’une soirée, que j’étais souverainiste. C’est surprenant pour beaucoup de personnes, un Autochtone qui est souverainiste ! Très rapidement, le député bloquiste Yvon Lévesque m’a contacté pour me dire que je devais être fier de moi et pour m’inciter à militer pour le Bloc [québécois]. Ce que j’ai fait ! Le président du PQ [Parti québécois] m’a également invité à l’assemblée générale [annuelle] du PQ de l’Abitibi[-Est] après les élections fédérales de janvier 2006. Il m’a annoncé qu’il me laissait immédiatement la présidence du comité local, car il voulait obtenir l’investiture en Abitibi[-Est]. Donc le jour où j’entre au PQ, je deviens président du comité local.
J’ai finalement obtenu, un peu plus tard, mon investiture dans une circonscription dans laquelle il y avait un ministre ; et mon chef [André] Boisclair, comme dans le reste du Québec, n’était pas populaire. Personne ne pensait battre un ministre ici. Moi, je l’ai fait.
SD : On va rebondir sur ce que vous avez dit : « Il est étonnant qu’un Autochtone soit souverainiste. » Comment envisagez-vous le mouvement souverainiste et comment peut-on concilier les souverainismes québécois et autochtones ?
AW : Dans la mesure où les Premières Nations sont dans une lutte de survivance contre le colonialisme canadien mais que les Québécois subissent aussi une forme systémique d’oppression, qui est la fédération canadienne, il y a des solidarités possibles. La nation québécoise a évidemment plus d’outils pour survivre en tant que nation. De fait, il existe chez certains Québécois un nationalisme dominateur. Pour de nombreux nationalistes[3] québécois, qui soutiennent ce nationalisme dominateur, l’idée, c’est de penser que, comme les Québécois ont été colonisés, ils ne peuvent pas être des oppresseurs.
La forme de nationalisme québécois qui me rejoint, c’est le nationalisme de survivance : nos nations (autochtones et québécoise) ont quelque chose à apporter dans ce monde ; elles doivent survivre et doivent perdurer. Si on prend le nationalisme de survivance comme base de discussion, alors les Québécois doivent se dire que s’ils veulent un Québec indépendant qui ne correspond pas à un nouveau projet nationaliste blanc, il va falloir construire avec les peuples autochtones et posséder une ouverture à tous les autres nationalismes non blancs. Car, au final, c’est de la décolonisation dont nous parlons tous.
En partant de ce point, construire une nouvelle Constitution québécoise, qui inclurait les Autochtones, permettrait de reconstruire une identité autochtone. À l’heure actuelle, nous avons perdu une partie notre identité constitutionnelle. L’avènement d’une nouvelle Constitution québécoise (ou même canadienne, éventuellement) pourrait être une occasion de retrouver cette identité et une place. Une place qui ne se limite pas à cette identité construite par les tribunaux à l’heure actuelle et qui cristallise notre identité et nos droits dans le passé. C’est ce que l’on observe en ce moment avec l’attitude des tribunaux envers les droits ancestraux : on prend des règles de preuve sur une occupation continue du territoire et [nous] ne [pouvons pas] exprimer nos droits de la manière dont on les exprimait il y a plus de trois cents ans.
SD : Il y a tout un débat dans la littérature scientifique sur l’opportunité pour les Autochtones de participer aux institutions démocratiques canadiennes, notamment comme députés. Certains pensent qu’il ne faut pas prendre part au système. Où vous situez-vous dans ce débat ?
AW : On pourrait me faire le même reproche par rapport au fait que je fais un baccalauréat en droit[4], donc [on pourrait me dire que] je viens légitimer ce système-là [puisque] le droit a été tant utilisé pour nous opprimer. Pour être honnête, j’ai beaucoup eu cette réflexion durant mon bac en droit, car on apprend des choses qui sont tellement coloniales ! Certaines fois, des professeurs font des commentaires déplacés sur les Chinois, les Noirs, mais tu sais qu’ils ne disent rien sur les « Indiens » parce que je suis là. Tu comprends alors que le système que tu étudies, et dans lequel tu vas faire ta vie professionnelle, est imprégné de racisme et de colonialisme.
Alors peut-être que, d’une certaine manière, certains Autochtones pensent qu’en s’impliquant cela rend l’appareil judiciaire et politique plus légitime. Mais il reste que, souvent, nous ne sommes pas représentés ; nous n’avons pas ce réflexe, cette réflexion-là. Et s’il n’y a pas d’Autochtones dans le système [judiciaire ou politique], personne n’est là pour [nous] raconter, pour parler de nos réalités. Quand j’étais tout seul à l’Assemblée nationale, j’étais le seul à ramener ces sujets dans mon caucus ; j’étais le seul qu’on envoyait en commission parlementaire. Et je pourrais dire la même chose pour les jeunes ou pour les femmes. Après tout, j’étais le seul jeune. Donc je comprends ce débat et cette critique, mais il reste que si on n’investit pas ces lieux de pouvoir, on [ne] nous entend pas, on n’a même pas le niveau minimum d’écoute.
SD : Vous disiez que vous étiez le seul à amener ces sujets dans votre caucus. Aviez-vous le sentiment d’être entendu quand même ?
AW : Je pense que le caucus était assez ouvert, quand même. C’est sûr qu’il y avait des députés qui étaient plus proches de moi et chez qui mon message était plus reçu, plus écouté. Mais il y avait cette ouverture. Je pense qu’il y a une ouverture chez beaucoup de nationalistes québécois pour faire une place à la cause autochtone, qui comprennent ce lien de solidarité là. Mais c’est sûr que dans le spectre des nationalismes, y compris dans le caucus, tout dépend où tu te places : il y a toujours quelques « nationaleux[5] » plus à droite qui considèrent que nous avons été conquis, nous, [les] Autochtones. Mais non, nous n’avons jamais été conquis. Puis, si on suit leur paradigme de pensée, si on suit cette logique, dans ce cas les Québécois aussi auraient été conquis par les Britanniques et ils devraient parler anglais.
SD : Est-ce que vous étiez davantage contacté par les nations autochtones, par les instances représentatives pour faire passer des messages à l’Assemblée nationale ? Et comment se passaient les discussions dans ces cas-là ?
AW : Oui, quand même, en effet. Surtout après avoir obtenu le rôle de porte-parole. André Boisclair ne voulait pas m’utiliser comme token[6] pour ne pas faire de l’essentialisme autochtone. Autrement dit, il ne voulait pas m’essentialiser dans mon ethnicité. Aussi, il m’a juste donné le rôle de porte-parole jeunesse. Mais même avant ça, sans titre, j’étais pas mal contacté. En général les discussions se passaient bien ; puis, bon, vu mon parcours militant, je discutais avec beaucoup de monde que je connaissais. C’étaient déjà des gens dans mes réseaux.
SD : Pour terminer, pensez-vous vous engager de nouveau dans la politique militante un jour ?
AW : Peut-être, mais pas pour le PQ en ce moment. Mais j’ai été contacté pour intervenir dans deux think tanks[7] : un pour le renouvellement du souverainisme et un pour la réforme de la Constitution canadienne. D’un côté, j’essaie de voir comment la réforme de la Constitution canadienne peut inclure les nations autochtones. L’autre vise à voir comment on peut relancer le projet souverainiste. Je ne suis pas fermé à l’éventualité d’une nouvelle Constitution canadienne. Mais, dorénavant, mon implication politique risque plus de tourner autour des peuples autochtones et de l’environnement parce qu’on a beau discuter de nos droits, si on continue comme ça, nous allons tous souffrir des cataclysmes climatiques : Autochtones comme Allochtones.
Parties annexes
Notes biographiques
Khadiatou Sarr est doctorante au Département des sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal. Sa thèse porte sur les droits fonciers des Adivasis. Elle travaille comme coordinatrice pour le Réseau africain des peuples autochtones. Elle est également membre étudiant du Centre d’études et de recherches sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora (CERIAS) et de l’Équipe de recherche sur les cosmopolitiques autochtones (ERCA).
Simon Dabin est chercheur postdoctoral au Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) et chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal, membre du Centre d’analyse politique – Constitution Fédéralisme (CAP-CF) et professeur associé à l’Université de l’Ontario français. Ses recherches portent sur la participation des Autochtones aux institutions démocratiques canadiennes.
Notes
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[1]
Le conseil d’établissement participe aux prises de décision de l’établissement scolaire par le vote du budget et l’élaboration des maquettes d’enseignements et des modalités de contrôle des connaissances. Il présente et défend les revendications des étudiants devant les conseils. Il informe les étudiants des activités des conseils.
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[2]
« Cégep » est l’acronyme de « collège d’enseignement général et professionnel » ; c’est un établissement d’enseignement public où est offert le premier niveau de l’enseignement supérieur au Québec.
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[3]
Il faut comprendre ici les défenseurs de la souveraineté du Québec, les personnes qui souhaitent la séparation du Québec du Canada.
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[4]
Depuis, Wawanoloath a obtenu son baccalauréat. Le baccalauréat est, au Québec, l’équivalent de la licence dans le système LMD (licence, master et doctorat) européen.
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[5]
Nationalistes bornés.
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[6]
Le terme « token » est utilisé pour qualifier le fait pour un parti de se servir d’une personne dite issue de la diversité, à la fois en lui donnant le monopole des prises de parole sur les questions et enjeux qui touchent les personnes qui s’identifient à son identité, mais aussi en s’en servant comme paravent pour justifier les prises de position du parti sur ces questions et enjeux.
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[7]
Un think tank est un groupe de réflexion regroupant divers experts qui se penchent sur un sujet donné.