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Cet ouvrage collectif propose de porter un regard renouvelé sur le « rural », en explorant plusieurs dimensions : sa définition (1re partie), les méthodologies (2e partie), l’usage des lieux et la mobilité des populations (3e partie), les activités qui s’y développent (4e partie) et les enjeux fonciers représentatifs des tensions sur les usages et les ressources (5e partie). À ce titre, il comprend plusieurs contributions sur ce qu’est la ruralité aujourd’hui en France et dans d’autres pays (Allemagne, Cameroun, Brésil, etc.). À la lumière des différentes dynamiques territoriales qui se font jour, il s’agit de ne plus se représenter le rural comme la négation de l’urbain.
Cesser de réifier la ruralité : comprendre les trajectoires des territoires ruraux
L’un des points centraux des différents chapitres est de ne pas uniformiser et réifier la ruralité dans une seule catégorie, mais de comprendre les différentes trajectoires au regard des modes de vie, des organisations sociospatiales, des mobilités de populations (pendulaires ou dans leurs parcours résidentiels), des « nouvelles » activités qui se développent ou, au contraire, de la disparition de certaines. L’analyse de la « construction sociale de la ruralité » à partir de l’observation et de l’étude des pratiques, des reconfigurations territoriales, permet d’accéder à une interprétation plus nuancée du développement de ces territoires et de saisir différentes formes d’hybridation.
L’évolution des politiques publiques faisant la promotion du développement territorial rural est représentative d’une modification des manières de penser le rural. Elle est empreinte des changements généraux des modes d’action publique : prise en compte de la singularité des territoires et appui sur les acteurs locaux pour construire des stratégies contextualisées par les appels à projet, plutôt que sur une planification centralisée. Elle prend aussi en compte les transformations singulières de ces espaces ruraux : essor de l’économie résidentielle, diversification des activités, nouvelles mobilités/circulations des populations. En creux, se dessinent des perspectives spécifiques (un urbanisme rural particulier, misant sur la convivialité villageoise, sur la préservation du patrimoine, une nouvelle manière de concevoir et valoriser les productions agricoles, de penser la nature, etc.) ; mais se dessinent aussi des difficultés intrinsèques (attirer et maintenir une ingénierie de projet pour structurer des projets sur le moyen terme).
Le déploiement de travaux interdisciplinaires, le travail audiovisuel, l’analyse des discours, de nouveaux travaux statistiques permettent d’apporter beaucoup de nuances à la compréhension de la ruralité. S’inspirant de travaux qui décryptent les territoires en fonction de leur passé, de l’empreinte industrielle et du dynamisme de certaines villes, Ricard et Langlois, dans leur article, s’appuient ainsi sur des indicateurs démographiques, économiques (création d’entreprises) et sociospatiaux (accessibilité des territoires) pour cartographier et typologiser les territoires du Massif central.
Nouvelles activités, nouvelles sociabilités, nouvelles cohabitations
L’ambition de plusieurs auteurs des contributions à cet ouvrage est de sortir d’une vision qui oppose l’urbain au rural et de dépasser la posture « urbanocentrée » qui considère les espaces ruraux comme une réserve foncière pour l’extension de l’urbanisation, des modes de vie urbain et de prélèvement des ressources.
Les territoires ruraux s’affirment comme des espaces multifonctionnels, qui ne sont pas seulement pourvoyeurs de ressources humaines et non humaines pour la ville. Ils offrent également un cadre de vie et de production différencié.
La compréhension des nouvelles dynamiques du rural donne à comprendre, mais aussi à qualifier, voire quantifier, la diversification des activités productives. L’activité agricole reste importante, mais elle se transforme, obligée d’investir de nouveaux modes de travail (l’agroécologie, par exemple) et de nouvelles activités pour permettre aux exploitations familiales de faire face aux difficultés économiques.
Différents chapitres du livre mettent en exergue la structuration de nouvelles sociabilités au travers du développement des activités touristiques (p. 275). Ce développement induit des changements en cherchant à valoriser et rendre visible l’activité agricole ; il faut savoir assurer une certaine propreté et répondre à l’exigence de l’accueil de nouveaux publics. Les énergies renouvelables participent aussi de la diversification des revenus agricoles tout en révélant une grande diversité de modalités de développement (intégration dans des filières industrielles, mais aussi démarches plus individuelles).
Dans le même temps, Margetic ne note pas de renaissance industrielle du rural, mais des trajectoires spécifiques de requalification et de reconversion, voire de relocalisation, d’activités productives pour bénéficier d’une image locale, de compétences spécifiques et d’effets de proximité. Par ailleurs, l’investissement des néoruraux dans l’habitat rural, dans la protection des patrimoines et dans les loisirs de plein air peut être considérée comme une modalité de renaissance ; mais elle peut avoir des effets négatifs (« gentrification » de certaines campagnes) et ne jugule pas le vieillissement de certains territoires, comme l’illustre l’article de Simard sur le Québec.
Le foncier : un enjeu fondamental
Si les réseaux de communication remettent en question les notions de localité, de proximité et de distance, qu’on soit en France ou en Afrique (Charlery de la Masselière et Pasini), si les mobilités résidentielles et pendulaires redessinent les limites entre territoires urbains et ruraux, la maîtrise du foncier, nourrit un certain nombre de tensions. L’artificialisation des sols et la consommation des terres agricoles constituent un enjeu majeur à plusieurs échelles (p. 145). Au demeurant, le chapitre d’Ollivier et al. nous invite à ne pas y voir seulement une compétition entre des usages différents, mais la résultante d’une mutation des espaces ruraux et d’une évolution sectorielle agricole.
Des logiques de captation des ressources étudiées sous l’angle de la territorialisation du pouvoir (Raffestin, 1980) restent prévalentes, comme en Tanzanie et en Argentine où de nouvelles alliances se nouent, réorientant les pratiques et représentations spatiales locales vers une marchandisation croissante des terres et des productions.
Au demeurant, l’étude de certaines modalités de gestion collective des ressources montre d’autres perspectives. Le principe de la propriété sectionnelle dans le Massif central, présentée par Couturier et Vanuxem, donne à voir une affectation singulière des droits du sol au regard des activités qui s’y pratiquent et de l’intérêt environnemental. De même, les associations foncières pastorales se révèlent un outil idiosyncrasique pour répondre à la particularité des questions foncières en montagne.
Pour conclure, l’ouvrage illustre de nouveaux modèles de développement, de nouvelles approches de recherche pour saisir le rural dans sa complexité et sa diversité. Face à l’intensification des flux de personnes, de marchandises et de capitaux, les acteurs de la ruralité construisent une identité sociospatiale particulière ; ils façonnent différemment les territoires, repensant les productions, le lien au patrimoine et au local, ainsi que les solidarités.