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Pour les urbanistes, Vancouver fait figure de référence, avec quelques villes européennes, dont Amsterdam et Copenhague. Ce livre nous explique pourquoi, alors que rien ne prédestinait Vancouver à jouer ce rôle. Larry Beasly, qui en a été l’un des artisans, montre comment Vancouver a pu se réinventer (ce terme dont on abuse parfois fait sens ici) en faisant d’une ville plutôt banale une cité qui incarne parfaitement ce que peut et doit être la vie en ville, en conjuguant intelligemment densité, habitabilité (ou qualité de vie) et durabilité. Cette transformation est ce que traduit le terme « Vancouverisme » : une façon de penser et de construire la ville durable, où il fait bon vivre.
Le livre se divise en trois parties, en plus d’un prologue de la journaliste Frances Bula. Cette dernière propose une mise en contexte historique qui rappelle ce qu’était Vancouver avant le Vancouverisme et explique pourquoi il a été possible de la transformer de manière radicale, pour en faire une ville unique à bien des égards. Ce prologue permet d’apprécier le chemin parcouru dans les 50 dernières années.
Les trois parties du livre portent spécifiquement sur le Vancouverisme, en traçant un portrait de l’intérieur : ce que le terme signifie (partie 1), les principes d’aménagement qui le définissent (partie 2) et son nécessaire renouvellement (partie 3). La géographie de la région de Vancouver a certes contribué à la mise en place d’une ville radicalement différente des autres grandes villes d’Amérique du Nord, mais il fallait plus. Beasly situe le début de cette transformation en 1972 alors que les progressistes et les activistes de TEAM (The Electors’ Action Movement) prennent le pouvoir, avec la volonté de mettre en place ce que nous pourrions appeler un nouvel urbanisme.
Comme l’explique Beasly, le Vancouverisme peut s’exprimer en six principes d’aménagement, qui seront progressivement formulés et qui guideront la planification urbaine des dernières décennies. Ces principes sont longuement examinés dans la partie 2 et à eux seuls méritent qu’on lise le livre pour comprendre comment réaliser une transformation en profondeur. Les six principes concernent le quartier, les choix de transport, la diversité, le design, l’environnement et la collaboration entre les parties prenantes, surtout entre le public et le privé.
Trois des principes se sont avérés particulièrement significatifs. Le premier affirme que le quartier est l’unité de base (building block) de la transformation. Dit autrement, il ne s’agit pas de créer quelques projets, fussent-ils magnifiques, ici et là dans la ville – notamment au centre – pour susciter une transformation en profondeur de la ville ; il faut toucher tous les quartiers, bien sûr en adaptant le modèle aux spécificités de chacun d’eux. Le second principe met de l’avant la nécessité d’imposer des limites à l’automobile et, en contrepartie, d’offrir d’autres options de transport, mieux adaptées à un environnement urbain et de moindre impact. Selon Beasly, c’est peut-être là l’aspect le plus distinctif du Vancouverisme. Les politiciens qui ont pris le pouvoir en 1972 ont fait de Vancouver une ville sans autoroute, une décision audacieuse, surtout à l’époque, et qui a rendu nécessaire un urbanisme en rupture avec ce qui se faisait ailleurs en Amérique du Nord. Le quatrième principe, pour sa part, défend la nécessité du design urbain, tant pour les espaces et les bâtiments publics que pour ceux qui relèvent du privé. Beasly soutient qu’une ville doit être conçue dans son ensemble ; on ne peut s’attendre à ce qu’elle naisse par accident des décisions prises par les uns et les autres : « A city must be designed. It cannot result from just the accident of colliding interests or even a conceptual policy formulation ».
La dernière partie du livre esquisse l’avenir du modèle, en plus d’explorer les limites des actions posées à ce jour, ou plutôt les dimensions qui ont été négligées, notamment l’accès au logement, ainsi que l’itinérance et les problèmes de santé mentale et de dépendances, qui caractérisent aussi Vancouver. Toutefois, selon Beasly, la principale transformation à venir concerne l’adaptation du Vancouverisme à la banlieue, qui a bien besoin d’être réinventée à son tour et qui le sera, que les urbanistes s’y intéressent ou pas.
L’ouvrage de Beasly est un formidable plaidoyer pour un urbanisme engagé dans la défense d’une meilleure qualité de vie, au bénéfice de ses citoyens. L’intérêt premier du livre est de donner à voir de l’intérieur la transformation d’une ville, en expliquant le cheminement des politiques et leur mise en oeuvre. C’est en quelque sorte une grande leçon d’urbanisme qui nous est offerte. Ne serait-ce que pour cette raison, Vancouverism mérite d’être lu. Les analyses qui y sont proposées seront utiles à ceux et celles qui cherchent à comprendre ce qui fait l’originalité de l’expérience urbaine de Vancouver, mais également à tous ceux et celles qui tentent de transformer d’autres villes pour les rendre plus habitables et aussi plus durables.