Résumés
Résumé
Lors de leurs déplacements, les cyclistes utilitaires s’exposent à des niveaux de bruit ayant potentiellement des répercussions sur leur santé. Notre objectif, dans cet article, est d’analyser la variation de l’exposition des cyclistes au bruit à Montréal, Laval et Longueuil en fonction des types de voies cyclables. À partir de données primaires collectées en juin 2018, nous avons construit un modèle de régression généralisé additif mixte avec terme autorégressif pour prédire l’intensité sonore à laquelle s’exposent les cyclistes. Durant la collecte des données, la moyenne de bruit enregistrée a été de 69,3 dB(A). Les résultats montrent que l’exposition au bruit est plus forte lorsque les voies cyclables sont aménagées sur une artère que sur une rue locale. Toutes choses étant égales par ailleurs, des écarts de 4 dB(A) sont mesurés entre les endroits les moins et les plus bruyants. De tels résultats pourraient guider les planificateurs lors de l’aménagement des voies cyclables.
Mots-clés :
- Vélo,
- bruit,
- voie cyclable,
- modèle généralisé additif,
- Montréal,
- Laval,
- Longueuil
Abstract
While commuting, cyclists are exposed to levels of noise potentially harmful for their health. The objective of this paper is to analyze cyclists’ noise exposure variations across bikeway types in Montreal, Laval and Longueuil (Quebec, Canada). Using primary data collected in June 2018 (1,257 km), a generalized additive mixed effects model with autoregressive term (GAMMAR) was built to predict the noise intensity to which cyclists are exposed. During data collection, the mean noise level was 69.3 dB(A). Results show that noise exposure is higher when bike trails are located on arterial roads than on local streets. All other things being equal, a 4 dB(A) gap is measured between the noisiest and the quietest places. Such results could influence urban planners when designing future bikeway networks.
Keywords:
- Bicycle,
- noise,
- bikeway,
- generalized additive model,
- Montreal,
- Laval,
- Longueuil
Resumen
Durante sus desplazamientos, los ciclistas utilitarios se exponen a diferentes niveles de ruido potencialmente dañinos para la salud. En este artículo, analizamos la variación de la exposición de los ciclistas al ruido, en Montreal, Laval y Longueuil, en función del tipo de vías para ciclistas. Con datos primarios recolectados en junio del 2018 (1.257 km), hemos construido un modelo de regresión generalizado aditivo mixto, con término auto regresivo, para predecir la intensidad sonora a la que están expuestos los ciclistas. Durante la colecta de datos, la media del ruido registrada fue de 69,3 dB(A). Los resultados muestran que la exposición al ruido es mayor en vías para ciclistas instaladas rutas principales que las instaladas en calles locales. Siendo los demás factores idénticos, los intervalos de 4 dB(A) son medidos entre espacios menos ruidosos y más ruidosos. Tales resultados podrían guiar a los planificadores en el diseño de vías para ciclistas.
Palabras clave:
- Bicicleta,
- ruido,
- vía para ciclistas,
- modelo generalizado aditivo,
- Montreal,
- Laval,
- Longueuil
Corps de l’article
Introduction
L’utilisation du vélo utilitaire dans les villes nord-américaines a connu un réel engouement au cours des dernières années. Certains auteurs parlent même d’une renaissance du vélo en Amérique du Nord (Pucher et al., 2011). À Montréal, entre 2008 et 2013, le nombre de déplacements quotidiens à vélo a augmenté de 57 % (Vélo Québec, 2015). En outre, les planificateurs urbains considèrent désormais le vélo comme un moyen de transport actif permettant de réduire la congestion routière, la pollution de l’air et le bruit (Pucher et al., 2011). Cela s’exprime d’ailleurs par la volonté d’étendre les réseaux cyclables à l’intérieur des villes, de même que par la mise en place de systèmes de partage de vélos. Montréal ne fait pas exception : entre 1991 et 2016, les réseaux cyclables de Montréal, Laval et Longueuil ont presque triplé en taille (Houde et al., 2018).
Les bénéfices de la pratique du vélo utilitaire sont aujourd’hui bien connus. Individuellement, cette pratique contribue à une meilleure santé et à une meilleure qualité de vie (Oja et al., 1998 ; Bassett et al., 2008). Collectivement, elle contribue à réduire les coûts de santé, la congestion routière, le bruit et les émissions de gaz à effet de serre (Rojas-Rueda et al., 2011). Circuler à vélo en ville comporte également des risques. Outre les blessures et les décès associés aux collisions, les cyclistes sont exposés aux pollutions atmosphérique et sonore. Dans une récente revue de littérature comparant les expositions individuelles selon le moyen de transport, Cepeda et al. (2017) concluent d’ailleurs que les cyclistes sont les plus exposés à ces deux nuisances. À Montréal, ce constat est corroboré par Apparicio et al. (2018), qui ont montré que, pour des trajets équivalents en heure de pointe, les cyclistes inhalent près de quatre fois plus de dioxyde d’azote que les automobilistes, mais aussi qu’ils sont exposés à des niveaux de bruit supérieurs de 1,94 dB(A) [1]. De plus, de nombreuses études ont montré que les niveaux d’exposition aux polluants atmosphériques varient significativement d’une ville à l’autre et au sein d’une même ville, et ce, notamment, en fonction des types de rues et de voies cyclables empruntées (Bigazzi et Figliozzi, 2014 ; Khan et al., 2018). Par contre, plus rares sont les études qui portent sur l’exposition au bruit (Boogard et al., 2009 ; Apparicio et al., 2016 et 2018 ; Minet et al., 2018). Par conséquent, dans cette étude, nous visons trois objectifs principaux : 1) évaluer les niveaux d’exposition au bruit auxquels sont soumis les cyclistes dans le Grand Montréal ; 2) vérifier si les niveaux d’exposition au bruit des cyclistes varient significativement entre Montréal, Laval et Longueuil ; et 3) vérifier si ces niveaux varient en fonction du type de voie cyclable empruntée.
Revue de littérature
Bruit environnemental : un enjeu de santé publique
En raison des niveaux de bruit potentiellement élevés auxquels ils s’exposent, les cyclistes encourent des risques de santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelle que la surexposition au bruit environnemental est associée, entre autres, à une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, de troubles cognitifs et d’acouphène. En combinant tous ces effets, l’OMS estime qu’entre 1 et 1,6 million « d’années de vie corrigées de l’incapacité » (AVCI, ou DALY en anglais) sont perdues annuellement en Europe occidentale (WHO, 2011). Selon cet organisme, à 53,3 dB(A) sur 24 h (Lden), 10 % de la population est fortement dérangée par le bruit tandis que la valeur 59,3 dB(A) est associée à une augmentation de 5 % du risque relatif de l’incidence de maladies cardiaques ischémiques (WHO, 2018). Au Québec, le ministère des Transports du Québec (MTQ), dans sa Politique sur le bruit routier (MTQ, 1998), reconnaît que les populations résidant aux abords de son réseau ne devraient pas être exposées à plus de 65 dB(A) tout au long de la journée (LAeq, 24 h). Or, à l’heure actuelle, malgré les risques pour la santé associés à l’exposition au bruit, tant les villes que le MTQ et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne semblent pas disposer de données sur l’exposition des cyclistes au bruit dans les villes québécoises.
Exposition au bruit : de fortes variations
Les rares études qui ont analysé l’exposition des cyclistes au bruit en utilisant des sonomètres portatifs montrent que les niveaux sonores varient énormément d’une ville à l’autre. Dans une vaste étude regroupant 11 villes néerlandaises, Boogaard et al. (2009) ont mesuré des niveaux moyens allant de 63 à 66 dB(A). À Toronto, des chercheurs ont mesuré en moyenne une exposition de 72,7 dB(A) (Minet et al., 2018). À Montréal, deux études récentes menées dans des contextes temporels différents ont mesuré une exposition moyenne de 68,8 dB(A) en heure de pointe (Apparicio et al., 2018) et de 70,5 dB(A) tout au long de la journée dans les quartiers centraux (Apparicio et al., 2016). Plus récemment, une étude comparative entre les villes nord-américaines et européennes réalisée avec le même protocole de recherche et les mêmes instruments de mesure a démontré que l’exposition des cyclistes varie significativement entre Copenhague, Montréal et Paris (moyennes de bruit respectives de 68,4, 70,7 et 73,4 dB(A) LAeq, 1 min) (Apparicio et Gelb, 2020). À Hô Chi Minh-Ville, Gelb et Apparicio (2019) ont rapporté des niveaux particulièrement alarmants : en moyenne, les cyclistes y ont été exposés à 78,8 dB(A). Outre ces variations entre villes, il existe de fortes variations en fonction du type d’axe emprunté au sein d’une même ville.
Lorsqu’ils roulaient sur une rue collectrice, les cyclistes de l’étude d’Apparicio et al. (2016) étaient exposés à 1,1 dB(A) de plus que lorsqu’ils circulaient sur une piste cyclable sur rue. Aucune différence significative n’a été relevée entre les moments où ils roulaient sur une bande cyclable, une chaussée désignée ou une rue collectrice. Cela démontre la nécessité de tenir compte des niveaux de bruit lors de la planification du réseau cyclable. Or, cet enjeu ne semble pas être pris en compte par les planificateurs, à l’heure actuelle. Par exemple, à Toronto, Minet et al. (2018) ont démontré que les niveaux mesurés sur le réseau planifié de voies cyclables étaient plus élevés que sur le réseau existant de voies cyclables. Une explication avancée par les chercheurs est que les pistes cyclables sont construites en fonction des besoins estimés de déplacements et là où l’espace est disponible, souvent à proximité des grandes artères, plus bruyantes. Cela souligne l’importance d’étudier les différences entre les types de voies cyclables, sur chaque type de rue.
Données et méthodes
Territoire d’étude
Avec 4,1 millions d’habitants en 2016, la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal est la deuxième en population au Canada (Statistique Canada, 2016). Pour cette étude, le territoire se limite aux deux agglomérations de Montréal et Longueuil et à la ville de Laval (figure 1) qui regroupent plus des deux tiers (68 %) de la population de la RMR. Plusieurs raisons justifient le choix de ce territoire d’étude. Premièrement, les parts modales du vélo pour des déplacements domicile-travail y sont les plus importantes. Deuxièmement, le réseau cyclable métropolitain utilitaire a surtout été développé dans ces trois régions. Troisièmement, une collecte de plus grande envergure – incluant les municipalités des Laurentides, de Lanaudière et du reste de la Montérégie situées sur le territoire de la RMR – aurait nécessité plusieurs semaines, sans pour autant ajouter des données intéressantes. En effet, les parts modales du vélo y sont quasi nulles et les niveaux sonores plus faibles, en raison d’un trafic plus limité que dans la partie centrale de la RMR.
Données sur les réseaux routier et cyclable
Afin d’analyser comment varient les niveaux d’exposition au bruit en fonction des voies cyclables empruntées, il convient de construire préalablement un réseau unifié incluant les voies cyclables et le reste du réseau viaire. Concernant le réseau routier, nous avons eu recours à la typologie de routes d’Adresses Québec (AQ) (MERN, 2019). À partir du champ ClsRte du produit AQ Réseau, nous avons déterminé trois catégories de rues :
la catégorie des rues artérielles, qui regroupe les artères (par exemple, le boulevard Saint-Laurent) et deux types de voies moins présentes dans l’espace d’étude, soit les routes nationales (par exemple, la rue Sherbrooke) et les collectrices de transit (par exemple, l’avenue Souligny). Selon le guide d’utilisateur d’AQ, les artères « sont des voies permettant la circulation de transit sur une longue distance […] et sont des liens entre différents quartiers d’une agglomération » (Idem : 13) ;
les rues collectrices (par exemple, l’avenue du Mont-Royal Est), qui sont définies comme « des voies servant habituellement à la circulation de transit, à la desserte des propriétés adjacentes ou à l’accès à des équipements locaux importants (parcs industriels, aéroports locaux, CLSC, etc.) » (Ibid.) ;
finalement, les rues locales, soit des voies qui ont pour « fonction principale de desservir les zones résidentielles et de donner accès aux propriétés » (Ibid.).
Concernant le réseau cyclable, il a été construit à partir des données de Houde et al. (2018) mises à jour en 2018 par Vincent Jarry. Il permet d’identifier quatre types de voies cyclables, illustrés à la figure 2 : les pistes cyclables hors rue (aussi appelées pistes en site propre) séparées physiquement de la circulation ; les pistes cyclables sur rue avec ou sans séparateur physique (délinéateurs, bollards, terre-pleins, etc.) ; les bandes cyclables peintes au sol ; et les chaussées désignées identifiées par des logos de cycliste, chapeautés de chevrons peints au sol.
Les effets des types de voies cyclables et de routes sur les niveaux d’exposition au bruit sont difficilement dissociables. Par exemple, les niveaux d’exposition des cyclistes roulant sur une bande cyclable risquent d’être plus élevés si cette dernière est aménagée sur une artère, comparativement à une rue locale. Il en va de même pour les pistes cyclables sur rue et les chaussées désignées. Par conséquent, nous avons croisé les trois catégories de rues (artère, collectrice et locale) avec les pistes cyclables sur rue, les bandes cyclables et les chaussées désignées. Il est à noter que ce croisement est aussi réalisé avec les segments des pistes hors rue, lorsque ces derniers sont situés à moins de cinq mètres d’un tronçon routier. En effet, on peut supposer que le niveau de bruit sera plus faible sur la piste cyclable du canal de Lachine (très éloignée des rues et artères), que sur la piste cyclable du parc Lafontaine (avant sa modification en 2018) située à moins de cinq mètres de la rue. Bien que cette distance puisse paraître arbitraire, elle permet d’établir les segments étant réellement à proximité d’une rue.
Données primaires sur l’exposition au bruit collectées à vélo
Quatre cyclistes (deux femmes et deux hommes dans la vingtaine, étudiants au deuxième cycle en études urbaines) ont roulé par temps sec (et donc sur chaussée sèche) durant quatre jours d’une semaine de juin 2018 (lundi, mercredi, jeudi, vendredi). Les trajets ont été préalablement tracés sur l’application Google My Maps dans l’optique de maximiser la couverture des réseaux cyclables de Montréal, Laval et Longueuil.
Chaque participant était équipé de quatre appareils : un sonomètre de classe 2 avec bonnette pare-vent (Brüel & Kjaer type 4448, calibré chaque matin à l’aide d’un calibreur Brüel & Kjaer type 4231, avec une précision de ± 0,2 dB) fixé sur le torse près de l’épaule (conformément à la recommandation du fabricant) rapportant la moyenne d’intensité sonore sur une minute (LAeq, 1 min exprimée en dB[A]) ; une montre avec système de positionnement global (GPS) enregistrant la localisation géographique chaque seconde (Garmin Forerunner 910) ; une caméra d’action pour obtenir une vidéo de chaque trajet (Garmin Virb XE) ; et un téléphone cellulaire fixé sur le guidon pour suivre le trajet à partir de Google Maps. Mises à part les consignes courantes de sécurité, lors des périodes d’enregistrement, les cyclistes devaient rouler à un rythme habituel de circulation en ville (entre 10 et 20 km/h), ne pas parler et éviter de produire tout bruit non essentiel à la conduite d’une bicyclette, et arrêter puis redémarrer la montre GPS et la caméra d’action toutes les 45 minutes approximativement, afin de faciliter la gestion des données (surtout celles des caméras). Au total, 1 257 km ont été parcourus durant plus de 72 heures sur les réseaux cyclables de Montréal, Laval et Longueuil, ainsi que sur certaines rues sans voie cyclable (nécessaire pour compléter les segments d’une minute sur certaines voies cyclables).
La figure 3 présente le réseau cyclable de l’espace d’étude (a) et la couverture réalisée (b). Elle permet de constater rapidement que nous avons couvert plus de la moitié du réseau (56,8 %). Certaines sections n’ont pas été couvertes, notamment les îles de Boucherville et L’Île-Bizard, d’une part, plus difficiles à atteindre, et, d’autre part, destinées au vélo récréatif. Inévitablement, certains axes ont été collectés à plusieurs reprises afin que les participants puissent revenir au point de départ, ce qui explique que nous avons roulé 279 km sur des pistes cyclables sur rue, alors qu’il n’y a que 263 km de pistes sur rue sur le territoire.
Au tableau 1, sont présentées les différentes combinaisons de types de voies cyclables et de rues parcourues par les participants. Ceux-ci ont emprunté, la plupart du temps, des pistes cyclables hors rue, soit à plus de cinq mètres d’une rue (22,8 %), soit à moins de cinq mètres d’une rue (16,6 %). Ils ont roulé respectivement 22,2 %, 18,1 % et 12,8 % du temps sur des pistes cyclables sur rue, des bandes cyclables et des chaussées désignées. Rappelons que les observations sont des segments d'une minute puisque les sonomètres renvoient une valeur moyenne chaque minute. Par conséquent, pour certaines observations, les cyclistes ont circulé à la fois sur des tronçons routiers et sur les voies cyclables : par exemple, 20 secondes sur une rue locale et 40 sur une piste cyclable. Cela explique qu'ils ont roulé, au total, 329 minutes (7,6%) à l'extérieur du réseau cyclable, c'est-à-dire sur des rues sans voie cyclable.
Lorsqu’ils ont circulé sur une piste cyclable à moins de cinq mètres d'un tronçon du réseau routier, cette piste était surtout située le long d’une artère (pont Jacques-Cartier : n = 100 ; 2,3 %, autre artère : n = 352 ; 8,1 %), puis sur une rue collectrice (n = 207 ; 4,7 %) et, accessoirement, sur une rue locale (n = 63 ; 1,4 %). Par contre, les observations sur les pistes cyclables sur rue sont également distribuées entre les trois types de rues : artérielle (7,7 %), collectrice (7,4 %) et locale (7,1 %). Quant aux bandes cyclables parcourues durant la collecte, elles étaient avant tout tracées sur des rues collectrices (n = 328 ; 7,5 %) et locales (n = 267 ; 6,1 %), mais aussi artérielles (n = 192 ; 4,4 %). Sans surprise, aucune chaussée désignée parcourue durant la collecte n’était peinte sur une rue artérielle ; on trouvait ce type de voie cyclable majoritairement sur des rues locales (n = 354 ; 8,1 %) et collectrices (n = 201 ; 4,6 %).
Structuration des données primaires sur les réseaux routier et cyclable
Une fois la collecte terminée, les données de bruit et de position géographique sont importées dans une base de données SQLite à partir d’un code Python : elles sont couplées sur la base de l’heure précise (hh : mm : ss), fournissant ainsi, pour chaque point de la trace GPS, la mesure de bruit qui lui est associée (LAeq, 1 min). Puis, chaque point est assigné au segment des réseaux routier (AQ) et cyclable correspondant. Un appariement spatial (MapMatching) automatique est d’abord réalisé dans QGIS 3.6 (Quantum GIS, 2020). Puis, cet appariement est validé et modifié au besoin manuellement avec les vidéos enregistrées par les caméras, afin de certifier l’exactitude du type de voie empruntée. Finalement, les trajets sont découpés en tronçons d’une minute (ce qui correspond à la résolution temporelle des sonomètres), pour lesquels sont calculés le nombre de secondes passées sur chaque type de voie ainsi que la valeur moyenne de bruit enregistrée durant cette minute. Pour plus de détails sur la structuration des données collectées et les outils techniques mobilisés, on pourra consulter Apparicio et al. (2019).
Analyses statistiques
Trois analyses sont réalisées dans R (R Core Team, 2019). Pour répondre aux deux premiers objectifs – analyser les niveaux d’exposition et vérifier s’ils varient selon les trois sous-territoires (Montréal, Laval et Longueuil) – , nous avons recours à des statistiques descriptives et à une analyse de variance (ANOVA). Des graphiques en forme de violon permettront d’illustrer ces différences.
En lien avec le troisième objectif, nous proposons un modèle de régression particulier avec, comme variable dépendante, la moyenne d’intensité du bruit sur une minute (LAeq, 1 min). À l’instar d’un travail récent sur la modélisation de l’exposition des cyclistes au bruit (Gelb et Apparicio, 2019), nous avons recours à un modèle généralisé additif à effets mixtes avec un terme autorégressif (Generalized Additive Mixed Model with AutoRegressive term [GAMMAR] avec une distribution de Student (t-scaled distribution) de la variable dépendante (Wood et al., 2016). L’avantage de ce type de modèle, mis en oeuvre dans R avec le paquet MGCV (Wood, 2011), est qu’il nous permet d’introduire des effets aléatoires, des effets fixes et linéaires, des effets fixes non linéaires (spline) et un terme autorégressif (tableau 2).
Durant la semaine de collecte, il est possible que les niveaux de bruit aient varié significativement d’une journée à l’autre (volumes de circulation variables, par exemple) ; c’est pourquoi on inclut cette donnée en tant qu’effet aléatoire. Des auteurs ont démontré que les niveaux de bruit varient de manière non linéaire tout au long de la journée (Lin et al., 2018 ; Gelb et Apparicio, 2019) : par exemple, le niveau sonore peut être très élevé durant la période de pointe du matin (de 8 à 10 h), puis diminuer et, finalement, remonter durant la période de pointe de soir (16 h à 18 h). Par conséquent, le temps en minutes écoulé depuis 8 h le matin est introduit comme un effet non linéaire (spline). De la même manière, l’espace risque d’avoir un effet non linéaire sur les niveaux de bruit mesurés. Indépendamment du type d’axe sur lequel il roule, il est possible que le cycliste soit plus ou moins exposé au bruit en fonction de sa localisation. Par exemple, un cycliste roulant sur une bande cyclable située sur une rue artérielle d’un arrondissement central pourrait être plus exposé que s’il circulait au même moment sur une bande cyclable située sur une rue artérielle dans l’ouest de l’île de Montréal. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à cet effet, particulièrement les activités humaines génératrices de bruit (bruit aérien, chantiers, etc.) et surtout le trafic routier. Pour bien contrôler ce dernier facteur, il faudrait disposer de données sur la circulation en temps réel, ce dont nous ne disposons pas dans le cadre de cette étude. À l’instar de Gelb et Apparicio (2019), pour contrer cette lacune, nous proposons d’inclure un terme spatial – les coordonnées géographiques (x,y) sous forme de spline – qui devrait capter ces variations intra-urbaines du bruit environnemental. Notons que, contrairement à l’ANOVA décrite précédemment, la variable catégorielle pour les trois sous-territoires n’est pas incluse dans ce modèle puisque nous tenons compte plus finement de l’espace avec la spline sur les coordonnées géographiques.
Il convient aussi de contrôler la dépendance (autocorrélation) temporelle : deux observations qui se suivent ont plus de chance de se ressembler que deux observations prises au hasard dans le jeu de données, puisque le cycliste risque d’être dans le même environnement sonore. Pour ce faire, il faut recourir à un terme autorégressif de type AR1 (Wood, 2011).
Il est probable que le nombre d’intersections croisées ait un effet linéaire sur les niveaux d’exposition, pour lequel deux hypothèses peuvent être formulées. Les accélérations et décélérations proches des intersections pourraient concourir à augmenter les niveaux de bruit. À l’inverse, l’absence d’intersection pourrait permettre aux véhicules de circuler plus rapidement et augmenter ainsi les niveaux de bruit.
Finalement, une fois ces facteurs pris en compte – jour de la semaine, moment de la journée, position géographique, nombre d’intersections croisées et terme autorégressif – nous pouvons évaluer l’effet de rouler sur l’un des quatre types de voies cyclables (hors rue, sur rue, bande cyclable, chaussée désignée) aménagées à proximité ou sur les trois types de rues (artère, collectrice, locale). Nous supposons alors que le temps passé sur une piste cyclable hors rue réduit l’exposition au bruit puisque le cycliste y est le plus éloigné de la rue. Quel que soit le type d’aménagement cyclable, si celui-ci est localisé sur une artère, les niveaux de bruit risquent d’être plus élevés que sur une rue collectrice et plus encore que sur une rue locale. Aussi, pour un même type de rue (artérielle ou collectrice, par exemple), on peut supposer que les bandes cyclables et les chaussées désignées présenteront des expositions légèrement plus fortes que les pistes sur rue. En effet, ces dernières sont surtout aménagées près du trottoir et parfois séparées de la circulation par une rangée de voitures stationnées, alors que les autres aménagements placent le cycliste plus près du trafic (bandes cyclables) voire carrément dans le trafic (chaussées désignées).
Notons que nous réservons un traitement particulier à la piste cyclable du pont Jacques-Cartier. Selon notre typologie, il s’agirait d’une piste hors rue à moins de cinq mètres d’une artère. Or, puisque les niveaux de bruit sur cette piste risquent d’être particulièrement élevés et que nous avons suffisamment d’observations (n = 100), nous avons décidé de ne pas l’inclure dans la même catégorie que les autres pistes hors rue à proximité d’une artère.
Résultats
Niveaux d’exposition au bruit selon les trois sous-territoires : analyses descriptives et ANOVA
Pour les 4 353 minutes de données collectées, la moyenne de bruit est de 69,3 dB[A] (tableau 3), soit au-delà du niveau de bruit jugé problématique par le MTQ (1998) pour une exposition sur 24h. En outre, 62,95 % des observations dépassent ce seuil. La moyenne de bruit est la plus élevée à Montréal (69,5 dB[A]). Bien que les différences avec celles de Laval (69,2 dB[A]) et de Longueuil (68,7 dB[A]) soient significatives (p < 0,001), elles restent relativement faibles (moins d’un décibel d’écart entre la région la plus bruyante et la moins bruyante) (figure 4). La variation du bruit est relativement importante puisque l’écart interquartile pour l’ensemble du jeu de données s’élève à 5,89 dB(A). Cela signifie qu’entre le premier et le troisième quartile, l’intensité sonore est de trois à quatre fois plus élevée (INSPQ, 2015 : 14). Bien entendu, le même constat s’applique aux trois sous-territoires puisque les boîtes à moustaches sont de tailles comparables.
Niveaux d’exposition selon les axes empruntés : résultats du modèle GAMMAR
Qualité d’ajustement du modèle
Le modèle final est présenté au tableau 4. Il est à noter qu’il intègre un terme d’autocorrélation temporelle AR1 (phi estimé à 0,493, basé sur les résidus d’un premier modèle réalisé sans le terme d’autocorrélation temporelle). Concernant la qualité d’ajustement du modèle, le R2 ajusté est de 0,309, ce qui est comparable à d’autres études réalisées dans le passé avec des méthodes similaires (Gelb et Apparicio, 2019 ; Apparicio et Gelb, 2020). De plus, la distribution des résidus est très proche de la normalité (skewness = 0,43 ; kurtosis = 2,97).
Variables de contrôle : analyse des effets aléatoires et non linéaires
Premièrement, la journée, introduite comme un effet aléatoire, est significative sur les niveaux d’exposition au bruit (edf[2] = 1,95 ; p = 0,029). En effet, la figure 5 montre clairement que, toutes choses étant égales par ailleurs, les niveaux d’exposition ont été plus faibles au début (lundi et mercredi) qu’à la fin de la semaine (jeudi et vendredi).
Deuxièmement, le moment de la journée a un effet encore plus significatif (edf = 3,78 ; p = 0,002). À la figure 5.b, la spline temporelle permet de distinguer clairement deux pics – correspondant globalement à la période de pointe du matin (8 h et 9 h) et un peu avant celle du soir (14 h à 16 h) – tandis que les niveaux de bruit sont beaucoup plus faibles entre 10 h et midi et après 17 h.
Troisièmement, l’effet spatial, soit la spline sur les coordonnées géographiques, est de loin le plus significatif (edf = 19,32 ; p < 0,001). Le patron spatial de l’exposition au bruit est cartographié à la figure 6. Cette carte est générée dans R (R Core Team, 2019) et habillée dans QGIS (Quantum GIS, 2020) en prédisant des valeurs de bruit pour des cellules de 100 m de côté du territoire à l’étude en fonction du modèle GAMMAR, après avoir figé toutes les autres variables indépendantes et soustrait la moyenne de bruit de l’ensemble du territoire. Elle représente donc l’effet marginal de l’espace sur l’exposition au bruit des cyclistes, une fois tous les autres facteurs pris en compte. En d’autres termes, cette figure ne représente pas une carte de concentration du bruit dans l’espace d’étude. Ce patron spatial peut plutôt être appréhendé comme une estimation du bruit environnemental résiduel qui a été capté par les sonomètres et qui présente une structure spatiale, mais non expliquée par les autres variables indépendantes du modèle (Gelb et Apparicio, 2019). Ainsi, toutes choses étant égales par ailleurs, les secteurs avec les niveaux d’exposition les plus élevés sont situés dans les quartiers centraux, sur la Rive-Sud, à Longueuil, et près de l’aéroport dans l’ouest de l’île de Montréal. À l’inverse, les secteurs les moins bruyants sont localisés dans l’est de Longueuil, aux extrémités est et ouest de l’île de Montréal, ainsi qu’au centre de Laval. Notons aussi que l’écart entre les zones les plus et les moins bruyantes s’élève à 4 dB(A), ce qui correspond à une énergie sonore entre deux et trois fois plus grande (INSPQ, 2015 : 14).
Variables relatives au type d’axe emprunté : analyse des effets fixes
Le nombre d’intersections croisées durant un trajet d’une minute a un effet significatif, mais très limité (–0,09 ; p = 0,004). Par la suite, il est possible d’analyser l’effet de rouler sur chacune des combinaisons des types de voies cyclables et de rues. Pour ce faire, la catégorie de référence est le temps passé en minutes sur des rues sans voie cyclable.
Premièrement, lorsque les cyclistes empruntent des voies cyclables aménagées sur des rues locales, ils sont significativement moins exposés que sur des rues sans aménagement. Cette réduction s’observe davantage sur les chaussées désignées (–1,75) et les pistes cyclables sur rue (–1,67) et, dans une moindre mesure, sur les bandes cyclables (–1,39). Par contre, rouler sur une piste cyclable hors rue à moins de cinq mètres d’une rue locale n’a étonnamment pas d’effet significatif sur l’exposition au bruit (–0,55 ; p = 0,366). Cela peut s’expliquer par la faible présence de cette combinaison dans le jeu de données (n = 63, voir tableau 1).
Deuxièmement, lorsque les cyclistes circulent sur des voies cyclables aménagées sur des rues collectrices, les niveaux d’exposition ne sont pas significativement différents de ceux mesurés lorsqu’ils empruntent des rues sans aménagement cyclable.
Troisièmement, rouler sur des voies cyclables sur rues artérielles ou à proximité de telles rues fait significativement augmenter les niveaux d’exposition au bruit, et ce, particulièrement sur les bandes cyclables (1,74), sur les pistes hors rue à moins de cinq mètres d’une rue artérielle (1,72) et, dans une moindre mesure, sur les pistes sur rue (1,37). Cet effet est d’autant plus marqué sur la piste cyclable du pont Jacques-Cartier : l’exposition au bruit y est supérieure de 6,24 dB(A) par rapport aux rues sans voie cyclable.
Enfin, sur les pistes cyclables hors rue situées à plus de cinq mètres d’une rue, les cyclistes ont été exposés à 1,75 dB(A) de moins que la moyenne des rues sans voie cyclable, soit un effet équivalent à celui de circuler sur une chaussée désignée de rue locale (–1,75).
Discussion
Apport des modèles généralisés additifs mixtes pour la modélisation de l’exposition des cyclistes au bruit
Les résultats du modèle GAMMAR apportent plusieurs éclairages intéressants, tant du point de vue méthodologique qu’en termes de planification. D’abord, à l’instar des travaux de Gelb et Apparicio (2019), notre modèle GAMMAR a permis de mettre en évidence les variations non linéaires du bruit à la fois au fil de la journée et dans l’espace (effet temporel et patron spatial), ce qu’un modèle classique de régression ne permet pas de réaliser. On a démontré ainsi que les niveaux d’exposition au bruit sont plus importants lors des périodes de pointe du matin et du soir. Concernant le patron spatial, les secteurs où le bruit est plus élevé toutes choses étant égales par ailleurs correspondent aux endroits où les parts modales des cyclistes sont les plus élevées (voir figure 1), ce qui est préoccupant. Cela signifie que les planificateurs devraient porter une attention d’autant plus grande dans les arrondissements centraux des villes de Montréal et de Longueuil.
Concernant l’effet de la journée, nous avons montré que les jours en début de semaine étaient moins bruyants que ceux de la fin de cette semaine. Bien sûr, ce constat est valable uniquement pour la période de collecte et ne peut pas être généralisé à l’ensemble des semaines de l’année. Par contre, cela souligne la nécessité de tenir compte de l’effet de la journée dans un modèle d’exposition au bruit (ou à la pollution atmosphérique), afin d’obtenir des coefficients plus robustes pour les effets fixes.
Positionnement des résultats et implications pour la planification
Niveaux moyens d’exposition au bruit
Comparativement aux trois dernières études réalisées à Montréal (Apparicio et al., 2016 et 2018 ; Apparicio et Gelb, 2020), les niveaux de bruit mesurés sont plus faibles (moyennes arithmétiques de 70,5, 68,8 et 70,7 dB[A] versus 67,1 pour Montréal dans cette étude), ce qui n’est pas surprenant. La première (2016) portait sur les quartiers centraux où le patron spatial de notre modèle GAMMAR a confirmé des niveaux de bruit résiduels plus élevés. La seconde (2018) exploitait des trajets en heure de pointe, ce qui corrobore nos résultats de la spline temporelle. Enfin, à la différence de la troisième étude (2020), qui portait sur tous les types d’axes à Montréal, la présente étude se concentre sur les voies cyclables, soit un jeu de données comptant beaucoup d’observations à des endroits peu bruyants (notamment des pistes hors rue).
Doses de bruit et effets potentiels sur la santé des cyclistes
Les niveaux de bruit mesurés durant la collecte sont-ils pour autant dommageables pour la santé des cyclistes ? Pour répondre à cette question, nous retenons les deux seuils pour le bruit routier rapportés par l’OMS pour une exposition de 24 h (Lden) (WHO, 2018) : 53,3 dB(A) – seuil à partir duquel 10 % des gens sont fortement dérangés – et 59,3 dB(A) – seuil associé à une augmentation de 5 % du risque relatif de l’incidence de maladies cardiaques ischémiques. Il n’est toutefois pas possible de comparer directement des valeurs moyennes de bruit sur une minute (LAeq, 1 min) avec des valeurs moyennes journalières (Lden). Nous proposons alors de comparer ces valeurs en termes de doses à partir de l’équation proposée par Berger (2003 : 189-190) :
où D est la dose totale de bruit (en pourcentage), Lc est la valeur de bruit de référence (53,3 dB[A], par exemple) pour une durée Tc (24 heures, par exemple), Li est la valeur d’exposition mesurée durant une période Ti et q est le paramètre du taux d’échange (10 pour un taux d’échange de 3 dB).
Premièrement, cet exercice de comparaison est réalisé pour chacune des trois régions : Montréal, Laval, Longueuil, en retenant leurs moyennes arithmétiques de bruit (67,1, 66,3 et 66,1 dB(A) (figure 7). Puis, nous avons sélectionné trois localisations : l’une dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal (effet de l’espace de +1,510 dB[A]), l’autre à Laval (effet de l’espace de +0,478 dB[A]), et la dernière à Longueuil (effet de l’espace de +0,974 dB[A]) (figure 6). Pour ces trois localisations, nous avons prédit la dose de bruit à partir des résultats du modèle GAMMAR, et ce, à 9 h du matin pour les types d’axes présentant les niveaux de bruit les plus élevés ou faibles (bande cyclable sur une rue artérielle et piste cyclable hors rue à plus de cinq mètres d’une rue).
À partir de ces estimations, on peut conclure qu’un cycliste atteindrait en moyenne 100 % de la dose 53,3 dB(A) Lden après avoir circulé 61 minutes à Montréal, contre 72 et 76 minutes à Laval et Longueuil (figure 7). Bien entendu, cette situation varie en fonction du type d’axe emprunté. En effet, si un cycliste circule uniquement sur des bandes cyclables sur une rue artérielle, il atteindrait la dose de 100 % beaucoup plus rapidement : 35, 45 et 39 minutes aux localisations a, b et c contre 78, 103 et 89 minutes sur une piste cyclable hors rue à plus de 5 mètres d’une rue. Sans surprise, avec une valeur de référence de 59,3 dB(A) Lden, il est très peu probable qu’un cycliste atteigne la dose de 100 % dans les trois régions et pour les trois localisations, quel que soit le type d’axe emprunté.
Ces résultats démontrent qu’il est très peu probable que l’exposition au bruit des cyclistes utilitaires puisse être dommageable pour leur santé à Montréal, Laval et Longueuil. Par contre, une proportion non négligeable des cyclistes pourrait être fortement incommodée par le bruit, particulièrement sur les voies cyclables aménagées sur des rues artérielles. Aussi, cela pourrait avoir comme effet de dissuader certaines personnes de privilégier le vélo lors de leurs déplacements utilitaires.
Différences entre les types de voies cyclables
Il convient ensuite de discuter d’un résultat qui peut sembler contre-intuitif : les cyclistes circulant sur une piste cyclable hors rue à moins de cinq mètres d’une artère sont plus exposés au bruit que lorsqu’ils empruntent une piste cyclable sur rue ou une bande cyclable aménagée sur une artère, lesquelles placent pourtant le cycliste bien plus proche du trafic. Bien entendu, rien ne laisse croire que les pistes cyclables hors rue, par leur configuration physique, protègent moins les cyclistes du bruit. Cependant, il est probable que les pistes hors rue – beaucoup plus lourdes à aménager et offrant une meilleure protection physique des véhicules – soient aménagées en priorité sur les routes à grand débit de circulation, là où l’espace est disponible et où la cohabitation avec les véhicules motorisés serait autrement plus difficile.
De la même manière, les chaussées désignées sur une rue locale exposent les cyclistes à moins de bruit que les bandes cyclables et les pistes sur rue. Habituellement, les chaussées désignées sont aménagées sur des voies de circulation ayant un faible débit de voitures et de véhicules lourds (INSPQ, 2009 : 22) ; cela pourrait expliquer une plus faible exposition.
La piste cyclable du pont Jacques-Cartier est un cas à part. Lors de la collecte, l’emprunter a eu pour effet d’augmenter de 6,2 dB(A) l’exposition au bruit, ce qui correspond à une énergie sonore environ quatre fois plus grande que sur une rue sans voie cyclable (INSPQ, 2015 : 14). Puisqu’elles sont des liens cyclables nécessaires et difficilement aménageables ailleurs, il ne s’agit pas ici de décourager la construction et l’utilisation de pistes cyclables sur les ponts à caractère autoroutier. On doit plutôt tenir compte de ces résultats pour protéger les pistes existantes et futures du bruit routier. Par exemple, King et al. (2009) ont mesuré une réduction de 6 dB(A) de l’exposition de piétons marchant sur une promenade protégée par un écran antibruit, comparativement à un trottoir adjacent à la route.
Importance de la localisation des voies cyclables
Dans l’étude d’Apparicio et al. (2016), les niveaux sonores mesurés sur des bandes cyclables et sur des chaussées désignées n’étaient pas significativement différents de ceux mesurés sur des rues collectrices. Nos résultats confirment ce constat, tout en le raffinant. Sur des rues collectrices, peu importe le type de voie cyclable, les niveaux de bruit sont similaires. Cependant, lorsqu’on distingue les types de routes, on constate que les niveaux varient énormément : on note clairement une augmentation des niveaux de bruit lorsque les trajets sont réalisés sur une rue artérielle plutôt que sur une rue collectrice, et plus encore que sur une rue locale. Ces résultats corroborent d’ailleurs ceux de Minet et al. (2018) qui concluent que la distance de l’artère majeure la plus proche réduit significativement l’exposition au bruit des cyclistes à Toronto, et que les niveaux de bruit les plus faibles se trouvent sur les rues locales et les pistes hors rue.
Cela démontre que c’est plutôt le type de route à proximité de laquelle ou sur laquelle on circule qui influence le plus l’exposition au bruit. Autrement dit, aménager une nouvelle voie cyclable sur une artère majeure risque d’augmenter l’exposition des cyclistes au bruit, à moins qu’elle ne s’accompagne de mesures d’apaisement de la circulation (réduction du débit et de la vitesse des véhicules motorisés). Ces résultats se conjuguent très bien avec les études sur les motivations des cyclistes : ces derniers sont en général encouragés par la présence de voies cyclables protégées (Winters et al., 2011) – lesquelles sont plus sécuritaires (Teschke et al., 2012) – et découragés par les environnements sonores et pollués. Pour favoriser le plus possible la pratique du vélo, et pour en minimiser les risques sur la santé (collisions, exposition au bruit, etc.), on a donc tout intérêt à ce que les prochaines voies cyclables soient à la fois protégées physiquement de la circulation et à l’écart des environnements bruyants et pollués.
Référents d’ici et d’ailleurs
Un exemple probant d’hybride entre la voie cyclable protégée de grande artère et la chaussée désignée de rue locale est le réseau des Quietways à Londres, qui a été planifié avec l’objectif de faire circuler les cyclistes dans des environnements sonores paisibles (Mayor of London, 2018), par l’utilisation d’obstacles physiques pour décourager la circulation automobile. Le principe des bicycle boulevards à Portland (Oregon) est similaire : il s’agit de faciliter le passage des cyclistes le long de rues résidentielles où le trafic de véhicules est découragé par des mesures d’apaisement de la circulation et de perméabilité filtrée (intersections fermées aux automobilistes, mais ouvertes aux cyclistes et piétons) (Walker et al., 2009). Ce type d’initiative se voit un peu sur le Plateau-Mont-Royal, lorsque le trafic est redirigé vers les artères majeures pour éviter que les voitures utilisent les rues locales comme voies de transit, tout en permettant aux cyclistes de passer. La vélorue Saint-André semble être la première initiative formelle de ce genre (Radio-Canada, 2018).
Conclusion
En somme, le type de voie cyclable ne semble pas avoir d’influence sur l’exposition des cyclistes au bruit. C’est plutôt le type de route à proximité de laquelle ou sur laquelle les cyclistes circulent qui fait varier les niveaux de bruit. Par conséquent, la tendance à construire les voies cyclables protégées sur les grandes artères ou près d’elles sans mesure d’apaisement de la circulation doit être renversée si les planificateurs souhaitent diminuer l’exposition des cyclistes au bruit.
Le bruit n’est pas le seul élément négatif auquel s’exposent les cyclistes. La pollution de l’air, la sécurité des déplacements, l’état de la chaussée, pour ne nommer que cela, sont d’autres dimensions dont il faudrait tenir compte pour planifier un réseau cyclable propice à la pratique du vélo utilitaire dans des conditions favorables à la santé. Prévoir plus de voies cyclables évitant la cohabitation avec les véhicules motorisés – souvent impliqués dans les collisions et générateurs de bruit et de pollution atmosphérique – apparaît comme une solution à ces enjeux. C’est d’ailleurs l’approche que semblent privilégier les Pays-Bas, avec le succès qu’on leur connaît.
Pour conclure, la planification des voies cyclables est un enjeu complexe auquel doivent faire face les municipalités. Loin de nous l’idée de jeter la pierre aux planificateurs : ils doivent composer avec de nombreuses contraintes techniques (état des réseaux viaire et d’aqueduc, etc.) et sociales (résistance de la part de certains commerçants et automobilistes, etc.). À l’instar de ce qui est recommandé dans des travaux récents (Su et al., 2010 ; Larsen et al., 2013 ; Winters et al., 2013), nous croyons que la création d’indicateurs et d’outils facilitant l’évaluation multidimensionnelle de la qualité des voies cyclables, et aidant à la planification du développement des réseaux, devrait rapidement faire l’objet de travaux ultérieurs rapidement, et ce, d’autant plus que de nombreuses villes canadiennes souhaitent étendre leurs réseaux cyclables.
Parties annexes
Remerciements
Les auteurs remercient Jérémy Gelb, les évaluateurs et évaluatrices pour leurs commentaires et suggestions sur la première version du manuscrit. Aussi, nous tenons à remercier les étudiants du Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) impliqués dans la collecte de données ; vous êtes de bons cyclistes avec de bonnes jambes! Cette recherche a bénéficié du soutien financier de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité environnementale et la Ville (950-230813) et a été approuvée par le Comité d’éthique de l’INRS (NoCER-15-391).
Notes
-
[1]
La mesure dB(A) indique que les décibels ont été pondérés selon la courbe de sensibilité de l’oreille humaine typique.
-
[2]
edf = effective degrees of freedom : degrés de liberté effectifs du terme non linéaire, ce qui représente l’ampleur de la non-linéarité de l’effet de la variable (Wood, 2011).
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