Corps de l’article
Cet ouvrage collectif réunit une partie des contributions du colloque Vivre en famille au coeur de la ville : une journée de réflexion sur Montréal, qui s’est déroulé en 2013. Aussi, différents points de vue sont-ils conviés pour analyser le phénomène de « fuite » des familles des quartiers centraux vers la périphérie et tracer des pistes potentielles afin d’y remédier.
Montréal est une ville multiethnique et jeune, où l’immigration internationale constitue un facteur de dynamisme, sans induire d’homogénéité des habitants (Annick Germain). On y trouve, en majorité, de jeunes adultes à la recherche d’emplois qualifiés, sensibles à une bonne qualité du réseau de transports, aux ambiances urbaines spécifiques (propositions culturelles et commerciales en lien avec leur mode de vie). Toutefois, l’arrivée d’enfants au sein d’un foyer entraîne un changement notable dans le rapport à l’environnement, aux transports publics, au logement, qui induisent à chercher un logement plus grand, plus calme.
Un modèle amélioré de localisation des ménages (intégration de différents facteurs) présenté par Jean-Philippe Meloche illustre et nuance ce phénomène d’exode des quartiers centraux. Meloche souligne ainsi que les familles à bas revenus habitent préférentiellement le centre, ce résultat contre-intuitif s’expliquant par la haute densité des habitations qui contrecarre la valeur foncière plus élevée. Les ménages moins aisés réduisent en effet leur espace de vie et leurs transports pour des raisons budgétaires. Les familles les plus riches arrivent à créer des enclaves en centre-ville et dans la proche couronne, tandis que les classes moyennes se retrouvent en deuxième et troisième couronnes pour pouvoir satisfaire le désir d’accéder à la propriété.
Pourtant, habiter en banlieue comporte des désavantages : de plus longues distances du travail, l’absence de transport public fiable, la voiture devenant incontournable. L’étalement résidentiel a donc des conséquences économiques et environnementales telles que la congestion routière, un besoin d’investissements publics importants (routes, écoles, soins…) pour les villes de banlieue. Il entraîne aussi une dépendance à la voiture. En effet, les jeunes en banlieue ne peuvent pas accéder seuls à leurs activités et ont besoin de leurs parents.
Au-delà de l’approche rationaliste, Andrée Fortin rappelle la nécessité de confronter des raisons objectives du choix d’habiter en banlieue pour les jeunes familles avec les représentations sociales négatives du centre-ville véhiculées par l’imaginaire collectif (lieu de délinquance...). Aussi, toute politique voulant inverser cette tendance lourde doit-elle prendre en compte les deux aspects de la question, ainsi que la complexité du phénomène métropolitain, aujourd’hui minorée par la compétition que se font les collectivités. Car, outre une mobilité spatiale des familles de classe moyenne pour accéder à un logement plus grand, moins onéreux, plus sécurisé, plus calme, la Ville de Montréal et les villes des pourtours mènent des politiques municipales d’attractivité à leur égard (Marc-André Plante ; Suzanne Chantal, Martin E. Wexler), se faisant ainsi concurrence, dans l’objectif de capter la taxe foncière.
Les différents chapitres consacrés à l’élaboration de solutions et à la présentation des mesures mises en place pour les familles font valoir la nécessité d’arrêter les politiques sectorielles qui n’inverseront pas une tendance lourde. Il s’agit d’entreprendre des actions à moyen et long termes qui permettent de changer le regard sur le centre-ville, de mettre en avant l’enjeu de la proximité (facteur positif du centre) et de modifier les perceptions par des mesures concrètes coconstruites avec les familles (apaisement de la circulation, piétonisation, offre de produits résidentiels adaptés aux familles…).
Sébatien Lord et Simin Lofti confrontent ainsi les solutions qui ont pu émerger de la part des professionnels pour ramener ou conserver les familles au centre (par l’intermédiaire d’un blogue) : espaces urbains de qualité, verts et qu’on peut s’approprier, logements de qualité abordables et suffisamment grands, sensibilisation des familles aux coûts induits par la localisation en banlieue, contrôle des irritants sociaux (sentiment d’insécurité, itinérance, prostitution…), proximité, accessibilité et praticabilité des services. Il en ressort l’importance de produire une expérience résidentielle attractive par les coûts, les logements disponibles, etc. Juan Torres expose d’ailleurs l’intérêt d’une approche développementale (manière dont les personnes transforment leur milieu de vie par leur comportement) pour penser la forme de ville adaptée aux familles, se démarquant ainsi d’un point de vue déterministe (comment l’environnement influe sur le comportement des personnes). D’où l’enjeu de ne pas confondre tous les types de familles et de ne pas généraliser leurs aspirations, mais d’intervenir sur l’aménagement et le design urbain, pour donner les moyens aux familles de pleinement s’approprier la ville et ses différents espaces.
Si les contributions plurielles provenant de différentes disciplines et de points de vue divers (chercheurs, aménageurs…) enrichissent le propos, elles s’avèrent parfois un peu répétitives sur le constat et les solutions à esquisser ou à approfondir. Le seul contrepoint étranger, celui de la Suisse Marie-Paule Thomas, dresse une typologie des modes de vie résidentiels au regard de la combinaison de critères qui poussent les ménages à choisir tel ou tel lieu de résidence. Évidemment, il serait utile de comparer ce phénomène de désertion des familles à Montréal avec la mobilité des ménages dans d’autres grandes villes mondiales et de pouvoir vérifier ou adapter la validité de la typologie. Cela permettrait de mieux comprendre et de temporiser la force de certains critères (l’envie d’une maison familiale, l’accès au transport, l’accès à des parcs ou espaces verts pour les enfants), mais aussi de diversifier le socle de solutions évoquées.