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Comment l’espace s’organise-t-il en régions, nations et grands espaces (Claval, 1968) ? David Goeury et Philippe Sierra répondent à cette question récurrente en géographie avec les outils les plus récents. Les points de vue mis en oeuvre dans l’analyse des territoires sont passés en revue dans la première partie de l’ouvrage. La deuxième met en évidence les logiques qui président à leur organisation actuelle. La troisième s’attache aux attitudes que peut prendre l’État pour aménager le territoire, détaille les moyens qu’il met en oeuvre pour diagnostiquer ce qui ne va pas et précise les modes de gouvernance sur lesquels il peut s’appuyer pour intervenir.
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Le vocabulaire de l’ouvrage est moderne : il est question de territoires et non plus de régions. La recension des méthodes d’analyse territoriale est très à jour. La priorité va à la question environnementale : ne convient-il pas de protéger l’environnement, de donner la préférence aux ressources renouvelables et de gérer écologiquement les déchets ?
Les logiques économiques actuelles structurent l’espace autour de flux et de pôles et font de l’innovation le ressort du développement. Les entreprises se jouent de plus en plus des frontières. L’économie collaborative remet en cause les formes traditionnelles de la division internationale des processus productifs.
La géographie politique suppose une connaissance parfaite des jeux du pouvoir. La géopolitique, mieux faite pour l’analyse territoriale, prend acte de l’information nécessairement imparfaite dont disposent les acteurs. Les logiques de contrôle ont longtemps reposé sur la mise en place de frontières. Le soft power mobilise d’autres outils, économiques ou culturels. Dans un monde de migrations où règne l’état de droit, les problèmes que posent les minorités sont devenus essentiels.
La culture est soit le produit d’une relation complexe entre un groupe et son environnement, soit un système de pensée dont la diffusion peut avoir des effets hégémoniques. Facteur d’enracinement, elle fonde les identités sur les lieux, les paysages et les terroirs, mais se pervertit parfois en marketing territorial. Instrument de puissance, la culture, souvent qualifiée de civilisation, devient un instrument de domination en se diffusant ou en étant imposée.
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Une dynamique domine les constructions territoriales du monde actuel : celle de la mondialisation. Celle-ci relie les territoires et les met en concurrence. Elle est « organisée par les grands opérateurs hiérarchisés que sont les pouvoirs publics et les grandes entreprises » (p. 112). Parmi celles-ci, les multinationales jouent un rôle-clef. Elles se dotent d’archipels d’établissements dont la puissance dépend des connections qui permettent de combiner les avantages procurés par des lieux dissemblables – parmi lesquels on trouve évidemment des paradis fiscaux et des antimondes.
L’explosion des flux qu’entraîne la mondialisation est cependant surtout régionale. Cela conduit à l’intégration des territoires en grands espaces d’un nouveau type : marchés communs, zones de libre échange. La coordination des flux et l’impulsion de la vie économique proviennent de très grandes villes : la métropolisation va de pair avec les nouvelles formes d’intégration régionale. L’ensemble est dominé par quelques villes globales, New York, Londres, Tokyo et quelques autres. Métropoles et villes globales ne confisquent-elles pas une part disproportionnée de la richesse mondiale ?
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Les rapports de l’État au territoire ne sont pas les mêmes selon que la nation exprime une adhésion à un projet commun ou résulte de la formation sur le temps long d’une communauté soudée par des usages et des croyances. Dans le contexte de forte expansion économique de l’après-guerre, l’accord était général sur la responsabilité de l’État comme aménageur. Aujourd’hui, « il n’est plus qu’un acteur parmi d’autres du développement territorial » (p. 176). Quelles responsabilités doivent lui revenir ? Assurer la justice territoriale ? Doper le dynamisme économique par la création de pôles ?
L’évolution contemporaine pose le problème de la taille optimale de l’État. Elle souligne la multiplicité des échelles où la puissance publique peut et doit intervenir. Elle montre combien l’égalisation des revenus dépend de la redistribution des revenus que réalise l’État.
Le texte est clair, abondamment illustré. Le propos est illustré par des exemples traités en encadrés et par des exercices de fin de chapitre. La bibliographie, presque exclusivement francophone, permet de suivre les mutations contemporaines de la réflexion.
Parties annexes
Référence
- CLAVAL, Paul (1968) Régions, nations, grands espaces. Paris, Genin.