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L’ouvrage est issu d’un travail doctoral en géographie-aménagement soutenu par l’auteure en 2013. D’emblée, le projet est doublement stimulant puisqu’il s’agit, d’une part, d’investir la notion récente et aux contours flous que représente l’habitat participatif et, d’autre part, d’exposer les défis méthodologiques auxquels s’est confrontée l’auteure dans le cadre d’une investigation où Internet a représenté, via la plateforme Netvibes, « un terrain de recherche à part entière » (p. 26). Cet aspect, qui permet de rassembler une grande diversité de matériaux et qui est complété par de nombreux entretiens directs dont les extraits sont largement retranscrits au fil du texte, ne donne cependant pas lieu à toute l’exploitation attendue, et la dimension critique des sources disparaît au fil de la démonstration. Il n’en demeure pas moins que l’auteure réalise ici une mise au point tout à fait éclairante de la « nébuleuse » (p. 105) que constitue le mouvement de l’habitat participatif.
L’enjeu premier de ce travail est de revenir sur la définition et les contours de la notion. Dans une acception large, celle-ci recouvre un ensemble d’autres catégories souvent associées à l’habitat alternatif, telles que les coopératives d’habitants, l’habitat collectif, l’autopromotion, etc. L’habitat participatif correspond à un terme générique, suffisamment flou et imprécis pour qu’un ensemble d’acteurs puissent s’y associer sans pour autant s’accorder sur des critères déterminés. En somme, il s’attache à un mode de conception de l’habitat qui prend le « contre-pied des modes de production traditionnels du logement » en France, notamment pour l’engagement collectif sur lequel il repose et les modes de gestion du bien immobilier qui tendent, pour partie, à s’extraire des logiques du marché. Il est marqué par une grande diversité dans la localisation, la forme, la composition des groupes et le montage des opérations, et se caractérise par un recours limité aux principaux professionnels et acteurs traditionnels du secteur. Il s’agit donc d’analyser, à travers la diffusion de l’habitat participatif, « un processus de reconquête de la production de l’habitat par les habitants » (p. 121).
Suivant un plan classique, le texte se décompose en trois parties. La première vise à présenter la généalogie de l’habitat participatif, les principaux acteurs et les relations que ceux-ci entretiennent. La thèse défendue repose sur l’idée que l’habitat participatif n’est pas « seulement un dispositif participatif » (p. 116), mais qu’il résulte de « la combinaison d’un ensemble de pratiques » dont la structuration en collectif (analysé ici aux échelles locale et nationale) pose (in)directement la question des modalités de prise en compte et de mise en oeuvre de l’expérimentation – dans les collectivités et par les pouvoirs publics – aujourd’hui, dans la production urbaine contemporaine. Devaux montre que cette organisation se heurte à la forte autonomie et à la volatilité de chacun des groupes d’acteurs-habitants, mais aussi à la variété des motivations des acteurs engagés (groupes d’habitants, élus, professionnels).
Dans une seconde partie, qui constitue un temps fort de la démonstration, il s’agit d’exposer comment l’habitat participatif est « entré en politique » (p. 119), c’est-à-dire comment et sous quelles conditions s’est réalisée la rencontre entre les groupes d’habitants et les principales associations porteuses des projets d’habitat participatif avec les acteurs institutionnels, élus, bailleurs et professionnels de la construction. Y est décortiqué un ensemble de « bonnes raisons » – au sens de Raymond Boudon – qui justifient à la fois un intérêt et une méfiance respectives entre les personnes à l’origine des projets et les acteurs institutionnels. L’habitat participatif correspondrait ainsi à une « boîte à outils », voire un « couteau suisse » (p. 220) pour répondre à une diversité d’enjeux allant de l’investissement citoyen et solidaire au développement de l’écoconstruction et de la mixité sociale et intergénérationnelle, ainsi qu’à la lutte contre l’étalement urbain et l’exclusion sociale. Il contribuerait également à une meilleure appropriation qui permettrait une meilleure utilisation des équipements et une gestion facilitée, une éducation à la sobriété énergétique, etc. Paré de ces vertus, un « vaste panel d’acteurs peut [y] trouver des points d’accroche » (p. 247) au-delà des cercles militants dont il a initialement émergé. Or, la réelle démocratisation de l’habitat participatif, en direction de ménages modestes notamment, passe par la mobilisation des acteurs élus, des bailleurs et des collectivités. Ce recours aux acteurs institutionnels, présenté comme d’indispensables relais, marque aussi la fin de la participation exclusive des habitants. L’auteure relève enfin un basculement dans les finalités du militantisme comme dans l’émergence et la conduite des projets, attaché à cette progressive institutionnalisation, ainsi que l’entrée en scène de nouveaux acteurs et métiers d’accompagnement.
La dernière partie de l’ouvrage porte sur la mise en oeuvre des projets d’habitat participatif, c’est-à-dire leur réception par les acteurs institutionnels, fruit de négociations et de compromis à l’origine d’une transformation, encore fragile et balbutiante, des formes de l’action publique urbaine et qui aboutit, notamment par sa reconnaissance législative dans le cadre de la loi ALUR, en 2014. La façon dont cela se traduit opérationnellement sur les sites étudiés est présentée dans ses grandes lignes et les orientations assignées aux projets ne débouchent pas sur une analyse approfondie du contexte de la réalisation et de l’intégration ou non à l’environnement. Dans ses développements, Devaux s’intéresse donc moins aux effets concrets de cette « nouvelle » forme de la production urbaine qu’aux processus, aux mécanismes de décision et de mise en oeuvre qu’elle génère. Pour ce faire, l’auteure mobilise un arsenal de théories et de concepts rattachés notamment à la sociologie des organisations et permettant une lecture fine des jeux d’acteurs qui se structurent autour de l’habitat participatif. Le projet initial de remettre en question les catégories habituelles (habitants / institutions) n’est cependant pas conduit à son terme et il se dégage parfois, au fil de la lecture, un sentiment de réification des positions respectives.
Effet d’annonce, définition aléatoire et labile, risque de récupération, difficultés opérationnelles, le développement et la diffusion de l’habitat participatif se heurtent à tout un ensemble de freins et de défis inhérents à la multiplication des initiatives et à l’absence de cadre et d’outils réglementaires. Mais ces obstacles sont aussi la condition de l’innovation qui incite les acteurs à s’organiser et à inventer de nouveaux modes de coopération, d’échange, à élargir les réseaux et les partenariats et, plus ouvertement encore, à échanger au sein d’un système d’acteurs de l’habitat et du logement particulièrement et traditionnellement segmenté. Pour autant, cette « troisième voie » pour repenser l’habitat et la production urbaine reste marquée par des contradictions quant aux objectifs poursuivis et à leur mise en oeuvre. Le défi auquel invite Devaux est précisément d’intégrer l’habitat participatif au sein de la production de l’habitat afin qu’il contribue à irriguer de ses (bonnes ?) pratiques et de ses apports l’ensemble de la chaîne du logement et qu’il devienne « un catalyseur des évolutions des pratiques et des représentations des professionnels » (p. 366).