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La « crise » grecque ne lasse pas d’interpeller les spectateurs incrédules que nous sommes. Depuis 2007-2008, la Grèce est en effet régulièrement placée sous le feu de l’actualité. Des informations souvent contradictoires sont relayées par une presse internationale dont la partialité a pour corollaire une méconnaissance évidente de la géographie et de l’histoire balkaniques. À travers ces écrits, chacun est invité à s’associer à des jugements tranchés dont la valeur scientifique est très discutable. Sur le sort de ce pays, il faut sans cesse « statuer ». Le monde entier est appelé à valider les avis de créanciers internationaux et de princes bruxellois prêts à secourir le « malade ». Trop de clichés et de contre-vérités ont été colportés.
L’ouvrage collectif dirigé par Joëlle Dalègre, spécialiste de la Grèce et professeur à l’INALCO-Paris, fait oeuvre de salut public en s’appliquant à rectifier les erreurs et à démasquer les mensonges. Car, en fait, que sait-on de l’évolution récente du pays ? Au-delà des manifestations monstres et des volte-face théâtralisées, a-t-on pris conscience de l’ampleur des transformations entreprises par la Troïka ? Les auteurs réunis dans cet ouvrage se sont fixés pour tâche d’éclairer la tourmente.
Le travail s’articule autour de trois parties. (1) La première section porte sur les représentations de la crise. Il s’agit de démontrer la puissance des discours dépréciatifs et de démonter les jugements à l’emporte-pièce diffusés par la presse. (2) Le deuxième chapitre aborde la question de la dette et de l’indépendance nationale au regard de l’histoire biséculaire du pays. Les deux éléments sont indissociables. La mainmise étrangère précoce, assimilable à une forme de tutelle, explique la faiblesse chronique de l’État face à la société civile. (3) La dernière partie analyse les différentes mesures de « redressement » prises depuis le début de la crise, ainsi que leurs effets en termes financiers, économiques et sociaux.
La Grèce est en effet un pays qui a subi de profondes mutations en quelques années. Vus de l’extérieur, la plupart des changements sont passés inaperçus, noyés sous le flot de propos futiles. Sont donc évoqués des sujets divers: mutation de l’appareil industriel, devenir des réformes fiscales, révision de la gestion foncière, système d’imposition, évolution du maillage administratif, rôle de l’Église et des armateurs dans l’économie, mutations du paysage politique.
Certes, l’analyse des événements récents tourne souvent court, faute de recul historique suffisant. L’absence de données fiables sur nombre de sujets d’actualité est une contrainte majeure. Toutefois, les auteurs font preuve d’une remarquable ténacité dans leur traque des informations les moins accessibles. Car l’enquête ne peut fonder sa légitimité que sur des sources « alternatives » aux indicateurs économiques éternellement remis sur la table des « négociations ». En toute logique, la place accordée aux sources journalistiques est prépondérante et on regrettera le nombre limité de références bibliographiques apportées en appui au texte ; mais l’analyse est rigoureuse, en dépit de sources fréquemment incomplètes et contradictoires.
La force de l’ouvrage s’exprime dans la complémentarité des démarches. L’analyse sémantique s’appuie sur une approche historique de long terme. La crise actuelle ne peut en effet être comprise qu’à travers le prisme des très nombreuses crises traversées par le pays depuis deux siècles. Il est clairement démontré que la Grèce est placée depuis sa « seconde naissance » dans un état de dépendance financière vis-à-vis des grandes puissances. Ce phénomène a des conséquences lointaines : il explique les liens organiques entre tissu économique national et institutions financières des pays créditeurs ; par ailleurs, la faiblesse de l’État régalien traduit, sur le plan intérieur, la tutelle politique étrangère. L’hellénisme se fonde donc jusqu’à ce jour sur deux appuis : la puissance des attaches locales (le village) et la diversité des liens mondialisés (la diaspora). Entre les deux, l’échelon intermédiaire de l’État-nation est écrasé : réalité bien incompréhensible pour des eurocrates à la recherche d’interlocuteurs à leur mesure…
Au final, cet ouvrage fournit des informations vitales à toute personne intéressée par l’évolution récente de la Grèce. Comme toute production inscrite dans l’immédiateté d’une actualité changeante, certains éléments d’information sont abordés trop brièvement. On ne peut être exhaustif sur ce phénomène de crise qui imprègne l’Hellade au-delà de ce que les Occidentaux peuvent imaginer. En rétablissant un certain nombre de vérités, les auteurs éclairent ainsi les choix effectués par certains décideurs aux yeux desquels la Grèce n’est pas grand-chose d’autre qu’une destination touristique ensoleillée. Affaire à suivre.