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C’est l’envers du décor que nous donne à aborder cet ouvrage, en fait une forme de grille de lecture de la complexité du réel, qui caractérise les territoires nous entourant. Le parti pris de départ est ambitieux et correspond à une attente profonde. L’approche de la complexité des territoires passe, selon les auteurs, par la mise en avant d’une réalité ordinaire à travers une approche forcément pluridisciplinaire, au croisement de la sociologie, de l’anthropologie, de la géographie et de la science politique. Parce qu’il y a l’homme et ses multiples « casquettes », parce qu’il y a son vécu, ses représentations, et parce qu’il y a l’espace et ses objets anthropiques multiples, alors naissent les conflits qui mobilisent de manière continue nécessitant un regard pluriel et coordonné dans le temps. Les auteurs proposent une graduation de la mobilisation des acteurs – nous le sommes tous –, de la pratique ordinaire aux formes d’action collectives politiques jusqu’à l’action publique, afin de donner une continuité à des formes d’actions différentes, mais forcément liées, qui mettent en forme l’espace que nous qualifierons de géographique. Le propos n’est pas nouveau sur le fond, mais l’originalité de cet ouvrage, par les multiples exemples qu’il présente – et dont l’intérêt est néanmoins variable – est de mettre en dynamique des principes somme toute connus mais généralement abordés de manière discontinue. Ainsi, et c’est là que se situe sa valeur, il donne des éléments pour analyser l’articulation entre l’investissement ordinaire de l’espace forcément « en jeu », mais pas forcément à enjeu (mais qui peut le devenir !) et des mobilisations plus organisées et institutionnalisées lorsque les enjeux se dessinent. La gageure était de réussir, à travers une approche pluridisciplinaire, à concilier des outils et méthodes qui s’adaptent à des cadres d’analyse différents. Le principe méthodologique posé le permet ; il s’agit là de l’apport majeur de cet ouvrage.
Les auteurs posent des principes d’analyse intéressants, mais on regrettera que ces principes ne soient pas repris de manière systématique dans les différents exemples avancés, certains illustrant remarquablement la démarche proposée, d’autres offrant une lecture plus distanciée et de ce fait moins efficace. Les différents exemples sont ainsi organisés en trois parties graduées, des investissements ordinaires de l’espace aux mobilisations des autorités publiques, en passant par les mobilisations sociales et politiques des acteurs non institutionnels, pour déboucher sur une quatrième partie présentant des exemples plus complets d’analyses sur l’enchevêtrement des différents types de mobilisation. Nous retiendrons celui proposé autour des mobilisations dans les espaces urbains centraux dans le cadre des pratiques festives à Rennes, et qui est à ce titre édifiant et mérite attention.
En conclusion, on regrettera que le modèle illustrant les articulations entre les niveaux de mobilisation n’ait pas fait l’objet d’approfondissements dans la partie conclusive. Néanmoins, les perspectives de renforcement des dialogues entre disciplines sont pertinentes et, comme cela est rappelé et démontré, passent par la prise en compte de la dimension spatiale des mobilisations. Un intéressant tableau le confirme en esquissant un réseau de concepts et de notions pour l’étude interdisciplinaire des mobilisations ; le champ de questionnements reste ouvert… et on peut se permettre d’attendre une suite.
Non, les règles simples fondées sur la seule prise en compte de règles économiques majeures ne suffisent pas à expliquer l’évolution des territoires, tout comme ne suffit pas la seule considération des jeux des décideurs ou encore le gros plan porté sur quelques individus.