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Le dossier spécial « Mobilités spatiales et ressources métropolitaines : l’accessibilité en questions » des Cahiers de géographie du Québec présente quatre articles scientifiques sélectionnés parmi les communications de la 11e édition du colloque Mobilités spatiales et fluidités sociales [1] qui a eu lieu à Grenoble en mars 2011 [2]. Intitulée « Mobilités spatiales et ressources métropolitaines : l’accessibilité en questions », cette rencontre a permis aux participants de s’interroger sur la mobilité en tant que « bien intermédiaire » dont usent les personnes pour accéder à des ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins et à la réalisation de leurs projets. Parce que ces ressources sont inégalement réparties sur des territoires quotidiens souvent très étendus, les différences de potentiel de mobilité peuvent créer ou exacerber des facteurs d’inégalités sociales. Les processus d’étalement, de spécialisation fonctionnelle, voire de ségrégation, aboutissent à des exigences de mobilité pour relier les différents pôles d’un territoire donné, lesquelles pèsent autant sur les acteurs publics en charge de l’offre (de transport, de logement et de l’emploi notamment) que sur les individus dont la capacité de mouvement est souvent socialement et économiquement sélective. Par conséquent, les inégalités d’accès à la ville et à ses ressources méritent d’être appréciées à la fois par l’analyse des politiques urbaines actuelles qui ont pour vocation de les réduire et par l’étude des structures et des dynamiques spatiales qui conditionnent les possibilités d’accès aux ressources urbaines des individus. Le colloque a montré combien il y a aujourd’hui un enjeu à faire dialoguer les champs de recherche qui, soit mettent l’accent sur des analyses de l’évolution des politiques publiques urbaines visant la réduction des inégalités en matière d’accessibilité géographique, soit développent des méthodes et produisent des résultats d’observations qui caractérisent les situations d’inégalités auxquelles sont confrontées les populations dans leurs pratiques spatiales quotidiennes.
Rapprocher ces deux champs doit permettre de mieux cerner quels référentiels et quelles connaissances sur les inégalités d’accessibilité sont requis pour mettre en place et évaluer des actions ciblées dans le cadre de politiques urbaines.
En retour, cela met en question la manière dont on peut adapter les méthodes d’observation et les outils d’analyse des conditions de mobilité des personnes et des niveaux d’accessibilité des espaces pour répondre aux exigences d’une véritable politique d’accès à la ville pour tous. C’est dans cette seconde optique que s’inscrivent les quatre textes présentés ici. Ils apportent des contributions notables quant au renouvellement des méthodes utilisées pour décrire le lien entre structure de l’offre et niveau d’accessibilité du territoire, ainsi que pour appréhender les potentialités d’accès des populations au territoire et à ses ressources.
Yves Crozet, Aurélie Mercier et Nicolas Ovtracht examinent deux politiques de transport dans l’agglomération lyonnaise (deux nouvelles lignes de transport en commun, un péage urbain) à l’aune des impacts sur l’accessibilité spatiale, d’une part, et sur la réduction des inégalités sociales, d’autre part. Pour mesurer l’accessibilité en zone intra-urbaine, les auteurs soulignent l’importance (et la difficulté) de pouvoir décrire finement la localisation des activités tout en considérant l’hétérogénéité de l’offre de transport au sein des différents quartiers. Cette exigence permet d’estimer au mieux les coûts monétaires et temporels pour relier différents lieux et rend possible une analyse de l’accessibilité aux ressources urbaines en jouant sur les échelles pertinentes selon l’activité considérée. L’outil MOSART développé au Laboratoire d’économie des transports (LET-Lyon) répond à ces enjeux méthodologiques : il est basé sur un système d’information géographique (SIG) voué à l’analyse des réseaux de transport enrichi par des données socioéconomiques (recensement) et couplé à un modèle gravitaire intégrant des données de congestion pour apprécier précisément les temps de parcours en période de pointe. Grâce à cette plateforme de modélisation, plusieurs scénarios de péage urbain (péages de zone ou cordon) sont évalués au regard de l’impact qu’ils produiraient sur l’accessibilité du centre de l’agglomération (temps et coût de déplacement) depuis les différentes communes du Grand Lyon. Un résultat inattendu montre que, si le péage peut limiter l’usage de l’automobile des zones centrales, il pourrait au contraire stimuler les déplacements automobiles partant des communes périphériques qui bénéficieraient ainsi d’une accessibilité accrue grâce à la baisse de la congestion. Un second exemple allie accessibilité spatiale et accessibilité sociale en montrant les effets positifs qu’aurait, sur l’accessibilité aux emplois de l’agglomération, la mise en circulation de nouvelles lignes de transport en commun dans des quartiers jusque-là enclavés.
Partant du constat que la métropolisation conduit, dans les pratiques, à disjoindre bassins de vie et bassins d’emplois, Florent Le Néchet s’intéresse aux conditions d’accessibilité aux emplois dans deux régions métropolitaines (Île-de-France et région Rhin-Ruhr) dont les structures spatiales sont respectivement monocentriques et polycentriques. L’enjeu méthodologique soulevé par l’auteur est d’intégrer dans sa démarche les effets d’échelles qui doivent être pris en compte pour comprendre comment l’accessibilité à des ressources de transport de niveaux différents (local ou régional) permet aux populations de franchir plus ou moins facilement des échelles intermédiaires pour accéder à l’emploi. La notion d’accessibilité est ici utilisée pour décrire le fonctionnement de deux territoires selon la mobilité vers les lieux d’emploi. Pour ce faire, l’auteur propose une méthode affinée et harmonisée de détermination des polarités d’emploi qui rend comparable des territoires aux caractéristiques géographiques distinctes. À partir de là, sont analysées les parts modales dans les différents secteurs selon l’échelle (locale ou externe) du déplacement vers l’emploi, selon la densité du secteur et selon l’accessibilité aux infrastructures de transport (métro-RER). Les résultats montrent, par exemple, que les secteurs périphériques d’Île-de-France connaissent une dépendance à l’automobile (en mobilité locale comme sortante), alors que ceux de la région Rhin-Rhur montrent des parts modales automobiles opposées.
L’auteur conclut que ces approches multiscalaires de l’accessibilité rendent mieux compte de la complexité des pratiques qui franchissent différentes échelles grâce aux niveaux d’infrastructures offertes ; mais, en retour, cela démontre la difficulté de mener une politique d’offre complètement cohérente, dans la mesure où les efforts déployés pour rendre les transports collectifs compétitifs sur un type de trajets représentent autant de difficultés à l’autre échelle.
À leur tour, Cyprien Richer et Patrick Palmier s’interrogent sur les tensions qui peuvent exister entre une politique de planification basée sur le développement polycentrique de la métropole lilloise (autour de cinq pôles d’excellence) et l’offre de transport, qui suit plutôt un schéma radial. Formulant l’hypothèse que multipolarité des sites d’excellence et « radialité » des transports collectifs peuvent contribuer à affaiblir l’accessibilité en transport collectif des centralités, les auteurs proposent une méthode multicritère de l’accessibilité (méthode TIP) améliorant les mesures utilisées dans des outils d’aide à la décision (tels que la méthode PTAL élaborée au Royaume-Uni). L’apport notable tient d’abord à l’effort porté à la prise en compte précise du temps par les horaires (et non des fréquences) des différents services. Un second critère s’attache à décrire l’intensité de l’offre et, enfin, le dernier critère évalue la « pénibilité » liée aux nombres de correspondances nécessaires pour relier deux points. L’accessibilité mesurée ici permet d’apprécier la qualité (voire la vulnérabilité) d’un réseau de services de transport collectif en s’approchant de la réalité de l’usager. La démonstration en est faite grâce à l’analyse menée sur les cinq sites d’excellence de la métropole lilloise et qui compare les résultats obtenus avec la méthode PTAL et la méthode TIP. Pour conclure, les auteurs proposent une riche interprétation des indicateurs d’accessibilité spatialisés et commentent – au regard du profil des populations – la dimension sociale des effets des politiques du transport et de l’urbanisme.
Ces trois premiers textes s’intéressent aux effets structurants des réseaux de transport (selon leur implantation et leur niveau) sur la portée des déplacements et sur les différences d’accessibilité aux centralités des aires urbaines considérées. Ces travaux mesurent la qualité « d’irrigation » du territoire vers les ressources (emplois, fonctions urbaines centrales…). En contrepoint, Florent Demoraes, Marie Piron, Silvana Zioni et Sylvain Souchaud explorent la dispersion spatiale des espaces de vie des habitants de 11 secteurs résidentiels de l’agglomération de São Paulo (Brésil) à partir d’une enquête qu’ils ont réalisée sur les pratiques quotidiennes de mobilité des personnes. L’accessibilité est ici appréhendée au prisme des pratiques spatiales observées et permet d’apprécier la capacité des personnes à déployer leurs activités sur un territoire plus ou moins vaste. La méthode utilisée combine, d’une part, une typologie statistique des personnes selon leur position dans leur cycle de vie et dans la hiérarchie sociale et, d’autre part, une analyse spatiale centrographique des semis de points formés par les lieux de fréquentation quotidienne grâce à la construction d’ellipses. Ces traitements amènent les auteurs à discuter la prégnance du lieu de résidence qui, dans nombre de cas, détermine l’étendue des ellipses (quelle que soit la catégorie d’individus), tout en observant aussi l’importance de la position dans le cycle de vie (moment de l’enfance, des études, de la vie active) qui amène à recourir à des ressources plus ou moins localisées.
Les lecteurs de ce dossier spécial pourront apprécier les propositions méthodologiques innovantes de ces quatre textes qui se situent dans le courant des recherches avancées en économie spatiale et en analyse spatiale sur l’accessibilité sociale et spatiale des territoires urbains et métropolitains. Les quatre recherches présentées s’inscrivent aussi dans des perspectives d’aide à la décision, tant pour fournir des indicateurs pertinents rendant compte des conditions d’accessibilité des usagers au territoire et en provenance de celui-ci que pour évaluer les effets d’une politique d’offre de transport ou d’aménagement urbain.
Parties annexes
Notes
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[1]
Colloque du Groupe de Travail 23 de l’Association internationale des sociologues de langue française.
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[2]
Ont contribué à l’organisation de ce colloque : Sonia Chardonnel, Florence Paulhiac-Scherrer, Laure Charleux, Marie-Hélène Vandersmissen, Alexis Conesa, Franck Scherrer, Caroline Gallez, Sophie Louargant, Nicole May, Benjamin Motte, Thomas Thévenin, Kamila Tabaka, Isabelle André-Poyaud.