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Les livres de qualité publiés en langue française sur les parcs nationaux ne sont pas légion. On doit donc saluer l’initiative de Stéphane Héritier (Université Jean Monnet) et Lionel Laslaz (Université de Savoie) qui ont dirigé un ouvrage collectif (13 auteurs, 14 chapitres) sur le sujet. La pertinence des parcs nationaux est abordée dans ce livre par des géographes spécialistes des sciences naturelles ou humaines ou par des aménagistes du territoire. La pertinence biologique des parcs (préservation de la biodiversité) ne fait l’objet que d’un traitement secondaire. Les auteurs discutent plutôt des défis auxquels sont confrontés les gestionnaires du territoire lorsqu’ils doivent créer de nouveaux parcs, ou simplement maintenir en bon état ceux qui existent déjà. La recherche d’une conciliation entre les impératifs économiques, sociaux et culturels des populations humaines qui voisinent les parcs et la préservation d’un environnement sain sont des aspects qui préoccupent beaucoup les auteurs de ce livre. Il est vrai que l’époque – pas si lointaine – où les parcs étaient créés dans des espaces « vierges » sans tenir compte des besoins des communautés locales est maintenant révolue. Ce livre tombe donc à point pour ceux qui sont intéressés par ces questions.

À plusieurs égards, il s’agit d’un ouvrage vraiment remarquable. Outre la qualité d’écriture exceptionnelle (simple, concise, sans jargon inutile), on trouve dans ce livre un véritable tour du monde des problèmes associés à la création et à la gestion des parcs nationaux. L’aperçu cartographique des parcs nationaux dans le monde, publié en début d’ouvrage, contient des informations précieuses et à jour qui seront fort utiles aux étudiants et jeunes chercheurs désirant en apprendre davantage en la matière. Certains chapitres (particulièrement ceux sur l’Afrique, la Chine et la Russie) sont très instructifs car ils donnent une foule de détails sur les processus de création et de gestion de parcs dont on entend peu parler d’ordinaire. Il s’agit, à mon avis, d’un livre incontournable dans le cadre d’un cours universitaire de premier ou deuxième cycle ayant pour objet les aires protégées. L’étudiant, en lisant ce livre, sera vite au fait des difficultés auxquelles font face les gestionnaires d’espaces protégés dans un contexte de densification rapide de la population humaine.

Il y a néanmoins un aspect assez étonnant (pour ne pas dire irritant) dans cet ouvrage qui doit être souligné. Les auteurs (pas tous, mais plusieurs) semblent avoir une vision plutôt négative des parcs nationaux. On parle en effet de « concepts ringards » (p. 10), de « modèles essoufflés » (p. 82), de territoires « d’abord organisés par et pour les scientifiques » (p. 131), de « conceptions assez radicales de la protection de la nature » (p. 171), pour ne citer que quelques exemples. Les directeurs du livre estiment pour leur part que la surface couverte par les parcs nationaux, qui constituent pourtant à peine 3?% de la superficie des continents, est « d’ores et déjà très étendue » (p. 291) et qu’il est plus que temps que les gestionnaires se préoccupent maintenant de la dimension sociopolitique des mesures de protection, « longtemps occultée par la toute-puissante, consensuelle et monothétique biodiversité (sic) » (p. 289). Que les auteurs soient irrités par le peu de considération, dans le passé, des besoins des communautés humaines locales lors de la création de parcs est une chose (et ils ont raison), mais remettre en question la pertinence même de ces parcs ou mettre en opposition biologistes et géographes spécialistes des sciences humaines n’est guère utile, en définitive, pour l’atteinte de l’objectif de la préservation d’un environnement sain, non seulement pour la faune et la flore, mais aussi pour l’être humain. Souhaitons, au contraire, que cet ouvrage de grande qualité fasse le pont entre les spécialistes des sciences biologiques et ceux des sciences humaines pour faciliter la création respectueuse et la préservation d’aires protégées significatives.