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Étangs, marais, milieux humides, communaux, estives, pâturages d’altitude, terres et eaux collectives, droits communs de chasse et de pêche, voilà autant de formes d’espaces et d’usages collectifs de l’espace dans les campagnes qu’un ensemble de collaborateurs ont étudiés dans 27 articles. Ce volume, qui suit la tenue d’un colloque en 2004 à l’Université de Clermont-Ferrand, est divisé en trois parties que précède une excellente introduction générale. La première partie traite des milieux, pratiques sociales et usages collectifs des espaces au Moyen Âge et à l’Époque moderne ; la deuxième partie aborde les interventions de l’État et les enjeux politiques en France à compter de la fin du XVIe siècle et la troisième partie examine l’approche territoriale contemporaine en Europe. Par l’étude d’espaces collectifs de nature distincte et disséminés dans divers pays européens, mais avec des cas français pour la majorité, c’est à un regard sur mille ans d’histoire que nous convie ce groupe de chercheurs. L’exploration des facettes sociales, économiques, politiques, écologiques et juridiques de ces espaces communs permet en effet l’observation et la comparaison d’aspects variés du quotidien des campagnes.
De ces études sur ces espaces distincts et aux usages originaux, des préoccupations similaires à l’ensemble des communautés rurales ressortent. On y constate l’importance de l’accès à ces propriétés collectives et des règles qui en régissent les droits d’usage, la place des intérêts privés et des intérêts collectifs dans la mise en valeur et l’exploitation de ces espaces, les divergences entre les attentes des tenants de la modernisation de l’agriculture et celles des exploitants plus traditionnels pour qui ces espaces répondent à des besoins économiques et sociaux souvent vitaux. Au-delà des généralités se dégagent des réalités nuancées selon les périodes et selon les types de milieux (zones humides intérieures ou maritimes ; zones montagnardes). Richesses différentes, pressions démographiques inégales, droits et intérêts des seigneurs, coutumes particulières dans les organisations sociales sont quelques-uns des facteurs dont la combinaison complexifie l’usage et l’évolution de ces espaces. À cette complexité plutôt locale s’ajoutent les effets des enjeux politiques nationaux depuis la fin du Moyen Âge : la taxation, le bien-fondé du maintien des espaces communs, la redéfinition de ces espaces, et plus récemment, les politiques sur leur conservation et les formes de mise en valeur.
Si l’ouvrage fournit des analyses historiques intéressantes sur l’usage des espaces collectifs dans les campagnes, il présente aussi des éléments de réflexion sur les enjeux actuels autour de leur valorisation. Le droit d’usage des communautés locales est confronté à l’intérêt public pour la protection de ces espaces, voire leur patrimonialisation ; le glissement conduisant « de la terre “collective” à l’espace “public” ne laisse pas de surprendre » (p. 503), note un chercheur. Il apparaît que dans une Europe de plus en plus urbanisée, les plans de gestion gouvernementaux de ces espaces collectifs gérés jadis par des communautés locales devront tenir compte d’enjeux économiques, culturels et environnementaux, sans oublier les revendications d’accès aux paysages au nom de droits individuels.