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Issu du colloque Espaces et sociétés aujourd’hui : la géographie sociale dans les sciences sociales et dans l’action (Rennes, 2004), cet ouvrage collectif très dense s’inscrit dans le projet de positionnement du courant de géographie sociale français. Il n’en est pas pour autant théorique et présente une grande diversité d’approches et d’objets autour de la question, envahissante, de la construction des territoires. Deux parties se partagent cet état des lieux, mettant successivement le territoire dans la position de production puis d’outil d’action du pouvoir politique. Car c’est de l’action publique dont il est question tout au long des contributions, dans une perspective critique et impliquée propre à ce champ de la géographie.
La première partie montre que la construction du territoire local recouvre des réalités très diverses : émergence d’un sens à l’action collective, matérialisation de fonctionnements sociaux hérités, définition d’un espace politique de référence ou de légitimation d’acteurs, etc. Elle traite autant de la recomposition des dynamiques actorielles que de celle des artefacts (patrimonialisation). Il est intéressant d’observer, à travers ces textes, que la mise en scène est un processus quasi systématique de cette recomposition, par le biais de la création de lieux où fonctionne la gouvernance locale, et de lieux qui symbolisent l’identité collective en construction.
Dans la seconde partie, les territoires sont au coeur du fonctionnement des politiques publiques, d’une part, parce que les situations locales nécessitent des ajustements qui créent des différenciations dans l’application des politiques ; d’autre part, parce que certains territoires sont directement activés et délimités par les politiques publiques. Ici, c’est la recherche de la proximité territoriale qui est interrogée dans sa capacité à réaliser le projet républicain, égalitaire par définition. Dans le premier cas, les textes présentés posent en effet la question de l’inégale capacité des territoires à prendre en charge une politique donnée, à en restituer le sens et à en activer les outils. En prenant en compte le local, le risque est que les politiques publiques aggravent les disparités qu’elles sont censées niveler. Dans le second cas, le souhait de générer un développement communautaire se heurte aux pesanteurs sociales, politiques et spatiales, à la difficulté de faire émerger un intérêt commun posant alors la légitimité des recompositions en cours.
Le principal intérêt de l’ouvrage est d’interroger l’actuel renouvellement des formes de l’action publique et par là, l’efficacité de l’approche territoriale comme outil de régulation des inégalités et des rapports sociaux. Néanmoins, la diversité des contributions ne parvient pas à couvrir l’ensemble de la question : en effet, si la conclusion signale le fait que l’émergence de mobilisations locales relève parfois plus de la défense d’intérêts de groupes que de celle de l’intérêt collectif, la question de l’emboîtement et de la complémentarité des territoires, pour pallier ce risque d’éclatement, n’est pas explorée. Les dysfonctionnements du territoire sont essentiellement décrits à travers la difficulté de « faire le territoire », sans renversement de la question : la multiplication des territoires et le renforcement de l’action territorialisée assurent-ils un meilleur fonctionnement de la démocratie ? Quels nouveaux mécanismes d’articulation entre échelles et entre territoires, quelles répartitions des compétences nécessitent-ils afin d’assurer le « faire ensemble » ?