Corps de l’article
Ce recueil reprend des textes déjà publiés par l’auteur, dans différents médias, comme l’Annuaire du Québec, Recherches Sociographiques, Possibles, le Devoir ou différents ouvrages collectifs, probablement difficiles à trouver ailleurs qu’en bibliothèque. Pensons au recueil sur les Opérations Dignité (Alain-G Gagnon (dir.) 1981) ou à celui sur l’animation sociale en milieu communautaire (Benoît Lévesque, (dir.) 1979). On y retrouve également un chapitre tiré de l’ouvrage le plus connu de Jean-Jacques Simard, le plus cité à tout le moins, soit « La longue Marche des Technocrates », publié en 1979 et qui fut d’abord, apprend-on, un mémoire de maîtrise dont le chapitre 1 a été initialement publié dans Recherches Sociographiques.
Ainsi rassemblés, ces 15 textes ont pour objet de soutenir la thèse du passage, à même ce que l’auteur appelle un destin collectif accompli, de la conception ethnique du Canada français à celle de la société québécoise. Jean-Jacques Simard engage d’ailleurs le débat, dans son introduction, sur la pertinence de pousser le bouchon plus loin et de parler de nation québécoise, même en l’absence de consensus à donner à son contenu (p. 20). En se gardant bien de franchir ce pas, il se place dans le sillage de ce que l’on pourrait qualifier d’école de l’ambiguïté québécoise. Reste que Simard ne peut être assimilé totalement à cette soi-disant école dont nous venons de suggérer l’existence et dont le fil conducteur semble être le courant interprétatif postmoderne. Au contraire, Simard ne peut être lu et compris que par le fil de la modernisation, de l’avènement d’une conception moderne de la société du Québec et dont on sait qu’elle précède de beaucoup la Révolution tranquille. Cela dit, ces textes anciens qui démontrent le passage de l’ethnicité canadienne-française à la société québécoise semblent en retrait des évolutions récentes, alors que la reconnaissance de la nation québécoise est désormais tenue pour acquise dans l’arène politicienne, notamment par les politiciens canadiens et fédéralistes. Certes, avec pertinence, Simard questionne la raison et le contenu de ce terme nation appliqué au Québec, surtout que le débat zigzague sans cesse entre les deux conceptions classiques, celle du vouloir-vivre commun et celle de la culture commune.
Simard demeure, malgré cette retenue et ce qu’il appelle son oecuménisme sur la question de la définition du Québec, un auteur marquant et démarquant. Il a surtout exploré le grand thème de la Révolution tranquille, à la fois sous l’angle de la programmation étatique, de ses interventions et du soutien à l’émergence d’une économie un peu mieux maîtrisée, mais aussi des mouvements sociaux, que ce soient ceux qui ont émergé avec les luttes d’espace, et de nostalgie comme le souligne Simard, ou les luttes nationales, tout comme celle du Québec dont il n’en finit pas de broder les contours flous. Le chapitre 3, intitulé Une Nation en trois dimensions nous en fournit la preuve, puisque y sont confrontés les fondements du Canada français, du Canada anglais et des nations autochtones. L’apport principal de Simard n’est pas à chercher de ce côté, mais plutôt du côté de l’évolution de la vie collective, de la modernisation, durant « Ce siècle où le Québec est venu au monde ». Simard y utilise des indicateurs plus quantitatifs comme les dépenses des gouvernements ou l’introduction des communications de masse (le nombre de téléphones), ou encore les changements d’ordre sociodémographique (la chute de la mortalité infantile, la diminution du nombre de naissances). Scrutant les dépenses et les revenus de l’État québécois dans la durée, il conclut par l’émergence de la société et du modèle québécois. Autre indicateur, repris dans La Longue Marche des technocrates (chapitre 5), l’augmentation du nombre d’employés de l’État québécois. L’édification de l’appareil d’État promeut une vision technicienne plutôt que politique de la société, phénomène que Simard qualifie de cybernisation du pouvoir.
Soulignons les chapitres sur le croisement des thématiques reliées à la nation et à la construction des sciences sociales (chapitre 4), et sur la place des intellectuels dans les débats contemporains (chapitre 15). D’autres chapitres poursuivent encore cette réflexion sur le Québec, le pouvoir, l’État et la technocratie, pour parler du rôle des élites, des appareils comme les CLSC, des anglophones du Québec, toujours dans un style vif, ironique, avec des pointes d’humour pas toujours drôles, souvent grinçantes. La question qui subsiste en refermant le livre est bien de s’entendre sur l’utilité de la ré-édition de textes connus mais éparpillés. La thèse de la modernisation du Québec, de sa technocratisation, ainsi que de l’avènement de l’idée de société québécoise, y trouve certainement une place méritée, réaffirmée pour nourrir un débat qu’on croyait clos. Il n’est pas certain que le fait de réunir ces textes étalés sur trente ans, permette de nourrir les débats actuels. Notre hésitation à former une réponse positive et enthousiaste tient peut-être d’une certaine fatigue à relire ces thèses connues, fatigue dont l’auteur de ces lignes est l’unique responsable, mais je dirais tout de même qu’il manque une conclusion éclairante. Soit dit en terminant, Simard a certainement précédé Jean-François Lisée dans la tentative de décrypter les arcanes du Nous québécois.