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Cet ouvrage se veut une étude en profondeur des nombreux enjeux liés à la mise sur pied d’institutions de gestion de l’eau, à leur adaptation aux enjeux locaux de partage et de gestion de la ressource, à leur évolution et capacité d’adaptation à des réalités sociales, politiques, économiques changeantes. Quels sont les facteurs qui font que des institutions de gestion de l’eau sont performantes ? Cette réflexion est certes novatrice. Les auteurs la présentent comme une première, ce qui est exagéré : il y a longtemps que des chercheurs francophones étudient les mécanismes institutionnels de gestion de l’eau, en France en particulier, où le laboratoire que constitue la loi sur l’eau de 1962 a déjà suscité bon nombre de travaux scientifiques.
Les trois directeurs de l’ouvrage ont assemblé de nombreux textes présentant un large éventail d’études de cas : gestion de l’eau à Hawaii, au Sri Lanka, en Inde, dans les districts d’irrigation en Chine, dans l’Ouest américain, au Mexique, au Moyen-Orient, en Afrique du Sud. Ces chercheurs sont réputés et leur compétence est reconnue. Les différentes contributions abordent ainsi, tour à tour, les différentes conditions qui ont prévalu lors de la fondation des institutions de gestion de l’eau, les raisons qui ont conduit les fondateurs à opter pour ces arrangements institutionnels ; mais aussi les défis qui se posent, le temps passant et les conditions changeant, à ces institutions : dans quelle mesure sont-elles capables de trouver des solutions afin de faire face à leurs contraintes financières, politiques (allocation entre secteurs concurrents ; protection de la ressource ; adaptation à une structure de la demande en évolution).
Les auteurs proposent une définition intéressante des institutions : elles sont comprises, de façon volontairement très large, comme l’ensemble des règlements et lois, des pratiques réglementaires, des administrations responsables de la gestion de l’eau, y compris les usages de transport, de production hydroélectrique ou d’irrigation, considérées en tenant compte des dimensions sociales, économiques, politiques et culturelles de leur cadre de fonctionnement. Les institutions ne se limitent pas ainsi aux seuls organismes, publics ou privés, expressément chargés de l’administration des usages sociaux ou économiques de l’eau : elles comprennent aussi l’ensemble des règles, légales ou non, implicites ou explicites, internationales ou internes à un État, qui articulent et structurent l’ensemble des demandes formulées par les différents secteurs de la demande, agriculture, industrie, agglomérations, transport, production hydroélectrique, loisirs et protection environnementale. Cette approche a l’avantage de pouvoir intégrer un ensemble de composantes plus vaste que le seul aspect administratif, qui souvent ne permet pas de rendre compte efficacement de l’ensemble des facteurs qui entrent en jeu dans les complexes mécanismes de gestion de l’eau. En revanche, elle pose le problème de la capacité des auteurs à proposer, dans le cadre de cet ouvrage, une approche théorique à même de bâtir une vue d’ensemble à partir des différentes études de cas proposées. Et c’est là que le bât blesse.
En effet, dès l’introduction, on reste un peu sur sa faim. Lapidaire, l’introduction (2 pages et demi) évoque très sommairement les thèmes de l’ouvrage, mais ne cerne pas suffisamment les enjeux théoriques et pratiques de l’ouvrage. Aucune définition n’est donnée du concept d’efficacité, qui pourtant revient de façon récurrente : qu’entend-on par efficacité pour des institutions, surtout si elles sont définies aussi largement ? S’agit-il d’une approche étroite, leur capacité à faire face à moindre coût à la construction puis à l’entretien d’infrastructures de distribution de l’eau ? De leur capacité à satisfaire le plus large éventail de secteurs de la demande, à défaut de pouvoir susciter l’unanimité ? De leur capacité à allouer la ressource de façon durable ? Ce flou quant à la définition d’un concept fondamental nuit grandement à la portée scientifique de l’ouvrage, et c’est dommage.
Autre lacune, qui découle du choix éditorial de se contenter d’une très courte introduction : les divers chapitres ont tendance à débuter par de longues considérations théoriques sur ce que sont des institutions et leur fonctionnement. Non pas qu’une telle approche théorique soit mal venue, tout au contraire ; mais on aurait aimé que les directeurs de la publication fasse le travail de synthèse théorique pour permettre au lecteur de se doter d’outils de lecture harmonisés, en lieu et place de quoi chaque contributeur y va de sa propre approche théorique, parfois fort différente des autres, et qui repousse la définition des enjeux pratiques que chaque étude de cas souhaite illustrer. Il en ressort une impression de confusion et, surtout, un certain ennui : on aimerait que chaque chapitre formule plus rapidement quels sont les enjeux des réformes institutionnelles de la gestion de l’eau au Sri Lanka, en Inde, à Hawaii, etc., afin d’être rapidement éclairé sur l’apport des études de cas à la réflexion de l’ouvrage. Si le chapitre sur la Chine et celui sur l’évolution de la doctrine de première appropriation de l’Ouest américain, par exemple, partent d’une problématique clairement définie, d’autres chapitres se contentent de juxtaposer de courtes études par pays, sans effort de comparaison ni de synthèse, comme le chapitre sur le Moyen-Orient.
Enfin, l’absence de conclusion, faisant écho à une introduction trop légère, renforce l’impression d’un ouvrage bâti à la hâte sur de très bonnes prémisses scientifiques et avec des chapitres individuels parfois de très bonne qualité, certes, mais qui souffre d’un manque de synthèse et de vision globale.