Les neurosciences ne risquent-elles pas de renverser, sans appel, la présomption de responsabilité pour y instaurer sur terre le règne de l’innocence morale ? Si les êtres humains sont conditionnés par leurs embranchements neuronaux, qu’un changement dans le circuit cérébral est à même de transformer le plus gentil des grands-pères en psychopathe sanguinaire, que les décisions sont prises avant même qu’elles se présentent à la conscience, ne sont-ils pas tous, en réalité, que des « fous en permission » en attente du débalancement chimique qui les condamnera à commettre l’irréparable ? Une fois le savoir des neurosciences disséminé dans la conscience populaire, qui osera jeter la première pierre ? L’auteur de L’avenir de la responsabilité criminelle : neurosciences, libre arbitre et imputabilité, Ugo GilbertTremblay, docteur en droit et philosophie et nouvellement professeur à l’Université de Montréal, ne succombe pas à la panique. Il ne se laisse pas ébranler par le fatalisme des prophètes qui prédisent la fin prochaine de la croyance envers le libre arbitre, donc de la responsabilité individuelle, donc du blâme et, avec eux, du droit criminel tout entier. Dans ce livre tout juste paru aux Éditions Thémis, qui reprend l’intégralité de sa thèse doctorale réalisée sous la supervision de Hugues Parent et de Bernard Baertschi, professeurs, Ugo Gilbert Tremblay argumente que les prophètes se trompent en estimant que les neurosciences toucheront le coeur du droit pénal : le droit pénal ne dépend ni d’une preuve empirique irréfutable du libre arbitre ni de la popularité de la croyance envers le libre arbitre. Le droit pénal moderne répond à une série d’impératifs sociaux visant le maintien d’un ordre civil. Avec limpidité, brillance et efficacité, l’auteur rappelle la réalité « dogmatique » à laquelle répond le projet de gouvernance par le droit, une intuition toute simple, mais qu’il convient de rappeler à tous praticiens, experts psychiatres, justiciables, juristes et autres enthousiastes de la fin prochaine du droit pénal : auctoritas non veritas facit legem. C’est l’autorité qui fait le droit et non la vérité (p. 154). La présente recension suit la structure officieuse de l’ouvrage en deux parties. Chaque partie met à l’épreuve une prophétie prédisant la fin prochaine du droit pénal : la prophétie scientiste pour commencer, puis la prophétie légitimiste. Il s’agit d’un recensement synthétique, chapitre par chapitre, du propos de l’auteur, mais qui sera entrecoupé, à la fin de chacune de ces deux parties, par une discussion autour des deux apports principaux de l’ouvrage à la recherche scientifique. La première partie se terminera donc par une discussion sur les facteurs pragmatiques qui orientent les pratiques en matière de responsabilisation criminelle des accusés atteints de troubles mentaux, selon l’article 16 du Code criminel, et la seconde, par une discussion sur les facteurs qui orientent le réflexe humain à blâmer autrui pour ses mauvaises actions. Dans les deux premiers chapitres de l’ouvrage, l’auteur définit les termes essentiels à la compréhension de sa thèse. Le premier chapitre circonscrit l’objet réel de la menace des neurosciences : la « conception disjonctive du libre arbitre ». Elle trouve sa racine dans le dogme chrétien ; ce fantasme permet à saint Augustin de disjoindre la chaîne d’imputabilité qui lierait Dieu aux actions du mal perpétrées sur terre. En des termes plus « modernes », le professeur définit le libre arbitre disjonctif comme un « pouvoir d’autodétermination de nature à permettre [à l’humain] de rompre, à l’instant de poser son geste, avec la somme des causes environnementales, génétiques et potentiellement stochastiques [qui résultent du hasard] qui ont formé sa personnalité, ses désirs, ses croyances, ses émotions, et ultimement toute …
Ugo Gilbert Tremblay, L’avenir de la responsabilité criminelle : neurosciences, libre arbitre et imputabilité, Montréal, Thémis, 2023, 394 p., ISBN 978-2-89400-473-9.
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Gabriel Lefebvre
Université McGill
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