Résumés
Résumé
La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 a donné lieu à une prolifération de mesures étatiques qui ont eu une incidence sur les rapports contractuels. Pour atténuer ces conséquences, plusieurs États ont prévu, au début de la crise, des exceptions temporaires au cadre juridique ordinaire régissant les contrats. En général, les interventions transitoires susceptibles d’entraver l’exécution normale des obligations se sont multipliées à des degrés divers, en fonction des vagues épidémiques. Ce texte propose une réflexion sur l’impact de ces mesures d’exception sur les contrats internationaux et les techniques de solution au conflit de lois pouvant être mobilisés pour faire face à ces enjeux.
Abstract
The Covid-19 health crisis has led to a proliferation of state measures that have affected contractual relationships. To mitigate these consequences, at the onset of the crisis several states have provided temporary exceptions to the ordinary legal framework governing contracts. In general, transitory interventions likely to impede the normal performance of obligations have multiplied to varying degrees, along with the epidemic outbreaks. This paper proposes a reflection on the impact of these exceptional measures on international contracts and the choice-of-law techniques that can be mobilized to face these issues.
Resumen
La crisis sanitaria de la Covid-19 ha provocado una proliferación de medidas estatales que han repercutido en las relaciones contractuales. Para atenuar estas consecuencias, al principio de la crisis, varios Estados previeron excepciones temporales al régimen jurídico ordinario en materia contractual. En general, las intervenciones transitorias susceptibles de obstaculizar el normal cumplimiento de las obligaciones se han multiplicado de manera variable, al ritmo de las olas epidémicas. Este trabajo propone una reflexión sobre el impacto de dichas medidas excepcionales en los contratos internacionales y las técnicas de solución al conflicto de leyes que pueden utilizarse para responder a esta problemática.
Corps de l’article
Les nombreuses mesures exceptionnelles adoptées par les États pour lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19, à laquelle la planète est confrontée depuis mars 2020, se sont sérieusement répercutées sur l’infrastructure contractuelle qui soutient les échanges civils et commerciaux à l’échelle mondiale. Éminemment motivées par des préoccupations locales, ces diverses réactions étatiques (fermeture des frontières, confinement de la population, interdiction de rassemblements, suspension de l’activité des commerces non essentiels, etc.) ont eu des retombées sur une réalité juridique marquée du sceau de la mondialisation. Pendant les premières vagues de la pandémie en 2020, la rupture des chaînes de production fortement internationalisées a entraîné pour les entreprises des difficultés dérivées des interruptions d’approvisionnement et des retards de livraison qui ont bouleversé les prévisions contractuelles. Dans certains secteurs économiques, tels le tourisme et les transports, l’effondrement de l’activité s’est accompagné d’une destruction massive d’emplois. Pour pallier l’onde de choc sur les économies nationales et sur certains acteurs socioéconomiques particulièrement fragilisés par la crise, les États ont assumé un rôle régulatoire de premier ordre.
Au début de la pandémie, on a assisté à l’émergence d’une réglementation dérogatoire des modalités d’exécution des contrats destinées à assouplir temporairement la rigueur du principe pacta sunt servanda. Malgré le panorama encourageant qui a suivi les campagnes de vaccination, les écarts mondiaux dans la distribution et l’administration des vaccins, combinés à l’apparition de nouveaux variants du virus, ont contribué à alimenter le climat d’incertitude encore installé en 2022. Même si l’heure n’est pas au bilan définitif, on peut tirer du portrait juridique caractérisant la période de crise quelques leçons sur le plan du conflit de lois, afin de présenter une cartographie des solutions aux conséquences de la Covid-19 sur les contrats internationaux. Ces mesures nationales à géométrie variable constituent « un véritable laboratoire du droit[1] » qui nous donne l’occasion d’explorer la boîte à outils du droit international privé pour affronter ces enjeux.
Cette discipline, qui permet d’assurer « an interface between the local and the global[2] », offre des moyens servant à contrer l’isolationnisme juridique auquel conduirait la négation de l’internationalité des situations en cause par le recours automatique à la lex fori. En fournissant les instruments en vue de désigner l’ordre juridique ayant vocation à apporter la solution appropriée, le droit international privé reconnaît les interdépendances économiques globales à la base du rapport contractuel et privilégie le dialogue des normes appelées à le gouverner, tout en prévoyant des mécanismes spéciaux visant à corriger les asymétries entre les parties. La justice conflictuelle, qui part de la reconnaissance de l’altérité pour proposer une forme de régulation adaptée aux rapports internationaux, se met ainsi au service de la justice matérielle, dans la mesure où les outils qu’elle procure permettent d’articuler la loi et les contrepoids qui décideront de la façon dont s’opérera la distribution des risques entre les parties à une relation internationale visée par les mesures dérogatoires motivées par la pandémie.
Les conséquences de ces dispositions exceptionnelles sur les rapports contractuels dépendent tout d’abord de la loi régissant le contrat. Ainsi, pour déterminer si un débiteur peut invoquer l’effet libérateur de la force majeure dans un litige portant sur une obligation de délivrance dont l’exécution se révèle impossible en raison d’une interdiction d’exportation de certains produits médicaux faisant l’objet du contrat, il est nécessaire de se référer à la loi choisie par les parties ou, à défaut, désignée par la règle de conflit objective selon le type de contrat (art. 3111 C.c.Q. et suiv.)[3]. Or, dans la mesure où certaines dispositions revendiquent une vocation d’application impérative dans l’ordre international, indépendamment de la lex contractus, le tribunal peut autoriser leur application sous un autre titre, celui qui est attaché à leur condition de lois de police de la lex fori (art. 3076 C.c.Q.) ou d’une loi étrangère (art. 3079 C.c.Q.). Le recours à l’un ou l’autre de ces canaux d’intervention dans le régime contractuel de la loi ordinairement applicable dépend d’une distinction tenant à la nature de la règle en cause.
La première catégorie de règles est formée des dispositions spéciales ayant été adoptées par certains États en vue d’aménager les modalités d’exécution des obligations contractuelles et, dès lors, susceptibles d’intervenir en tant que « droit » dans le contenu du contrat. La deuxième catégorie est constituée des diverses mesures étatiques ne réglementant pas les conséquences juridiques des contrats, mais imposant des prohibitions ou des contraintes particulières qui entravent ou empêchent l’exécution des obligations. Les deux catégories décrites rappellent les notions relatives aux « règles de décision » et aux « règles de conduite », respectivement[4]. Alors que les premières peuvent s’appliquer si elles sont comprises dans le domaine de la loi régissant le contrat ou dans celui de la loi d’un autre État voulant appréhender la situation impérativement, les secondes seront évaluées dans leurs effets matériels sur la capacité des parties à respecter leurs obligations, mais leurs effets juridiques sur le contrat seront dictés par la lex contractus[5]. Ces deux types de dispositions appellent l’emploi de méthodes différentes pour gérer leurs conséquences sur les rapports internationaux. Nous aborderons l’application des dispositions dérogatoires intervenant dans le contenu du contrat (partie 1), le traitement des mesures contraignantes ayant une incidence sur le comportement des parties, ainsi que la façon dont s’opère le dialogue entre ces différentes techniques à travers le prisme des contrats de transport et de voyage, dans le contexte de la crise sanitaire (partie 2).
1 Les dispositions spéciales intervenant dans le contenu du contrat
La déclaration de l’état d’urgence sanitaire en 2020 a été suivie d’une panoplie de dispositions spéciales visant à atténuer l’impact sur les opérateurs économiques et les consommateurs des nombreuses restrictions prononcées par les autorités. Plusieurs États se sont ainsi prémunis contre les effets négatifs de l’écoulement du temps sur l’exercice de certains droits, en décrétant une « période de gel » pendant laquelle ont été suspendus les délais de prescription des actions civiles[6], ceux prévus dans les clauses pénales ou résolutoires[7] et ceux concernant l’exécution de certaines obligations à la charge des consommateurs ou des entreprises en situation de risque financier[8]. Un droit de résiliation unilatérale pour cause d’impossibilité d’exécution des prestations a été accordé aux parties dans certains contrats de consommation, tels les contrats de voyage et de séjour, frappés de plein fouet par les interdictions de déplacement[9]. Des dispositions spéciales ont été adoptées dans le but de protéger les locataires des baux résidentiels et commerciaux[10]. Des limitations à l’exportation ont également été considérées comme nécessaires à l’égard de certains produits essentiels[11]. Nous analyserons d’abord la possibilité de faire intervenir ce type de dispositions en tant que lois de police étrangères (1.1) et ensuite les enjeux qu’elles posent lorsque leur application résulte de la règle de conflit correspondante (1.2).
1.1 L’application des dispositions spéciales en tant que lois de police étrangères
Au premier abord, ces normes étatiques interférant avec l’exécution normale des obligations semblent répondre à la conception des « lois de police » réclamant leur application impérative à la situation internationale, indépendamment de la loi qui régit le contrat en vertu de la règle de conflit pertinente. Or, les modalités d’intervention des lois de police varient en fonction de leur origine. Alors que celles issues de la lex fori s’imposent de plein droit aux parties (art. 3076 C.c.Q.), celles qui prennent leur source dans une législation étrangère font l’objet d’une appréciation discrétionnaire du tribunal (art. 3079 C.c.Q.).
Selon l’article 3079 C.c.Q., trois conditions sont nécessaires pour considérer l’application d’une loi étrangère autre que celle gouvernant le contrat[12]. Il doit s’agir d’une disposition impérative qui entretient un lien étroit avec la situation et dont l’application est justifiée au regard des intérêts légitimes et manifestement prépondérants, aux yeux du tribunal québécois saisi du litige contractuel. La première condition relative au caractère impératif de la disposition peut susciter des interrogations à l’égard des dispositions spéciales de la lex epidemia étrangère susceptibles d’être écartées par une convention contraire. Un exemple des normes supplétives spéciales évoquées sont les règles françaises établissant la prorogation des délais concernant les clauses pénales, résolutoires et de déchéance, dont on admet la dérogation conventionnelle[13]. Il en résulte une contradiction avec le libellé de la version française du Règlement Rome I[14], définissant la loi de police comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ».
Si l’existence de lois de police d’ordre public de protection a déjà été reconnue par la Cour de justice de l’Union européenne[15], l’extension d’une telle qualification à des règles supplétives de volonté pourrait se heurter à un obstacle terminologique (la mention expresse de l’adjectif « impératif » à l’article 9 précité) et logique (comment comprendre que des règles dont l’efficacité dépend de l’absence de manifestation de volonté contraire puissent prétendre à s’ériger en lois de police ?). L’obstacle n’est solide qu’en apparence, l’impérativité de la règle de droit qui s’applique au titre de loi de police n’étant pas interne mais internationale. Alors que l’impérativité de droit interne se traduit par le refus de la norme à être remplacée par une clause du contrat, celle d’ordre international comporte sa non-dérogation par une autre norme issue de la lex contractus. Elle ne serait donc pas tributaire des prévisions des parties, mais exclusivement des intérêts publics supérieurs de l’État dont elle provient.
Le caractère d’ordre public interne de la règle peut en effet s’avérer un indicateur utile dans la considération de l’importance des intérêts publics protégés, mais il ne saurait se concevoir comme la seule porte d’entrée du phénomène des lois de police, dans la mesure où la satisfaction desdits intérêts étatiques peut se concilier avec les intérêts individuels des acteurs impliqués dans le rapport juridique[16]. Les propos du ministre de la Justice français dans la circulaire de présentation de l’ordonnance commentée, relatifs à l’article 4, en témoignent lorsqu’il affirme — tout de suite après avoir reconnu leur caractère supplétif — que, « s’agissant enfin de l’application territoriale de ces dispositions, il peut être considéré, sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions, que les dispositions de l’article 4 sont une loi de police au sens de l’article 9 du Règlement no 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit “Rome I”[17] ». Certes, la circulaire n’a pas de valeur normative, mais la qualification d’une disposition comme loi de police est commandée par la politique législative qui préside à son adoption et dans l’évaluation de laquelle de telles directives d’interprétation sur la finalité de la règle ont un poids significatif[18]. Les circonstances particulières dans lesquelles émergent ces dispositions, leur caractère dérogatoire au régime de droit commun et l’objectif indiscutable de protéger les individus et les entreprises contre les effets néfastes de la crise, tout en préservant autant que possible la stabilité des contrats sur laquelle repose la structure économique du pays, justifient d’accorder à ces règles le label des lois de police[19]. Il en va de même des dispositions spéciales analogues adoptées par d’autres États, qui ont été formellement déclarées par le législateur comme telles[20] ou considérées par la doctrine comme relevant de ce mécanisme exceptionnel[21].
La deuxième condition d’intervention d’une loi de police étrangère selon le droit international privé québécois réside dans l’existence d’un lien étroit entre la disposition examinée et la situation litigieuse. Il s’agit du critère de rattachement qui détermine le champ d’application dans l’espace de la règle et dont dépend la réalisation de sa finalité. Si celle-ci ne fait pas l’objet d’une délimitation expresse de sa portée territoriale, ce lien de rattachement sera déduit de son objectif, car une disposition ayant une vocation internationalement impérative revendique une sphère nécessaire d’application pour accomplir son but d’intérêt public. Ainsi, les dispositions protectrices ayant un impact direct sur l’exécution des obligations contractuelles pendant la crise sanitaire, il est naturel d’envisager comme premier critère spatial d’application possible, l’État sur le territoire duquel l’obligation devait être exécutée. Or, l’entreprise qui s’est vue empêchée d’effectuer une certaine prestation à l’étranger, telle la fourniture de certains biens ou de services, du fait de l’existence d’une contrainte étatique du pays où elle est établie ayant interdit temporairement la poursuite de l’activité dans une zone confinée, devrait en principe pouvoir bénéficier des mesures protectrices relatives à la prolongation des délais ou à la résolution de certains contrats. L’objectif de protection auquel ces dispositions sont vouées réclamerait leur application uniforme à l’ensemble des acteurs économiques assujettis aux restrictions territoriales en raison de leur résidence ou de la localisation de leur établissement, indépendamment du pays étranger d’exécution de la prestation. Dans la mesure où la situation entre dans le champ d’application matériel de la loi de police, le critère de la résidence ou de l’établissement du débiteur semble satisfaire à l’exigence du lien étroit avec l’État d’origine de la disposition protectrice. C’est ce qui se dégage de l’interprétation doctrinale du domaine spatial que ces règles s’assignent implicitement dans certaines législations[22].
Malgré le caractère internationalement impératif de la disposition en cause, dans la perspective du législateur étranger, et la présence d’un rattachement étroit entre le rapport contractuel et l’État dont elle émane, l’application d’une loi de police étrangère est soumise à un test fonctionnel d’opportunité relevant du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Ce n’est que si « des intérêts légitimes et manifestement prépondérants » emportent la conviction du juge que celui-ci appliquera la loi de police au détriment de la loi qui aurait dû régir normalement le contrat[23]. Quant au premier aspect de l’évaluation, celui qui porte sur la légitimité des intérêts visés par les réglementations spéciales, il ne serait en général pas de nature à susciter la réprobation, même si des controverses peuvent entourer certaines politiques protectionnistes ou certaines solutions défavorables aux consommateurs. La pandémie ayant sérieusement menacé les rapports contractuels à l’échelle mondiale, un consensus de principe quant à la légitimité des interventions législatives en vue de protéger les cocontractants affectés peut se déduire de cet état de fait partagé par la communauté internationale.
Pour apprécier la légitimité des intérêts concrets en jeu, encore faut-il bien circonscrire leur nature. L’approche classique des lois de police veut qu’elles soient destinées à préserver des intérêts publics mettant en cause la souveraineté nationale de l’État qui en est l’auteur. Dans le contexte de la pandémie, un exemple typique de ces règles peut se trouver dans les normes prohibitives de l’exportation de produits médicaux fabriqués sur un territoire donné. Or, les évolutions législatives en droit matériel vers un renforcement de la protection des parties estimées faibles (notamment dans les contrats de consommation et de travail) a conduit le droit international privé non seulement à reconfigurer ses règles de conflit abstraites pour élaborer des rattachements adaptés à ces enjeux, mais aussi à intégrer les lois dites d’ordre public de protection dans le concept des « lois de police », l’intérêt public n’étant pas moins concerné par la situation de ces catégories de personnes socio-économiquement vulnérables[24].
Nous avons répertorié une multiplicité de dispositions touchant aux modalités d’exécution de certains contrats (de services, de transport, de voyage, de travail, de bail, de prêt, ceux qui contiennent des clauses pénales ou résolutoires sanctionnant l’exécution des obligations, qu’il s’agisse de contrats de consommation — ou non) dans un souci de protection des personnes frappées par la crise. Ces règles bouleversent la classification ci-dessus énoncée, en brouillant la frontière entre l’intérêt étatique, l’intérêt « catégoriel » des parties faibles et l’intérêt purement individuel des cocontractants auxquels s’étend le bénéfice des dispositifs de protection. Compte tenu de leur hétérogénéité, il serait réducteur de les envisager comme un ensemble monolithique orienté vers la protection des sujets vulnérables du rapport juridique. Cette dernière catégorie de dispositions répond à l’objectif d’éviter que la partie économiquement plus forte impose un cadre contractuel préjudiciable à son cocontractant, tenu d’adhérer aux conditions unilatéralement élaborées par la première. Or, le régime dérogatoire spécialement édicté durant la pandémie ne cherche pas à neutraliser en amont les abus du cocontractant dominant mais à protéger les parties contre les perturbations générées ex post par un événement extérieur qui s’impose à elles irrésistiblement. Le déséquilibre inhérent à certains contrats ne disparaît pas pour autant et risque même de se creuser dans ce contexte exceptionnel. Le droit accordé à certaines entreprises — ou la pratique en marge de la loi — consistant à imposer au consommateur un bon d’achat ou un crédit afin d’acquérir un service futur équivalent, en lieu et place du remboursement en espèces, a fait partie d’une stratégie de restructuration de l’industrie dans des secteurs ravagés par la crise, ayant pour conséquence de faire porter le fardeau de la perte économique sur les épaules des consommateurs.
À la lumière de ces particularités, la troisième condition relative à la prépondérance des intérêts étatiques derrière les lois de police étrangères se révèle problématique. Ce test exige la comparaison entre, d’une part, la convenance de respecter les objectifs légitimes recherchés par la disposition interventionniste étrangère[25] et, d’autre part, l’intérêt du for à faire prévaloir la loi normalement applicable à la situation contractuelle. Un État ayant privilégié la prévisibilité et l’inaltérabilité du rapport contractuel dans son propre ordre juridique, au nom du principe pacta sunt servanda, malgré qu’il ait été confronté aux mêmes difficultés dérivées de la pandémie, pourrait décider de ne pas autoriser l’intervention de la règle dérogatoire dans les contrats internationaux gouvernés par sa propre loi, ou par une loi étrangère ne prévoyant pas de telles exceptions. À plus forte raison, une telle conclusion s’imposerait lorsque la lex causae offre une protection spéciale aux cocontractants affectés par la crise, estimée équivalente à celle prévue par la loi de police de l’État tiers, par exemple, parce qu’elle consacre également la prolongation du délais pour l’exécution de l’obligation en cause. Plus délicate est la tâche comparative dans les cas où le litige opposerait un créancier ayant sa résidence dans l’État du for et un débiteur établi à l’étranger. La tentation de prioriser les intérêts du créancier local au détriment du débiteur étranger ne saurait trouver aucune justification. La solution au déséquilibre des intérêts individuels devrait ultimement correspondre à la lex contractus, à travers les divers dispositifs permettant soit de remplacer les lois de police de l’État tiers par des règles spéciales fonctionnellement équivalentes de son propre système, soit de prendre en considération certaines mesures étatiques contraignantes en tant qu’éléments de fait pouvant motiver l’application de mécanismes libératoires (notamment la force majeure ou la doctrine de la frustration of contracts) ou correctifs (par exemple, l’adaptation judiciaire du contrat, le devoir de coopération résultant du principe de bonne foi).
1.2 L’application des dispositions spéciales en tant que lex contractus
Le fait qu’une disposition soit qualifiée de loi de police n’empêche pas son application normale, si elle appartient à l’ordre juridique qui gouverne le contrat en question. Ces règles touchant à des aspects tels que la prescription des actions contractuelles, les délais d’échéance des clauses pénales ou résolutoires, la faculté de suspendre temporairement l’exécution des prestations ou de résilier unilatéralement un contrat sont au coeur du statut des obligations. Les dispositions spéciales en cause seraient donc comprises dans la désignation, effectuée par la règle de conflit contractuelle, de la loi choisie par les parties (art. 3111 C.c.Q.) et, en l’absence de choix ou malgré ce choix, de la loi d’un État identifié à partir d’un facteur de rattachement objectif (art. 3112 C.c.Q. et suiv.).
Les circonstances exceptionnelles ayant mené à l’adoption de ces mesures dérogatoires et leur finalité de préservation des intérêts publics inhérents à leur nature de lois de police au sein de l’ordre juridique d’appartenance soulèvent une interrogation quant à leur volonté d’appréhender les rapports contractuels n’ayant pas de liens significatifs avec l’État dont elles émanent. Cette problématique est celle du caractère autolimité des dispositions matérielles applicables en vertu de la règle de conflit. Le phénomène de l’autolimitation des lois ne doit pourtant pas être confondu avec le fonctionnement des lois de police. Dans ce dernier cas, la règle internationalement impérative s’invite dans le litige international dont l’objet est régi par une autre loi, en raison de sa vocation prépondérante à gouverner la situation avec laquelle elle présente un rattachement fort justifiant l’extension de son emprise territoriale. En revanche, les normes dites autolimitées relèvent normalement de la loi applicable au contrat, mais seraient réticentes à s’appliquer à des hypothèses situées en dehors de leur domaine spatial, déterminé en fonction de certains points de contact avec le territoire de l’État qui en est l’auteur, lesquels sont établis expressément par le législateur ou déduits de la finalité desdites règles[26]. Alors qu’au Québec, les opinions doctrinales ne sont pas unanimes quant à la nécessité de respecter les critères restrictifs des lois autolimitées[27], la jurisprudence a déjà accepté d’en tenir compte[28].
À défaut de règle expresse délimitant unilatéralement le champ d’application de la loi normalement applicable, la réduction de son domaine territorial peut s’inférer de ses objectifs particuliers. La règle autolimitée serait essentiellement orientée vers la protection d’intérêts étatiques ou d’intérêts individuels difficilement dissociables du contexte socioéconomique ayant conduit à son adoption[29]. L’argument tenant au particularisme des circonstances locales ayant justifié la mise en place des dérogations contractuelles en raison de la Covid-19 paraît militer en faveur de leur autolimitation territoriale[30]. Or, la restriction du bénéfice des normes visant à assouplir le régime de l’exigibilité d’une prestation contractuelle devant s’exécuter pendant la période d’urgence sanitaire aux débiteurs résidant dans cet État n’est pas automatique. Il sera question de déterminer si la disposition constitue la réponse à une réalité socioéconomique exclusive à l’État qui l’a adoptée, ou plutôt l’expression d’une conception de la justice contractuelle adaptée à une situation spécifique[31].
L’intérêt pratique du problème se manifestera principalement lorsque les règles spéciales font partie de la loi choisie par les parties car, autrement, la règle de conflit objective basée sur la résidence ou l’établissement du débiteur de la prestation caractéristique du contrat serait apte à assurer ce lien étroit entre la situation et l’État dont elles proviennent. La question de l’autolimitation des règles spéciales peut toutefois se poser à l’égard du débiteur de la contrepartie de la prestation caractéristique qui aurait sa résidence ou son établissement dans un État autre que celui dont la loi régit le contrat (le débiteur d’une somme d’argent en échange d’un service peut-il profiter de la règle suspendant l’exigibilité des obligations, adoptée par l’État de l’établissement du fournisseur ?). Il en irait de même en présence de dispositions prévoyant des conséquences préjudiciables pour les parties vulnérables : une agence de voyages établie en dehors du pays de résidence du consommateur peut-elle refuser le remboursement en espèces du prix payé pour le séjour annulé, en invoquant en sa faveur une mesure exceptionnellement décrétée par l’État de résidence du consommateur ?
En général, les règles protectrices des parties faibles acceptent leur application au titre de la lex causae, même au profit des cocontractants ne résidant pas dans le ressort territorial de l’État dont elles proviennent[32]. En témoigne le traitement international des contrats de consommation et de travail, dont les règles de conflit admettent l’application de la loi choisie par les parties incluant ses dispositions spécialement protectrices, sous réserve des règles plus favorables de la loi de la résidence du consommateur ou du lieu d’exécution habituelle du travail, respectivement (art. 3117 et 3118 C.c.Q.).
Certes, les dispositions dérogatoires ayant émergé dans le contexte de la pandémie ne sauraient prétendre à s’intégrer entièrement au régime de protection des parties vulnérables. Nous avons vu que, dans de nombreux cas, elles avaient pour préoccupation essentielle d’atténuer la rigueur des engagements contractuels face aux perturbations provoquées par les mesures anti-COVID menaçant directement la survie de l’opération économique projetée et non l’équilibre entre les sujets du rapport. Il n’en reste pas moins que ces normes spéciales sont centrées sur la réglementation des intérêts individuels des parties et, dans cette mesure, les conséquences qui en découlent s’avèrent représentatives de la solution la plus appropriée à la situation en cause, à condition que celle-ci s’insère dans leur champ d’application matériel et temporel. Le refus de l’autolimitation de ces règles comporterait l’avantage de rendre non pertinent le recours aux lois de police d’un pays tiers étroitement lié au rapport juridique et poursuivant un objectif équivalent. La fonction protectrice des intérêts en jeu ayant été prise en charge par la lex contractus, on éviterait l’ingérence des lois de police étrangères et le lot d’incertitudes que ce procédé entraîne.
Cette interprétation défavorable à l’autolimitation implicite des lois de protection individuelle intervenant dans le contenu du contrat édictées pendant la période de crise sanitaire doit nonobstant faire l’objet d’une analyse au cas par cas. La volonté restrictive d’application d’une disposition particulière de la loi gouvernant le contrat peut résulter de certaines exigences qui ne sauraient être dissociées de son système d’appartenance, par exemple, lorsque la loi définit unilatéralement le type de cocontractant visé par la norme spéciale, par référence à des éléments territoriaux ou à un cadre réglementaire ou administratif s’appliquant uniquement aux opérateurs dont l’activité est assujettie à la loi locale[33].
En présence de contrats de consommation et de travail, les rattachements objectifs à la résidence habituelle du consommateur et au lieu d’exécution habituelle du travail, respectivement, concentrent un double titre d’application qui évacue la nécessité de s’interroger sur l’autolimitation des règles les concernant, ces critères étant censés représenter à la fois le centre de gravité du rapport contractuel et le critère le plus adapté aux finalités protectrices des dispositions spéciales. C’est ce qui se produirait dans le cas des règles conférant aux consommateurs une protection renforcée pendant l’état d’urgence sanitaire, au moyen de droits de rétractation unilatérale, de résiliation de certains contrats, de suspension de certaines obligations à exécution continue lorsqu’est en jeu leur subsistance économique[34]. De même, les travailleurs qui accomplissent habituellement leur emploi dans un État pourront réclamer au titre de la lex causae, indépendamment du lieu d’établissement de l’employeur, la protection temporaire contre les licenciements spécialement accordée par cet État lors de la période de crise[35].
Or, si le législateur a prévu des règles dérogatoires préjudiciables aux intérêts de la partie vulnérable pour tempérer l’impact de l’effondrement de l’activité économique dans un secteur particulier, il serait illogique d’en faire bénéficier les entreprises étrangères au détriment des consommateurs résidant dans l’État qui en est l’auteur, sur le fondement de la règle de conflit régissant le contrat de consommation. Une disposition de la loi de la résidence du consommateur octroyant à l’entreprise empêchée d’exécuter la prestation d’un certain service, le droit de substituer un crédit au remboursement du prix payé, devra être considérée comme autolimitée, en ce sens qu’elle restreindra son application aux opérateurs économiques établis sur le territoire dont provient la règle exceptionnelle. Ainsi, une entreprise québécoise offrant des services touristiques à des voyageurs français ne saurait se prévaloir du droit de proposer un avoir au lieu d’un remboursement pour les séjours annulés en raison de la COVID-19, prévu par l’ordonnance no 2020-315 du 25 mars 2020[36], sous prétexte de se soumettre à la loi normalement compétente, en vertu de l’article 3117 C.c.Q.[37]. Ce rapport juridique restera gouverné par le régime français applicable dans des circonstances ordinaires aux contrats de voyage touristique et de séjour, si les conditions exigées par l’article 3117 C.c.Q. sur les contrats de consommation sont remplies. Une interprétation dans le sens de l’autolimitation des règles spéciales pourrait aussi être défendue à l’égard des dispositions allemandes permettant aux « petites et moyennes entreprises » de refuser l’exécution d’une obligation essentielle à exécution continue, dans la mesure où elle devient impossible ou lorsque son exécution met en péril la conservation de l’entreprise[38].
Cette analyse différenciée en fonction du débiteur invoquant le bénéfice des dispositifs exceptionnellement autorisés par certains États dans le contexte de la crise sanitaire se justifie au regard des contrats conclus avec des parties réputées faibles. Les règles spéciales ayant pour effet de leur retirer un avantage juridique au profit de la partie forte seraient, par conséquent, autolimitées aux entreprises ayant leur établissement dans le périmètre de l’État directement concerné par l’arrêt de l’activité économique sur son territoire et pour lesquelles ces règles ont été conçues.
2 Les mesures étatiques et le domaine de la lex contractus
L’impact des mesures adoptées par les États non pas dans un but de reconfiguration du cadre juridique contractuel, mais de protection de la population contre la propagation de l’épidémie peut se mesurer à travers leur prise en considération par la loi applicable au contrat (2.1). L’articulation des différents instruments de droit international privé analysés sera illustrée dans la perspective des contrats de voyage et de transport aérien de passagers. Ces rapports se trouvant au centre des préoccupations étatiques en raison des effets dramatiques des interdictions de circulation sur le secteur touristique, elles ont aussi fait l’objet de dispositions spéciales dérogatoires de type contractuel appelées à se coordonner avec le domaine de la lex contractus (2.2).
2.1 La prise en considération des mesures étatiques affectant le comportement des parties
Comme nous l’avons énoncé précédemment, la deuxième catégorie de règles édictées en raison de la crise sanitaire dont nous aborderons les répercussions sur les rapports contractuels internationaux constituent des « règles de conduite », en ce sens qu’elles ne contiennent pas la solution de fond à la question posée, mais plutôt une directive ou un commandement auquel le débiteur est confronté lors de l’exécution de l’obligation convenue. Dans le contexte étudié, cet ensemble normatif comprend les nombreuses mesures étatiques ordonnant notamment le confinement de la population, le couvre-feu, l’interdiction des déplacements et des rassemblements de personnes au-delà d’un certain seuil, la fermeture des frontières nationales, l’interruption des activités commerciales, culturelles sportives, etc., susceptibles de produire une incidence directe sur l’aptitude du débiteur à exécuter la prestation en respectant le cadre contractuel initialement prévu.
Le traitement international des contraintes étatiques ayant un tel effet sur le comportement des parties répond à un schéma de fonctionnement distinct de celui que nous avons décrit dans les sections précédentes. La norme impérative considérée dans ce cas-ci n’apportera pas au juge le régime des effets juridiques à prononcer pour résoudre le litige contractuel mais seulement les éléments nécessaires à la constatation d’un état de fait dont les conséquences seront déterminées par la loi applicable au contrat. À la différence des lois de police contractuelles d’un État tiers, auxquelles le législateur reconnaît une possibilité d’application (art. 3079 C.c.Q.), les actes de la puissance publique envisagés dans leurs effets matériels sur la situation litigieuse seront « pris en considération » en tant que local data. La situation ainsi concernée par ces mesures sera intégrée à l’hypothèse de la règle de décision issue de la lex contractus, laquelle fournit la réglementation à appliquer en cas d’impossibilité d’exécution des obligations. Ainsi, lorsque le fournisseur d’un service de transport se voit empêché d’assurer le voyage en raison d’une restriction d’entrée imposée par le pays de destination, l’impact de la contrainte étatique étrangère sur le sort du contrat sera déterminé par la loi régissant le rapport de transport en cause, laquelle saura mobiliser les mécanismes permettant de tenir compte d’une telle éventualité.
La technique de la prise en considération des normes prohibitives mentionnée ci-dessus répond à la nécessité d’appréhender la situation réelle du débiteur soumis à un commandement de l’autorité (fait du prince) qui lui impose ou lui interdit un certain comportement ayant un effet direct sur l’exécution de l’obligation. Dans le contexte de la pandémie, cette situation ne se rapporte pas aux conséquences de la maladie pouvant affecter la personne du débiteur, mais à celles des décisions administratives sur la fourniture des biens et des services faisant l’objet d’un contrat international régi par la loi d’un autre État[39]. Pour connaître la nature et la portée de la mesure restrictive, il s’impose de consulter la réglementation impérative en jeu, afin de vérifier son champ d’application et ses effets concrets sur la situation du débiteur en ce qui a trait à l’exécution de la prestation. Une attention particulière sera prêtée aux sanctions attachées à la violation de la prescription étatique, ce qui permettra de mesurer l’effectivité de la contrainte sur l’objet du contrat et sur la personne du débiteur, notamment lors de l’analyse du caractère irrésistible de l’empêchement invoqué. La lex contractus déterminera les dispositifs véhiculant les conséquences juridiques de la réalité factuelle ainsi constatée, c’est-à-dire l’admissibilité des mécanismes tels la force majeure, la frustration of contracts, l’imprévision ou hardship, l’exception d’inexécution, ainsi que leurs effets sur le contrat, compte tenu des politiques législatives particulières concernant la répartition des risques entre les parties (libération totale ou partielle du débiteur, suspension de l’exécution, résolution du contrat, révision judiciaire, renégociation des clauses en vertu du principe de bonne foi, etc.).
L’interprétation des conditions dont dépend la mise en oeuvre de ces différents mécanismes devra suivre la conception de l’ordre juridique régissant le contrat, ce qui représente une source potentielle de difficultés. Aux divergences de régulation pouvant opposer la lex fori et la lex contractus quant au régime de l’inexécution contractuelle s’ajoute la diversité d’interprétations entourant les éléments justificatifs de l’effet exonératoire du débiteur, même au sein des États prévoyant la force majeure comme mode légal d’extinction des obligations. Tout comme l’épidémie n’est pas en soi un cas de force majeure agissant abstraitement comme cause d’exonération de la responsabilité contractuelle, l’existence d’une contrainte émanant de l’autorité publique s’imposant au débiteur en raison de sa résidence ou de son établissement dans cet État ne donne pas lieu systématiquement à l’extinction des obligations affectées par la mesure.
Les exigences relatives au caractère imprévisible et extérieur de l’événement susceptible de constituer un cas de force majeure d’après la lex contractus devront faire l’objet d’une évaluation in concreto par le juge du for au regard de la mesure à l’origine de l’impossibilité d’exécution. D’une part, la condition d’extériorité, tenant à la survenance d’un événement en dehors du contrôle du débiteur, exclurait la conséquence exonératoire lorsque la contrainte imposée est le résultat d’une conduite fautive de sa part pour non-respect des règles sanitaires imposées. La sanction comportant la fermeture d’un établissement commercial imputable au débiteur ne serait pas considérée comme un événement extérieur au regard de la loi applicable au contrat. D’autre part, l’appréciation de la prévisibilité impliquerait de se placer au moment de la conclusion du contrat. La plupart des pays ont vu renouveler les restrictions à la circulation des personnes, la suspension des activités, etc., au gré des vagues épidémiques, soit à portée nationale ou régionale. La fluctuation des interventions, motivées tantôt par le relâchement social des gestes barrières, tantôt par l’apparition de nouveaux variants plus résistants, s’inscrit dans l’évolution naturelle de la crise sanitaire dont l’absence de prévisibilité saurait être difficilement soutenue à l’égard des contrats ayant été conclus après le 11 mars 2020, date officielle de la déclaration de pandémie de COVID-19 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ces constatations factuelles commandent l’observation de la réalité objective du débiteur devant la contrainte étatique invoquée comme cause d’exonération de la responsabilité. Si les conditions relatives à l’événement caractérisant la force majeure ou d’autres mécanismes fonctionnellement équivalents sont extraites de la lex contractus, la situation de fait se trouve sous l’emprise matérielle de l’autorité ayant édicté la mesure qui fait obstacle à l’exécution. Pour apprécier l’effectivité de celle-ci au regard du débiteur défaillant, et concrètement son caractère irrésistible qui comporte la soumission inévitable de la personne au commandement de la puissance publique, il est nécessaire d’identifier les critères de rattachement entre la situation et l’État dont émane la mesure en question. Le facteur de localisation classique justifiant la prise en considération du fait du prince étranger est celui du lieu d’exécution de l’obligation. L’ordre étatique étant par essence une décision de droit public, sa vocation première d’application est avant tout territoriale, en ce sens qu’elle est appelée à appréhender les actions menées par le débiteur en vue de l’exécution de l’obligation dans le périmètre spatial de cet État.
À titre d’illustration, une mesure de confinement de la population dans un territoire donné entraîne l’annulation des séjours touristiques et des spectacles destinés au public devant se dérouler dans cette localité pendant la période déterminée par la mesure. Le lieu d’exécution de l’obligation de fournir les services mentionnés se trouvant dans la sphère territoriale visée par la décision, on en déduira l’existence d’un cas de force majeure si la condition relative à l’imprévisibilité est satisfaite. Lorsque la livraison de certains biens demeure possible dans l’État de destination prévu dans le contrat, mais que l’unité de production en charge localisée à l’étranger a été frappée par une mesure ordonnant l’arrêt de l’activité dans ce territoire, le fournisseur tenu de respecter l’interdiction étatique pourrait invoquer l’impossibilité d’exécution. C’est dans ces hypothèses, qui n’ont par ailleurs rien d’extraordinaire dans le contexte des chaînes d’approvisionnement mondiales, que pourraient jouer un certain rôle les « certificats de force majeure » délivrés par divers organismes dans le but de protéger les entreprises locales contre les réclamations des créanciers devant les autorités étrangères. Malgré la terminologie employée dans ces documents, de telles déclarations préalables de « force majeure » sont en elles-mêmes inaptes à fonder l’exonération du débiteur pour cette cause, et auront une valeur probante somme toute limitée, en tant que simple indice dans la détermination de l’existence d’un événement répondant aux exigences de la lex contractus pour produire un tel effet[40]. Ces certificats, en général non délivrés par les autorités publiques mais par des instances telles que le Conseil chinois pour la promotion du commerce international ou la Chambre de commerce et d’industrie russe, s’ajoutent à d’autres éléments de preuve dans le cadre d’une évaluation in concreto de la situation afin de décider si un débiteur donné était ou non visé par une mesure étatique l’empêchant de poursuivre certaines activités.
En dehors du critère de base désignant le lieu d’exécution de l’obligation pour légitimer la prise en considération des mesures anti-COVID, l’effectivité de tels commandements peut s’étendre aux obligations devant s’exécuter à l’étranger lorsque, par exemple, le débiteur tenu de fournir un certain bien ou un service demeure sous l’égide de la contrainte étatique en vertu d’autres facteurs de rattachement tels que sa résidence, son domicile[41] ou sa nationalité. Pensons notamment aux cas des citoyens rapatriés au cours des semaines suivant la déclaration d’émergence mondiale, à la suite des consignes adressées par certains gouvernements à leurs nationaux et à leurs résidents, les appelant à un retour immédiat au pays. Certes, le créancier de la prestation dont l’exécution a été empêchée, en raison d’un retour urgent du débiteur dans son pays d’origine, pourrait objecter que de tels avis ne constituent que de simples incitations dépourvues d’effets contraignants, motivées par un devoir général d’information et d’assistance des États à l’égard de leurs ressortissants. Il reste que l’attitude d’un débiteur ignorant cette « incitation » était susceptible de l’exposer à des conséquences graves sur sa santé, une réalité objective dont le juge pourrait tenir compte dans un litige international au moyen de la technique de la prise en considération[42].
Le juge applique le droit étranger tel qu’il résulte de l’ensemble des sources qui en établissent la teneur, y compris la jurisprudence servant à en dégager le sens et la portée. Or, l’interprétation des mécanismes d’exonération par le juge du for risque de différer de la façon dont ils pourront être appréciés par le juge de l’État dont la loi régit le contrat. Bien que certains principes jouissent d’une consécration législative ou jurisprudentielle dans plusieurs systèmes juridiques, telle l’inadmissibilité de la force majeure à l’égard des obligations monétaires[43], des questions inédites peuvent se poser dans le contexte de cette crise sanitaire ayant généré des pertes massives de revenus et d’emplois à l’échelle mondiale. On peut également s’interroger sur l’épineuse question concernant la possibilité pour le créancier d’invoquer la force majeure ou la frustration soit pour se libérer du paiement d’une prestation dont il ne peut profiter effectivement, soit pour demander la restitution des sommes versées en contrepartie de celle-ci[44], par exemple, du fait de l’existence d’une « recommandation » étatique déconseillant les voyages internationaux non essentiels. Ainsi, un tribunal de la Colombie-Britannique a refusé l’application de la théorie de la frustration invoquée par un voyageur ayant annulé un séjour à Hawaii devant s’effectuer entre le 15 et le 24 avril 2020, en considérant que l’avis du gouvernement canadien à l’effet d’éviter les voyages à l’extérieur du pays n’avait pas un caractère prohibitif et que le pays de destination n’avait pas non plus interdit les vols en provenance du Canada[45].
2.2 L’articulation des mécanismes à travers l’exemple des contrats de transport et de voyage
La situation des voyageurs ayant réservé des séjours ou des vols à l’étranger antérieurement à l’irruption de la pandémie sert à illustrer la complexité de l’articulation des différentes techniques du droit international privé pouvant être mises à contribution pour répondre aux défis des rapports internationaux particulièrement touchés par la crise. L’une des questions les plus débattues est celle des consommateurs privés de la possibilité d’effectuer le voyage planifié à la suite de l’annulation des vols par les compagnies aériennes, qui se sont vu offrir, en échange du remboursement en espèces, un crédit ou un bon à valoir leur permettant d’acquérir un service équivalent à l’occasion d’une réservation future. Alors que cette situation a motivé l’adoption de dispositions spéciales du type de celles qui interviennent dans le contenu du contrat pour réorganiser la position juridique des parties au profit des professionnels du secteur, elle a été unilatéralement imposée par plusieurs compagnies aériennes en marge des dispositions légales, afin de prévenir les préjudices découlant de l’avalanche de réclamations de remboursement combinées à une chute drastique de la demande.
Au Canada, des actions ont été déposées contre certaines compagnies canadiennes devant les tribunaux de plusieurs provinces, en vue d’obtenir le remboursement des billets d’avion et des forfaits de voyage annulés[46]. Ces différentes instances avaient été suspendues en attente de la décision dans l’affaire Lachaine c. Air Transat AT inc. sur l’action collective introduite le 20 mars 2020 devant la Cour supérieure du Québec par un groupe composé de
[t]outes les personnes physiques ayant acheté ou détenant un billet d’avion ou un forfait voyage avec Air Transat, Transat Tours Canada inc., Air Canada, Société en commandite Touram, Sunwing Airlines inc., Vacances Sunwing inc., Westjet Airlines inc. ou WestJet Vacations inc. qui dut subséquemment être annulé en raison de la pandémie de covid-19 et qui ne purent en obtenir le remboursement[47].
Ce jugement témoigne de la pertinence de considérer les diverses réglementations applicables aux rapports litigieux au stade de l’autorisation d’une action collective multijuridictionnelle, aux fins de l’appréciation de la communauté de questions faisant l’objet du litige. Compte tenu de la dimension mondiale des membres du groupe, la Cour supérieure a estimé avoir besoin « d’un éclairage complet sur le cadre contractuel régissant les rapports juridiques entre les membres putatifs et les défenderesses[48] », en s’appuyant sur l’arrêt Benamor c. Air Canada[49] ayant refusé l’autorisation d’une action collective à l’égard d’un groupe mondial dont les membres putatifs étaient répartis sur « au moins 60 juridictions étrangères[50] », avec pour conséquence un éclatement des régimes juridiques applicables en vertu de l’article 3117 C.c.Q. Au-delà de la règle pouvant attribuer la compétence aux tribunaux québécois sur l’ensemble du litige, en raison du domicile du défendeur au Québec (en l’espèce, Air Canada), des considérations d’ordre procédural relevant du principe de proportionnalité (utilité réelle pour les justiciables et économie des ressources judiciaires) ont été avancées par la Cour d’appel pour restreindre la portée du groupe à la sphère nationale, déjà plurielle.
Par un jugement rendu le 8 juin 2021 dans l’affaire Lachaine[51], la Cour supérieure avait décidé d’autoriser l’action collective uniquement contre les défenderesses Sunwing Airlines Inc. et Vacances Sunwing inc., en estimant que les demandeurs n’avaient pas rempli les conditions requises à l’égard des autres compagnies aériennes initialement visées, en l’occurrence, la communauté de questions juridiques et l’apparence sérieuse de droit au sens de l’article 575 du Code de procédure civile[52]. De l’avis du tribunal, la diversité des clauses contractuelles relativement aux conséquences de l’annulation des vols prévues dans les nombreux tarifs établis par Air Transat, Air Canada et WestJet empêchait de déceler des questions juridiques communes aux membres du groupe susceptibles de faire avancer la résolution collective du litige[53]. Cette conclusion a pourtant été affirmée sans considérer prima facie les régimes juridiques étrangers ou issus d’autres provinces canadiennes appelés à encadrer lesdites clauses[54]. En outre, aux yeux du tribunal, le fait que ces défenderesses avaient manifesté leur intention de procéder au remboursement volontaire de l’ensemble des billets d’avion et des forfaits de voyage, en raison de la conclusion d’ententes à cet effet avec le gouvernement fédéral, privait l’action d’une cause défendable au regard du syllogisme invoqué par les demandeurs. Cet argument pratique rendait par ailleurs inutile la recherche de la loi applicable aux différents sous-groupes de consommateurs de la classe mondiale. L’autorisation accordée a eu donc pour effet de limiter la portée de l’action collective à l’égard aussi bien des défenderesses que des membres du groupe, désormais réduit aux résidents québécois[55].
Le jugement d’autorisation se garde de tout raisonnement impliquant l’article 3117 C.c.Q., pourtant à l’origine des préoccupations ayant motivé l’arrêt Benamor sur lequel le tribunal fonde sa décision antérieure visant à permettre la présentation de preuves additionnelles sur le cadre juridique applicable. En circonscrivant les fondements légaux du syllogisme aux seules dispositions du Code civil, directement et sans passer par la règle de conflit de l’article 3117, la Cour supérieure évacue l’aspect transfrontalier du litige au stade de l’autorisation. Or le recours à cet article s’imposait même dans le contexte limité du groupe exclusivement composé de consommateurs québécois, étant donné que, dans les relations internationales et interprovinciales, leur résidence au Québec ne suffit pas à appliquer la loi québécoise[56].
Bien que l’exercice s’avère théorique compte tenu de l’évolution de cette saga, l’affaire Lachaine sert à illustrer la difficulté suscitée par le pluralisme de lois applicables aux rapports transfrontaliers visées par une même action collective au Canada[57]. En s’appuyant sur la position de la Cour d’appel du Québec dans Union des consommateurs c. Bell Canada[58], la Cour suprême du Canada affirme dans l’arrêt Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello[59] que la pluralité de lois applicables ne serait pas un obstacle à l’autorisation de l’action, sauf en présence de divergences substantielles entre les différents régimes juridiques qui feraient perdre à l’action sa dimension collective[60]. Un raisonnement qui emprunte la voie de la règle de conflit en la matière se voit, dès lors, confronté aux enjeux dérivés du concours d’ordres juridiques ayant vocation à gouverner les contrats conclus par les consommateurs des services de transport et de voyage avec ces compagnies canadiennes opérant dans un marché mondial et dématérialisé. Nous reprendrons l’exemple à des fins explicatives, en partant de l’hypothèse d’un jugement ayant autorisé la poursuite de l’action collective contre les défenderesses visées par la demande.
La qualification des rapports juridiques résultant des contrats de transport et des forfaits de voyage entre les défenderesses et les personnes physiques résidentes d’une multitude d’États requiert tout d’abord l’analyse des circonstances entourant leur conclusion. S’il ne fait pas de doute que ces différents rapports constituent des « contrats de consommation » au sens de l’article 3117 C.c.Q., cette règle de conflit spéciale fait dépendre la protection du consommateur en droit international privé de conditions supplémentaires tenant à la façon dont celui-ci est entré en relation avec le commerçant. L’objectif de cette règle de conflit est de protéger le consommateur qui a été sollicité par le professionnel dans son lieu de résidence (au moyen soit d’une offre ou d’une publicité spéciale, pour autant que le premier y ait accompli les gestes nécessaires à la conclusion du contrat, soit de la réception de la commande par le professionnel dans cet État) ou incité à se rendre dans un État étranger afin d’y conclure le contrat. À supposer ce test sévère de qualification satisfait, encore faudrait-il examiner les conditions générales du contrat de consommation pour déceler l’existence d’un choix de loi, celui-ci n’étant pas proscrit mais simplement limité en fonction du contenu plus protecteur de la loi de la résidence du consommateur.
Dans le cas de consommateurs canadiens, le tribunal aurait été confronté à la tâche préalable d’élucider la question de l’articulation entre les normes fédérales réglementant les droits des passagers du transport aérien[61] et les régimes provinciaux en matière civile, y compris les lois de protection des consommateurs[62]. Le contenu des dispositions retenues comme applicables — que ce soit un seul cadre législatif de source fédérale pour l’ensemble des consommateurs canadiens ou la loi provinciale qui correspond selon la résidence du consommateur — devra faire l’objet d’un test de comparaison avec la loi éventuellement choisie dans le contrat pour déterminer s’il y a lieu de limiter celle-ci au bénéfice du consommateur. Il incombera au juge d’analyser, à la lumière des lois en concurrence, les effets des clauses de force majeure et, en général, des clauses d’allocation des risques entre les parties prévues dans le contrat. Si, par hypothèse, la loi choisie valide la clause en question, alors que la loi de la résidence du consommateur la soumet à des restrictions dans un but de protection du consommateur[63], la seconde l’emportera sur la première. Dans cette opération, les interdictions étatiques étrangères du pays de destination des passagers seront prises en compte pour décider de la présence d’une cause d’exonération de l’obligation de fournir le transport ou le séjour, en vue de statuer sur la restitution des prix.
Dans l’hypothèse où le tribunal aurait accepté d’inclure dans le groupe des membres résidant en dehors du Canada, et si les exigences de l’article 3117 C.c.Q. avaient été remplies à leur égard, cette disposition aurait imposé un examen comparatif analogue entre la loi du pays de résidence du consommateur et la loi désignée dans les conditions générales du contrat conclu par celui-ci. À titre d’illustration, les passagers ayant leur résidence dans un pays membre de l’Union européenne peuvent prétendre à un remboursement des billets d’avion annulés, dans les conditions prévues par le Règlement (CE) no 261/2004[64] (vols au départ d’un État membre et vols au départ d’un État tiers et à destination d’un État membre, dans ce dernier cas, si le « transporteur aérien effectif » est un transporteur communautaire[65]), qui établit un régime impératif excluant toute libération ou limitation de la responsabilité du transporteur (art. 15)[66]. En ce qui concerne les voyages à forfait, les demandes de remboursement pour cause d’annulation sont encadrées par la directive (UE) 2015/2302[67]. Ces dispositions demeurent pleinement applicables dans le contexte de la pandémie, les compagnies aériennes pouvant offrir mais non imposer aux passagers un bon à valoir en remplacement des remboursements légaux. Malgré l’essor des dispositions dérogatoires édictées par certains pays de l’Union européenne dans leurs politiques de sauvetage des compagnies aériennes, elles demeurent contraires aux textes supranationaux qui s’imposent uniformément à l’ensemble des États membres[68]. En outre, dans le cas où les contrats de transport ou de voyage faisant l’objet de l’action collective examinée seraient, en raison de la résidence du consommateur, régis par la loi d’un État ayant adopté ce type de mesures, un transporteur ou un organisateur de voyages canadien ne pourrait se retrancher derrière ces règles spéciales prévoyant une protection accrue aux professionnels au détriment des consommateurs. Ces dispositions seraient donc autolimitées, comme nous l’avons mentionné plus haut.
Si, en revanche, les conditions rigoureusement énoncées aux alinéas 1 et 2 de l’article 3117 C.c.Q. ne sont pas satisfaites, les contrats de consommation en cause perdent leur spécificité de traitement dans l’ordre international et deviennent assujettis aux règles de conflit ordinaires en matière contractuelle[69]. On serait alors en présence de contrats de transport ou de services de voyage incluant le transport et l’hébergement (cas des forfaits), pour lesquels le Code civil ne prévoit pas de règles de conflit spéciales. La loi « choisie » par les parties à un contrat d’adhésion en vertu de l’article 3111 C.c.Q. ne sera pas corrigée par un rattachement spécial à la loi de la résidence du consommateur[70]. À défaut de choix, la règle de conflit générale de l’article 3113 désignerait la loi de l’État correspondant à l’établissement de la compagnie[71], en tant que débiteur de la prestation caractéristique de ces contrats[72]. Or, l’absence éventuelle de protection spéciale en cas d’annulation des vols dans la loi résultant de cette désignation pourrait, en principe, être suppléée par les dispositions impératives de l’État de résidence des passagers ou des voyageurs, au titre des lois de police. Cette interprétation est toutefois discutable, dans la mesure où le législateur québécois a opté pour restreindre le champ d’application des lois protectrices du consommateur aux seules hypothèses prévues par l’article 3117. Une qualification de ces normes comme lois de police, chassées par la porte de la règle de conflit spéciale en la matière, aurait pour effet de les réintroduire par la fenêtre[73]. Si la pandémie de COVID-19 peut ne pas suffire à faire basculer l’articulation entre ces mécanismes, elle offre l’occasion parfaite de questionner les limites de l’article 3117 C.c.Q. devant une réalité hyperconnectée et globalisée qui a radicalement changé les modes de consommation existant en 1991[74].
Conclusion
Les mesures prises par les États pour atténuer l’impact socioéconomique de la pandémie de COVID-19 qui frappe la planète depuis mars 2020 ont produit deux types fondamentaux de répercussions sur les relations contractuelles. De façon spécifique, les États ont multiplié les interventions en vue d’autoriser un réaménagement du contenu des contrats en raison des difficultés tenant notamment à l’impossibilité d’honorer certaines prestations et à l’échéance des délais pour l’exercice des droits et l’exécution des obligations. En dehors de ces dérogations ponctuelles au droit commun des contrats construit sur le principe pacta sunt servanda, les mesures étatiques d’ordre général prononcées dans un but de protection sanitaire (restrictions à la libre circulation de personnes et de certains produits, fermeture des commerces non essentiels, suspension des activités destinées au public, confinement de la population, etc.) apparaissent comme des événements susceptibles de caractériser les mécanismes d’exonération du débiteur pour cause d’impossibilité d’exécution.
En situation internationale, la solution au déséquilibre contractuel résultant de la crise sanitaire et, concrètement, des mesures étatiques prises pour y remédier repose premièrement sur la loi régissant le contrat. Celle-ci répond au besoin primaire de prévisibilité et de sécurité juridique qu’il convient de respecter dans le domaine contractuel. Or, les particularités du contexte pandémique auxquelles sont confrontés les individus et les acteurs économiques opérant à l’échelle internationale réclament d’être considérées, en faisant appel tantôt à des mécanismes dérogatoires tels les lois de police du for et étrangères, tantôt à des interprétations du droit matériel désigné par la règle de conflit pour déterminer, par exemple, si une disposition spéciale refuse d’être appliquée au profit d’une certaine partie du contrat, si elle véhicule le résultat le plus favorable au cocontractant vulnérable ou l’impact éventuel, sur le régime de l’obligation, de la contrainte étatique étrangère affectant le comportement des parties.
L’expérience de la présente crise sanitaire a certainement changé les habitudes contractuelles. Il est à espérer que le contrat, étant par essence un acte d’anticipation, intégrera désormais de façon expresse les conséquences de l’inexécution des prestations en raison des mesures éventuellement prises par un État pour endiguer une situation de pandémie. Or une réponse adaptée aux rapports juridiques s’inscrivant dans une économie fortement mondialisée passe avant tout par la coordination des ordres juridiques impliqués. D’où la pertinence des techniques pouvant être sollicitées pour gérer les conflits de lois en matière contractuelle dans un contexte de crise comme celle liée à la Covid-19 ou à des pandémies à venir.
Parties annexes
Notes
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[1]
L’expression est de Aude Denizot, « Covid-19 : entre droit de la peur et peur du droit », R.T.D. Civ. 2020.703.
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[2]
Horatia Muir Watt, « Private International Law beyond the Schism », (2011) 2 Transnatl. Leg. Theory 347, 406, par référence aux idées développées par Robert Wai, « Conflicts and Comity in Transnational Governance : Private International Law as Mechanism and Metaphor for Transnational Social Regulation through Plural Legal Regimes », dans Christian Joerges et Ernst-Ulrich Petersmann (dir.), Constitutionalism, Multilevel Trade Governance and Social Regulation, Portland, Hart Publishing, 2006, p. 229, à la page 240.
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[3]
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (ci-après « C.c.Q. »). Nous tenons à préciser que, si le contrat en question est une vente internationale de marchandises, le juge québécois devra vérifier si les critères d’application matériels et territoriaux de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, 11 avril 1980, (1988) 1489 R.T.N.U. 3, sont remplis, auquel cas la question du sort de l’inexécution du contrat résultant d’un empêchement indépendant de la volonté du débiteur (art. 79) devra être régie par ce texte uniforme, en vigueur au Québec depuis 1992. La présente étude ne traitera pas du droit uniforme de la vente internationale, notre objectif étant ici d’aborder le jeu des règles de conflit de lois et l’impact des mesures édictées pendant la pandémie de COVID-19 sur les contrats internationaux en général et sur les contrats de transport et de voyage en particulier (infra, section 2.2).
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[4]
Cette distinction trouve son origine dans la théorie des local data de Brainerd Currie, « On the Displacement of the Law of the Forum », (1958) 58 Col. L. Rev. 964, qui préconise la nécessité pour le juge de tenir compte d’une loi étrangère en tant qu’élément de fait (datum) dans le cadre de l’application d’une rule of decision de la lex causae.
-
[5]
Nous suivons sur ce point la distinction de Patrick Kinsch, Le fait du prince étranger, Paris, L.G.D.J., 1994, p. 431 et 432, qui propose « de retenir l’expression “lois de police contractuelles” pour désigner les règles de décision qui ont pour objet d’imposer impérativement un certain contenu au rapport contractuel, et d’appeler “règles de conduite” les normes qui ont pour objet de réglementer – et fréquemment de prohiber – un comportement pouvant être d’origine contractuelle ».
-
[6]
Voir par exemple : Arrêté numéro 2020-4251 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice du 15 mars 2020, (2020) 152 G.O. II, 1105A ; Ministerial Order No. 27/2020 [Justice and Solicitor General], 30 mars 2020 (Alberta) ; Emergency Management and Civil Protection Act, R.S.O. 1990, c. E.9 (Ontario) ; Real Decreto 463/2020, de 14 de marzo, por el que se declara el estado de alarma para la gestion de la situacion de crisis sanitaria ocasionada por el COVID-19, BOE-A-2020-3692, 14 mars 2020 (Espagne), disposition additionnelle quatrième ; Ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, J.O. 26 mars 2020, no 9, art. 2, modifiée par l’Ordonnance no 2020-427 du 15 avr. 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, J.O. 16 avr. 2020, no 2 (France) ; Resolución exenta no 0340 (Servicio Nacional del Consumidor, Ministerio de Economía, Formento y Turismo), 9 avril 2020 (Chili) ; Lei no 1-A/2020, D.R. no 56/2020, 19 mars 2020, art. 7 (Portugal).
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[7]
Voir, par exemple, l’article 4 de l’Ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, préc., note 6.
-
[8]
Voir, par exemple, l’article 240 de l’Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuche, 18 août 1896 (Loi d’introduction au Code civil allemand) (ci-après « EGBGB »), modifié par la Gesetz zur Abmilderung der Folgen der COVID-19-Pandemie im Zivil-, Insolvenz- und Strafverfahrensrecht, BGBl. I 27 mars 2020, p. 569.
-
[9]
Voir par exemple : Real Decreto-ley 11/2020, de 31 de marzo, por el que se adoptan medidas urgentes complementarias en el ambito social y economico para hacer frente al COVID-19, BOE-A-2020-4208, 31 mars 2020, art. 36 (Espagne) ; Decreto-Legge – Misure urgenti di sostegno per famiglie, lavoratori e imprese connesse all’emergenza epidemiologica da COVID-19, GU no 53, 2 mars 2020, no 9, art. 28 (Italie) (ci-après « Decreto-Legge italien du 2 mars 2020 ») ; Ordonnance no 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, J.O. 26 mars 2020, no 35 (France) (ci-après « ordonnance no 2020-315 du 25 mars 2020 ») ; Decreto-Lei no 17/2020, D.R. no 80/2020, 23 avril 2020 (Portugal) ; Decreto Legislativo no 557 de 2020 (Ministerio de Comercio, Industria y Turismo), 15 avril 2020 (Colombie).
-
[10]
Voir par exemple : Commercial Tenancies Protection Act, S.A. 2020, c. C-19.5 (Alberta) ; Decreto Legislativo no 579 por el cual se adoptan medidas transitorias en materia de propiedad horizontal y contratos de arrendamiento, en el marco del Estado de Emergencia Económica, Social y Ecológica, 15 avril 2020 (Colombie) ; Lei no 1-A/2020, préc., note 6, art. 8 ; voir aussi, pour les situations de retard dans le paiement de loyers (Portugal), les mesures aménagées par les lois suivantes : Lei no 4-C/2020, D.R. no 68/2020, 6 avril 2020, p. 35 ; Lei no 17/2020, D.R. no 105/2020, 29 mai 2020, p. 3 ; Lei no 45/2020 altera o regime excecional para as situações de mora no pagamento da renda nos contratos de arrendamento não habitacional, no âmbito da pandemia da doença COVID-19, D.R. no 162/2020, 20 août 2020, p. 2.
-
[11]
Voir par exemple : Règlement d’exécution (UE) 2020/402 de la Commission du 14 mars 2020 soumettant l’exportation de certains produits à la présentation d’une autorisation d’exportation, J.O.U.E., no L 77/1, 15 mars 2020 (matériel de protection médicale) ; Ordonanta militara nr. 8/2020 privind masuri de prevenire a raspandirii COVID-19, M.O., nr. 301, 10 avril 2020, art. 7 et 8 (Roumanie) prohibant l’exportation de produits agro-alimentaires.
-
[12]
L’effet à accorder à la disposition internationalement impérative étrangère est bien son application et non simplement sa « prise en considération » : Gérald Goldstein, « Commentaire sur l’article 3079 C.c.Q. », Commentaire sur le Code civil du Québec, janvier 2011, EYB2011DCQ1163 (La référence), no 560. Quant à l’admissibilité de ce type particulier d’efficacité des normes étrangères, voir infra, section 2.1.
-
[13]
Selon la Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance no 2020-427 du 15 avr. 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, no CIV/03/20, 17 avril 2020, p. 9, « les parties demeurent toutefois libres de décider de renoncer à se prévaloir de ce dispositif protecteur », renonciation qui « doit faire l’objet d’une manifestation univoque de volonté ».
-
[14]
Règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), J.O.U.E., no L 177/6, 4 juillet 2008, art. 9.
-
[15]
United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV c. Navigation Maritime Bulgare, Affaire C-184/12, 17 octobre 2013, [En ligne], [eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:62012CJ0184] (16 décembre 2021). Il s’agissait en l’espèce des dispositions protectrices de l’agent commercial prévoyant le droit d’obtenir une indemnisation en cas de cessation du contrat d’agence, édictées par la loi belge de transposition de la Directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, J.O.U.E., no L 382/17, 31 décembre 1986.
-
[16]
Comme l’affirme Horatia Muir Watt, « Les limites du choix : dispositions impératives et internationalité du contrat », dans Sabine Corneloup et Natalie Joubert (dir.), Le règlement communautaire « Rome I » et le choix de loi dans les contrats internationaux, Paris, Litec, 2011, p. 341, à la page 347, « il n’est donc pas plus utile de distinguer entre le supplétif, l’impératif et le super-impératif ; la seule interrogation utile est celle de savoir si la réalisation de la politique poursuivie en l’occurrence est de nature à exiger son application ou non ». En ce sens, voir aussi Vincent Heuzé, « Un avatar du pragmatisme juridique : la théorie des lois de police », (2020) R.C.D.I.P. 31, par. 16, qui estime que « la référence au critère de “l’impérativité”, au sens strict du mot, encourt le reproche d’oublier que les règles non impératives pour les parties sont celles qui leur offrent une liberté, laquelle peut parfaitement être jugée fondamentale ».
-
[17]
Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance no 2020-427 du 15 avr. 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, préc., note 13, p. 9.
-
[18]
Il convient de soulever ici que la Cour de cassation française a déjà estimé qu’une règle supplétive peut s’imposer sur le plan international, en l’espèce, l’attribution préférentielle d’une entreprise agricole en faveur de l’héritier qui participe à son activité constitue en droit français une loi de police, même si le titulaire peut écarter son application au moyen d’une disposition testamentaire : Civ. 1re, 10 oct. 2012, Bull. civ. I, no 194.
-
[19]
Pour une analyse détaillée de ces enjeux et une convaincante conclusion favorable à la qualification de ces règles comme lois de police, voir Claire Debourg, « Covid-19 : lois de police et ordonnances 2020 », Gide Loyrette Nouel, 7 mai 2020, [En ligne], [www.gide.com/fr/actualites/covid-19-lois-de-police-et-ordonnances-2020] (23 juillet 2021), qui estime qu’il s’agit de protéger « les contractants qui en auraient besoin » et que « l’objectif général de sauvegarde de l’économie française passe ainsi par un mécanisme de protection individuelle ». En général, les auteurs s’alignent sur cette conclusion, mais ne cachent pas leur malaise à l’égard de la dissociation des deux dimensions de l’impérativité : Bernard Haftel, « Le Covid-19 et les contrats internationaux », D. 2020.1040 ; Louis d’Avout, Sylvain Bollée et Étienne Farnoux, « Droit du commerce international », D. 2020.1970 ; Susanne Lilian Gössl, « In-und ausländische Corona-Regelungen im grenzüberschreitenden Handel », (2021) 120 ZVglRWiss 23, 37 et 38.
-
[20]
C’est le cas du paragraphe 8 de l’article 28 du Decreto-Legge italien du 2 mars 2020, préc., note 9, qui établit expressément que « [l]e disposizioni di cui al presente articolo costituiscono, ai sensi dell’articolo 17 della legge del 31 maggio 1995, n. 218 e dell’articolo 9 del regolamento (CE) n. 593/2008 del Parlamento europeo e del Consiglio, del 17 giugno 2008, norme di applicazione necesaria ». Voir, au soutien de cette autoqualification législative, Giovanni Zarra, « Alla riscoperta delle norme di applicazione necessaria Brevi note sull’art. 28, co. 8, del DL 9/2020 in tema di emergenza covid-19 », SidiBlog, 30 mars 2020, [En ligne], [www.sidiblog.org/2020/03/30/alla-riscoperta-delle-norme-di-applicazione-necessaria-brevi-note-sullart-28-co-8-del-dl-92020-in-tema-di-emergenza-covid-19/] (23 juillet 2021).
-
[21]
Voir : pour l’Espagne, Pedro A. de Miguel Asensio, « Contratación internacional y COVID-19 : primeras reflexiones », 19 mars 2020, [En ligne], [pedrodemiguelasensio.blogspot.com/2020/03/contratacion-internacional-y-covid-19.html] (23 juillet 2021) ; pour l’Allemagne, S.L. Gössl, préc., note 19, 31 et 34.
-
[22]
Voir S.L. Gössl, préc., note 19, 33 et 34 (au regard de l’article 240 EGBGB, préc., note 8, permettant aux consommateurs et aux entreprises établies en Allemagne de suspendre l’exécution de certains contrats de fourniture de biens ou de services essentiels) ; Caterina Benini, « The COVID-19 Crisis and Employment Contracts : The Italian Emergency Legislation on Dismissals », Eapril, 11 mai 2020, [En ligne], [eapil.org/2020/05/11/the-covid-19-crisis-and-employment-contracts-the-italian-emergency-legislation-on-dismissals/] (23 juillet 2021) (sur l’article 46 du Decreto-Legge no 18 – Misure di potenziamento del Servizio sanitario nazionale e di sostegno economico per famiglie, lavoratori e imprese connesse all’emergenza epidemiologica da COVID-19, GU Serie Generale no 70, 17 mars 2020 (ci-après « Decreto-Legge du 17 mars 2020 »), ordonnant la suspension de la procédure de licenciement des travailleurs, qui serait applicable aux travailleurs exécutant leur travail en Italie mais aussi aux employeurs y exerçant leurs activités) ; Jean-Jacques Ansault, Cyril Falhun et Jean-Charles Jaïs, « La stratégie du créancier pendant la crise sanitaire », J.C.P. G. 2020.955 (sur les ordonnances du 15 mars et du 25 avril 2020, dont l’application devrait s’étendre aux débiteurs domiciliés en France).
-
[23]
Andreas Bucher, « L’ordre public et le but social des lois en droit international privé », (1993) 239 R.C.A.D.I. 9, 92 et 93.
-
[24]
Voir une synthèse actuelle sur le sujet dans Patrick Kinsch, « Le rôle du politique en droit international privé. Cours général de droit international privé », (2019) 402 R.C.A.D.I. 9, 154-164.
-
[25]
Les raisons sont classiques : la recherche de l’harmonie internationale des décisions qui recommanderait au juge du for d’en venir à la même solution à laquelle serait arrivé son homologue étranger, tenu d’appliquer la loi de police de son propre ordre juridique ; le principe préconisant l’effectivité des décisions sur le territoire de l’État d’accueil et, de façon générale, la coopération à la mise en place de la politique socioéconomique de l’État étranger estimée légitime (P. Kinsch, préc., note 5, p. 435).
-
[26]
Sur la distinction entre le « domaine nécessaire » ou « minimal », d’application des lois de police et le « domaine maximal » d’application des lois autolimitées, voir Pierre Mayer, « Les lois de police étrangères », (1981) 108 J.D.I. 277, 286 et 287.
-
[27]
Pour les réfractaires de la doctrine de l’autolimitation de la loi applicable, l’interdiction du renvoi à l’article 3080 C.c.Q. empêcherait de suivre les critères de rattachement établis par la loi étrangère : Claude Emanuelli, Droit international privé québécois, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, no 414. Or, si l’on considère que ces rattachements n’ont pas pour objet de départager le domaine de la règle matérielle de la lex causae désignée par rapport à celui d’un autre État, mais uniquement par référence à l’ordre juridique dont elle relève, l’argument de la prohibition du renvoi en droit québécois ne tient pas : Gérald Goldstein, « Commentaire sur l’article 3080 C.c.Q. », Commentaire sur le Code civil du Québec, janvier 2011, EYB2011DCQ1164 (La référence), no 560. En laissant la situation non visée par la règle spéciale autolimitative sous l’égide du droit commun désigné par la règle de conflit québécoise, cette solution n’encourt pas le reproche qu’on lui adresse.
-
[28]
Voir l’arrêt Bourdon c. Stelco inc., [2004] R.J.Q. 807 (C.A.), ayant écarté l’application de certaines dispositions de la loi ontarienne sur les régimes de retraite à l’égard des employés québécois d’une compagnie ontarienne. Malgré la désignation de cette loi dans une clause du plan de retraite convenu entre les parties, la Cour d’appel a considéré que les mots « en Ontario, un participant à un régime de retraite » de l’article 74 de ladite réglementation devaient s’interpréter de façon limitative, comme se rapportant uniquement aux membres du régime de retraite résidant en Ontario (thèse de la majorité) (par. 135 et 139).
-
[29]
Selon P. Mayer, préc., note 26, 344, une règle matérielle serait autolimitée dans deux situations fondamentales : lorsqu’elle défend un intérêt purement collectif ou lorsqu’elle protège des intérêts privés sur la base de circonstances spécifiques, généralement économiques, qui ne se vérifient que par rapport au système juridique dont elles sont issues.
-
[30]
Bernard Haftel, « The COVID-19 Health Crisis and International Contracts », (2021) 22 Y.P.I.L. 65, 76.
-
[31]
Pour Bernard Haftel, « Les normes auto-limitées en droit international privé », dans Marie-Élodie Ancel et autres (dir.), Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières. Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, Paris, L.G.D.J., 2018, p. 847, à la page 858, les règles ordinaires (non autolimitées) représenteraient « la solution la plus juste pour une question donnée », alors que les règles autolimitées seraient « la solution la plus juste, pour une question donnée, en considération de la localisation dans l’espace des éléments du litige ».
-
[32]
Arnaud Nuyts, « L’application des lois de police dans l’espace : réflexions au départ du droit belge de la distribution commerciale et du droit communautaire », (1999) R.C.D.I.P. 31, no 25 et 26 ; Fausto Pocar, « La protection de la partie faible en droit international privé », (1984) 188 R.C.A.D.I. 339, 401.
-
[33]
Voir, par exemple, l’article 46 du Decreto-Legge du 17 mars 2020, préc., note 22, qui suspend la procédure de congédiement établie par la loi du 23 juillet 1991, no 223, applicable aux entreprises relevant du régime extraordinaire d’intégration salariale (« norme in materia di intervento straordinario di integrazione salariale »), et concrètement, aux « imprese che occupino piu’ di quindici dipendenti [...] e che, in conseguenza di una riduzione o trasformazione di attività o di lavoro, intendano effettuare almeno cinque licenziamenti, nell’arco di centoventi giorni, in ciascuna unità produttiva, o in più unità produttive nell’ambito del territorio di una stessa provincia » (art. 24). De même, lorsque le législateur portugais établit des mesures exceptionnelles autorisant la prorogation du paiement de loyers, au bénéfice des locataires des « estabelecimentos abertos ao público destinados a atividades de comércio a retalho e de prestação de serviços encerrados ou que tenham as respetivas atividades suspensas ao abrigo do Decreto no 2-A/2020, de 20 de março » (Lei no 4-C/2020, préc., note 10, art. 7 (a)), la référence à ce décret d’application territoriale exclusive conduit à restreindre leur application aux entreprises dont le local commercial est situé sur le territoire national.
-
[34]
Voir supra, notes 8 et 9.
-
[35]
En ce sens, voir C. Benini, préc., note 22. La deuxième partie de l’article 46 du Decreto-Legge du 17 mars 2020, préc., note 22, se rapporte en général au « datore di lavoro, indipendentemente dal numero dei dipendenti », empêché temporairement de résilier le contrat de travail pour des raisons justifiées.
-
[36]
Ordonnance no 2020-315 du 25 mars 2020, préc., note 9.
-
[37]
Cette interprétation trouve un appui exprès dans la réponse du Conseil d’État français (Cons. d’État 17 juill. 2020, Association Union fédérale des consommateurs, req. no 441661, considérant 6 (l’italique est de nous)) :
[I]l ressort du rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance que ces mesures ont été prises afin de sauvegarder la trésorerie des prestataires, dans un contexte où plus de 7 100 opérateurs de voyages et de séjour immatriculés en France, confrontés à un volume d’annulations d’ampleur jamais égalée et à des prises de commandes quasi nulles, se trouvaient en grande difficulté.
-
[38]
Art. 240 (2) et (3) EGBGB, préc., note 8. Outre qu’elle résulte implicitement de la préoccupation de l’État allemand pour assurer le maintien de l’activité économique des entreprises implantées sur son territoire, l’autolimitation de ces règles peut se justifier à la lueur de la définition des entreprises visées, contenue dans la Recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, J.O.U.E., no L 124/36, 20 mai 2003, à laquelle renvoie l’article en question, applicable à celles qui relèvent des « politiques communautaires appliquées à l’intérieur de la Communauté et de l’Espace économique européen » (art. 1), et bénéficiant de la liberté d’établissement du traité (considérant 3).
-
[39]
Laurent Leveneur, « Le Covid-19, la force majeure et le fait du prince », Contrats, conc., consomm. 2020, repère 5 ; Julia Heinich, « L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision », D. 2020.611.
-
[40]
King Fung Tsang, « From Coronation to Coronavirus : Covid-19, Force Majeure and Private International Law », (2020) 44 Fordham Int. Law J. 187, 220-221 ; Roland Ziadé et Claudia Cavicchioli, « L’impact du Covid-19 sur les contrats commerciaux », A.J. contrat 2020.176 ; Matthias Lehmann, « Corona Virus and Applicable Law », Eapil, 16 mars 2020, [En ligne], [eapil.org/2020/03/16/corona-virus-and-applicable-law/] (6 août 2021).
-
[41]
B. Haftel, préc., note 30, 73.
-
[42]
L’exemple mentionné ne concerne pas les situations relatives aux contrats de transport ou de voyage inexécutés, lesquelles seront abordées plus loin (infra, section 2.2).
-
[43]
Dans l’arrêt Com. 16 sept. 2014, Bull. civ. IV, no 118, la Chambre commerciale de la Cour de cassation française déclarait que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».
-
[44]
Cette possibilité a été récemment rejetée en France à l’égard d’un créancier qui a dû être hospitalisé d’urgence pendant un séjour dans une installation thermale, qui invoquait la force majeure pour réclamer la restitution du prix payé. Dans l’arrêt Civ. 1re, 25 nov. 2020, no 19-21.060, la Cour de cassation française fait une interprétation littérale du premier alinéa de l’article 1218 du Code civil, en estimant « que le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure ».
-
[45]
Hollander v. Sedlic, 2021 BCCRT 231, par. 25. Selon le tribunal, « the parties could still perform the contract, though it might have been unwise or inadvisable to do so ».
-
[46]
Voir, par exemple, Genest c. Air Canada, 2020 QCCS 2569 ; Wright v. Air Canada, 2021 ABPC 61 ; McColl v. Air Canada, 2021 ABPC 120 ; Laliberté c. Air Transat AT inc., 2021 QCCQ 2250.
-
[47]
Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 256, par. 3.
-
[48]
Id., par. 89.
-
[49]
Benamor c. Air Canada, 2020 QCCA 1597 (ci-après « arrêt Benamor »).
-
[50]
Id., par. 124.
-
[51]
Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305.
-
[52]
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.
-
[53]
En revanche, par rapport à la défenderesse Sunwing, la Cour supérieure du Québec affirme l’existence d’au moins une question commune, consistant en la portée des clauses d’exclusion de toute responsabilité en cas de force majeure (Lachaine c. Air Transat AT inc., préc., note 51, par. 158-162).
-
[54]
Les clauses contractuelles ne se suffisant pas à elles-mêmes, leur appréciation devait s’effectuer conformément à la législation applicable, toujours et particulièrement, en droit de la consommation, dominé par des exigences d’ordre public de protection. La Cour supérieure conclut à l’insuffisance de la preuve présentée quant à l’existence, en common law, de mécanismes équivalents à la force majeure, notamment en ce qui concerne la doctrine de la « frustration of contracts » invoquée par les demandeurs. Ce faisant, la Cour supérieure a préféré recourir à la lex fori (la loi québécoise), solution certes, permise par le deuxième alinéa de l’article 2809 C.c.Q., au lieu d’exercer les pouvoirs conférés par le premier alinéa du même article, de prendre connaissance d’office du droit étranger allégué par les parties, ce qui lui aurait permis de mesurer la véritable communauté des questions juridiques unissant les membres du groupe. Voir l’arrêt Lachaine c. Air Transat AT inc., préc., note 51, par. 63-67 et 69.
-
[55]
Il convient toutefois de noter l’imprécision dans la description modifiée des membres du groupe, se rapportant aux « personnes physiques qui, au Québec, ont acheté un billet d’avion ou un forfait voyage », sans que la condition de résidence des voyageurs soit explicitement exigée.
-
[56]
Geneviève Saumier, « Le consommateur numérique : défis et recours en droit international privé », dans Pierre-Claude Lafond et Vincent Gautrais (dir.), Le consommateur numérique : une protection à la hauteur de la confiance ?, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 295, aux pages 310 et 311.
-
[57]
La problématique de la multiplicité des régimes applicables aux actions collectives entamées par des groupes pancanadiens et mondiaux est bien connue : Catherine Piché et Geneviève Saumier, « Consumer Collective Redress in Canada », (2018) 61 J.Y.I.L. 231, 257 et 258 ; Geneviève Saumier, « Le recours collectif, la globalisation des marchés et l’accès à la justice pour le consommateur », dans Thierry Bourgoignie (dir.), Propos autour de l’effectivité du droit de la consommation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 193, aux pages 203-207. Voir une récente étude en droit comparé dans Amer Tabbara, Les actions de groupe dans le contentieux international, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 275-296.
-
[58]
Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287.
-
[59]
Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, 2014 CSC 1, par. 62.
-
[60]
À remarquer que, dans ces deux arrêts, les groupes étaient composés de résidents canadiens.
-
[61]
Règlement sur la protection des passagers aériens, DORS/2019-150 (Gaz. Can. II).
-
[62]
Selon l’Office des transports du Canada, « Projet de règlement modifiant le Règlement sur la protection des passagers aériens », 21 décembre 21, [En ligne], [otc-cta.gc.ca/fra/consultation/consultation-sur-nouvelles-exigences-remboursement] (26 juillet 2021), la pandémie de COVID-19 a fait « ressortir une lacune dans le cadre canadien de protection des passagers aériens : l’absence d’une obligation pour les compagnies aériennes de rembourser les billets lorsque des vols sont annulés ou qu’il y a un long retard pour des raisons indépendantes de leur volonté, et que la compagnie aérienne ne peut faire en sorte que le passager complète son itinéraire prévu dans un délai raisonnable », d’où la nécessité d’élaborer un règlement canadien uniforme pour répondre à ce besoin.
-
[63]
Voir, à titre d’exemple, l’article 11 (b) de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, qui, au Québec, empêche le professionnel de déterminer unilatéralement ce qui constitue un cas de force majeure au sens de la loi : Lebrun c. Voyages à rabais (9129-2367 Québec inc.), 2010 QCCQ 1877.
-
[64]
Règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, J.O.U.E., no L 46/1, 17 février 2004 (ci-après « Règlement (CE) no 261/2004 »).
-
[65]
Un transporteur communautaire est titulaire d’une licence d’exploitation délivrée par un État membre (Règlement (CE) no 261/2004, préc., note 64, art. 2 (c)), dans lequel il possède son principal établissement (Règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté, J.O.U.E., no L 293/3, 31 octobre 2008, art. 4 (a)).
-
[66]
La notion de « transporteur aérien effectif » désigne la compagnie qui, « dans le cadre de son activité de transport de passagers, prend la décision de réaliser un vol précis, y compris d’en fixer l’itinéraire et, ce faisant, de créer, à l’intention des intéressés, une offre de transport aérien » : Wolfgang Wirth e.a. c. Thomson Airways Ltd., Affaire C532/17, 4 juillet 2018, par. 20, [En ligne], [curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=203541] (16 décembre 2021), laquelle est assujettie aux obligations résultant dudit règlement (art. 3 (5) et considérant 7). L’identification du transporteur effectif au sens de cette disposition aurait pu s’avérer pertinente à l’égard de nombreux passagers, certaines défenderesses recourant fréquemment à des alliances avec d’autres compagnies qui se chargent d’assurer la prestation de transport. Comme le soulignait la Cour supérieure, les défenderesses « font ainsi état de cette particularité voulant que certains achats de billets d’avion auprès de l’une ou l’autre des défenderesses n’impliquent celles-ci qu’à titre d’intermédiaires, puisque ce sont d’autres compagnies aériennes, non partie aux procédures, qui effectueront dans ce cas la prestation promise » : Lachaine c. Air Transat AT inc., préc., note 47, par. 53.
-
[67]
Directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil, J.O.U.E., no L 326/1, 11 décembre 2015 ; Libuše Králová c. Primera Air Scandinavia A/S, Affaire C-215/18, 26 mars 2020, par. 33, [En ligne], [eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?qid=1585729804805&uri=CELEX :62018CJ0215] (16 décembre 2021).
-
[68]
Benjamin Cheynel, « Panorama d’une année chargée et mouvementée en droit des passagers du transport aérien », Contrats, conc., consomm. 2020, étude 7, no 17 ; Renato Santagata, « Gli effetti dell’emergenza sanitaria sui contratti turistici e di trasporto », dans Gianmaria Palmieri (dir.), Oltre la pandemia. Società, salute, economia e regole nell’era post Covid-19, vol. 1, Napoli, Editoriale Scientifica, 2020, p. 309, aux pages 315-319.
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[69]
G. Saumier, préc., note 56, à la page 309.
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[70]
On a déjà estimé que la protection conférée par les articles 3149 et 3117 C.c.Q. ne s’étend pas aux autres contrats d’adhésion : United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau, 2006 QCCA 652, par. 53.
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[71]
Dans l’arrêt Chabot c. WestJet, 2013 QCCS 5297, par. 62, le tribunal a considéré qu’« un simple comptoir [de la compagnie WestJet] dans un aéroport ne constitue pas un établissement au sens de 3148 (2°) C.c.Q. ».
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[72]
Voir une illustration dans Leblanc c. United Parcel Service du Canada ltée, 2012 QCCS 4619, par. 182-185.
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[73]
Dans l’affaire United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau, préc., note 70, la Cour d’appel s’est interrogée sur la possibilité de faire intervenir les règles internes protectrices de l’adhérent, sur le fondement de l’article 3076 C.c.Q., afin d’annuler une clause d’élection de for incluse dans un contrat d’adhésion non constitutif d’un contrat de consommation (concrètement, un compte d’investissement ouvert par un résident québécois auprès d’une banque aux Bahamas). Elle a écarté cette solution en affirmant en obiter que « les règles de droit s’appliquant au Québec en matière de contrat d’adhésion (régime d’ordre public de protection) ne peuvent être opposées à des parties qui ont expressément choisi d’exclure l’application de la loi québécoise à leur relation contractuelle pour favoriser plutôt la loi étrangère » (par. 59).
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[74]
L’article 3117 C.c.Q. reproduit essentiellement les conditions d’application de l’article 5 de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, en matière de contrats de consommation. Sur la désuétude de cette disposition dans l’ère du commerce électronique, nous renvoyons aux analyses de la professeure G. Saumier, préc., note 56, aux pages 311-314, auxquelles nous souscrivons pleinement.