Résumés
Résumé
Le présent article s’intéresse aux obligations du Canada à l’égard de la situation des filles et des femmes autochtones assassinées ou disparues au Canada. Plus précisément, il aborde la question suivante : le Canada avait-il l’obligation de donner suite à la recommandation du Comité chargé de la mise en oeuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, soit celle de faire une enquête sur les filles et les femmes autochtones disparues ou assassinées ? Les arguments avancés par l’auteure lui permettent de conclure que le Canada avait une obligation positive à cet égard.
Abstract
This article reviews Canada’s obligations with respect to the situation of Aboriginal girls and women who have disappeared or been murdered in Canada. More specifically, it asks : does Canada have an obligation to act on the recommendation made by the committee responsible for monitoring implementation of the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women, by investigating the disappearance or murder of Aboriginal girls and women ? The arguments, as set out in the article, lead to the conclusion that Canada has a positive obligation in this regard.
Resumen
Este artículo trata sobre las obligaciones que tiene el Canadá con respecto a la situación de las jóvenes y las mujeres autóctonas que han sido asesinadas o que han desaparecido en Canadá. De manera más precisa, se aborda la siguiente cuestión : ¿El Canadá tenía la obligación de cumplir la recomendación del Comité encargado de implementar la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Convention sobre la eliminación de todo tipo de discriminación contra la mujer) y llevar a cabo una investigación sobre las jóvenes y las mujeres autóctonas desaparecidas o asesinadas ? Los argumentos que se presentan en este artículo nos permiten llegar a la conclusión que el Canadá tenía una obligación positiva en este sentido.
Corps de l’article
Il y a eu, au cours des dernières années, beaucoup d’écrits sur la situation des filles et des femmes autochtones assassinées ou disparues au Canada. De 1980 à 2012, on compterait 1 181 cas de femmes autochtones disparues et assassinées[1]. Un rapport produit par Amnistie internationale fait état « de morts suspectes qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes adéquates et qui n’ont pas été cataloguées comme homicides ainsi que de pratiques policières inadéquates[2] ». Toujours selon le même rapport, 1 017 de ces femmes sont décédées et 164 sont toujours considérées comme disparues[3]. C’est sur cette toile de fond que des premiers ministres provinciaux et des organisations, tant internationales que canadiennes, ont demandé au gouvernement canadien d’agir et de tenir une enquête publique sur les assassinats et sur les disparitions de filles et des femmes autochtones au Canada[4]. Parmi les organisations internationales ayant demandé la tenue d’une enquête nationale concernant cette situation se trouve l’organe de mise en oeuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF)[5].
C’est sur le fondement des droits protégés par la CEDEF, que le Comité de cette dernière[6], organe responsable de sa mise en oeuvre, a formulé plusieurs recommandations à l’intention du Canada, en particulier celle de procéder rapidement à la mise sur pied d’une enquête sur la disparition et sur l’assassinat des filles et des femmes autochtones[7]. Lorsque le Canada a soumis ses sixième et septième rapports périodiques en octobre 2008[8], conformément à l’article 18 de la CEDEF, le Comité avait dès lors soumis à l’attention du Canada les demandes suivantes :
Le Comité invite instamment l’État partie à examiner les raisons de l’absence d’enquêtes sur ces affaires de disparition et de meurtre de femmes autochtones et à prendre les mesures nécessaires pour remédier aux carences du système. Il exhorte l’État partie à effectuer d’urgence des enquêtes approfondies sur les affaires de disparition ou de meurtre de femmes autochtones des dernières décennies. Il l’invite instamment aussi à effectuer une analyse de ses affaires pour déterminer s’il y a « racialisation » de ces disparitions et, si c’est le cas, à prendre des mesures en conséquence[9].
Deux ans plus tard, soit en juillet 2010, le Comité a considéré que le Canada n’avait pas implanté les recommandations précédentes. En 2011, la situation a été soumise au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme par l’intermédiaire de Mme Dubravka Šimonović, rapporteuse spéciale de la CEDEF. Mme Šimonović a alors mentionné que « the Committee notes that its serious concern on the disappearance and murder of Aboriginal women/girls is now acknowledged as a shared concern in the State party’s follow-up report[10] ».
Puisque le Canada n’a pas transmis les informations demandées par le Comité[11] et que cette situation alarmante a été corroborée par le comité de la Convention internationale sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale[12] ainsi que par le rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, le Comité a, dès lors, pris la décision de cesser la procédure de suivi et d’entamer la procédure pour la tenue d’une enquête sur le territoire canadien[13]. En effet, lorsque des droits protégés par la CEDEF sont gravement ou systématiquement atteints, le Comité peut, conformément à l’article 8 (2) du Protocole facultatif à la CEDEF[14] et à l’article 84 du Règlement intérieur du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes[15], procéder à la tenue d’une enquête[16].
Du 9 au 13 septembre 2013, deux experts du Comité ont conduit une enquête sur le territoire canadien. Celle-ci avait comme objectif de colliger davantage d’informations sur la situation des disparitions et des assassinats des filles et des femmes autochtones ainsi que d’évaluer si le Canada s’acquittait de ses obligations en vertu de la CEDEF et de son protocole. Le rapport d’enquête qui a fait suite à la visite des experts sur le territoire canadien mentionne plusieurs problématiques liées aux filles et aux femmes autochtones[17]. Plus précisément en rapport avec l’objet du présent article, ce document fait les recommandations suivantes :
-
[Take] measures to establish a national public inquiry into cases of missing and murdered aboriginal women and girls that must be fully independent from the political process and […] ;
-
Based on the findings of the national public inquiry, to develop an integrated national plan of action and a coordinated mechanism, in consultation with representatives of the aboriginal community, to address all forms of violence against aboriginal women, to ensure the allocation of sufficient human and financial resources for the effective implementation of the plan […] and to ensure that all measures identified in the recommendations made by the Committee in the present report are reflected in the plan of action ;
-
[E]stablish a mechanism for monitoring and evaluating implementation the implementation of the national plan of action, in coordination with the aboriginal community, so that corrective measures can be taken if deemed necessary[18].
C’est dans ce contexte que nous nous sommes posé la question suivante : le Canada avait-il l’obligation de donner suite à la recommandation du Comité, soit de faire une enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées[19] ?
La majorité des textes écrits sur cette situation ont recensé les problèmes liés aux communautés autochtones, notamment aux filles et aux femmes autochtones, et des statistiques ont été produites à cet effet. Cependant, au fil de nos recherches, nous avons constaté que peu d’écrits portaient sur l’obligation du Canada, en tant qu’État partie à la CEDEF, de tenir une enquête, ce qui nous a grandement étonnée, puisque l’absence de commission d’enquête a largement été dénoncée[20].
Bien que le gouvernement du Canada ait annoncé, en décembre 2015[21], la mise sur pied d’une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, nous croyons que cela n’influe en rien sur la pertinence de la question faisant l’objet du présent article. Pendant plusieurs années, le Canada a refusé de mettre en oeuvre les recommandations du Comité. À ce jour, la question demeure : le Canada n’avait-il pas une obligation, en tant qu’État partie à la CEDEF, de se soumettre à cette recommandation ?
L’approche préconisée au sein de notre analyse consiste à reconceptualiser et à repenser certains fondements de la théorie du droit, par exemple, la place des normes au sein de la théorie des sources. Elle est d’abord un courant épistémologique qui se veut en opposition à la théorie du droit positif, et cette approche s’interroge sur la complexité du droit au sein de la société contemporaine[22]. L’idée est, en quelque sorte, de revoir les bases de la normativité juridique qui, dans la doctrine classique, se doivent de prescrire ou d’interdire, d’être suivies d’une contrainte et d’être obligatoires. Le fondement de notre argumentaire ne se fonde pas sur une théorie du droit en particulier puisque diverses théories sont en cours d’élaboration ou soumises à la réflexion[23].
Notre analyse s’appuiera sur la pratique et sur les écrits des comités onusiens se rattachant aux instruments internationaux auxquels le Canada est parti. La jurisprudence de différentes cours de justice sera également utilisée, telles la Cour internationale de Justice (CIJ), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En effet, l’article 31 (3) c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT)[24], article de droit international coutumier, permet l’utilisation de toute règle pertinente de droit applicable entre les parties, pouvant aider à l’interprétation[25].
Nous amorcerons notre étude avec la présentation des droits protégés par la CEDEF et par son protocole facultatif. Par la suite seront décrites la position doctrinale dominante concernant la valeur des recommandations formulées par un comité onusien et les caractéristiques spécifiques de ce dernier (partie 1). Enfin, nous exposerons les principaux arguments qui nous permettent de conclure que le Canada avait l’obligation de mener une enquête (partie 2).
1 La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la valeur des recommandations formulées par son organe de mise en oeuvre
En premier lieu, nous présenterons les droits que protègent la CEDEF et son protocole (1.1). En second lieu, nous aborderons le positionnement doctrinal dominant à propos des recommandations formulées par le Comité et les caractéristiques spécifiques de ce dernier qui, selon nous, confèrent aux recommandations une valeur juridique et normative (1.2).
1.1 Les droits protégés par la Convention et par son protocole
La CEDEF représente un cadre juridique général qui complète un ensemble d’instruments juridiques internationaux[26]. Les droits qu’elle protège et sur lesquels peut être fondée une plainte sont ceux qui garantissent la « jouissance et l’exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil et familial ou dans tout autre domaine[27] ». L’article premier de la CEDEF définit la discrimination à l’égard des femmes comme « la violence fondée sur le sexe, c’est-à-dire la violence exercée contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui touche spécialement la femme[28] ». Quant à l’article 2, il « est essentiel pour l’application complète de la CEDEF puisqu’il détermine la nature des obligations juridiques générales des États parties[29] ». De ce fait, il est considéré comme reflétant le but et l’objet de la CEDEF. Par conséquent, « les réserves concernant l’article 2 ou ses alinéas ne sont, en principe, […] pas autorisées[30] », et ce, conformément à l’article 28 (2)[31] de la CEDEF. Également, l’article 2 énumère les moyens que les États doivent prendre afin d’éliminer la discrimination envers les femmes, sous toutes ses formes. Cette énumération est exhaustive[32]. Bien que le champ d’application de la CEDEF soit large, les articles 6 à 16 énoncent des droits précis qu’elle protège, tels le droit à l’éducation, le droit à la santé et les droits familiaux.
Les États parties au Protocole, ratifié en 2002 par le Canada, reconnaissent une extension de la qualité à agir aux individus et aux groupes d’individus. Ils reconnaissent donc la compétence du Comité afin de recevoir, en vertu de l’article 2 du Protocole, « [d]es communications […] de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers […] qui affirment être victimes d’une violation par cet État Partie d’un des droits énoncés dans la Convention[33] ». Le droit de pétition individuelle repose largement sur des déclarations d’acceptation facultative. Les articles 3 et 4 du Protocole énoncent les principales conditions de saisine du Comité, soit les conditions de forme et de recevabilité telles que l’épuisement des recours internes. Il est aussi possible pour le Comité d’indiquer des mesures conservatoires afin d’éviter qu’un dommage irréparable survienne[34].
Outre les droits protégés par la CEDEF et par son protocole, il est également important de mettre de l’avant que le Comité a intégré[35] l’approche intersectionnelle tant dans sa doctrine qu’au sein de sa jurisprudence[36]. Le Comité considère en effet que la discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre « est indissociablement liée à d’autres facteurs […]. Les États Parties doivent prévoir légalement ces formes superposées de discrimination et l’effet cumulé de leurs conséquences négatives […] et ils doivent les interdire[37] ».
Nous croyons également nécessaire d’aborder le fait que « la violence envers les femmes autochtones s’explique non seulement par des rapports de pouvoir inégaux entre les hommes et les femmes, mais aussi par du racisme envers les peuples autochtones et les conditions socio-économiques des communautés[38] ». Puisque le Comité intègre l’approche intersectionnelle dans l’analyse des situations qui lui sont soumises et que cette approche articule les « différents aspects d’une identité sociale […] et leur interaction avec des systèmes d’oppression[39] », nous estimons pertinent, pour le moins que l’on puisse dire, de nous pencher sur cette idée relativement à la situation dont nous traitons ici.
Ainsi, cette approche reconnaît l’expérience particulière des individus et elle suppose que la discrimination vécue par différents groupes minoritaires n’est pas la même que celle subie par des groupes majoritaires[40]. Les femmes autochtones expérimentent ou ont expérimenté des discriminations dont les motifs se croisent et qui les exposent à des discriminations plus graves et les rendent plus vulnérables à la violation de droits qui leur sont pourtant garantis[41].
Cette partie jette les bases juridiques sur lesquelles s’est fondé le Comité non seulement pour demander au Canada de tenir une enquête sur les disparations et sur les assassinats des filles et des femmes autochtones, mais aussi pour conclure à une violation de leurs droits.
1.2 La valeur des recommandations du Comité selon le courant majoritaire et les caractéristiques spécifiques dudit Comité[42]
Nous nous intéresserons maintenant à la validité et à la valeur des recommandations formulées par le Comité ainsi qu’aux caractéristiques spécifiques de ce dernier. Nous sommes consciente que la solution retenue pour une problématique posée, le caractère obligatoire de cette solution, de même que le jugement de sa validité dépendent de l’approche théorique juridique ou doctrinale retenue[43]. Nombreux sont ceux qui ont tenté de trouver des éléments de réponse à ce qui pouvait fonder le caractère obligatoire du droit international[44] : bien qu’il existe diverses théories et bon nombre d’écrits, la question n’a jamais reçu, à ce jour, de solution satisfaisante[45].
De par la place importante que prend la théorie du positivisme juridique[46] et du fait que certains arguments avancés par celle-ci contestent des éléments centraux que nous avancerons dans notre article, nous l’aborderons brièvement, puis nous la critiquerons.
En prenant position et en suivant la doctrine classique, nous pourrions avancer que, puisque les recommandations du Comité ne sont pas suivies de sanctions contraignantes, celles-ci n’ont pas de valeur juridique, ou encore que ces recommandations ne sont pas dotées de force obligatoire.
La théorie pure du droit formulée par Kelsen, théoricien du droit positif, repose notamment sur la question de la validité des normes juridiques, sur le rapport du droit et de la contrainte ainsi que sur le rapport du droit et de l’État[47]. Le droit positif est directement lié à l’État et à ses composantes : cette théorie ne reconnaît rien de juridique en dehors de ce que les tribunaux peuvent accepter comme tel[48].
Tout d’abord, pour les théoriciens du droit positif, certains termes sont essentiels à la règle de droit et, à leurs yeux, ils sont étroitement liés les uns aux autres. Il est donc nécessaire de les définir. Une phrase illustre particulièrement cette relation de proximité : « l’image la plus courante qu’on se fait du droit est celle d’un ensemble de normes articulant des obligations, et même plus précisément des obligations assorties de sanctions[49] ». Le terme « contrainte » « renvoie d’abord à l’idée générale de la fonction directive des règles de conduite[50] » ou de ce qui est « susceptible d’être appliqué par la force[51] ». Pour certains, le caractère obligatoire peut être défini par l’application d’une sanction s’il y a non-exécution d’un comportement, d’une norme ou d’une règle[52]. En effet, « certains auteurs n’accordent de valeur juridique qu’aux seules normes dont la non exécution entraîne l’application d’une sanction[53] ». D’aucuns estiment que le caractère obligatoire peut aussi se révéler comme une perception mentale de ce qui est obligatoire ou non. Enfin, concernant la sanction, également appelée « justiciabilité », elle se veut une réaction à un comportement contraire à ce qui est prescrit[54].
Le positionnement du courant majoritaire tend à définir négativement la valeur accordée aux recommandations et aux observations finales des comités onusiens. En effet, selon les théoriciens de ce courant, les recommandations et les observations ne sont dotées ni de force obligatoire[55] ni de contrainte[56]. De ce fait, les décisions, les observations et les recommandations des comités onusiens sont considérées comme de la doctrine ou de simples constatations[57]. À noter que nous ne partageons pas l’idée soutenue par des auteurs, pour qui le critère de la sanction est une prémisse de la juridicité ou du caractère juridique d’une norme.
Dès lors, la sanction, ou justiciabilité, peut être repensée. Par ailleurs, la réflexion qui vise la reconceptualisation du droit tend à donner plus de place au droit souple (soft law) et à le penser autrement. C’est principalement sur les faiblesses et les limites du droit positif que repose l’idée de repenser la normativité. Cette dernière, telle que nous l’entendons, est la « capacité de fournir une référence, de réguler l’action, [de] guider l’interprétation des juges et [d’]orienter la création du droit par le législateur, voire [d’]inspirer la pensée de la doctrine[58] ».
Nous ne croyons pas que la sanction contraignante départage ce qui est juridique et ce qui ne l’est pas, encore moins dans un contexte du droit international public[59]. Notre position n’est pas isolée et est soutenue par d’autres auteurs[60]. Nous pensons ainsi que « [l]’idée même de sanction juridique implique celle d’une coercition faite en vertu d’un droit, et [que], par conséquent, elle ne saurait servir à fonder le droit qui, au contraire, la fonde[61] » : ainsi, la sanction ne caractérise en rien la règle juridique. De surcroît, il se peut que dans certaines situations aucune sanction juridique contraignante soit appliquée et que cette absence de sanction n’ait aucun impact sur le caractère normatif et juridique de cette règle. Afin d’illustrer notre position sur ce point, nous tenons à citer certains auteurs qui ont donné en exemple le droit constitutionnel « dont la violation de toutes les normes ne fait pas l’objet de sanction ou encore les normes prévues par les traités internationaux auxquelles tous les États ne se conforment pas nécessairement et qui ne sont pas assorties d’une sanction[62] ». Pensons notamment à l’absence de sanction contraignante qui ne dépouille pas de leur valeur juridique les droits que la Constitution protège. Et il en est de même pour les traités internationaux[63]. Ces instruments juridiques, en l’absence de sanction contraignante, ne perdent pas de leur normativité et cette absence de sanction ne les relègue pas de facto au rang des règles morales[64].
Nous exposerons donc que, bien qu’il existe diverses déclinaisons de la pensée positive, celles-ci ne s’éloignent jamais de l’idée de base selon laquelle les seules normes qui puissent être véritablement qualifiées de droit proviennent des sources dites formelles, reconnues comme telles, par le droit positif. Pour la majorité de ces théoriciens, le droit international positif est « la partie du droit en vigueur dans la société internationale qui est créée par l’accord tacite ou exprimé des États[65] ». De ce fait, cette théorie nie le droit naturel et, par conséquent, les principes généraux du droit[66]. Nous utiliserons cette négation afin d’illustrer notre opinion sur ce dernier aspect.
La description et l’existence des principes généraux du droit ne font pas, à ce jour, l’unanimité, plus particulièrement pour les théoriciens du droit positif. Or, les philosophes, professeurs et théoriciens du droit tels que De Visscher, Spiropoulos et Verdross affirment que, bien que les principes généraux du droit ne remplissent pas les critères de la théorie du droit positif, ces principes sont tout de même obligatoires[67]. Par ailleurs, l’énonciation de ces principes au sein du Statut de la Cour internationale de Justice[68] confirme leur valeur normative. En effet, leur énonciation à l’article 38 de ce statut confirme que ces principes font officiellement partie des sources du droit international. Dès lors, cette conception stricte du droit met en exergue « l’insuffisance du droit international positif, élaboré par des sources formelles comme la coutume et le traité, et […] la nécessité d’admettre comme complément indispensable l’existence d’autres règles de droit international fondées sur le droit naturel[69] ».
Si le caractère obligatoire des recommandations n’est pas retenu, leur autorité ne doit pas être négligée pour autant[70]. Pour le professeur Charles Rousseau, « tout repose ultimement sur un ensemble de croyances et de valeurs qui sont partagées par une population donnée à un moment donné de son histoire et qui en explique finalement l’effectivité[71] ». À ce propos, comme l’a déclaré la CIJ dans son avis sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, « les résolutions de l’Assemblée générale, même si elles n’ont pas force obligatoire, peuvent parfois avoir une valeur normative[72] ». Ainsi, l’absence de sanction et de contrainte des recommandations ne signifie pas qu’elles n’ont aucune portée juridique normative, qu’elles ne sont pas obligatoires et que, par conséquent, elles doivent être négligées.
Par ailleurs, le Comité de la CEDEF comporte des caractéristiques particulières qui renforcent, à notre avis, notre argumentaire quant à la normativité juridique de ses recommandations et observations.
Le Comité présente cinq caractéristiques spécifiques :
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il est qualifié par la doctrine comme un organe quasi judiciaire ;
-
il a comme fonction le règlement des différends ;
-
il qualifie juridiquement le comportement des États parties ;
-
il peut prononcer des mesures conservatoires, en vertu du Protocole ;
-
il peut demander à un État partie des mesures de réparation.
La première caractéristique résulte du fait que la doctrine a qualifié à de nombreuses reprises le Comité comme ayant un caractère quasi judiciaire ou quasi juridique[73]. Cependant, ce qualificatif, en droit international, n’est pas clairement défini[74]. Selon le Dictionnaire de droit québécois et canadien, le pouvoir quasi judiciaire se définit comme la « [f]aculté d’exercer certaines fonctions analogues à celle des cours de justice[75] ». Toujours d’après la même source, un acte quasi judiciaire est un « [a]cte posé par une autorité administrative appelée à se prononcer sur les droits d’un ou de plusieurs individus, selon un processus qui ressemble à la procédure normalement suivie par les cours de justice[76] ». À ce propos, la Cour suprême du Canada a spécifié que la Commission canadienne des droits de la personne remplissait une fonction quasi judiciaire[77]. En droit administratif, les organes quasi judiciaires désignent des tribunaux et des organismes administratifs[78]. C’est notamment en cherchant du côté du droit administratif et de l’administration publique que nous avons pu voir le caractère « quasi juridique » se préciser davantage. Ainsi, nous retenons comme première caractéristique qu’un organe quasi judiciaire est un organe spécialisé, qu’il a des tâches et une vocation spécifique et qu’il est doté d’une certaine indépendance[79]. Pour nous, ces trois éléments correspondent au Comité. En effet, l’article 17 de la CEDEF prévoit la mise en place d’un comité composé de 23 experts chargés « d’examiner les progrès réalisés dans l’application de la présente Convention[80] ». À l’époque de sa création, le Comité était le seul organe du genre « composé d’experts indépendants et spécialisés dans le domaine des droits des femmes[81] ».
La deuxième caractéristique spécifique du Comité repose sur le fait que, lorsqu’un État ratifie le Protocole, il permet une extension de la qualité d’agir des individus, c’est-à-dire que des personnes peuvent adresser une plainte au Comité. Ce dernier est donc chargé du règlement des différends qui pourraient survenir entre deux parties, soit un individu et un État partie à la CEDEF[82]. En effet, la raison d’être du Comité est de permettre le contrôle, la surveillance et la mise en oeuvre de la CEDEF, ainsi que de recevoir les plaintes afin de régler les différends y ayant trait[83]. À cet égard, « le Comité des droits de l’homme le dit lui-même, le mécanisme des communications individuelles présente toutes les caractéristiques formelles d’un mode de règlement juridictionnel[84] ». Enfin, lorsque les recommandations permettent de se prononcer sur un différend sur la base d’un droit protégé par la CEDEF, il est possible de dire que le Comité est investi d’une mission juridictionnelle. Dès lors, selon certains auteurs, les recommandations de ce dernier deviennent donc obligatoires pour les parties[85].
La troisième caractéristique spécifique du Comité est qu’il qualifie juridiquement le comportement des États. Une des tâches principales du Comité est l’examen des communications provenant des États parties et l’examen des plaintes individuelles. Le Comité doit évaluer la situation et se prononcer sur la validité ou non de la violation des droits invoqués, particulièrement les communications individuelles alléguant la violation d’un droit protégé par la CEDEF[86]. Ainsi, un des facteurs qui semblent confondre la doctrine concernant la portée et la valeur des travaux du Comité est le fait qu’il qualifie juridiquement le comportement des États, qu’il souligne leur manquement et qu’il motive ses propres décisions avec un souci élevé du détail[87].
La quatrième caractéristique du Comité réside dans le fait que le Protocole lui permet de demander des mesures conservatoires en vertu de son article 5 et de l’article 63 du Règlement intérieur. Ainsi, dépassant la simple recommandation, le Comité peut demander à l’État partie[88] qu’il prenne des mesures conservatoires afin d’éviter que survienne un préjudice irréparable avant l’examen de la demande sur le fond[89]. Il s’agit donc une compétence du Comité fondé prima facie qui ne préjuge pas de la suite et de l’issue à donner au fond de l’affaire[90].
Enfin, la cinquième caractéristique du Comité s’inscrit dans le fait qu’il n’hésite pas à demander, au sein de ses recommandations, une indemnisation proportionnelle pour les victimes en fonction de la gravité de la violation du droit protégé[91]. Ainsi, le Comité entre dans le régime des réparations, ce qui constitue une caractéristique significative et analogue à une décision judiciaire. Dans le but de s’assurer de la mise en oeuvre de ses observations et de ses recommandations, le Comité a adopté, en 2008, une procédure de suivi, comme en témoignent l’article 7.4 du Protocole et l’article 18 de la CEDEF. Cette mesure démontre que le Comité s’attend à ce que les observations et les recommandations soient suivies d’effets. Il en ressort que le Comité est une entité indépendante des États et qu’il a des responsabilités et un fonctionnement semblables à ceux d’un organe judiciaire.
Enfin, il a été démontré que la théorie du positivisme juridique propose une philosophie restrictive de ce qu’est une règle de droit. Nous avons critiqué cette approche en démontrant ses limites et nous avons illustré notre vision de la normativité. Pour nous, ainsi que pour d’autres théoriciens du droit, la contrainte et la sanction ne sont pas synonymes de force obligatoire. De ce fait, même si les recommandations ne sont pas suivies de sanctions, elles ont tout de même une valeur juridique et normative. Nous avons également abordé les caractéristiques du Comité et ses fonctions. À notre avis, toutes ces caractéristiques viennent renforcer notre argument concernant la normativité juridique des recommandations et des observations du Comité et selon lequel celles-ci doivent être suivies par les États parties qui ont, par ailleurs, accepté la compétence du Comité pour l’exercice de ses fonctions.
2 Les fondements de l’obligation d’enquête du Canada
Nous démontrerons ci-dessous qu’en vertu du droit des traités le Canada, en ratifiant la CEDEF ainsi que son protocole, s’est engagé à mettre en oeuvre ces instruments et à se soumettre aux obligations afférentes. Qui plus est, conformément au droit des traités, le Canada a l’obligation de respecter le but et l’objet de tout traité ; il doit aussi agir de bonne foi, soit appliquer les recommandations du Comité (2.1). Par la suite, nous démontrerons que l’obligation de mener une enquête se trouve dans une disposition de la CEDEF, lue à la lumière des recommandations générales du Comité (2.2).
2.1 Le droit des traités et le principe de la bonne foi
L’article 26 de la CVDT, qui réfère à la notion Pacta sunt servanda, signifie que « [t]out traité […] lie les parties et doit être exécuté […] de bonne foi[92] ». Cette notion est vue aujourd’hui « as the cornerstone of international relations. Ulpian referred to it, for Grotius it lay at the centre of the international legal order[93] ». Également, selon le Comité des droits de l’homme (CDH) des Nations Unies, le principe de la bonne foi fait référence à l’obligation qu’ont les États parties d’agir de bonne foi à l’égard du traité qu’ils ont ratifié[94] et cette bonne foi est en outre déterminée par l’application des observations et des recommandations du Comité[95].
Par ailleurs, les observations et les recommandations du Comité sont expressément prévues dans son protocole et dans son règlement intérieur[96]. À ce propos, le CDH a considéré que les « États qui ont accepté l’obligation juridique de donner effet à leurs dispositions sont, […] tenu[s] de prendre des mesures appropriées pour donner un effet juridique aux constatations du Comité[97] ». C’est notamment l’avis des autres comités onusiens qui ont d’ailleurs « retenu une approche similaire pour affirmer eux aussi la force contraignante de leurs décisions[98] ». Ainsi, puisque les observations et les recommandations sont expressément prévues, un État partie doit donner effet à ces dernières.
Également, la CIJ met en lumière dans l’Affaire Projet Gabčikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie)[99] ce que contient le principe de la bonne foi : « ce dernier élément implique qu’au cas particulier c’est le but du traité, et l’intention dans laquelle les parties ont conclu celui-ci, qui doivent prévaloir sur son application littérale. Le principe de bonne foi oblige les Parties à l’appliquer de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint[100]. » Suivant le raisonnement de la CIJ dans cette affaire, il est ainsi nécessaire d’examiner le but et l’objet du traité, en l’espèce la CEDEF et le Protocole, en plus de l’intention des parties, soit le Canada.
D’une part, à la lecture du préambule de la CEDEF et du Protocole, il est possible d’en dégager le but[101]. Selon ledit préambule de la CEDEF, le but et l’objet sont notamment la réalisation de la pleine égalité entre les hommes et les femmes de même que la suppression de la discrimination sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations. Quant au Protocole, son but et son objet sont la mise en place d’un mécanisme de plainte individuelle afin d’assurer aux femmes l’égalité et la non-discrimination. De plus, nous constatons que la coopération de l’État partie occupe une place importante dans l’atteinte du but et de l’objet du traité. En effet, l’article 2 de la CEDEF demande à l’État partie de poursuivre par tous les moyens appropriés, sans accuser de retard, une politique visant à éliminer la discrimination ainsi que de prendre des mesures efficaces afin de prévenir les violations des droits fondamentaux et des libertés fondamentales pour assurer l’égalité aux femmes. Ce sont donc des obligations positives qui demandent à l’État d’agir. À propos de l’article 2, le Comité de la CEDEF précise qu’il est central et qu’il représente le but et l’objet de cette dernière, ce qui confirme notre interprétation[102].
D’autre part, le Canada a démontré son intention et sa volonté pour qu’un outil juridiquement contraignant soit élaboré afin de protéger les droits des femmes : « Dès 1973, en effet, le Canada faisait savoir au Secrétaire général des Nations Unies qu’il serait bon de rédiger un instrument international qui garantirait aux femmes des droits égaux à ceux des hommes[103] ». Par ailleurs, le Canada n’a opposé aucune réserve à la CEDEF. Nous pouvons donc en déduire qu’il se considère comme lié par l’ensemble des obligations en question et est donc soumis aux obligations juridiques qui en découlent[104]. Le Canada ayant librement consenti à être partie à la CEDEF et à son protocole, il se doit de respecter ses obligations conventionnelles, et ce, de bonne foi[105].
Lorsque le Comité est saisi d’une plainte, pour laquelle il y a violation grave et systématique des droits protégés par la CEDEF, il formule alors des recommandations. Il demande donc à l’État d’agir afin que les personnes ou les groupes de personnes victimes de cette situation discriminatoire ne subissent plus ce préjudice.
Il a été démontré que les recommandations du Comité sont intrinsèquement liées à l’existence et à l’essence même de la CEDEF et du Protocole, soit à leur but et à leur objet. Enfin, en cas de violation de droits protégés par la CEDEF, dès lors que le Comité demande à l’État partie de corriger la situation, en vertu de l’article 26 de la CVDT, l’État se doit d’agir de bonne foi afin de respecter le but et l’objet du traité, ce qui, dans le cas en l’espèce, se traduit par l’application des recommandations du Comité.
2.2 Le texte de la Convention lu à la lumière des recommandations du Comité
Nous aborderons deux éléments : d’une part, les filles et les femmes autochtones étant considérées comme des personnes vulnérables[106], le Canada a l’obligation de leur accorder une attention et une protection de façon prioritaire ; d’autre part, l’obligation de faire une enquête est contenue dans le texte même de la CEDEF lu à la lumière de ses recommandations.
Nous avons préalablement mentionné que la reconnaissance de la discrimination intersectionnelle, de ces facteurs aggravants et de ces conséquences est centrale dans la pratique du Comité[107] et est prévue dans certaines dispositions de la CEDEF[108]. De ce fait, le Comité met à la charge des États des obligations spéciales ou supplémentaires lorsqu’il y a présence de discrimination intersectionnelle :
The Committee underlines that intersectional discrimination increases the risk of violence and heightens its adverse consequences when it occurs and that State parties have special obligations to ensure that indigenous individuals are entitled without discrimination to enjoy all human rights as also affirmed by the UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples (2006)[109].
Ainsi, le Comité incorpore indirectement dans sa doctrine le principe favor debilis « qui oblige les États à donner priorité à la protection des droits des personnes les plus vulnérables de la société[110] ». Ce principe oblige les États à protéger de façon prioritaire les droits des personnes appartenant à des groupes défavorisés et en situation de vulnérabilité[111]. Le Canada avait donc une obligation encore plus grande envers les filles et les femmes autochtones, soit de les protéger prioritairement, puisqu’elles appartiennent à cette catégorie de personnes[112].
Également, le Comité a mentionné à propos de la discrimination intersectionnelle et de l’article 2 que « [l]e fait que les phénomènes de discrimination se recoupent est fondamental pour l’analyse de la portée des obligations générales que fixe l’article 2[113] ». C’est d’ailleurs principalement sur cette disposition que se fonde notre prochain argument.
L’article 2 de la CEDEF représente l’objectif central de cette dernière, soit l’obligation pour les États de prendre tous les moyens appropriés pour mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes[114]. Ainsi, l’article 2 demande aux États parties de condamner la discrimination à l’égard des femmes et de poursuivre par tous les moyens appropriés ; l’article 2 c) demande l’instauration d’une protection juridictionnelle des droits des femmes et d’une protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire ; et l’article 2 e) requiert des États parties qu’ils prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes. C’est notamment sur la base de ces articles que, selon nous, le Canada est soumis à une obligation de conduire une enquête. En effet, l’article 2 exige des États parties qu’ils enquêtent sur les actes de discrimination ou de violence, qu’ils poursuivent les auteurs de ces actes et qu’ils les punissent[115].
Inspiré par le droit international général, le Comité demande que les États parties agissent « avec la diligence voulue pour protéger les femmes contre la violence, enquêter sur les infractions commises, punir leur auteur, et dédommager les victimes[116] ». Notons que l’obligation de diligence n’est pas récente : elle date du xviie siècle et apparaît notamment au sein des travaux de Grotius et de Pufendorf[117]. Cependant, l’application de cette notion et son intégration au domaine des droits de la personne l’est davantage : « [a] growing body of international human rights reports and decisions from a range of adjudicatory entities form a body of authority confirming States’ due diligence obligation to respond to gender violence[118] ».
Bien que l’article 2 ne réfère pas expressément à la notion de « diligence », il comprend les principes et les obligations auxquels elle fait référence[119] : « the due diligence obligation calls on the State to take responsibility for preventing gender violence, prosecuting and punishing perpetrators, and protecting and providing redress for gender violence victims[120] ». Par ailleurs, l’obligation de diligence apparaît au sein de la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes[121], à l’article 4 c), ainsi que dans la recommandation générale no 19 du Comité qui spécifie que les États parties doivent agir « avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer[122] ». Le devoir d’enquête de l’État fait donc partie intégrante des obligations positives que doit prendre ce dernier afin d’enquêter sur les actes discriminatoires, de les prévenir et d’en punir les auteurs et d’offrir réparation aux victimes. Notre interprétation est d’ailleurs non seulement appuyée par la jurisprudence du Comité, mais aussi par la doctrine et par la jurisprudence de diverses cours régionales telles la CEDH et la CIADH[123].
Lorsque les experts sont venus enquêter en territoire canadien sur la situation des disparitions et des assassinats des filles et des femmes autochtones, ils ont conclu que le Canada avait violé ses obligations et que, en vertu des paragraphes 2 c) et 2 e) de la CEDEF, il n’avait pas agi avec la diligence requise : « [the States] fail to act with due diligence in combating gender-based violence, which entails a duty to prevent, investigate, prosecute and punish such acts of violence against women, and to provide for reparation[124] ».
L’inaction du Canada devant cette situation, qui perdure depuis bon nombre d’années, n’a donc pas permis d’empêcher que se reproduisent ces actes de discrimination et de violence. À ce propos, le CDH croit qu’il existe une obligation inhérente de prendre toutes les mesures afin de prévenir la répétition d’une violation garantie par l’instrument juridique en question[125]. Il incombe donc aux États parties de prévenir tout acte de discrimination à l’égard des femmes et de réagir promptement. Le Canada avait aussi l’obligation d’enquêter sur la situation de ces femmes dès le moment où il a été mis au courant[126]. En l’espèce, le Comité s’est basé sur les documents et les rapports du Canada. Il a donc pu constater que l’État canadien avait connaissance du haut niveau de violence à l’égard des filles et des femmes autochtones, soit de leur disparition ou de leur assassinat[127].
Nous avons démontré que, de par les facteurs aggravants et de par les impacts plus néfastes de la discrimination intersectionnelle ainsi que de par la vulnérabilité des filles et des femmes autochtones, les États ont une obligation plus importante d’agir afin de protéger ces personnes. Nous avons aussi fait valoir que le Comité a intégré le principe favor debilis dans sa doctrine. De surcroît, nous avons établi qu’une obligation d’enquête est incluse dans les articles 2 c) et 2 e) de la CEDEF et que, de ce fait, le Canada n’avait pas rempli ces obligations[128].
Conclusion
La question centrale de notre article était de savoir si le Canada avait l’obligation de donner suite à la recommandation du Comité de la CEDEF, soit celle de faire une enquête sur la situation des filles et des femmes autochtones disparues ou assassinées. Notre conclusion est positive à cet égard.
Tout d’abord, nous avons jugé nécessaire de présenter brièvement le contexte nous ayant mené au questionnement qui fait l’objet de notre étude. Par ailleurs, nous avons brièvement abordé l’approche intersectionnelle, qui démontre qu’il est essentiel de s’attacher au contexte social et historique dans l’analyse de situations potentiellement discriminatoires, de même que les droits protégés par la CEDEF et par son protocole.
Par la suite, nous avons démontré que, pour la doctrine classique, grandement inspirée par la théorie du droit positif, les recommandations formulées par un comité onusien ne sont pas dotées de normativité juridique puisqu’elles sont qualifiées comme non contraignantes et qu’elles ne sont pas suivies de sanctions. Sur ce point, nous avons déterminé que la théorie positiviste comportait certaines limites, principalement dans un contexte de droit international public. Nous avons également abordé le fait que le Comité est un organe spécialisé, doté de plusieurs fonctions s’apparentant à celles d’un tribunal. Nous croyons que ces caractéristiques et que cette fonction quasi judiciaire élèvent la valeur des recommandations et des observations qu’il formule à l’intention d’un État partie. Ce faisant, ces recommandations s’avèrent valides et nécessaires à la protection des droits protégés par la CEDEF.
Nous avons aussi mis de l’avant que la possibilité pour le Comité de formuler des recommandations et des observations est expressément prévue dans le Protocole et le Règlement intérieur. Cette tâche fait partie intégrante de la raison d’être du Comité : en particulier, assurer la surveillance et la mise en oeuvre de la CEDEF. Selon nous, le respect des recommandations et des observations du Comité permet d’atteindre le but et l’objet de la CEDEF et du Protocole. D’après le principe de la bonne foi, afin d’atteindre le but et l’objet d’un traité, un État ayant accepté d’être partie à une convention se doit d’appliquer lesdites recommandations.
Enfin, nous avons établi que l’obligation de faire une enquête se trouve aux paragraphes 2 c) et 2 e) de la CEDEF. En effet, ces articles imposent des obligations positives à la charge de l’État partie : chacun se doit d’agir avec la diligence voulue afin de prévenir la violation de droits, d’enquêter sur leur violation, de punir leurs auteurs et de réparer les dommages causés[129]. À ce propos, la jurisprudence de la CEDH et de la CIADH est venue corroborer notre position.
À notre avis, la demande d’enquête nationale[130] était non seulement nécessaire mais obligatoire. En outre, la mise sur pied d’une enquête ne signifie pas uniquement que le Canada entend se soumettre aux obligations de la CEDEF : cette position l’amène encore plus loin. En effet, cette enquête représente un moyen de prévenir que d’autres situations de ce genre surviennent et elle permet d’offrir aux victimes et à leur famille une certaine forme de réparation. Pour le Canada, c’est l’occasion de rendre justice à ces personnes et à leur famille ainsi que de favoriser une forme de réconciliation. À vrai dire, la tenue d’une enquête nationale devient un moyen de mettre en oeuvre la justice transitionnelle[131] :
[Cette forme de justice est] tournée vers l’avenir, tandis qu’elle examine les comportements du passé. Elle est un moyen d’aider une société à passer d’un état où les torts ne sont pas corrigés à un autre où les injustices du passé sont avouées et reconnues […] La justice transitionnelle se fonde sur le fait que la justice conventionnelle n’est pas conçue pour juger des crimes nombreux, commis sur une longue période de temps, par un grand nombre de personnes appartenant à des groupes sociaux et culturels différents[132].
Cependant, la CEDEF et le Protocole ne prévoient pas d’exigence concernant la portée de l’enquête tenue par le Canada ; la loi canadienne, non plus. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est en réalité une enquête publique établie en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes[133]. Celle-ci confère à la Commission de vérité et réconciliation le pouvoir de se pencher sur des enjeux de compétence fédérale, provinciale ou territoriale. Elle permet aux commissaires, en vertu des articles 4 et 5, de convoquer des témoins, de les contraindre à comparaître, de les obliger à témoigner et d’exiger la production de documents ou d’objets qu’ils jugent pertinents par rapport à leur enquête.
Lorsque l’enquête et les témoignages seront terminés, la Commission déposera un rapport à l’intention du gouvernement. Dans son rapport, elle adressera sans doute des recommandations au gouvernement canadien. Elle pourrait, par exemple, recommander la création ou la modification d’une loi, un changement de structure de gouvernance ou encore demander certaines formes de réparation ou la réouverture de dossiers en particulier. Pour savoir si le Canada respecte ses obligations internationales à l’égard des droits des femmes et des peuples autochtones, il sera alors important de suivre la mise en oeuvre de ces recommandations par le gouvernement canadien.
Enfin, au fil de nos recherches, nous avons constaté que la Convention contre les disparitions forcées, instrument juridique international le plus récent, prévoit des obligations claires pour les États parties de prendre des mesures appropriées afin d’enquêter sur des cas de disparitions[134]. Nous avons également mentionné que la CIADH avait rendu des jugements contre des États parties, fondés sur les droits protégés par la Convention américaine relative aux droits de l’homme[135], puisque ceux-ci n’avaient pas enquêté sur des cas de disparition et qu’ils n’avaient pas traduit les auteurs des crimes en justice. Le Canada n’est pas parti à ces conventions, ce qui donne lieu à un certain lot de spéculations quant à l’importance même qu’il accorde aux personnes disparues en sol canadien et au respect de leurs droits fondamentaux.
À ce propos, nous désirons rappeler que le respect des droits fondamentaux fondé sur le droit international coutumier[136] est en réalité une obligation erga omnes[137], soit une obligation collective s’imposant à tous. De ce fait, la responsabilité internationale d’un État peut être engagée dès lors qu’il n’agit pas eu égard à ses obligations conventionnelles. La coutume relative à la responsabilité étatique a été codifiée par la Commission du droit international au sein du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite[138]. L’article 2 de ce projet concerne les éléments du fait internationalement illicite de l’État. Il y est mentionné que la responsabilité internationale d’un État peut être engagée, et ce, même dans le cas d’une omission d’agir de la part de ce dernier[139]. C’est aussi l’avis de la CIADH dans l’Affaire des champs de coton[140], dans laquelle l’État a été reconnu responsable pour avoir failli à son devoir d’enquête lors du cas de la disparition et du meurtre d’une femme et de deux enfants.
Parties annexes
Remerciements
L’auteure tient à remercier Mes Laurence Bergeron (LL.M.) et Frédérique Sabourin (LL.D.) pour leurs commentaires.
Notes
-
[1]
Gendarmerie royale du Canada, « Les femmes autochtones disparues et assassinées : un aperçu opérationnel national », 2014, [En ligne], [www.publications.gc.ca/collections/collection_2014/grc-rcmp/PS64-115-2014-fra.pdf] (27 septembre 2016).
-
[2]
Amnistie internationale, « Femmes et filles autochtones disparues et assassinées : réponse largement inadéquate du gouvernement fédéral aux conclusions d’un rapport de l’ONU », 2015, [En ligne], [www.amnistie.ca/sinformer/communiques/local/2015/canada/femmes-filles-autochtones-disparues-assassinees-reponse] (27 septembre 2016).
-
[3]
Emmanuelle Walter, Soeurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada, Montréal, Lux Éditeur, 2014, p. 53.
-
[4]
Les personnes suivantes ont demandé au gouvernement alors au pouvoir la tenue d’une enquête (les positions politiques de l’époque ont été conservées) : le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, le premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard, Robert Ghiz, et les autres premiers ministres des provinces canadiennes qui ont soutenu le discours de M. Ghiz lors du Conseil de la fédération, l’organisme Amnistie internationale et l’Association des femmes autochtones du Canada ; Fannie Lafontaine et autres, « Meurtres et disparitions de femmes autochtones : une obligation d’enquêter issue (aussi) du droit international », Clinique de droit international pénal et humanitaire, [En ligne], [www.cdiph.ulaval.ca/en/blogue/meurtres-et-disparitions-de-femmes-autochtones-une-obligation-denqueter-issue-aussi-du-droit] (27 septembre 2016) ; Radio-Canada, « Femmes autochtones disparues ou assassinées : la problématique », 18 décembre 2014, [En ligne], [ici.radio-canada.ca/nouvelle/699003/femmes-autochtones-disparues] (27 septembre 2016) ; Radio-Canada, « Femmes autochtones disparues : Trudeau réclame une enquête nationale », 24 août 2014, [En ligne], [ici.radio-canada.ca/nouvelle/681522/justin-trudeau-stephen-harper-femmes-disparues] (6 février 2017) ; Bill Curry, « Premiers to Press Ottawa on Inquiry into Missing, Murdered Aboriginal Women », The Globe and Mail, 25 août 2014, [En ligne], [www.theglobeandmail.com/news/politics/premiers-set-to-press-ottawa-on-aboriginal-women-inquiry/article20187173/] (6 février 2017) ; Amnistie internationale, « Stopper la violence envers les femmes et les filles autochtones doit faire partie des enjeux majeurs des prochaines élections », 29 septembre 2014, [En ligne], [www.amnistie.ca/sinformer/communiques/local/2014/canada/stopper-violence-envers-femmes-filles-autochtones-doit-faire] (6 février 2017).
-
[5]
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 18 décembre 1979, (1981) 1249 R.T.N.U. 13 (ci-après « CEDEF »). Le Canada a signé la CEDEF le 17 juillet 1980 et l’a ratifiée le 10 décembre 1981.
-
[6]
Ce comité est constitué en vertu de l’article 17 (1) de la CEDEF.
-
[7]
Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Doc. CEDAW/C/CAN/CO/7, 7 novembre 2008 (ci-après « Observations du Comité du 7 novembre 2008 ») ; United Nations, Committee on the Elimination of Discrimination against Women, Report of the Inquiry concerning Canada of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women under Article 8 of the Optional Protocol to the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women, Doc. CEDAW/C/OP.8/CAN/1, 30 mars 2015 (ci-après « Rapport du Comité du 30 mars 2015 »).
-
[8]
Observations du Comité du 7 novembre 2008, préc., note 7, par. 32 ; Rapport du Comité du 30 mars 2015, préc., note 7, par. 10.
-
[9]
Id.
-
[10]
Dubravka Šimonovi´c, Rapport au Haut-commissariat des droits de l’homme, Nations Unies, Doc. AA/follow-up/42/CAN/48, 10 février 2011.
-
[11]
Marie Vastel, « C’est la crise au Canada, dit le rapporteur spécial de l’ONU », Le Devoir, 16 octobre 2013, [En ligne], [www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/390067/peuples-autochtones-c-est-la-crise-au-canada-dit-le-rapporteur-special-de-l-onu] (27 septembre 2016).
-
[12]
Convention internationale sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale, 7 mars 1966, (1969) 660 R.T.N.U. 195.
-
[13]
Rapport du Comité du 30 mars 2015, préc., note 7, par. 15.
-
[14]
Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 6 octobre 1999, 2131 R.T.N.U. 83 (ci-après « Protocole »). Le Canada a ratifié ce protocole le 18 octobre 2002.
-
[15]
Règlement intérieur du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, dans Recueil des règlements intérieurs adoptés par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme, Doc. HRI/GEN/3/Rev.2, 28 mai 2005, p. 93 (ci-après « Règlement intérieur »).
-
[16]
Le Comité, se fondant sur les observations éventuellement formulées par l’État partie intéressé, ainsi que sur tout autre renseignement crédible dont il dispose, peut charger un ou plusieurs de ses membres d’effectuer une enquête et de lui rendre compte sans tarder des résultats de celle-ci. Cette enquête peut, lorsque cela se justifie et avec l’accord de l’État partie, comporter des visites sur le territoire de cet État. Protocole, préc., note 14, art. 8 (2). Des procédures similaires sont également prévues au sein d’autres protocoles facultatifs, notamment ceux qui sont relatifs à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, (1987) 1465 R.T.N.U. 85, au Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, 16 décembre 1966, (1976) 993 R.T.N.U. 3 (ci-après « PIDESC »), à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, 13 décembre 2006, (2008) 2515 R.T.N.U. 3, et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20 décembre 2006, (2010) 2716 R.T.N.U. 3 (ci-après « Convention internationale contre les disparitions forcées »).
-
[17]
Rapport du Comité du 30 mars 2015, préc., note 7, p. 57.
-
[18]
Id., p. 58.
-
[19]
Précisons que notre article ne touche pas la question de l’effectivité du droit international ni celle de l’intégration du droit international en droit interne. Concernant l’intégration du droit international en droit canadien, le Canada a une approche dualiste. Cela signifie que les conventions internationales ne sont pas automatiquement intégrées à l’ordre juridique canadien. Afin qu’une règle internationale y soit incluse officiellement, cela doit être fait « par une loi ou par un décret […] pour y déployer des effets juridiques » : Jean-Maurice Arbour et Geneviève Parent, Droit international public, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 175.
-
[20]
Jane Bailey et Sara Shayan, « Missing and Murdered Indigenous Women Crisis : Technological Dimensions », (2016) 28 Can. J. Women & Law 321 ; Robyn Bourgeois, « Colonial Exploitation : The Canadian State and the Trafficking of Indigenous Women and Girls in Canada », (2015) 62 UCLA L. Rev. 1426 ; Jenna Walsh, « The National Inquiry into the Missing and Murdered Indigenous Women and Girls of Canada : A Probe in Peril », (2017) 8 Indigenous Law Bulletin 6 ; Elaine Craig, « Person(s) of Interest and Missing Women : Legal Abandonment in the Downtown Eastside », (2014) 60 McGill L.J. 1 ; Marcus A. Sibley, « Remembering Vancouver’s Disappeared Women : Settler Colonialism and the Difficulty of Inheritance by Amber Dean (review) », (2016) 31 Can. J.L. & Soc. 507 ; Josephine L. Savarese, « Challenging Colonial Norms and Attending to Presencing in Stories of Missing and Murdered Indigenous Women », (2017) 29 Can. J. Women & Law 157.
-
[21]
Gouvernement du Canada, Affaires autochtones et du Nord Canada, « Le gouvernement du Canada met sur pied une enquête sur la question des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées », Communiqué de presse, 8 décembre 2015, [En ligne], [www.canada.ca/fr/affaires-autochtones-nord/nouvelles/2015/12/le-gouvernement-du-canada-met-sur-pied-une-enquete-sur-la-question-des-femmes-et-des-filles-autochtones-disparues-et-assassinees.html] (28 octobre 2018).
-
[22]
Louise Lalonde et Stéphane Bernatchez (dir.), La norme juridique reformatée : perspectives québécoises des notions de force normative et de sources revisitées, Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke, 2016, p. 7.
-
[23]
Voici quelques ouvrages concernant ces théories en cours d’élaboration ou soumises à la réflexion : Isabelle Hachez et autres (dir.), Les sources du droit revisitées, Bruxelles, Université Saint-Louis, 2012, (4 volumes) ; Catherine Guelfucci-Thibierge, La force normative : naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J., 2009.
-
[24]
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, (1980) 1155 R.T.N.U. 331 (ci-après « CVDT »).
-
[25]
Mark Eugen Villiger, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, p. 432.
-
[26]
Ces instruments internationaux garantissent l’exercice des droits de la personne et l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes : Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale no 28 concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, Doc. CEDAW/C/GC/28, 16 décembre 2010, par. 1 (ci-après « Recommandation générale no 28 »). Voici les instruments en question : la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, [1945] R.T.Can. no 7 ; la Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. 217 A (III), Doc. off. A.G.N.U., 3e sess., suppl. no 13, p. 17, Doc. N.U. A/810 (1948) ; le PIDESC, préc., note 16 ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, (1976) 999 R.T.N.U. 171 (ci-après « PIDCP ») ; la Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, (1990) 1577 R.T.N.U. 3 ; la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, 18 décembre 1990, (2003) 2220 R.T.N.U. 3 ; et la Convention relative aux droits des personnes handicapées, préc., note 16.
-
[27]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 4 ; CEDEF, préc., note 5, art. 3.
-
[28]
Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale no 19, Violence à l’égard des femmes, Doc. HRI\GEN\1\Rev.1 (1994), par. 6 (ci-après « Recommandation générale no 19 »). L’article premier protège également : le droit à la vie ; le droit à ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; le droit à l’égalité de protection qu’assurent les normes humanitaires en temps de conflit armé, national ou international ; le droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; le droit à l’égalité de protection de la loi ; le droit à l’égalité dans la famille ; le droit au plus haut niveau possible de santé physique et mentale ; le droit à des conditions de travail justes et favorables (id., par. 7).
-
[29]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 6.
-
[30]
Id., par 41. L’opinion du Comité interdisant d’émettre une réserve à l’article 2 de la CEDEF est en conformité avec le droit des traités. En effet, selon la CVDT, préc., note 24, art. 19 c), une réserve ne peut pas être émise si elle est incompatible avec l’objet et le but du traité.
-
[31]
« Aucune réserve incompatible avec l’objet et le but de la présente Convention ne sera autorisée » : CEDEF, préc., note 5, art. 28 (2).
-
[32]
En sept alinéas, l’article 2 de la CEDEF demande aux États parties :
-
[33]
Protocole, préc., note 14, art. 2.
-
[34]
Id., art. 5.
-
[35]
Le droit à l’égalité, le droit à la non-discrimination et les cadres théoriques utilisés par les cours de justice, ou par tout autre organe chargé d’évaluer la présence de violation de ces droits, se sont adaptés et ont évolué à travers le temps pour prendre en considération le degré de complexité de certaines situations. Par exemple, la notion d’égalité réelle reconnaît qu’il est parfois nécessaire de traiter différemment certaines catégories ou des groupes de personnes afin de ne pas créer d’inégalités : Nicole Duplé, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 593 ; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 ; Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872. L’égalité réelle décrite par la Cour suprême du Canada est « la différence de traitement destinée à traiter de façon équitable des groupes défavorisés [et] représente une expression d’égalité, non une exception à celle-ci » : R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 37. À propos de l’évolution du cadre d’interprétation au Canada, la Cour suprême a affirmé que « la Cour ne doit donc pas s’arrêter à une comparaison formaliste de groupes particuliers. Elle cherchera plutôt à tenir compte de facteurs contextuels pertinents ». Dans cette décision, « la Cour assouplit la méthode d’utilisation de la perspective comparative, en insistant sur la recherche d’une évaluation de l’impact du régime contesté sur l’égalité réelle. Ce faisant, elle s’éloigne d’une approche analytique comparative rigide et basée sur l’identification de groupes de comparaison qu’avaient adoptée certains de ses arrêts » : Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 168 et 169.
-
[36]
Recommandations générales nos 25 à 30. La terminologie pour la notion d’intersectionnalité peut varier.
-
[37]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 18.
-
[38]
Catherine Flynn, Femmes autochtones en milieu urbain et violence conjugale : étude exploratoire sur l’expérience et les besoins en matière d’aide psychosociale selon des hommes et des femmes autochtones concernés par cette problématique, mémoire de maîtrise, Québec, École de service social, Université Laval, 2010, p. 30.
-
[39]
Id., p. 27.
-
[40]
Sirma Bilge et Olivier Roy, « La discrimination intersectionnelle : la naissance et le développement d’un concept et les paradoxes de sa mise en application en droit antidiscriminatoire », (2010) 25 Can. J.L. & Soc. 51 ; Bernard Duhaime et Josée-Anne Riverin, « Double Discrimination and Equality Rights of Indigenous Women in Quebec », (2011) 65 U. Miami L.R. 903 ; J. Bailey et S. Shayan, préc., note 20, 326.
-
[41]
Plus récemment, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale a pris en considération la vulnérabilité des femmes et a inclus dans la définition des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre les dangers spécifiques qui touchent les femmes. Par exemple, l’article 7 g) définit ce que comprennent les crimes contre l’humanité : en font partie le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable. Ce développement renforce ainsi l’idée que « the obligation of justice and rights for women goes beyond national and cultural boundaries » : Yakin Ertürk, « The Due Diligence Standard : What Does it Entail for Women’s Rights ? », dans Carin Benninger-Budel (dir.), Due Dilligence and its Application to Protect Women from Violence, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, p. 27, à la page 31.
-
[42]
Cette section ne se veut pas le cadre théorique de notre article, mais bien la présentation d’un argumentaire au soutien de nos propos.
-
[43]
« Toute doctrine de droit international public, comme celle d’une quelconque discipline juridique, suppose une théorie générale du droit. Le plus souvent, celle-ci est implicite compte tenu de la concentration de la pensée de l’auteur sur la matière de sa spécialisation » : Antonio Truyol y Serra, « Verdross et la théorie du droit », (1994) 5 E.J.I.L. 55, 55.
-
[44]
Oscar Schachter, « Towards a Theory of International Obligation », (1967-1968) 8 Virginia J. Int’l L. 300, 301, a listé 12 critères de réponse proposés au fil du temps par les théoriciens, les universitaires et les philosophes du droit : « the consent of states, the customary practice, a sense of rightness – the juridical conscience, the natural law or natural reason, the social necessity, the will of the international community (the consensus of the international community), the direct or stigmatic intuition, the common purposes of the participants, the effectiveness, the sanctions, the systemic goals, the shared expectations as to authority and the rules of recognition ».
-
[45]
J.-M. Arbour et G. Parent, préc., note 19, p. 44.
-
[46]
La théorie du droit positif « reste encore largement dominante dans les Facultés de droit ainsi qu’à la base de l’imaginaire des praticiens » : L. Lalonde et S. Bernatchez, préc., note 22, p. 6.
-
[47]
Id., p. 7.
-
[48]
Guy Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques », (1988) 29 C. de D. 91, 94.
-
[49]
Paul Amselek, « Autopsie de la contrainte associée aux normes juridiques », dans C. Guelfucci-Thibierge, préc., note 23, p. 3, à la page 5.
-
[50]
Jean-Yves Cherot, « Paul Amselek et la normativité en droit », R.R.J. 2014.1997, 2005.
-
[51]
J.-M. Arbour et G. Parent, préc., note 19, p. 33.
-
[52]
Michel Virally, « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », Annuaire français de droit international 1956.66, 69.
-
[53]
Id., 73.
-
[54]
Julien Dellaux, « Contribution pour une (re)définition du concept de normativité en droit international. Questionnements autour d’instruments de soft law : les décisions des conférences des parties », (2016) 29 Revue québécoise de droit international 135, 140.
-
[55]
M. Virally, préc., note 52, 66.
-
[56]
Frédérique Sabourin et Pierre Mérette, « Le mécanisme de plaintes individuelles au Comité des droits de l’homme de l’ONU », dans Conférence des juristes de l’État 2009, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 501, à la page 521.
-
[57]
Id.
-
[58]
C. Guelfucci-Thibierge, préc., note 23, p. 818.
-
[59]
J. Dellaux, préc., note 54, 135 : « Si la sanction apparaît centrale dans la conception classique du droit, elle apparaît inadaptée au contexte […] de droit international. »
-
[60]
G. Rocher, préc., note 48 ; C. Guelfucci-Thibierge, préc., note 23 ; J. Dellaux, préc., note 54 ; P. Amselek, préc., note 49 ; L. Lalonde et S. Bernatchez (dir.), préc., note 22.
-
[61]
Mirecea Djuvara, « Le fondement de l’ordre juridique positif en droit international », (1938) 64 R.C.A.D.I. 479, 551.
-
[62]
David Robitaille, Normativité, interprétation et justification des droits économiques et sociaux : les cas québécois et sud-africain, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 56.
-
[63]
Id., p. 55.
-
[64]
Id. ; « à défaut de contrainte positive, le droit a organisé des garanties préventives, qui tendent à en assurer l’exécution : c’est par exemple le mécanisme de l’équilibre des pouvoirs en droit constitutionnel, les sanctions économiques ou les représailles en droit international public » (id., p. 57).
-
[65]
Ago Roberto, « Droit positif et droit international », Annuaire français de droit international 1957.14, 17. A contrario, Pufendorf, lui aussi théoricien du positivisme juridique, voit uniquement comme fait volontaire capable de créer du droit positif la formulation d’une règle par un législateur supérieur et non l’accord entre divers États (id., p. 18).
-
[66]
Les principes généraux du droit comportent plusieurs définitions ou, du moins, de nombreux sens. Nous avons retenu la définition suivante donnée par Dominique Carreau, Droit international, 11e éd., Paris, A. Pedone, 2012, p. 326 : « il faut entendre l’ensemble des principes communs aux grands systèmes de droit contemporains et applicables à l’ordre international. Il s’agit de la conception des principes généraux du droit qui est la plus communément acceptée ».
-
[67]
A. Roberto, préc., note 65, 41.
-
[68]
Statut de la Cour internationale de Justice, 24 octobre 1945, [1945] R.T. Can. no 7.
-
[69]
A. Roberto, préc., note 65, 41.
-
[70]
Gérard Cohen-Jonathan, « Quelques observations sur le Comité des droits de l’homme des Nations Unies », dans Humanité et droit international. Mélanges René-Jean Dupuy, Paris, A. Pedone, 1991, p. 83, à la page 88.
-
[71]
Charles Rousseau, Droit international public, t. 1, Paris, Édition Sirey, 1970, p. 37.
-
[72]
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226, par. 70.
-
[73]
Diane Roman, La Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, Paris, A. Pedone, 2014 ; Sabine Bouet-Devrière, « La protection universelle des droits de la femme : vers une efficacité accrue du droit positif international ? (Analyse prospective des dispositions du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) », R.T.D.H. 2000.453 ; Mulry Mondélice, « La coordination des mécanismes onusiens de surveillance des droits de la personne à l’ère du processus de Dublin : avancées et défis de la mise en oeuvre de la réforme à l’échelle nationale », (2013) 26 Revue québécoise de droit international 83 ; Peter-Tobias Stoll, Human Rights, Treaty Bodies, Oxford, Oxford University Press, 2008 ; Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, « Procédures d’examen des requêtes soumises par des particuliers en vertu des instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme », fiche d’information no 7, rev. 2, 2013 ; Michèle Dubrocard, « Vers un pouvoir quasi juridictionnel du Comité CEDAW : le protocole facultatif », Diplômées, no 201, 2002, p. 58.
-
[74]
Afin de valider nos propos, nous avons notamment consulté Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001. Nous avons aussi utilisé les bases de données suivantes : Oxford Public International Law ; Law Journal Library (HeinOnline) ; Kluwer Law Online ; Max Planck Encyclopedia of Public International Law. Le contenu le plus indicatif a été celui de Kirsten Schmalenbach, « International Organizations or Institutions, Legal Remedies against Acts of Organs », Max Planck Encyclopedia of Public International Law, septembre 2017, par. 3 :
Then again, non-judicial but nevertheless authoritative international bodies may have the jurisdiction to settle disputes involving international organizations, eg, by adjudging redress (quasi-judicial remedies, eg, arbitration). Most frequently, international (quasi-) judicial bodies are established as integral parts of an international organization’s institutional framework, be they main or subsidiary organs (eg, the International Court of Justice [ICJ] and the UN Dispute Tribunal) or treaty organs (eg, the European Court of Human Rights [ECtHR]).
-
[75]
Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, s.v. « Pouvoir quasi judiciaire ».
-
[76]
Id., s.v. « Acte quasi judiciaire ».
-
[77]
Gérald A. Beaudoin et Pierre Thibault, Les droits et libertés au Canada, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000 ; Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407.
-
[78]
Patrice Garant, Précis de droit des administrations publiques, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 279 ; Patrice Garant, Droit administratif, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 713.
-
[79]
Jean Mercier, L’administration publique. De l’école classique au nouveau management public, 5e éd., Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 260 : « Ces organismes qu’on appelle de façon générique des tribunaux quasi judiciaires ont été créés essentiellement pour deux raisons. D’abord, comme ils ont des tâches spécifiques et spécialisées […]. [O]n leur accorde une certaine neutralité politique, en leur garantissant une indépendance ».
-
[80]
CEDEF, préc., note 5, art. 17 (1).
-
[81]
D. Roman, préc., note 73, p. 32.
-
[82]
Selon la CIJ, un différend s’entend comme « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » : Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume-Uni), C.P.J.I. Recueil (série A), no 2, p. 11, par. 54 (30 août 1924) ; Affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90, par. 21 et 22 ; Affaire relative à certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2005, p. 6, par. 24 et 25.
-
[83]
Yann Kerbrat, « Aspects de droit international général dans la pratique des comités établis au sein des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme 2008-2009 », Annuaire français de droit international 2009.559, 561.
-
[84]
Id.
-
[85]
Id., 563.
-
[86]
D. Roman, préc., note 73, p. 75 : « Ce rapprochement est renforcé par la présence d’une motivation détaillée de ses décisions et d’opinions séparées jointes à celles de la majorité des membres du Comité dans certaines affaires […] il ressort en effet que celles-ci se rapprochent à plusieurs égards du cadre judiciaire ».
-
[87]
Y. Kerbrat, préc., note 83, 562.
-
[88]
D. Roman, préc., note 73, p. 34.
-
[89]
Au stade de l’indication de mesures conservatoires, le Comité n’a pas à statuer sur la recevabilité de la demande sur le fond. Voir l’affaire Guadalupe Herrera Rivera c. Canada, CEDAW/C/50/D/26/2010, 30 novembre 2011, dans laquelle le Comité avait demandé au Canada de prendre des mesures conservatoires. Plus tard, lors de l’examen de la demande sur le fond, celle-ci a été déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole, compte tenu du fait que tous les recours internes n’avaient pas encore été épuisés ; lors des premiers avis rendus par le Comité, ce dernier n’a pas hésité à demander à l’État en question de prendre des mesures immédiates et efficaces afin d’empêcher qu’un préjudice ne survienne. Voir aussi l’affaire A.T. c. Hongrie, CEDAW/C/36/D/2/2003, 26 janvier 2005, par. 9.3.
-
[90]
D. Roman, préc., note 73, p. 72 ; la CIJ a retenu les mêmes critères lors de demandes en indication de mesures conservatoires. Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), C.I.J. recueil 2015, p. 665 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), C.I.J. recueil 2014, Ordonnance du 3 mars 2014, p. 147 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), C.I.J. Recueil 2012, p. 422 ; Affaire relative à des usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), C.I.J. Recueil 2010, p. 14. D’ailleurs, telle la question qui fait l’objet du présent article, le caractère obligatoire des mesures conservatoires s’est déjà posé. À ce propos, la CEDH a précisé qu’un État ayant accepté les recours individuels s’engage à ne pas entraver, par aucune mesure, l’exercice efficace de ce droit : Soering c. Royaume-Uni, CEDH no 14038/88, 7 juillet 1989 ; G. Cohen-Jonathan, préc., note 70, p. 91. Dans une autre affaire, la Commission européenne est allée plus loin à propos du non-respect des mesures conservatoires ; « celle-ci a pour la première fois invoqué que dans certaines circonstances, l’inobservation des mesures provisoires qu’elle avait sollicitées constituait une violation de la Convention » (en parlant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, S.T.E. no 5).
-
[91]
D. Roman, préc., note 73, p. 76.
-
[92]
CVDT, préc., note 24, art. 26.
-
[93]
M.E. Villiger, préc., note 25, p. 363.
-
[94]
Nations Unies, Comité des droits de l’homme, « Observation générale no 33. Les obligations des États parties en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques », Doc. CCPR/C/GC/33, 25 juin 2009, par. 15 (ci-après « Observation générale du CDH no 33 »).
-
[95]
Id.
-
[96]
Protocole, préc., note 14, art. 7.3 ; Règlement intérieur, préc., note 15, art. 72.
-
[97 ]
Denzil Roberts c. Barbade, CCPR/C/51/D/504/1992, 1994, par. 6.3.
-
[98 ]
Y. Kerbrat, préc., note 83, 562 ; « Les constatations du Comité au titre du Protocole facultatif constituent une décision qui fait autorité, rendue par l’organe institué en vertu du Pacte lui-même et chargé d’interpréter cet instrument. Ces constatations tiennent leur caractère, et l’importance qui s’y attache, du fait que le rôle conféré au Comité en vertu du Pacte et du Protocole forme un tout » : Observation générale du CDH no 33, préc., note 94, par. 13.
-
[99 ]
Affaire relative au projet Gabcˇikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), C.I.J. Recueil 1997, p. 7.
-
[100]
Id., par. 142.
-
[101]
CVDT, préc., note 24, art. 31 (1) et (2).
-
[102]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 6.
-
[103]
Marie Caron, « Les travaux du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes », (1985) 2 Revue québécoise de droit international 295.
-
[104]
Le site officiel du Gouvernement du Canada mentionne d’ailleurs que ce dernier « s’engage à respecter et à garantir les droits de la personne de tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence législative, sans discrimination d’aucune sorte » : Gouvernement du Canada, « À propos du Canada et le système des droits de la personne des Nations Unies », [En ligne], [www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/systeme-canada-nations-unies/a-propos.html] (31 janvier 2017).
-
[105]
CVDT, préc., note 24, art. 26.
-
[106]
C. Flynn, préc., note 38, p. 30 ; D. Roman, préc., note 73, p. 163 et 166.
-
[107]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 18 : « Les États parties doivent prévoir légalement ces formes superposées de discrimination et l’effet cumulé de leurs conséquences négatives pour les intéressés, et ils doivent les interdire. »
-
[108]
Pensons, par exemple, à la mise en place de mesures temporaires spéciales en faveur des groupes défavorisés et en situation de vulnérabilité : CEDEF, préc., note 5, art. 4.
-
[109]
Rapport du Comité du 30 mars 2015, préc., note 7, par. 200.
-
[110]
D. Roman, préc., note 73, p. 165 ; Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, « Recommandation générale no 25 concernant le premier paragraphe de l’article 4 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, portant sur les mesures temporaires spéciales ».
-
[111]
D. Roman, préc., note 73, p. 165 ; Juliette Roux, « L’égalité entre (toutes) les femmes et les hommes. Les mutations du droit vers la protection contre les discriminations multiples et intersectionnelles », (2015) 7 La Revue des Droits de l’Homme 1, 13.
-
[112]
La théorie et la jurisprudence en matière des droits de la personne définissent « la notion de sujet ou de groupe “vulnérable” comme celui qui risque d’être potentiellement plus affecté par les violations des droits et de la discrimination » : D. Roman, préc., note 73, p. 163.
-
[113]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 18.
-
[114]
Anne-Marie Lévesque, « Jus cogens et non-discrimination : pourquoi la discrimination à l’égard des femmes n’est-elle pas interdite par une norme impérative du droit international ? », (2014) 48 R.J.T.U.M. 453, 471 ; Recommandation générale no 28, préc., note 26.
-
[115]
Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 19.
-
[116]
Dubravka Šimonovi´c, « Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes », United Nations Audiovisual Library of International Law, [En ligne], [legal.un.org/avl/pdf/ha/cedaw/cedaw_f.pdf] (22 novembre 2018) ; pour de plus amples informations concernant les standards de la diligence appliqués dans le contexte des femmes, voir : Y. Ertürk, préc., note 41, p. 27-46 ; Recommandation générale no 19, préc., note 28, par. 29 ; Recommandation générale no 28, préc., note 26, par. 13 et 19.
-
[117]
Joanna Bourke-Martignoni, « The History and Development of the Due Dilligence Standard in International Law and its Role in the Protection of Women against Violence », dans C. Benninger-Budel (dir.), préc., note 41, p. 47, à la page 48.
-
[118]
Julie Goldsheid et Debra J. Liebowitz, « Due Diligence and Gender Violence : Parsing its Power and its Perils », (2015) 48 Cornell Int’l L.J. 301, 317.
-
[119]
Frédéric Sudre, « Droits de l’homme », Répertoire de droit international, Paris, Dalloz, février 2004, par. 77 ; Velásquez Rodríguez c. Honduras, CIADH, Série C, no 4, 29 juillet 1988.
-
[120]
J. Goldsheid et D.J. Liebowitz, préc., note 118, 301 (l’italique est de nous).
-
[121]
Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Rés. AG 48/104 (1993).
-
[122]
Recommandation générale no 19, préc., note 28, par. 9.
-
[123]
Velásquez Rodríguez c. Honduras, préc., note 119 ; González et al. (“Cotton Field”) c. Mexico, objection préliminaire, CIADH, Série C, no 225, 16 novembre 2009 (ci-après « Affaire des champs de coton ») ; Opuz c. Turquie, CEDH no 33401/02, 9 juin 2009, par. 152 et 171 ; Yildirim c. Autriche, CEDAW/C/39/D/6/2005, 2007 ; Goekce c. Autriche, CEDAW/C/39/D/5/2005, 2007 ; Gaëlle Breton-Le Goff, « Droit international des femmes », (2008) 21 Revue québécoise de droit international 393, 394-396 ; Recommandation générale no 19, préc., note 28, par. 9 ; J. Goldsheid et D.J. Liebowitz, préc., note 118, 313, 318 et 332 ; Y. Ertürk, préc., note 41.
-
[124]
Rapport du Comité du 30 mars 2015, préc., note 7, par. 196 (l’italique est de nous).
-
[125]
Nations Unies, Comité des droits de l’homme, Observation générale no 31. La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 26 mai 2004.
-
[126]
J. Goldsheid et D.J. Liebowitz, préc., note 118, p. 328 : « it is sufficient for an applicant to show that the authorities did not do all that could be reasonably expected of them to avoid a real and immediate risk to life of which they have or ought to have knowledge ».
-
[127]
Rapport du Comité du 30 mars 2015, préc., note 7, par. 208 : « the existence of patterns in structural inequalities faced by aboriginal women, notably in education, housing, health and employment, the challenges for aboriginal women in accessing justice, and shortcomings of the justice system ».
-
[128]
Précisons également que le droit international général prescrit que, lorsqu’un État viole une obligation internationale, celui-ci doit réparation aux victimes. Cette règle a été consacrée dès 1928 par la Cour permanente de justice internationale dans l’Affaire relative à l’usine de Chorzow, C.P.J.I. Recueil (série A), no 17, p. 5 (13 septembre 1928).
-
[129]
Recommandation générale no 19, préc., note 28, par. 9.
-
[130]
Cette demande a été formulée par le Comité de la CEDEF à plusieurs reprises, notamment au sein de son rapport du 30 mars 2015, préc., note 7, par. 10, et par d’autres instances. Pour consulter ces dernières, voir supra, note 4.
-
[131]
Par le passé, le Canada a soutenu la justice transitionnelle sur la scène internationale. Par exemple, il a joué un rôle important dans la création de la Cour pénale internationale et continue d’être actif en militant pour la ratification de son statut par les États de la communauté internationale. Gouvernement du Canada, « Le Canada et la Cour pénale internationale », [En ligne], [www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/icc-cpi/index.aspx?lang=fra] (20 février 2017).
-
[132]
Julian Walker, « La Commission de vérité et de réconciliation relative aux pensionnats indiens », Bibliothèque du Parlement, 2009, p. 3, [En ligne], [www.publications.gc.ca/collections/collection_2010/bdp-lop/prb/prb0848-fra.pdf] (27 septembre 2016).
-
[133]
Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, c. I-11.
-
[134]
Lors des discussions ayant eu lieu au moment de l’élaboration de cette convention, son champ d’application a été élargi afin qu’elle s’applique également à des personnes ou à des groupes de personnes qui ne sont pas directement liés avec l’État. En effet, « [t]out État partie prend les mesures appropriées pour enquêter sur les agissements […] qui sont l’oeuvre de personnes ou de groupes de personnes agissant sans l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, et pour traduire les responsables en justice » : Convention internationale contre les disparitions forcées, préc., note 16, art. 3.
-
[135]
Convention américaine relative aux droits de l’homme, Doc. OEA/Ser.L/V/1.4 Rev.13, 1969 ; en outre, dans une autre affaire, la CIADH a reconnu pour la première fois que les circonstances entourant la disparition pouvaient engendrer de la souffrance et de l’angoisse, en plus du sentiment d’insécurité, de frustration et d’impuissance créé par le fait que, dans ce cas particulier, les pouvoirs publics n’avaient pas conduit d’enquête, ce qui justifiait que les membres de la famille soient considérés comme des victimes de traitements inhumains : Blake c. Guatemala, CIADH, Série C, no 36, 24 janvier 1998 ; à propos des disparitions forcées, voir Olivier De Frouville, « Normes et recours internationaux en matière de disparitions forcées », Colloque : Pouvoirs publics et disparitions forcées en Méditerranée, Barcelone, 20 avril 2002.
-
[136]
Nous sommes consciente que le caractère coutumier des droits fondamentaux n’est pas exempt de controverse. En effet, certains affirment que le contenu entier de la Déclaration universelle des droits de l’homme, préc., note 26, a un caractère coutumier, tandis que d’autres soutiennent qu’il est uniquement question de certains droits compris dans cette déclaration. De plus, le CDH a affirmé le caractère coutumier de certains droits contenus au PIDCP :
[Il s’agit des interdictions de] pratiquer l’esclavage ou la torture, de soumettre des personnes à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, de les priver arbitrairement de la vie, de les arrêter et de les détenir arbitrairement, de dénier le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, de présumer une personne coupable tant que son innocence n’a pas été établie, d’exécuter des femmes enceintes ou des enfants, d’autoriser l’incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse, de dénier à des personnes nubiles le droit de se marier, ou de dénier aux minorités le droit d’avoir leur propre vie culturelle, de professer leur propre religion ou d’employer leur propre langue.
Claire La Hovary, Les droits fondamentaux au travail. Origines, statut et impact en droit international, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 148 et 149 ; Nations Unies, Haut-Commissariat des droits de l’homme, « Le droit international relatif aux droits de l’homme », [En ligne], [www.ohchr.org/fr/professionalinterest/Pages/InternationalLaw.aspx] (31 janvier 2017).
-
[137]
Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), C.I.J. Recueil 1964, p. 6, par. 33 ; G. Cohen-Jonathan, préc., note 70, p. 108.
-
[138]
Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Doc. N.U. A/56/10 (2001).
-
[139]
Commission du droit international, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs », dans Annuaire de la Commission du droit international 2001, vol. 2, Doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1, p. 72.
-
[140]
Affaire des champs de coton, préc., note 123.