Résumés
Résumé
La variabilité hydrologique impose les contraintes les plus importantes relativement à la gestion des ressources hydriques. Elle suppose que le volume d’eau disponible en un lieu donné varie constamment, souvent de façon imprévisible, ce qui oblige à composer avec des incertitudes importantes. Le réchauffement planétaire augmente les variations climatiques, de même que les évènements météorologiques extrêmes, ce qui multiplie les incertitudes liées aux projections hydrologiques. Les caractéristiques de la variabilité hydrologique induisent une problématique particulièrement aiguë pour le droit qui constitue un ensemble de règles générales capables de guider et d’encadrer de façon prévisible, stable et sécuritaire la conduite des personnes. Cet article étudie la façon dont le droit gère les conflits d’usages de l’eau qui se manifestent dans un contexte de fluctuations des régimes hydriques. L’exercice permet de mettre en évidence certaines contraintes inhérentes que le droit impose à la gestion des ressources hydriques et à l’adaptation aux changements climatiques.
Abstract
Hydrological variability has a predominant influence on water resource management, since the volume of water available at a given place varies constantly, and often unpredictably, creating significant uncertainty. Global warming changes weather patterns, increases extreme weather events and compounds the uncertainty of hydrological forecasts. The characteristics of hydrological variability generate particularly acute problems for the law, which provides a set of predictable and stable rules guiding human conduct. This article looks at how the law manages the conflicts over water use that arise with hydrological variability. This makes it possible to identify certain inherent constraints that the law imposes on water resource management and the adaptation to climate change.
Resumen
La variabilidad hidrológica impone limitaciones significativas en la gestión de los recursos hídricos. Esto implica que el volumen de agua disponible en un lugar determinado varía de manera constante, y con frecuencia de manera imprevisible, lo cual obliga a enfrentarse con dilemas importantes. El calentamiento global ha aumentado las variaciones climáticas, al igual que las condiciones meteorológicas extremas, y ha multiplicado las incertidumbres vinculadas con las proyecciones hidrológicas. Las características de la variabilidad hidrológica provocan una problemática, particularmente para el derecho que está constituido por un conjunto de reglas generales e idóneas para guiar y enmarcar la conducta de las personas de manera previsible, estable y segura. Este artículo estudia de qué manera el derecho resuelve los conflictos relacionados con el uso del agua, que se manifiestan en un contexto de fluctuaciones de los regímenes hídricos. El análisis permite identificar algunas obligaciones inherentes que el derecho le impone a la gestión de los recursos hídricos, así como a la adaptación a los cambios climáticos.
Corps de l’article
La variabilité hydrologique reflète des évènements météorologiques habituels ou plus rares. Elle se réfère à des changements dans le régime hydrique de jour en jour ou de saison en saison, de même qu’à des fluctuations interannuelles ou décennales[1]. Pour les petits cours d’eau, des variations importantes peuvent même survenir en quelques heures. Parmi les variations typiques du régime hydrique québécois se trouvent les inondations et les périodes de sécheresse.
Par exemple, les inondations peuvent être causées par la crue des eaux conséquente à la fonte de la neige ou à des pluies intenses, par des embâcles de glace ou de divers débris ou encore par la rupture d’un ouvrage de retenue d’eau comme un barrage. Les répercussions des inondations incluent les dommages aux biens meubles et immeubles, la perte de valeur foncière, la diminution des recettes fiscales, les coûts liés à la gestion de crise et les conséquences psychosociales.
À l’opposé, les sécheresses sont causées par des conditions météorologiques arides suffisamment prolongées pour entraîner une diminution marquée du débit des cours d’eau. Les sécheresses provoquent alors des incendies de forêt, des baisses de rendement des cultures, des contraintes pour la production hydroélectrique et la navigation, des difficultés d’approvisionnement en eau potable, de même que la dégradation de la capacité de dilution des eaux de surface dans lesquelles sont déchargés des effluents.
Quelques notions revêtent une importance particulièrement significative à titre d’indicateurs capables de décrire ou d’exprimer la variabilité hydrologique[2]. Premièrement, la mesure des précipitations fait référence à des statistiques relatives à leur intensité et à leur fréquence[3]. L’intensité indique la quantité de pluie tombée pendant une période de temps donnée, tandis que la fréquence marque le laps de temps entre deux pluies similaires[4]. Les données pluviométriques reposant sur ces indicateurs sont synthétisées dans des « courbes intensité-durée-fréquence ». Deuxièmement, la notion d’étiage se rapporte aux débits durant des périodes de sécheresse, soit quand le ruissellement est faible et que seul l’écoulement souterrain alimente les eaux de surface. Les étiages sont fréquemment désignés par les variables Q2,7 et Q5,30[5]. La variable Q2,7 correspond aux débits les plus faibles sur 7 jours consécutifs qui surviennent en moyenne tous les 2 ans. Quant à la variable Q5,30, elle signale les débits les plus faibles pendant 30 jours consécutifs qui surviennent en moyenne tous les 5 ans. Troisièmement, les crues sont exprimées par des variables telles que Q2, Q20 ou Q100[6]. Ces variations font référence au débit journalier le plus élevé pendant une année qui survient en moyenne respectivement tous les 2 ans, 20 ans ou 100 ans. Quatrièmement, les cotes d’inondation de 20 ans ou de 100 ans sont établies en fonction des débits de crue correspondants[7]. Elles permettent de déterminer les limites des plaines d’inondation par référence à la fréquence à laquelle l’eau monte à un niveau donné dans une étendue de terre occupée par un cours d’eau qui a débordé hors de son lit. Toutefois, ces cotes ne tiennent pas compte des inondations causées par des embâcles de glace. Finalement, la récurrence d’un évènement, ou période de retour, permet d’établir sa fréquence[8]. Qu’il s’agisse d’un étiage, d’une crue ou d’une inondation, une récurrence de 2 ans signifie des évènements hydrologiques qui ont, par définition, une chance sur deux de se produire chaque année. De même, une récurrence de 20 ans correspond à un taux de risque de 5 p. 100 sur une base annuelle, tandis qu’une récurrence de 100 ans correspond à 1 p. 100 sur une base annuelle, c’est-à-dire une probabilité de non-dépassement de 99 p. 100. Le Centre d’expertise hydrique du Québec explique la signification de ces statistiques de la manière suivante :
Un évènement qui présente une récurrence de 20 ans ou de 100 ans demeure rare, bien qu’il soit prédictible statistiquement. On sait que l’événement va se produire tôt ou tard, mais on ignore quand exactement. L’événement peut aussi se reproduire après un court intervalle et il peut ensuite s’écouler une longue période de temps avant qu’il se reproduise. Par exemple, un événement de récurrence de 20 ans peut très bien survenir 2 ou 3 fois sur une période de 5 ou 10 ans, puis ne plus se reproduire pendant plusieurs dizaines d’années. La probabilité statistique ne se vérifie vraiment que sur un très grand nombre d’années[9].
La variabilité hydrologique ainsi décrite impose des contraintes importantes relativement à la gestion des ressources hydriques[10]. Elle implique que le volume d’eau disponible en un lieu donné varie constamment. Elle rend aussi l’évaluation de la disponibilité des volumes d’eau particulièrement difficile à prévoir[11]. De plus, le réchauffement planétaire augmente la variabilité climatique et multiplie les incertitudes liées aux prévisions et aux projections hydrologiques[12].
Or, les divers usages de l’eau sont particulièrement sensibles aux contraintes rattachées à la variabilité. Les prélèvements requièrent généralement une alimentation constante, un apport aussi régulier que possible ou une source fiable sur une base saisonnière. Les autorités publiques construisent des ouvrages ou adoptent des plans et des mesures préventives afin d’empêcher les précipitations ou les crues exceptionnelles de toucher l’environnement bâti. Ainsi, la variabilité hydrologique constitue un des principaux défis pour les gestionnaires et les usagers de l’eau[13].
Dans le domaine juridique, la variabilité hydrologique entraîne des contraintes qui sont au coeur des défis posés par la gestion de l’eau. L’impossibilité de prédire avec précision les variations hydriques génère une incertitude qui induit une problématique particulièrement aiguë pour le droit. En effet, celui-ci constitue un ensemble de règles générales capables de guider et d’encadrer de façon prévisible la conduite des personnes. Sa fonction repose avant tout sur la certitude, la sécurité et la rigidité qu’il confère aux interactions sociales entre les personnes et les choses[14]. Par exemple, les droits d’usage de l’eau doivent autoriser le prélèvement d’un volume assez clairement défini et prévisible sur une période suffisante pour justifier que leurs titulaires investissent les ressources et effectuent les ouvrages qu’ils envisagent[15]. Autrement dit, la résistance au changement est une caractéristique intrinsèque du droit[16].
L’opposition entre l’incertitude liée à la variabilité hydrologique et la prévisibilité nécessaire au fonctionnement du droit ne doit pas être exagérée. Le droit agit d’emblée comme un mécanisme qui vise à répartir entre utilisateurs de la ressource le risque généré par les fluctuations des volumes d’eau[17]. De plus, le droit évolue et s’adapte aux circonstances changeantes à un rythme dicté en partie par des processus qui lui sont propres. Néanmoins, le droit n’est pas en mesure de s’adapter à la variabilité hydrologique au-delà d’un certain seuil. S’il tentait de se conformer aux variations les plus extrêmes et imprévisibles des régimes hydriques, le droit deviendrait flexible au point d’en perdre son utilité. À l’instar de l’incapacité des sciences naturelles à dissiper les incertitudes relatives aux variations hydrologiques, les contraintes qui limitent la flexibilité du droit restreignent l’éventail des modes de gestion applicables à l’égard des ressources en eau.
La mise en évidence des mécanismes juridiques qui s’appliquent aux variations hydrologiques permet de déterminer les contraintes façonnant la gestion des ressources hydriques. Parmi les très nombreuses dispositions applicables à la gestion de l’eau, la variabilité hydrologique confère une importance toute particulière au cadre juridique qui régit les conflits d’usages de la ressource pour plusieurs raisons. Premièrement, la variabilité hydrologique influe sur les volumes d’eau disponibles. Deuxièmement, le caractère fini de ces volumes d’eau induit des conflits potentiels entre les différents usagers en cas de diminution des ressources par rapport aux moyennes historiques. Troisièmement, l’existence d’un continuum hydrologique, qui s’exprime par le ruissellement de l’eau de l’amont vers l’aval d’un bassin versant, transmet l’impact des projets de développement économique par des modifications aux régimes hydriques qui peuvent causer des dommages aux autres usagers. Quatrièmement, le droit agit comme mécanisme de prévention, d’atténuation et de résolution des conflits entre les différents usagers de la ressource. Cinquièmement, les mécanismes juridiques qui prennent en charge les conflits d’usages les plus graves sont peu détaillés ou ne tiennent pas compte de la variabilité hydrologique.
Le cadre juridique qui régit les conflits d’usages à l’égard des ressources en eau comporte un volet préventif et un volet curatif. Le droit statutaire gère la plupart des aspects relatifs aux conflits d’usages par des mesures préventives destinées à éviter les situations les plus problématiques. Par exemple, la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur la sécurité des barrages et la Loi sur le régime des eaux instaurent des régimes d’autorisation qui permettent de contrôler les différents types de prélèvement en fonction de la variabilité hydrologique[18]. Pour leur part, la Loi sur la sécurité civile, la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables et les instruments adoptés en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permettent de gérer le territoire en fonction des principaux risques de crue et d’inondation[19]. Toutefois, ces lois ne prévoient pas un ensemble complet de normes capables de réguler de façon prospective toutes les situations possibles. De plus, elles peuvent échouer dans l’atteinte de leurs objectifs à cause de l’incertitude engendrée par la variabilité hydrologique.
Lorsque les régimes juridiques préventifs ne proposent pas de règles particulières adaptées aux situations propices à l’émergence de conflits d’usages, les interactions entre usagers sont prises en charge par des mécanismes curatifs qui permettent a posteriori la résolution de conflits avérés. Ces mécanismes de résolution des conflits méritent une attention particulière. D’abord, ils gèrent les variations hydrologiques extrêmes, bien que certains d’entre eux ne soient pas précisément conçus pour ce faire. Ensuite, leur fonctionnement est en partie occulte parce qu’il dépend de principes élaborés par la jurisprudence en s’appuyant sur des règles et des raisonnements juridiques étrangers aux considérations scientifiques propres à la gestion des ressources hydriques.
Compte tenu de ce qui précède, ce texte propose l’étude successive du fonctionnement des principaux mécanismes curatifs de résolution des conflits d’usages de l’eau prévus par le droit québécois en matière de variabilité hydrologique. Puisque la variabilité des régimes hydriques porte essentiellement sur les volumes d’eau, la gestion des conflits liés à la qualité de l’eau est exclue de l’étude[20]. Chacun des principaux mécanismes de résolution des conflits fait l’objet d’un traitement qui délimite son champ d’application, explique son fonctionnement, fournit des exemples d’application jurisprudentielle et précise ses principales caractéristiques par rapport aux variations hydrologiques.
1 La servitude d’inondation
La Loi sur le régime des eaux instaure un régime particulier de responsabilité qui gouverne certains conflits d’usages liés aux ressources hydriques[21]. Le régime accorde un recours à l’égard des ouvrages et des travaux par lesquels s’exercent les droits d’emmagasinement prévus par cette loi, y compris les barrages et autres infrastructures de retenue d’eau[22]. Toutefois, certaines exemptions peuvent écarter l’application du recours, comme c’est le cas de l’immunité au bénéfice de la Couronne fédérale dans sa prérogative d’exploiter un barrage[23].
En vertu de ce régime, le propriétaire et l’exploitant d’un ouvrage construit dans un cours d’eau sont garants de tout préjudice matériel ou personnel qui peut résulter à autrui par la trop grande élévation des écluses de l’ouvrage, ou autrement[24]. Pour engager la responsabilité du propriétaire ou de l’exploitant d’un ouvrage de retenue, il faut établir trois éléments : la présence de l’ouvrage, l’existence d’un dommage de tout ordre et un lien de causalité entre les deux. À défaut du paiement des dommages-intérêts en réparation du préjudice dans un délai de six mois suivant la condamnation, celui qui y est tenu doit démolir les travaux qu’il a faits ou payer les frais de démolition[25]. Autrement dit, ce recours n’offre aucun moyen de s’opposer à l’exploitation d’un ouvrage de retenue tant que les conséquences qui en découlent font l’objet d’une compensation.
La jurisprudence permet d’illustrer le fonctionnement de la servitude d’écoulement. Dans le précédent qui fait autorité, l’érection d’un barrage quelques kilomètres en amont d’une voie ferrée modifie l’écoulement naturel de la rivière Saint-François, ce qui déplace le lieu où se forme l’embâcle et qui accroît le volume d’eau accumulé[26]. Lorsque l’embâcle se rompt, l’eau et la glace submergent le barrage et emportent la voie ferrée située le long de la rivière en aval, ce qui a causé le déraillement d’un train. Le recours est justifié par la seule présence du barrage, alors qu’aucune faute n’est liée à son exploitation. Dans une autre affaire, un barrage au fil de l’eau construit à la fin du xixe siècle modifie l’écoulement naturel d’une rivière en créant une chute de près de cinq mètres lorsque le niveau d’eau augmente à la suite de précipitations exceptionnelles, ce qui emporte le mur de protection et une partie du terrain riverain du requérant, ce dernier devant être indemnisé pour les dommages matériels et les inconvénients subis[27].
La responsabilité du propriétaire ou de l’exploitant de l’ouvrage d’emmagasinement n’est pas retenue dans d’autres cas. Quand des pluies torrentielles entraînent le débordement d’un ruisseau et endommagent une résidence riveraine en aval d’un ouvrage de retenue, le recours ne peut être accueilli si le lien de causalité entre la présence de l’ouvrage et le préjudice n’est pas établi[28]. De même, les dommages causés à des propriétés riveraines en amont d’un barrage par l’assèchement de son réservoir lorsque la rivière est rendue à son cours naturel ne peuvent être réclamés en vertu de la servitude d’inondation puisque les dommages ne sont justement pas « la conséquence de la présence de l’ouvrage, de sa conception ou de ses attributs[29] ».
En somme, la servitude d’écoulement participe d’un cadre de gestion qui a pour objet de réguler la variabilité hydrologique. D’une part, elle accorde une forme de priorité d’usage aux propriétaires et aux exploitants d’ouvrages de retenue : quelles que soient les variations du régime hydrique, les effets de l’emmagasinement de l’eau doivent être tolérés dans la mesure où le préjudice qui en résulte est l’objet d’une compensation[30]. D’autre part, un changement dans le régime hydrique peut faire en sorte qu’un ouvrage de retenue entraîne de nouveaux types de préjudice ou encore décuple l’ampleur des dommages subis en aval ou en amont. Dans un tel cas, le propriétaire ou l’exploitant reste garant des répercussions de l’ouvrage de retenue, même si le fardeau financier imposé par la servitude d’inondation s’alourdit jusqu’à devenir difficile à supporter.
2 Les relations de voisinage
À l’instar de la Loi sur le régime des eaux, le Code civil du Québec prévoit plusieurs dispositions régissant les conflits d’usages entre voisins lorsque l’écoulement de l’eau est modifié par un prélèvement ou un ouvrage[31]. Les normes spécifiques qu’elles édictent à l’égard de la ressource hydrique particularisent ainsi les règles générales applicables en matière de voisinage[32]. L’établissement d’une distinction claire entre chacune de ces dispositions peut se révéler un exercice périlleux dans la mesure où elles participent du même contexte juridique. Les dispositions sont fréquemment invoquées conjointement dans les litiges portés devant les tribunaux. Il est délicat d’en différencier les effets au-delà d’un certain point. Néanmoins, une présentation individualisée en facilite l’appréhension.
2.1 Les inconvénients anormaux
Les règles de voisinage en matière de propriété immobilière imposent des limites aux droits d’usage ou de dérivation de l’eau. Ces règles veulent que les voisins acceptent les inconvénients normaux du voisinage n’excédant pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, selon la nature ou la situation de leurs fonds ou les usages locaux[33]. Celui dont les actes provoquent des inconvénients excessifs ou anormaux pour son voisin voit sa responsabilité engagée à l’égard de ce dernier, que son comportement soit fautif ou non[34]. La conformité des actes générateurs d’inconvénients avec les dispositions législatives ou réglementaires applicables n’écarte pas la responsabilité, de telle sorte que la démonstration du caractère normal ou raisonnable du trouble constitue la seule défense possible[35].
Le caractère de ce qui est normal ou anormal et raisonnable ou excessif repose principalement sur des considérations d’ordre factuel et contextuel faisant appel au pouvoir d’appréciation du juge. La Cour d’appel a précisé les critères sur lesquels s’appuie l’analyse des troubles de voisinage :
Pour conclure à la présence de troubles du voisinage, deux critères sont centraux dans l’analyse des inconvénients : la gravité et la récurrence de ceux-ci. La récurrence s’entend généralement d’un trouble continu ou répétitif s’étalant sur une durée assez longue, alors que la gravité renvoie à l’idée d’un préjudice réel et sérieux au regard de la nature et de la situation du fonds, des usages locaux, du moment des inconvénients, etc.[36].
La Cour d’appel en réfère à la doctrine pour détailler le critère de gravité[37]. L’examen de ce dernier demande dans un premier temps de qualifier le voisinage et de définir l’environnement local. Outre la nature et la situation des immeubles de même que les usages locaux, le moment où se produisent les inconvénients ainsi que la « préoccupation collective des lieux » peuvent servir à contextualiser les troubles subis[38]. De plus, l’évaluation du voisinage n’est pas statique : elle évolue pour tenir compte des changements qui se produisent avec le temps, ce qui empêche la préservation intégrale du milieu par ses premiers occupants et leur impose plutôt de composer avec de nouveaux inconvénients, bien que l’antériorité d’un usage soit prise en considération[39]. Ainsi contextualisée, la situation fait alors l’objet d’une deuxième étape d’analyse en vue de déterminer le niveau de gravité des troubles, ce qui requiert de se demander si une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances que celles de la victime, trouverait les inconvénients intolérables ou insupportables et non seulement inconfortables[40].
La jurisprudence fournit plusieurs exemples de recours fondés sur les troubles de voisinage en matière hydrique. Des travaux de terrassement qui assèchent un ruisseau et en redirigent le cours sur un terrain voisin constituent des troubles de voisinage[41]. De même est considéré comme un inconvénient anormal le tarissement du puits d’alimentation domestique d’une résidence privée cinq semaines après la mise en marche d’un nouveau puits municipal d’alimentation en eau potable qui abaisse le niveau de la nappe phréatique du voisinage[42]. C’est aussi le cas de la diminution du niveau d’un lac alimenté par la nappe phréatique à la suite du creusage par le ministère de l’Agriculture d’un fossé drainant les terres agricoles voisines[43].
Les troubles de voisinage sont souvent invoqués à l’égard des impacts causés par l’exploitation d’un barrage[44]. Dans une affaire portée devant la Cour d’appel du Québec, un groupe de propriétaires riverains allègue que le mode de gestion des niveaux d’eau du réservoir d’un barrage exploité par le ministère des Travaux publics du Canada à l’extrémité sud du lac Témiscamingue cause l’érosion accélérée de leurs terrains[45]. Dans sa décision, la Cour d’appel écarte le recours sur le fondement des troubles de voisinage au motif que les propriétaires riverains ne sont pas des voisins du barrage puisque 100 kilomètres les séparent[46].
Depuis ce jugement, l’interprétation des règles de voisinage a évolué[47]. L’éloignement physique entre un barrage et les propriétés riveraines du réservoir n’est probablement plus un obstacle au recours en cas de troubles de voisinage[48]. Dans une cause récente, des faits similaires donnent lieu à une poursuite de la part de propriétaires riverains pour les dommages subis par l’érosion de leurs terrains en lisière du barrage-réservoir des Rapides-des-Cèdres[49]. Les quelque dizaines de kilomètres qui peuvent séparer certains riverains du barrage n’empêchent pas la relation de voisinage. Toutefois, la Cour d’appel rejette le recours parce que l’érosion n’est pas significative, de telle sorte que les inconvénients causés par la variation des niveaux d’eau restent normaux dans un contexte où les terrains contigus au réservoir sont grevés d’une servitude d’inondation à des fins de production hydroélectrique depuis des décennies[50].
Le recours en troubles de voisinage est aussi irrecevable quand un embâcle printanier entraîne une élévation de plusieurs mètres du niveau d’une rivière, causant l’érosion et l’inondation de terrains riverains en amont d’un barrage au fil de l’eau, lorsque ces répercussions relèvent de phénomènes naturels qui surviennent régulièrement dans cette zone, avant autant qu’après la construction du barrage[51]. Ne peuvent pas non plus être qualifiés de troubles de voisinage les inconvénients qui résultent de la baisse de niveau du réservoir d’un barrage lorsqu’elle permet de procéder à des travaux de réfection à des fins d’utilité publique autorisés par le gouvernement en vue d’assurer la sécurité de la population[52]. Dans certains cas, l’étendue des territoires visés, le nombre et le type de communautés touchées de même que la complexité des travaux et de leurs impacts, sont d’une ampleur telle que la décision de construire et d’exploiter un ouvrage de retenue de l’eau peut résulter de l’exercice d’un pouvoir décisionnel politique qui accorde à l’État une immunité à l’encontre du recours en troubles de voisinage[53].
Finalement, les troubles de voisinage justifient un recours contre le propriétaire-opérateur d’un barrage lorsqu’un embâcle provoque une inondation endommageant plusieurs immeubles moins de deux ans après la démolition de l’ouvrage[54]. Dans ce cas, la responsabilité reflète plusieurs éléments, dont la survenance d’inondations récurrentes avant l’érection du barrage combinée à leur absence pendant la période où l’ouvrage est en place, la délivrance de nombreux permis de construction municipaux dans la zone libre d’inondations pendant la période où le barrage est en place, de même que le défaut d’entretenir le réservoir du barrage presque entièrement comblé par l’accumulation de sédiments, ce qui place le propriétaire de l’ouvrage dans une situation où il doit exploiter le barrage suivant des instructions précises ou le démolir dans un délai donné conformément aux autorisations octroyées[55].
Outre les cas où les troubles de voisinage sont invoqués quand les phénomènes hydrologiques constituent en eux-mêmes les inconvénients, il est possible d’étendre la réflexion aux situations où l’adaptation à la variation hydrologique entraîne indirectement des inconvénients anormaux.
Par exemple, à l’égard d’une situation d’étiage critique dans la rivière des Mille Îles, les autorités procèdent à l’excavation urgente et prioritaire du haut-fond du lac des Deux Montagnes ainsi que de la rivière des Mille Îles pour assurer l’approvisionnement en eau potable des quelque 400 000 citoyens de onze municipalités environnantes[56]. Les troubles de voisinage allégués dans cette affaire découlent du bruit causé par les génératrices des pompes d’assèchement qui permettent l’excavation du haut-fond. Le recours en troubles de voisinage cible des inconvénients sonores liés à la régulation de la variabilité de l’approvisionnement d’une source d’eau municipale de surface. Tous les cas où des inconvénients divers sont indirectement liés à la variabilité hydrique ne peuvent pas être recensés, mais l’exemple illustre l’ampleur du domaine potentiellement couvert par l’obligation de bon voisinage en la matière[57].
En somme, le recours en troubles de voisinage peut influer sur la gestion de la variabilité des ressources en eau uniquement lorsque deux personnes ou plus se trouvent dans une même zone d’influence hydrologique et que l’action de l’une se répercute sur une ou plusieurs autres personnes. Pour que la répercussion soit significative au point qu’elle ait une conséquence juridique, elle doit constituer un inconvénient anormal ou excessif pour autrui.
A priori, le seuil de l’inconvénient anormal n’a aucun lien direct avec la variabilité hydrologique. Cependant, presque toutes les notions nécessaires à l’application de ce seuil peuvent être interprétées d’une façon qui confère un effet juridique aux variations des régimes hydriques.
D’abord, la notion de normalité devient plus incertaine et son évaluation se révèle plus difficile dans un contexte d’accroissement des fluctuations imprévisibles et d’évènements extrêmes causés par le changement climatique. Ensuite, le critère de récurrence auquel se réfère l’analyse des troubles de voisinage trouve une résonnance particulière. Par exemple, la gestion du réservoir d’un barrage qui reflète une fluctuation saisonnière en fonction de niveaux d’eau récurrents revêt un caractère continu et répétitif, de telle sorte que ce critère est aisément rempli[58].
Par ailleurs, l’évaluation du critère de gravité en fonction du contexte permet une appréciation évolutive de ce qui cause des inconvénients anormaux. Ainsi, un même prélèvement qui a une incidence sur la variation des niveaux d’eau ou des débits peut passer de normal à excessif ou vice-versa au fil du temps, selon une analyse qui tient compte d’une multitude de facteurs changeants, impondérables et contingents.
Même l’application du standard de la personne raisonnable utilisé pour déterminer le caractère intolérable des inconvénients peut être modifiée par le niveau de connaissance du public et la familiarité des juges à l’égard des phénomènes liés à la variabilité hydrologique. Une meilleure connaissance des répercussions des changements climatiques sur les fluctuations des régimes hydriques pourrait justifier la modification auparavant inacceptable de la gestion du réservoir d’un barrage s’il est reconnu qu’il faut imposer des inconvénients supplémentaires aux riverains afin d’éviter les sinistres potentiels résultant d’extrêmes pluviométriques inédits mais désormais probables[59].
2.2 La servitude d’écoulement
À l’égard des aspects du voisinage qui concernent plus particulièrement les ressources hydriques, le Code civil du Québec prévoit une « servitude d’écoulement » suivant laquelle les terrains inférieurs sont assujettis à recevoir les eaux qui coulent naturellement des terrains plus élevés[60].
En vertu de cette servitude, le propriétaire du terrain inférieur ne peut élever aucun ouvrage qui empêche l’écoulement de l’eau, tel un barrage, un muret ou des travaux de terrassement entraînant un refoulement sur le terrain supérieur[61]. D’autre part, le propriétaire du terrain supérieur ne peut aggraver la situation du terrain inférieur, notamment par le nivellement d’un chemin, l’installation d’un tuyau d’évacuation, et l’aménagement d’un étang de rétention[62]. Cette règle n’est pas seulement valide à l’égard de terrains adjacents mais aussi de terrains plus éloignés[63]. Elle a un effet significatif à l’égard du gouvernement, des municipalités et des entrepreneurs pour la construction de nouveaux développements domiciliaires ou de projets routiers qui impliquent fréquemment l’installation d’égouts pluviaux ou de canalisations, de même que la modification du profil du sol et son imperméabilisation sur de grandes étendues[64]. En principe, elle pourrait aussi s’appliquer aux barrages, dont la fonction est justement de modifier l’écoulement, lorsque des régimes législatifs particuliers n’écartent pas le droit commun prévu par le Code civil du Québec[65].
La portée de la servitude d’écoulement est cependant limitée par des exceptions. D’abord, le propriétaire d’un terrain supérieur voué à l’agriculture n’y contrevient pas lorsqu’il exécute des travaux de drainage qui aggravent la situation du terrain inférieur[66]. Le propriétaire du terrain supérieur peut aussi effectuer des travaux pour conduire plus commodément les eaux à leur pente naturelle[67]. Ensuite, la servitude d’écoulement n’offre aucun recours lorsque la topographie du sol a déjà été altérée de telle sorte que les patrons d’écoulement ne sont plus naturels[68]. Par ailleurs, la servitude impose au propriétaire en aval l’obligation de laisser couler l’eau, mais elle ne lui accorde pas le droit de recevoir les eaux provenant d’amont, ce qui exclut du domaine de la servitude les travaux ou les ouvrages réduisant l’écoulement[69].
En somme, le droit reconnaît les principes physiques qui dictent les patrons naturels du ruissellement de l’eau sur et dans le sol[70]. De façon générale, la servitude d’écoulement limite les modifications à la morphologie du terrain, de telle manière que les propriétés voisines sont assujetties aux manifestations des variations hydrologiques naturelles qui leur sont communes. Dans une certaine mesure, la servitude force les propriétés visées par le même régime hydrique à subir les variations de la pluie, du ruissellement et de l’écoulement. Un tel constat provoque la réflexion dans un contexte de changements climatiques.
Premièrement, la servitude d’écoulement pourrait compliquer l’adaptation aux changements qui modifient les régimes hydriques, en particulier l’adaptation aux évènements extrêmes. La construction d’ouvrages destinés à favoriser l’adaptation aux pluies diluviennes et aux inondations sans précédent afin d’accroître la résilience des immeubles et des infrastructures civiles constitue une altération du régime hydrique naturel. Or, l’artificialisation des patrons de drainage donne ouverture à un recours dès la survenance d’un dommage du fait de l’écoulement de l’eau. Ce risque est d’autant plus significatif que l’imprévisibilité et les effets de seuils qui caractérisent la variabilité hydrologique extrême en situation de réchauffement planétaire rendent difficile le calibrage des ouvrages et des mesures d’adaptation structurales. L’accroissement du risque de poursuite pourrait décourager ou retarder la mise en oeuvre de mesures d’adaptation prospective.
Deuxièmement, il est possible que l’augmentation de la variabilité hydrologique influe sur la servitude d’écoulement en rendant moins stable et prévisible l’application de cette règle de droit[71]. Le caractère naturel des écoulements visés par la servitude pourra faire l’objet de contestation, même si le relief et le recouvrement du sol n’ont jamais été altérés, dans la mesure où les variations extrêmes des régimes hydriques provoquées par les changements climatiques ont une origine anthropique. Si la jurisprudence reconnaît les causes anthropiques des variations extrêmes, l’écoulement provoqué par une pluie exceptionnelle peut perdre son caractère naturel, ce qui réduit le domaine d’application de la servitude. Concourt au même résultat une limite à la servitude voulant qu’elle vise uniquement les eaux qui s’écoulent naturellement et non celles qui proviennent d’inondations occasionnelles : l’amplification de la variabilité multiplie les inondations occasionnelles et réduit d’autant la portée de la servitude[72]. Pour les mêmes raisons, l’application de la servitude peut être changée du fait qu’un propriétaire inférieur est en droit d’agir contre un propriétaire supérieur lorsque sa situation est aggravée par ce dernier, avant même qu’il y ait dommage actuel et en vue d’éviter un dommage éventuel[73]. Dans un tel cas, l’ouvrage qui conduit plus commodément les eaux à leur pente naturelle est conforme à la servitude en situation de variabilité historique, mais il peut aggraver la situation du terrain d’aval lorsque la variabilité provoquée par les changements climatiques devient extrême. Devant l’annonce d’une variabilité exacerbée, le propriétaire d’aval acquiert la capacité d’agir en vue d’éviter un dommage éventuel, capacité qu’il ne possédait pas auparavant. Somme toute, l’application de la servitude d’écoulement apparaît plus incertaine et imprévisible quand s’accroît l’ampleur des évènements extrêmes.
2.3 Le recours en épuisement
Le Code civil du Québec prévoit un deuxième recours spécifique afin de régler les conflits d’usages relatifs aux ressources hydriques[74]. À moins que cela ne soit contraire à l’intérêt général, celui qui a droit à l’usage d’une source, d’un lac, d’une nappe d’eau ou d’une rivière souterraine, ou d’une eau courante, peut, de façon à éviter l’épuisement de l’eau, exiger la destruction ou la modification de tout ouvrage qui épuise l’eau[75].
Ce recours est ouvert à tous les titulaires d’un droit d’utilisation de l’eau[76]. Il est aussi disponible même s’il n’est pas fait usage du droit d’utilisation et avant que l’épuisement de l’eau soit avéré[77]. Par ailleurs, le recours n’est pas disponible lorsque ce serait « contraire à l’intérêt général », ce qui pourrait être le cas dans certaines situations où un prélèvement épuise l’eau conformément à une autorisation délivrée en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur le régime des eaux ou la Loi sur la sécurité des barrages puisque ces lois d’ordre public correspondent à l’intérêt général[78].
Les jugements qui illustrent le recours en épuisement sont rares[79]. Dans la seule affaire pertinente à l’égard de la gestion des volumes d’eau, les problèmes d’alimentation d’un puits domestique causés par le forage et la mise en marche d’installations de captage à des fins agricoles dans le voisinage justifient le recours en épuisement[80]. Dans sa décision, la Cour du Québec condamne le voisin maraîcher à indemniser la victime pour seulement 50 p. 100 de la réclamation parce que l’assèchement du puits est dû à un faisceau de facteurs exogènes. Cette affaire se révèle particulièrement intéressante parce que la démonstration de la responsabilité ne repose pas essentiellement sur la preuve d’expert. En l’absence de lien de causalité clair, la responsabilité s’appuie surtout sur la concomitance de l’assèchement du puits avec le début des opérations de pompage à des fins d’irrigation. Certains passages du jugement méritent d’être reproduits :
La preuve révèle que plusieurs facteurs peuvent théoriquement provoquer l’assèchement d’un puits de surface : la vétusté du puits ; la sécheresse et l’évaporation qui peuvent assécher les eaux de surface qui alimentent le puits ; le drainage des terres ; l’insuffisance du puits (débit) par rapport aux besoins des utilisateurs ; le rabattement de la nappe phréatique par la construction d’installations de captage dans le secteur où se trouve le puits […] L’analyse ci-dessus démontre qu’il est pratiquement impossible de déterminer de façon certaine les causes de l’assèchement du puits de [la demanderesse] en août 2002 en raison de la complexité des questions soulevées. Toutefois, à partir de la preuve présentée, on ne peut écarter l’influence du surpompage réalisé à l’été 2002 pour remplir le bassin d’irrigation sur les nappes d’eau du secteur environnant […] Dans le présent cas, le fait que [la demanderesse] et sa soeur voisine […] n’ont jamais subi d’interruption de leur alimentation en eau pendant leur 25 années d’occupation des lieux crée une présomption que la mise en opération du bassin d’irrigation a joué un rôle sur les problèmes vécus par la demanderesse. D’autre part, on ne peut ignorer les autres facteurs dont [le voisin maraîcher] n’est pas responsable et qui ont également une influence sur ces problèmes. Ainsi, la vétusté du puits de surface fait en sorte que celui-ci devra être remplacé. Les travaux de drainage municipaux réalisés le long du chemin Ste-Béatrix en 2002 ont également eu un impact sur les eaux de surface. L’assèchement progressif et généralisé des eaux de surface de la région s’ajoute à ces facteurs en rendant l’alimentation des puits de surface de plus en plus problématique[81].
En somme, la relation entre le recours en épuisement et les variations hydrologiques ressemble à celle qu’instaurent les autres dispositions encadrant les relations de voisinage. Le recours en épuisement influe sur la gestion de la variabilité des ressources en eau uniquement lorsque deux personnes ou plus se trouvent dans une même zone d’influence hydrologique et que l’action de l’une se répercute sur une ou plusieurs autres. Tandis que cette répercussion doit constituer un inconvénient anormal ou excessif pour autrui dans le contexte général des troubles de voisinage, il faut qu’elle puisse causer l’épuisement d’une source pour donner ouverture à ce recours.
Il est difficile d’envisager une situation où la variabilité hydrologique, qu’elle soit naturelle ou accrue par les changements climatiques, aurait un effet juridique significatif par l’entremise du recours en épuisement compte tenu des limites du champ d’application de ce dernier et de la spécificité des dommages qu’il vise. Néanmoins, il est possible que la dimension préventive du recours étende éventuellement la portée de ce dernier si l’augmentation de la variabilité ou l’accroissement local du stress hydrique rend l’épuisement d’une source plus probable.
3 La responsabilité civile extracontractuelle
Outre les recours disponibles dans le cadre des relations de voisinage, le Code civil du Québec prévoit un régime général de responsabilité civile qui s’applique à l’ensemble des relations entre les personnes, y compris les interactions liées aux variations hydrologiques. Une présomption de faute, soit la présomption du fait autonome du bien, modifie le régime général de responsabilité civile d’une façon particulièrement pertinente en matière de fluctuations hydriques.
3.1 La faute extracontractuelle
En vertu du régime général de la responsabilité extracontractuelle, toute personne doit respecter les règles de bonne conduite applicables selon les circonstances, les usages ou la loi afin de ne pas causer de préjudice à autrui[82]. Le défaut de respecter les règles de bonne conduite constitue une faute engageant la responsabilité envers la personne qui en subit un dommage.
Pour donner ouverture à un recours en responsabilité civile, trois éléments doivent se conjuguer. Comme premier élément constitutif, il faut établir une faute qui dénote un manque au devoir général de conduite raisonnable et prudente[83]. Pour déterminer si la conduite reprochée est correcte ou fautive, on doit se demander si une personne raisonnable, prudente et diligente aurait agi de la même façon. La conduite est évaluée dans le contexte où elle s’est produite, et les connaissances et la situation de la personne à qui l’on reproche une faute influent sur l’évaluation de sa conduite[84]. L’irrespect d’une disposition législative ou réglementaire ne constitue pas nécessairement un défaut de respecter la norme de la conduite raisonnable et prudente[85]. Cependant, le contenu des normes législatives applicables influe sur l’appréciation de ce qui constitue une conduite fautive[86].
À titre de deuxième élément constitutif, le recours en responsabilité extracontractuelle requiert un dommage en plus de la faute. Les dommages matériels aux biens autant que les dommages personnels physiques ou moraux sont recevables s’ils sont certains et susceptibles d’être évalués avec exactitude, ce qui inclut bien sûr les dommages avérés, mais aussi les dommages futurs dont il est très probable qu’ils se réaliseront[87]. Le lien de causalité constitue le troisième élément de la responsabilité extracontractuelle. Il doit raccorder la faute au dommage. Autrement dit, celui-ci doit être la conséquence logique, directe et immédiate de la faute ; à l’inverse, si cette dernière n’a pas créé directement le dommage, le lien de causalité n’est pas établi[88].
Le régime général de la responsabilité civile fait l’objet d’une jurisprudence abondante en matière de variabilité hydrologique. Son intérêt reste secondaire justement à cause de sa généralité, mais aussi parce qu’il est souvent invoqué conjointement avec d’autres recours plus spécifiques qui dictent la solution du litige. Néanmoins, certaines illustrations donnent une idée des circonstances dans lesquelles le recours est invoqué. Par exemple, une personne faisant des travaux qui rétrécissent le lit d’une rivière et élèvent son niveau doit payer des dommages-intérêts causés par l’inondation subséquente de propriétés riveraines, démolir les ouvrages qui empêchaient l’écoulement naturel de la rivière et remettre les berges dans l’état où elles étaient avant ses travaux[89]. Dans une autre affaire, les demandeurs possèdent un terrain situé à proximité du littoral du fleuve Saint-Laurent[90]. Un ruisseau qui se jette dans le fleuve borde le terrain. Les marées ensablent régulièrement l’embouchure du ruisseau. Lors des grandes marées du printemps 2009, l’ensablement dévie le ruisseau engorgé, ce qui cause des dommages à la propriété des demandeurs. Ceux-ci poursuivent la municipalité pour défaut d’entretenir l’embouchure du ruisseau, ce qu’elle a toujours fait à un coût minime jusqu’en 2005. L’omission d’agir de la municipalité constitue une faute, même si aucune disposition spécifique ne prévoit un devoir d’entretien dans une telle situation. La Cour du Québec considère que la municipalité a toléré un état de fait potentiellement dangereux et a commis une faute en n’intervenant pas.
Au-delà des illustrations jurisprudentielles, l’interaction entre le régime général de la responsabilité civile et les variations des régimes hydriques comporte quelques aspects qui méritent une attention particulière. Premièrement, le standard de la conduite raisonnable et prudente, qui permet d’évaluer l’existence d’une faute, peut évoluer en fonction des changements à long terme des variations hydrologiques. De plus, l’application de ce standard peut être modifiée par la connaissance générale du public et la familiarité de la communauté juridique à l’égard des phénomènes liés à la variabilité hydrologique[91].
Deuxièmement, l’application du critère de la faute dans un contexte de variabilité hydrologique peut varier en fonction de certaines doctrines, telles les théories de l’acceptation des risques et de la nécessité. D’une part, la théorie de l’acceptation des risques pourrait en principe permettre à la personne fautive d’échapper aux conséquences de sa responsabilité[92]. Par exemple, une personne qui s’installe en un lieu où l’occupation du sol est notoirement soumise à des contraintes particulières en raison de la présence d’un risque d’inondation pourrait être présumée accepter ce risque[93]. D’autre part, la doctrine de la nécessité permet en général de causer un dommage à une personne afin d’éviter un autre dommage plus considérable[94]. Par exemple, la municipalité qui assèche le puits individuel d’une résidence pour assurer l’alimentation de l’aqueduc municipal en situation de sécheresse extraordinaire pourrait théoriquement invoquer la nécessité pour se soustraire à sa responsabilité. Pour l’instant, l’intérêt de la théorie de l’acceptation de risques et de la doctrine de la nécessité reste conjectural puisque ni l’une ni l’autre n’ont jamais été appliquées dans un contexte de variabilité hydrologique.
Troisièmement, certains tests qui servent à établir la causalité peuvent avoir un intérêt particulier en matière de variabilité hydrologique. D’une part, la causalité ne requiert pas une démonstration scientifique, mais doit seulement correspondre à la prépondérance des probabilités. Autrement dit, la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante[95]. Le fardeau de preuve judiciaire impose donc une perspective probabiliste rudimentaire à l’appréciation de phénomènes hydrologiques complexes que la science appréhende par des méthodes plus sophistiquées. Le décalage qui en résulte joue un rôle d’autant plus significatif que les sciences hydrologiques, et l’évaluation des récurrences en particulier, s’éloignent de l’approche purement statistique des données historiques dans un contexte de changement climatique où disparaît la stationnarité des régimes hydriques[96]. D’autre part, le test de la prévision raisonnable permet de déterminer la causalité par l’identification d’une conduite qui rend possible la création du préjudice[97]. Selon ce test, il existe un lien de causalité suffisant lorsque les conséquences dommageables de la conduite sont raisonnablement prévisibles. Si une pluie exceptionnelle relie une faute et un dommage, la prévisibilité des conséquences d’une conduite en situation de variation extrême du régime hydrique pourrait influer sur l’existence du lien de causalité[98].
3.2 Le fait autonome du bien
Outre le régime général de la responsabilité extracontractuelle, le Code civil du Québec prévoit un régime spécifique en vertu duquel le gardien d’un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu’il n’ait commis aucune faute[99]. Pour que le régime s’applique, quatre éléments doivent se conjuguer : 1) un bien ; 2) assujetti au pouvoir de contrôle et de surveillance d’un gardien ; 3) par son fait autonome, c’est-à-dire de son dynamisme propre et sans l’intervention humaine ; 4) cause un dommage à autrui[100].
Le régime du fait autonome du bien établit une présomption de faute renversable par simple preuve d’absence de faute[101]. Le gardien doit démontrer qu’il a pris les moyens raisonnables pour prévenir le fait générateur des dommages. Il peut s’exonérer par une preuve générale d’absence de faute[102]. L’appréciation de la preuve est faite en tenant compte de la norme de conduite de la personne prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.
La présomption du fait autonome d’un bien fait l’objet d’une jurisprudence abondante en matière de variabilité hydrologique. La plupart des ouvrages et des infrastructures liées aux ressources hydriques, dont les ponts, les digues ou les systèmes de drainage, sont susceptibles de justifier un recours fondé sur le fait autonome du bien lors de la survenance d’un évènement météorologique excédant les facteurs de sécurité en fonction desquels ils ont été construits dans la mesure où l’action humaine apparaît suffisamment indirecte[103]. Par exemple, la gardienne d’un pont est responsable des dommages que cause l’érosion des berges d’une propriété riveraine lors de la crue d’une rivière dont le courant est modifié par la construction du pont[104]. Par contre, la présomption de faute ne s’applique pas aux barrages dont les vannes sont contrôlées en fonction des besoins de production hydroélectrique puisqu’il ne s’agit pas du fait autonome d’une chose tant que le barrage répond aux commandes de son gestionnaire[105].
Les variations hydrologiques ont des répercussions particulièrement significatives à l’égard des municipalités qui agissent comme gardiennes de réseaux d’égout et de systèmes de drainage[106]. La jurisprudence fournit de nombreux exemples de municipalités poursuivies pour des dommages survenus à la suite d’inondations, d’un refoulement ou de pluies particulièrement fortes[107]. Compte tenu de la présomption établie à l’encontre du gardien d’un bien, une ville qui ne démontre pas l’absence de faute dans la conception, la mise en place ou l’entretien de son réseau d’égout est tenue responsable de l’inondation des résidences lors d’une pluie importante[108].
Une série d’éléments se dégage de la jurisprudence à cet égard[109]. La conduite municipale en cause doit être comparée à celle d’une municipalité prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances aux étapes de la conception du réseau, de sa mise en place, de son extension et de son entretien[110]. Les devoirs qu’impose la loi aux municipalités, y compris l’obligation qu’elles ont d’appliquer leur propre réglementation, influent sur ce qui est considéré comme une conduite prudente et diligente dans chaque cas spécifique[111]. Plus particulièrement, la conception du réseau d’égout municipal doit être conforme aux règles de l’art applicables en génie, ce qui correspond à une capacité suffisante pour permettre à un réseau d’égout d’évacuer une pluie dont la probabilité de récurrence est de cinq ans[112]. Les normes de conception établies par les autorités gouvernementales dans le cadre des régimes administratifs autorisant la construction des réseaux influencent le contenu des règles de l’art. La présomption de faute peut être écartée par la municipalité lorsqu’elle démontre la conformité du réseau aux standards applicables[113].
Cependant, les normes de construction changent pour s’adapter aux variations hydrologiques, modifiant ainsi les obligations imposées aux municipalités. Les impacts des changements climatiques à l’égard des ressources en eau peuvent agir sur le standard de prudence et de diligence gouvernant la conduite municipale par le truchement des règles de l’art applicables aux ingénieurs[114]. L’accroissement de la variabilité et des évènements extrêmes impose un fardeau significatif aux municipalités parce qu’elles sont tenues de maintenir en état de fonctionnement adéquat leurs réseaux d’égout et de drainage afin qu’ils puissent jouer leur rôle et faire face aux caractéristiques changeantes des régimes hydrauliques[115]. Ainsi, il n’est pas suffisant d’effectuer des opérations d’entretien appropriées lorsque le réseau d’égout d’une municipalité date de 1958, que des refoulements d’égout surviennent de temps à autre, que des développements commerciaux ont été autorisés et que la municipalité ne procède pas aux investissements requis pour assurer une capacité de drainage adéquate[116]. La construction de nouveaux quartiers dans des zones à risque d’inondation en dépit de mises en garde peut empêcher une municipalité de repousser la présomption de faute[117]. Le manque de moyens financiers d’une municipalité pour adapter son réseau d’égout aux circonstances ne permet pas d’écarter la responsabilité du fait des biens[118]. Finalement, la municipalité ne peut pas non plus s’exonérer en alléguant avoir fait affaire avec des consultants et des entrepreneurs lors de la conception ou de la construction de son réseau d’égout[119].
En somme, le régime de la présomption du fait autonome d’un bien joue un rôle particulièrement important à l’égard des variations hydrologiques parce qu’il pousse le gardien d’un ouvrage qui influe sur l’écoulement des eaux à modifier et à adapter ce dernier pour tenir compte des changements à moyen et à long terme dans les tendances relatives aux pluies, aux crues, aux tempêtes et aux inondations. Le risque de recours bien fondés à l’encontre du gardien de l’ouvrage croît quand apparaît un décalage important entre les débits ou les pluies qu’un ouvrage a été conçu pour gérer, retenir ou évacuer, d’une part, et les fluctuations hydrologiques qui surviennent en réalité, d’autre part. Dans la mesure où le changement climatique augmente la variabilité hydrologique de même que la fréquence et l’intensité des évènements extrêmes, le gardien d’un bien doit s’assurer que son ouvrage reste capable de jouer son rôle, surtout si les effets du changement climatique sont reconnus et entraînent la modification des critères de conception des ouvrages.
4 L’exonération pour cause de force majeure
La responsabilité peut être écartée par la force majeure[120]. Devant des allégations de faute extracontractuelle, un défendeur peut tenter d’établir qu’un évènement résulte plutôt d’une force majeure qui l’exempte de toute responsabilité à l’égard des préjudices subis[121]. La force majeure agit sur la causalité en rompant le lien entre l’acte du défendeur et le préjudice subi par le demandeur. De la même manière, la force majeure permet d’écarter la responsabilité dans le cadre des relations de voisinage et de la servitude d’inondation[122]. Autrement dit, la force majeure offre un moyen de défense à l’encontre de tous les recours abordés dans les sections précédentes.
Pour que la défense de force majeure s’applique, trois critères doivent être réunis[123]. Premièrement, le critère d’extériorité requiert que celui qui invoque la force majeure soit entièrement étranger à sa survenance. Si l’évènement qui cause les dommages découle des activités de celui qui invoque la force majeure, la défense ne peut être accueillie. Deuxièmement, en vertu du critère d’imprévisibilité, celui qui invoque la force majeure doit non seulement démontrer qu’il n’a pas prévu l’évènement, mais aussi que ce dernier n’est pas normalement prévisible. Cependant, la possibilité purement théorique ou imaginaire d’un évènement ne fait pas obstacle à la défense de force majeure[124]. Il faut que celui-ci soit imprévisible pour une personne normale, prudente et diligente. Troisièmement, l’évènement doit rendre toute opposition inutile ou futile, comme le demande le critère de l’irrésistibilité. À l’inverse, l’évènement qui rend l’exécution d’obligations simplement plus difficile, plus coûteuse ou plus périlleuse n’est pas irrésistible.
La force majeure revêt une importance particulière en matière de variabilité hydrologique. En principe, la force majeure pourrait soustraire au domaine de la responsabilité l’aspect le plus problématique de la variation des régimes hydriques : la survenance imprévisible d’évènements extrêmes. La défense de force majeure fait d’ailleurs l’objet d’une jurisprudence abondante en matière de variabilité hydrologique. Néanmoins, les tribunaux font preuve de réticences marquées à l’égard de la défense de force majeure[125]. Pour qu’un évènement météorologique constitue une force majeure, il ne faut pas que ses conséquences aient été aggravées par l’intervention humaine, par exemple sous la forme d’une canalisation qui décuple l’effet d’une forte pluie survenue plusieurs années après son installation[126].
Au-delà des illustrations jurisprudentielles innombrables qui montrent l’importance de la défense à l’égard des évènements extrêmes, la force majeure établit un lien particulièrement significatif avec certaines manifestations de la variabilité hydrologique. C’est le cas de la période de récurrence, une donnée régulièrement mise en preuve pour évaluer si un évènement hydrologique exceptionnel constitue une force majeure parce qu’elle permet de déterminer la prévisibilité[127]. À une extrémité de l’éventail statistique, la tempête de verglas de 1998 est considérée comme un évènement imprévisible lors de sa survenance, tandis qu’à l’autre extrémité des pluies d’une période de récurrence de deux, cinq, dix, quinze ou même vingt ans sont généralement considérées comme prévisibles[128].
Cependant, l’identification de la période de récurrence en droit dans le contexte d’un litige se démarque de la méthode scientifique à plusieurs égards. Au-delà de la statistique, le raisonnement des tribunaux repose souvent sur une simple comparaison de l’évènement en cause par rapport aux données historiques[129]. Si un évènement similaire est déjà survenu par le passé, l’évènement en cause est considéré prévisible, tandis qu’il est plus facilement jugé imprévisible si les données historiques ne contiennent aucune équivalence. Ensuite, les contradictions nombreuses et marquées entre les opinions des témoins experts peuvent empêcher les cours de s’en tenir à une méthode scientifique unique et cohérente : ils leur imposent plutôt de procéder de façon impressionniste en retenant les éléments les plus significatifs pour un profane[130]. Par ailleurs, les tribunaux disposent d’une marge de manoeuvre qui leur permet de procéder à la caractérisation erronée de la fréquence d’un évènement hydrologique. Cette erreur ne peut être corrigée que si elle est manifeste et dominante aux yeux non pas d’un expert en hydraulique mais plutôt d’un juge siégeant en appel[131]. Finalement, l’ensemble de la jurisprudence n’est pas parfaitement cohérent, et une même fréquence de récurrence peut être jugée à la fois imprévisible et prévisible. Ainsi, certains jugements laissent entendre que des pluies d’une récurrence de 25 ou de 50 ans peuvent constituer une force majeure, tandis que d’autres décisions plus convaincantes indiquent que des pluies d’une récurrence de 100 ans ne peuvent pas être considérées comme telles[132].
De ce qui précède, il apparaît que la transposition en droit de la notion de récurrence hydrologique en transforme le contenu. Son appréhension juridique lui enlève sa précision scientifique pour plusieurs raisons. Premièrement, la compréhension des juristes à l’égard des méthodes statistiques utilisées en hydrologie rend imprécise la science rapportée dans les jugements. Deuxièmement, un principe fondamental de justice postule l’égalité de tous devant la loi, ce qui implique une procédure contradictoire et de multiples expertises au soutien d’interprétations opposées des effets d’un même phénomène[133]. Troisièmement, la distanciation des cours d’appel par rapport aux conclusions de fait en première instance pour des motifs d’économie des ressources judiciaires et de sécurité juridique dégage une marge d’erreur à l’égard de la représentation juridique de la variabilité hydrologique. Chacun de ces éléments constitue une contrainte juridique de nature structurelle qui limite la flexibilité du droit et restreint sa capacité à offrir un cadre de gestion capable de refléter parfaitement les variations des régimes hydriques.
Outre la période de récurrence, la notion d’imprévisibilité sur laquelle repose la force majeure reflète aussi en droit les fluctuations des régimes hydriques causées par le réchauffement planétaire. L’augmentation de la variabilité hydrologique et des évènements extrêmes en raison du changement climatique se répercute déjà sur l’évaluation que les tribunaux font du caractère imprévisible[134]. Dans une affaire où les dommages subis par un propriétaire au voisinage d’un barrage surviennent à la suite des précipitations les plus fortes jamais enregistrées sur le bassin versant en cause, la Cour du Québec se prononce ainsi :
[E]n 2002, de telles précipitations au Québec n’étaient pas imprévisibles. Tel que l’explique l’expert Larrivée, depuis 1996, il y a au Québec une augmentation des événements climatiques extrêmes au point que l’on ne peut plus utiliser les tables d’occurrence comme on le faisait auparavant ; en effet, ces tables ont été établies lors d’une période de stabilité climatique que nous ne connaissons plus. En 2002, tous se souvenaient des inondations connues au Saguenay en 1996 et du grand verglas de décembre 1997 et janvier 1998. Ce sont là des événements de notoriété publique dont le Tribunal a connaissance d’office[135].
Ainsi, les tribunaux reconnaissent l’augmentation de l’intensité des pluies, ce qui diminue la possibilité d’en démontrer le caractère imprévisible :
La rareté ou le caractère exceptionnel d’une précipitation n’en fait pas pour autant une précipitation imprévisible. « Bien des choses arrivent une première fois et n’acquièrent pas pour cela un caractère d’imprévisibilité. »
[…] Même en reconnaissant que les fortes pluies survenues dans les années 2000 sont exceptionnelles en intensité et en durée, on ne peut vraiment conclure qu’elles sont totalement imprévisibles.
L’augmentation de l’intensité des pluies ne constitue pas un moyen d’exonération pour la municipalité[136].
Autrement dit, mieux la science permet d’identifier les tendances hydrologiques à venir et les évènements climatiques potentiels qui en résultent, plus il devient difficile d’argumenter qu’une pluie diluvienne ou qu’une crue record est imprévisible[137]. Paradoxalement, l’accroissement de l’intensité, de l’imprévisibilité et de la fréquence des évènements extrêmes en raison du changement climatique correspond à une réduction du domaine d’application de la défense de force majeure à cause des connaissances plus précises et des méthodes plus puissantes développées par les sciences hydrologiques.
Conclusion
Plusieurs constats se dégagent de l’étude des mécanismes de gestion des conflits d’usages relativement aux ressources en eau dans un contexte de variabilité hydrologique. Premièrement, les recours judiciaires devant les tribunaux peuvent effectivement prendre en charge la gestion et la résolution des conflits d’usages causés par les variations hydrologiques les plus importantes. Dans ce contexte, les recours constituent une méthode d’allocation des risques économiques provoqués par la variabilité des régimes hydriques. En général, les recours judiciaires ont une portée curative. Le droit d’action permet d’indemniser les victimes des dommages subis. L’objectif compensatoire des recours vise à remettre le demandeur dans l’état où il se trouvait avant la survenance des faits préjudiciables, ce qui favorise le maintien de la situation de la personne encourant des dommages à cause de pluies abondantes, d’inondations ou d’un manque d’eau. Globalement, les recours promeuvent ainsi la stabilité des relations entre utilisateurs de l’eau. En matière d’adaptation à la variabilité hydrologique, les recours interviennent surtout à l’étape du rétablissement plutôt qu’au stade de la prévention ou de l’atténuation.
Deuxièmement, les dispositions prévoyant un recours visent des ensembles de situations génériques qui ne tiennent pas compte explicitement de la variabilité hydrologique. Cette lacune en fait des outils de gestion imprécis. Il est difficile de prévoir le résultat exact des recours intentés pour recouvrer des dommages réclamés à la suite de variations hydrologiques exceptionnelles. Néanmoins, les divers critères sur lesquels repose l’application de chaque recours confèrent un effet juridique aux fluctuations des régimes hydriques, bien qu’ils n’aient pas explicitement pour objet la variabilité hydrologique. Les notions de normalité et de récurrence, de conduite prudente et diligente, d’écoulement naturel et d’imprévisibilité peuvent refléter divers aspects des variations hydrologiques. Certains recours pourraient même amplifier les répercussions de la variabilité hydrologique dans le domaine juridique. La présomption du fait autonome d’un bien pousse le gardien d’un ouvrage nuisant à l’écoulement des eaux à modifier l’ouvrage pour tenir compte des changements à moyen et à long terme dans les tendances relatives aux pluies, aux crues et aux inondations. À l’opposé, d’autres dispositions tendent à limiter l’impact des variations hydrologiques en droit. L’application de la défense de force majeure prive d’effet juridique certaines situations où des évènements hydrologiques extrêmes causent des dommages. Néanmoins, l’accroissement de la variabilité hydrologique dans un contexte de changement climatique pourrait rendre généralement moins stable et prévisible l’application des règles de droit qui fondent les recours. L’ampleur de l’instabilité dépendrait en partie de la familiarité de la communauté juridique à l’égard des sciences hydrologiques et de la fréquence des litiges liés aux variations des régimes hydriques.
Finalement, les recours judiciaires doivent être considérés dans l’ensemble du cadre juridique relatif à la gestion de l’eau afin d’offrir une perspective appropriée sur le rôle qu’ils jouent, les limites qu’ils imposent à la prise en considération de la variabilité hydrologique et les possibilités de réformes dont ils pourraient faire l’objet. En amont des recours, le droit statutaire gère la plupart des aspects relatifs aux conflits d’usages par des mesures préventives destinées à éviter les situations les plus problématiques. Par exemple, la Loi sur la sécurité des barrages instaure un régime d’autorisation qui permet d’assurer la sécurité de certains prélèvements en fonction de la variabilité hydrologique. La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables permet de gérer le territoire en fonction des risques de crue et d’inondation. En aval, les recours judiciaires fournissent des moyens de résoudre des conflits avérés que le cadre juridique statutaire visant la gestion prospective et préventive n’a pas permis d’éviter. Pour la plupart, les dispositions générales sur lesquelles se fondent les recours constituent une couche sous-jacente formée de normes de droit commun sollicitées lorsque les mesures préventives détaillées par le droit statutaire ne parviennent pas à atteindre leur objectif à cause de l’incertitude engendrée par la variabilité hydrologique.
De ce portrait général découlent deux constats. D’une part, les recours jouent principalement un rôle subsidiaire. Ils forment un cadre supplétif qui entre en jeu lorsque le droit statutaire n’est pas en mesure de prévenir ou de gérer un conflit provoqué par la variabilité hydrologique. La présence d’un tel filet de sécurité reste essentielle, aussi sophistiqué et efficace que soit l’encadrement statutaire. Un certain décalage entre la subtilité des outils de gestion mis en place par le cadre statutaire, d’une part, et la rusticité des recours à l’égard des variations hydriques, d’autre part, est inévitable. Par ailleurs, l’amélioration et l’extension du cadre statutaire peuvent réduire le champ d’application des recours. Par exemple, le régime de gestion des prélèvements d’eau de la Loi sur la qualité de l’environnement a fait l’objet d’une réforme afin de mieux tenir compte de la variabilité hydrologique par une série de mécanismes : 1) l’intégration de la gestion des prélèvements dans un cadre unique qui s’étend à un plus vaste éventail d’activités ; 2) la limitation et la modulation de la durée des autorisations de prélèvement ; et 3) le pouvoir de suspension et d’annulation des prélèvements aux fins de protection des écosystèmes aquatiques et de la santé publique. En situation de stress hydrique, il est désormais possible de gérer la réduction temporaire de prélèvements codépendants plutôt que d’assister à l’accroissement de la compétition entre usagers d’une même source jusqu’à l’apparition de litiges. L’amélioration du régime de la Loi sur la qualité de l’environnement peut ainsi réduire les conflits d’usages et éviter les recours qui en résultent. L’éventuelle bonification d’autres aspects du cadre statutaire pourrait marginaliser le rôle des recours.
Parties annexes
Remerciements
Cet article détaille une partie des résultats d’un projet de recherche qui a bénéficié du soutien financier du Consortium Ouranos, de la Fondation du Barreau du Québec, d’Hydro-Québec et du Fonds vert du Québec. Je remercie Nicolas Audet, M. Sc. Env., et Me Claire Morency pour leur soutien et leur aide au long de ce projet. Je remercie aussi Me Jean-François Lacasse, Richard Trucotte, ing., Ph.D., Michel Ouellet, ing., M.Sc., Jean-François Cyr, ing., M.Sc., Gilles Bérubé et professeur François Anctil, dont les commentaires ont permis de bonifier les résultats du projet. Anne Virginie Desmarais, étudiante, a effectué une partie de la recherche jurisprudentielle utilisée pour la rédaction de ce texte. Je suis responsable de toute erreur ou omission contenue dans cet article. La recherche jurisprudentielle est à jour en date du 14 août 2016, au moment de la soumission de l’article.
Notes
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[1]
Selon Brian L. Finlayson, Murray C. Peel et Thomas A. McMahon, « Understanding Global Hydrology », dans Quentin Grafton et Karen Hussey (dir.), Water Resources Planning and Management, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 23, à la page 39, les variations hydrologiques expriment des différences par rapport à une moyenne. D’après Bryson Bates et autres (dir.), Climate Change and Water. IPCC Technical Paper VI, Genève, Intergovernmental Panel on Climate Change, 2008, p. 8 : « Water availability from surface water sources or shallow groundwater wells depends on the seasonality and interannual variability of streamflow, and a secured water supply is determined by seasonal low flows. »
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[2]
Pour un aperçu des indicateurs, voir Centre d’expertise hydrique du Québec, Atlas hydroclimatique du Québec méridional. Impact des changements climatiques sur les régimes de crue, d’étiage et d’hydraulicité à l’horizon 2050, Québec, Gouvernement du Québec, 2015, p. 7, [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/hydrometrie/atlas/atlas_hydroclimatique.pdf] (1er juillet 2016). À titre d’exemple jurisprudentiel illustrant l’intérêt en droit de ces indicateurs et méthodes de mesure de la variabilité hydrologique, voir l’affaire Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, 2015 QCCA 1344, par. 197.
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[3]
Selon François Anctil, Jean Rousselle et Nicolas Lauzon, Hydrologie : cheminements de l’eau, Montréal, Presses internationales Polytechnique, 2005, p. 85, le suivi des précipitations de neige et de leur accumulation au sol fait appel à des indicateurs spécifiques : la hauteur de précipitation, la hauteur de chute de neige, la hauteur de couverture de neige, l’eau de fonte et l’ablation.
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[4]
Pour une série d’indicateurs de la variabilité des précipitations, telle la quantité de précipitations provenant des jours les plus pluvieux (R95p), voir Hélène Côté, « Les précipitations », dans Vers l’adaptation. Synthèse des connaissances sur les changements climatiques au Québec, Montréal, Ouranos, 2015, p. 16, à la page 21.
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[5]
Centre d’expertise hydrique du Québec, Lignes directrices pour l’estimation des débits d’étiage sur le territoire québécois, [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/debit- etiage/methode] (1er juillet 2016). Pour la valeur réelle des débits d’étiage selon la rivière, voir Centre d’expertise hydrique du Québec, Débits d’étiage aux stations hydrométriques du Québec, novembre 2014, [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/debit-etiage/Tableau -debits-etiage-stations-hydrometriques.pdf] (1er juillet 2016).
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[6]
Voir : Centre d’expertise hydrique du Québec, Guide sommaire des méthodes d’estimation des débits de crues pour le Québec, [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/debits-crues/ methodes-estimation.htm] (1er juillet 2016) ; Centre d’expertise hydrique du Québec, Débits de crue aux stations hydrométriques du Québec, [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/debits-crues/ stations-hydrometriques.htm] (1er juillet 2016). Pour la valeur réelle des crues, voir Centre d’expertise hydrique du Québec, Débits de crue aux stations hydrométriques du Québec (Débits moyens journaliers), février 2016, [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/debits-crues/ tableau-debits-crues.pdf] (21 mars 2017).
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[7]
Centre d’expertise hydrique du Québec, « Zones inondables – Information générale », [En ligne], [www.cehq.gouv.qc.ca/zones-inond/] (1er juillet 2015). La cote d’inondation de récurrence de deux ans correspond à une ligne des hautes eaux.
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[8]
Voir supra, notes 5 et 6.
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[9]
Centre d’expertise hydrique du Québec, préc., note 7.
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[10]
Voir Daniel P. Loucks, « Risk and Uncertainty in Water Resources Planning and Management : A Basic Introduction », dans Q. Grafton et K. Hussey (dir.), préc., note 1, p. 230.
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[11]
Voir Alberto Montanari, Christine A. Shoemaker et Nick Van de Giesen, « Introduction to Special Section on Uncertainty Assessment in Surface and Subsurface Hydrology : An Overview of Issues and Challenges », Water Resources Research, vol. 45, no 12, 2009.
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[12]
Voir Dennis L. Hartmann et autres, « Observations : Atmosphere and Surface », dans Thomas F. Stocker et autres (dir.), Climate Change 2013. The Physical Science Basis. Working Group I Contribution to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 159, aux pages 208-222 ; Jonathan Verschuuren, « Climate Change Adaptation and Water Law », dans Jonathan Verschuuren (dir.), Research Handbook on Climate Change Adaptation Law, Cheltenham, Edward Elgar, 2013, p. 250 ; Zbigniew Kundzewicz et autres, « Freshwater Resources and their Management », dans Martin Parry et autres (dir.), Climate Change 2007 : Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 173, aux pages 176 et 199. Pavel Kabat et autres, « Climate Variability and Change – and Freshwater Management », International Review for Environmental Strategies, vol. 3, no 2, 2002, p. 294, à la page 295, affirment ceci :
[C]limate change is expected to have a major impact on water resources. A significant proportion of the solar energy received by the Earth is utilised in driving the hydrological cycle – for evaporating the vast quantities of water that are moved and precipitated every year. Since increases in greenhouse gas concentrations in the atmosphere will lead to an increase of the available energy on the surface of the Earth, an « intensification » of the hydrological cycle will occur. And since the oceans play a major role in climate, storing and releasing sizeable proportions of the incoming energy, the expected intensification of the hydrological cycle will not be experienced as a smooth linear trend, but rather in the form of oscillations of the variability of climate – with more frequent oscillations and increases in amplitude over some areas. Clearly, therefore, global increases in temperature will have profound effects on event magnitudes, frequencies and intensities of rainfall as well as its seasonal and geographical distribution and its inter-annual variability.
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[13]
P. Kabat et autres, préc., note 12, p. 294 et 295, précisent ce qui suit :
Natural climate variability has a direct and fundamental bearing on water resources and their management. The search for ways to cope with climate variability lies behind many water resources development and management decisions, and the evolution of hydrology in many ways is a reflection of humankind’s struggle to deal with the ups and downs of rainfall and streamflow, both seasonally and inter-annually. Coping with floods and droughts is a major part of the responsibility of water agencies across the world, and their ability to deal with climate variability and its unpredictability is clearly a factor in determining the efficiency and effectiveness of water use.
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[14]
Michael Freeman, Lloyd’s Introduction to Jurisprudence, 9e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2014, p. 9.
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[15]
Alastair R. Lucas, Security of Title in Canadian Water Rights, Calgary, Institut canadien du droit des ressources, 1990, p. 2 et 14 ; Paule Halley et Sylviane I. Goulet, « Les réformes du droit de l’eau au Québec : réflexions sur la prise en compte du changement climatique », dans S.F.P.B.Q., vol. 329, Développements récents en droit de l’environnement (2010), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 113, à la page 132.
-
[16]
Antony N. Allot, The Limits of Law, Londres, Butterworths, 1980, p. 16 ; Sheila Jasanoff, « Making Order : Law and Science in Action », dans Edward J. Hackett et autres (dir.), The Handbook of Science and Technology Studies, 3e éd., Cambridge, MIT Press, 2008, p. 761, aux pages 768 et 769.
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[17]
Voir A. Dan Tarlock, « Do Water Law and Policy Promote Sustainable Water Use ? », (2011) 28 Pace Int’l L. Rev. 642, 651 : « Water law has always provided users clear notice of the risks of a reduction in the amount of water to which they will be entitled. The risks include reduced quantities because of a drought, the wasteful or non-beneficial use of water, and total or partial displacement by “higher” or subsequent uses including public rights. »
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[18]
Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2 ; Loi sur la sécurité des barrages, RLRQ, c. S-3.1.01 ; Loi sur le régime des eaux, RLRQ, c. R-13 (ci-après « LRE »).
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[19]
Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c. A-19.1 ; Loi sur la sécurité civile, RLRQ, c. S-2.3 ; Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, RLRQ, c. Q-2, r. 35.
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[20]
Les questions portant sur la qualité de l’eau sont cruciales. Les évènements climatiques extrêmes peuvent indirectement entraîner la contamination de l’eau par la surverse d’égouts sanitaires, par la percolation ou le lessivage des engrais et des pesticides en milieu agricole ou encore par la résurgence de produits toxiques qui se trouvent dans des sites d’enfouissement, des bassins de rétention et des mines. Cependant, l’ampleur du sujet nous empêche de traiter dans un seul article les conflits d’usages en matière de qualité de l’eau et ceux qui sont relatifs à la quantité de l’eau.
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[21]
LRE, préc., note 18. Anciennement, ce régime était assimilé à une servitude légale en faveur du propriétaire ou de l’exploitant d’un ouvrage de retenue d’eau qui lui permettait d’inonder les riverains aux environs de l’ouvrage. Il est désormais reconnu que c’est là un régime de responsabilité : R. c. Southern Canada Power Co., [1937] 3 D.L.R. 737, 744. Néanmoins, ce texte se réfère au régime par l’appellation de « servitude d’inondation » parce que l’expression est imagée, qu’elle décrit bien son effet et qu’elle permet de le distinguer des autres régimes de responsabilité de façon aisée et concise.
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[22]
Voir : LRE, préc., note 18, art. 5 et 56 ; Lorne Giroux et autres, « Le régime juridique applicable aux ouvrages de retenue des eaux au Québec », (1997) 38 C. de D. 3, 56-59. Notre réflexion relative à ce recours est fortement tributaire de l’article du professeur Lorne Giroux et de ses collaborateurs qui présentent une étude magistrale de la plupart des aspects de la LRE.
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[23]
Voir l’affaire Ouimette c. Procureur général du Canada, [2002] R.J.Q. 1228 (C.A.), par. 75-87. Quant à l’application du régime de la LRE à la Couronne provinciale et à ses mandataires, voir : L. Giroux et autres, préc., note 22, 9-12 ; Arseneault c. Société immobilière du Québec, [1998] R.R.A. 231, J.E. 98-237 (C.S.), p. 17-20 ; Fournier c. Hydro-Québec, [2005] no AZ-50301407, J.E. 2005-866 (C.S.), par. 97.
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[24]
LRE, préc., note 18, art. 13 (1). L’article 13 (2) prévoit que le Tribunal administratif du Québec évalue et fixe le préjudice et les dommages-intérêts. Dans l’affaire Brompton Pulp and Paper Co. c. Grégoire, [1950] B.R. 329, par. 12, la Cour illustre ce à quoi peuvent faire référence les mots « ou autrement » : « C’est ainsi [que les dommages résultant d’autres motifs] pourront avoir été causés non pas comme résultat de la trop grande élévation des écluses, mais, v. g. par suite de la négligence de leur entretien, par suite du mode défectueux de leur construction, par suite enfin des griefs que fait valoir le demandeur dans sa déclaration [défaut de briser la glace et de tenir le réservoir d’un barrage libre d’embâcle]. »
-
[25]
LRE, préc., note 18, art. 15.
-
[26]
R. c. Southern Canada Power Co., préc., note 21.
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[27]
Blanchette c. Courcelles (Corporation municipale de), 2007 QCCQ 11027 (requête pour permission d’appeler rejetée, C.A., 12-05-2007, 200-09-006151-077).
-
[28]
Boucher c. Lacaille, 2008 QCCQ 6112. Dans cette affaire, plusieurs ruisseaux et au moins un autre barrage se trouvent en amont de la résidence endommagée. Aucun expert ne témoigne pour démontrer les prétentions du requérant. Le tribunal retient de la preuve que le niveau du réservoir de l’ouvrage de retenu est resté normal en tout temps jusqu’à la fin des précipitations. Pourtant, il est établi que l’exutoire de l’ouvrage a été ouvert à deux reprises pour augmenter le débit de sortie du réservoir.
-
[29]
Fournier c. Hydro-Québec, préc., note 23, par. 100. Au paragraphe 103, la Cour supérieure ajoute que l’alternative « obligerait le propriétaire ou l’exploitant de l’ouvrage de retenue à le garder perpétuellement en opération et à maintenir des bassins d’eau artificiels sans jamais pouvoir rendre à la rivière son cours et son débit d’origine ». Toutefois, le préjudice subi par des riverains à cause d’un embâcle peut être réclamé contre le propriétaire-exploitant d’un barrage deux ans après le démantèlement de l’ouvrage : Groupe CGU Canada ltée c. Ste-Marie de Beauce (Ville de), 2006 QCCS 1105. La ratio de ce dernier jugement est ambiguë dans la mesure où la Cour supérieure semble s’appuyer plus sur les principes de bon voisinage que sur la servitude d’écoulement.
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[30]
Voir L. Giroux et autres., préc., note 22, p. 9, plus particulièrement la note 13.
-
[31]
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 976 et 979-983.
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[32]
Par exemple, plusieurs sources indiquent que les articles 983 et 979 C.c.Q. sont des applications particulières de l’article 976 C.c.Q. ; voir notamment : Cloutier c. Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de), 2014 QCCS 5584, par. 25 et 26 ; Tessier c. Veillette, 2014 QCCQ 4482 ; Patoine c. Maltais, 2013 QCCQ 13711 ; Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 194.
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[33]
C.c.Q., art. 976. La doctrine a exploré en détail les troubles de voisinage : voir Isabelle Landry et Marie-Krystel Ouellet, « Évolution de la notion de troubles de voisinage en matière environnementale : questionnements et distinctions », dans S.F.C.B.Q., vol. 370, Développements récents en droit de l’environnement (2013), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 1 ; Pascale Lecocq, « Quand le voisin devient victime », dans Benoît Moore (dir.), Mélanges Jean-Louis Baudouin, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 813 ; Jean Teboul, « Troubles de voisinage : l’article 976 C.c.Q. et le seuil de normalité », (2012) 71 R. du B. 99 ; Geneviève Tétreault, « Le trouble de voisinage dans les méandres de la légalité : l’exemple du droit de l’environnement », (2011) 113 R. du N. 511 ; Yaëll Emerich, « Contribution à une étude des troubles de voisinage et de la nuisance : la notion de devoirs de la propriété », (2011) 52 C. de D. 3 ; François Fontaine, « L’arrêt Ciment St-Laurent : les principes sont-ils coulés dans le béton ? », dans S.F.C.B.Q., Congrès annuel du Barreau du Québec, Montréal, 2010, Marie-Ève Arbour et Véronique Racine, « Itinéraires du trouble de voisinage dans l’espace normatif », (2009) 50 C. de D. 327 ; Pierre-Claude Lafond, « L’heureuse alliance des troubles de voisinage et du recours collectif : portée et effets de l’arrêt Ciment du Saint-Laurent », (2009) 68 R. du B. 385 ; Michel Bélanger, « L’après Ciment St-Laurent pour les recours collectifs en environnement », dans S.F.C.B.Q., vol. 312, Développements récents en recours collectifs (2009), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 61 ; Élise Charpentier et Benoît Moore, « Responsabilité civile et rapports de voisinage. Responsable ou obligé ? Commentaire de l’arrêt Ciment du St-Laurent c. Barrette », (2009) 43 R.J.T. 467 ; Michel Gagné, « Les recours pour trouble de voisinage : les véritables enjeux », dans S.F.C.B.Q., vol. 214, Développements récents en droit de l’environnement (2004), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 69.
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[34]
L’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, constitue le précédent incontournable. Au paragraphe 86, la Cour suprême du Canada précise que la nature du comportement n’est pas pertinente, qu’il soit fautif ou non, l’élément déterminant majeur étant le résultat de l’acte accompli. C’est donc un régime de responsabilité sans faute distinct de celui de l’article 1457 C.c.Q. (voir infra, section 3.1).
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[35]
Id. ; Plantons A et P inc. c. Delage, 2015 QCCA 7, par. 77-79.
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[36]
Plantons A et P inc. c. Delage, préc., note 35, par. 8.
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[37]
Id. : le tribunal se réfère à J. Teboul, préc., note 33.
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[38]
Id. La notion de préoccupation collective pourrait être liée à celle d’utilité publique : voir infra, note 52.
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[39]
Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, 2009 QCCA 257, par. 15-18.
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[40]
Plantons A et P inc. c. Delage, préc., note 35. Le critère de récurrence du trouble doit aussi être évalué objectivement en fonction du point de vue d’une personne raisonnable et non en fonction des perceptions subjectives de la victime. Dans l’affaire Fol c. Québec (Procureur général) (Centre d’expertise hydrique du Québec), 2015 QCCQ 2196, la Cour du Québec se réfère à des critères de caractère substantiel et déraisonnable établis par la Cour suprême dans l’arrêt Antrim Truck Centre Ltd. c. Ontario (Transports), [2013] 1 R.C.S. 594. Ces critères sont étroitement apparentés aux critères de récurrence et de gravité. Cependant, le raisonnement de la Cour suprême comprend plusieurs considérations qui permettent de calibrer plus précisément l’évaluation des troubles de voisinage dans le contexte de travaux d’utilité publique, ce qui est souvent le cas en matière de prévention contre les inondations ou de sécurité des approvisionnements en eau aux fins d’alimentation.
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[41]
Voir l’affaire Orychiwsky c. Murphy, [2005] R.D.I. 109, J.E. 2005-239 (C.S.), par. 64-89.
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[42]
Trépanier c. Rigaud (Municipalité de), 2006 QCCQ 5114. Dans une affaire similaire, Dufour c. Grégoire, [2004] no AZ-50234111, B.E. 2004BE-518 (C.Q.), les problèmes d’alimentation d’un puits domestique sont causés par le forage et la mise en marche d’installations de captage à des fins agricoles dans le voisinage.
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[43]
Poisson c. Arthabaska (Corp. du comté d’), [1999] R.D.I. 375, [1999] R.R.A. 727, J.E. 99-1195 (C.S.).
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[44]
Outre les causes abordées dans les pages suivantes, d’autres dossiers pendants relatifs à la gestion de barrage peuvent être pertinents : voir l’affaire Lessard c. Arcand, 2012 QCCS 275 (dossier en état), dans lequel des résidents situés à proximité de barrages ont été victimes de sinistres en raison d’inondations provoquées par les débordements de la rivière Saint-François, du lac Louise, de la rivière aux Saumons et de la rivière aux Canards. Voir aussi Catherine Choquette, Édith Guilhermont et Marie-Pier Goyette Noël, « La gestion du niveau d’eau des barrages-réservoirs au Québec : aspects juridiques et environnementaux », (2010) 51 C. de D. 827, 852-855.
-
[45]
Ouimette c. Procureur général du Canada, préc., note 23.
-
[46]
Id, par. 105 et 106 :
En l’espèce, l’appelant et les gens qu’il représente ne sont pas des voisins de l’intimé. Près de 100 kilomètres séparent le barrage de l’intimé de l’extrémité nord du Lac Témiscamingue. Donner une interprétation aussi large que le propose l’appelant à la disposition invoquée enlèverait toute signification au terme voisins privilégié par le codificateur et trahirait son intention.
Le simple fait que des personnes aient des droits dans des propriétés situées sur un même plan d’eau n’en fait pas pour autant des voisins sinon, les résidents de Sept-Îles entretiendront bientôt des relations de voisinage avec leurs concitoyens de Montréal.
-
[47]
Voir l’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 34, par. 96.
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[48]
Dans l’affaire Trépanier c. Rigaud (Municipalité de), préc., note 42, la zone d’influence qui entraîne un rabattement de la nappe phréatique s’étend dans un rayon de 500 mètres autour des puits municipaux causant les inconvénients, ce qui suggère les limites du voisinage en l’espèce à l’égard des volumes d’eau souterraine.
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[49]
Association des résidents riverains de La Lièvre inc. c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCS 5100.
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[50]
Id., par. 762-768.
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[51]
Lampron c. Énergie Algonquin (Ste-Brigitte) inc., 2013 QCCS 3989 (appel rejeté : 2015 QCCA 475).
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[52]
Voir l’affaire Fournier c. Hydro-Québec, préc., note 23, par. 72-74 et 87. I. Landry et M.-K. Ouellet, préc., note 33, aux pages 28-31, en dégagent une défense d’utilité publique caractérisée à l’encontre d’un recours en troubles de voisinage. Toutefois, les motifs de l’affaire Fournier reposent au moins autant sur l’absence de droit distincts et de dommages particularisés. De plus, les motifs de la Cour d’appel dans l’affaire Plantons A et P inc. c. Delage, préc., note 35, indiquent que l’utilité publique de travaux causant des inconvénients serait un élément du contexte à prendre en considération plutôt qu’une défense caractérisée.
-
[53]
Voir l’affaire Dupuis c. Canada (Procureur général), 2014 QCCS 3997, par. 93, où, selon la Cour supérieure, l’érection d’un barrage aurait initialement dû être complétée par des travaux de dragage pour régulariser les eaux de la rivière Richelieu et éviter des crues récurrentes :
La décision de procéder ou non aux Travaux de dragage est une décision politique (« policy decision »).
Cette décision, prise au plus haut niveau du gouvernement, est tributaire de facteurs et contraintes d’ordre financier, économique, social et, de plus en plus, environnemental qui relèvent de la policy et le Tribunal ne peut, à moins d’exceptions telle la mauvaise foi, s’ingérer dans cette sphère parce qu’elle ne le concerne pas.
De fait, sans que ceci ne soit déterminant pour décider de cette question, il appert que les gouvernements ont plutôt, dès 1976, fait le choix de concentrer plutôt leur policy à réglementer la plaine inondable et la construction dans les régions susceptibles d’être inondées (par. 138-140 ; référence omise).
Voir aussi l’affaire Ouimette c. Procureur général du Canada, préc., note 23, par. 33-46, bien que dans cette dernière l’immunité ne serve pas à écarter le recours en cas de troubles de voisinage, mais uniquement la faute.
-
[54]
Groupe CGU Canada ltée c. Ste-Marie de Beauce (Ville de), préc., note 29.
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[55]
Id.
-
[56]
Fol c. Québec (Procureur général) (Centre d’expertise hydrique du Québec), préc., note 40, par. 22. L’étiage de la rivière des Mille Îles au cours de l’été 2010 a atteint les minimums historiques à cause des faibles précipitations, pour rejoindre son point le plus bas à 11,8 mètres cubes par seconde pendant le mois d’août, alors qu’il oscille normalement aux alentours de 80 mètres cubes par seconde : Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, « Rapport sur l’état de l’eau et des écosystèmes aquatiques au Québec », [En ligne], [www.mddelcc.gouv.qc.ca/rapportsurleau/ Etat-eau-ecosysteme-aquatique-qte-eau-Quelle- situation_Rivieres-Fleuve.htm] (1er juillet 2016).
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[57]
Bien qu’il soit ample, ce domaine ne s’étend pas à des considérations liées à la propriété du lit et des rives d’une rivière ou d’un lac : voir l’affaire Dupuis c. Canada (Procureur général), préc., note 53, par. 209 et 210.
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[58]
Association des résidents riverains de La Lièvre inc. c. Québec (Procureure générale), préc., note 49, par. 762 et 763.
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[59]
Le consensus scientifique à propos des changements climatiques pourrait se répercuter sur l’application de l’article 2808 C.c.Q., selon lequel un « tribunal doit prendre connaissance d’office de tout fait dont la notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable ». À cet égard, voir l’affaire Blanchette c. Courcelles (Corporation municipale de), préc., note 27, par. 35. On peut imaginer que l’ampleur de la diffusion d’ouvrages tels que ceux qui sont publiés par le Centre d’expertise hydrique du Québec, préc., note 2, pourrait influer indirectement sur l’application du standard de la personne raisonnable.
-
[60]
C.c.Q., art. 979 al. 1. Ce n’est pas une servitude au sens propre, mais les termes « servitude d’écoulement » restent largement employés. Les recours accordés par cet article ne peuvent être exercés que par les propriétaires des terrains : Paquin c. Perron, [2004] R.D.I. 945, J.E. 2004-1669 (C.S.). Le recours est donc assujetti au délai de prescription de dix ans en matière immobilière : voir l’affaire 3563308 Canada inc. c. Québec (Procureure générale) (Ministère des Transports), 2015 QCCS 2477.
-
[61]
C.c.Q., art. 979 al. 2 ; Légaré c. Garant, 2013 QCCQ 8343 (« le fonds inférieur doit subir l’écoulement naturel des eaux provenant du fonds plus élevé. Le propriétaire du fonds inférieur ne peut empêcher cet écoulement, par exemple en élevant une digue ou un barrage en exécutant des travaux de canalisation ou en obstruant un fossé, ce qui aurait pour effet de nuire au fonds supérieur ») ; Guitard c. Laurin, 2011 QCCQ 3065 (exhaussement du terrain inférieur).
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[62]
C.c.Q., art. 979 al. 2 ; Monfourny c. St-Étienne-de-Bolton (Municipalité de), 2009 QCCQ 3197 (endiguement d’un étang de rétention à des fins récréatives et pour lutter contre les incendies) ; Boivin c. Côté, 2008 QCCQ 4823 (détournement d’un ruisseau, remplissage et nivellement d’un chemin) ; Hébert c. Perron, 2007 QCCS 3197 (creusage d’un fossé détournant les eaux d’un marais) ; Migneault c. Québec (Ville de), 2006 QCCQ 51 (installation d’un tuyau d’évacuation des eaux provenant d’un secteur résidentiel voisin) ; Pomerleau c. Petites Soeurs de la Sainte-Famille, 2004 CanLII 7079 (C.Q.) (défaut d’entretien d’un système de captation des eaux de pluie).
-
[63]
Cloutier c. Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de), préc., note 32, par. 38 ; Légaré c. Garant, préc., note 61.
-
[64]
Voir : Forest c. Laval (Ville de), [1998] R.D.I. 536, [1998] R.R.A. 953, J.E. 98-1788 (C.A.) ; St-Lambert (Corp. municipale de) c. Bourcier, [1993] no AZ-94011085, J.E. 94-98 (C.A.) ; 35633308 Canada c. Québec, préc., note 60 (un échangeur routier empêche l’écoulement et doit être modifié) ; Laganière c. Carignan, 2015 QCCQ 4283 (réfection du système de drainage implanté par une municipalité) ; Cloutier c. Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de), 2014 QCCS 5584, par. 126-130 ; Vaillancourt c. Moyen, 2013 QCCQ 15524 (dans un quartier nouveau où le profil du terrain résulte non pas de la nature, mais des stratégies de développement de la municipalité en fonction de calculs de voirie, il faut appliquer l’article 979 avec prudence) ; Entreprises Beau-Voir inc. c. De Koninck, 2012 QCCS 3445, par. 213-263 (responsabilité de la municipalité retenue en partie pour aggravement de la servitude d’écoulement dans une situation où les égouts pluviaux ne sont pas conformes aux règles de l’art) ; Migneault c. Québec, préc., note 62.
-
[65]
Voir l’affaire Ouimette c. Procureur général du Canada, préc., note 23, par. 88-97, où la Cour d’appel se réfère aux enseignements de la Cour suprême pour énoncer ceci (par. 92) : « Il est vrai que la situation de l’intimé [l’opérateur du barrage] s’apparente à celle du propriétaire du fonds inférieur. Il est propriétaire d’un barrage dont l’érection a provoqué une inondation importante des propriétés riveraines, donc une aggravation de la servitude d’inondation qu’elles subissaient déjà. » Cependant, la servitude d’écoulement est inapplicable en l’espèce parce qu’elle a été écartée par l’intervention politique et législative de la Couronne fédérale. Voir aussi l’affaire Ferme Jeanmiber inc. c. Ross, [1996] no AZ-96021165, J.E. 96-436 (C.S.) (appel rejeté sur requête, C.A., 09-04-1996, 200-09-000748-969), où l’ouvrage de retenue est artisanal et n’a fait l’objet d’aucune autorisation formelle.
-
[66]
C.c.Q., art. 979 al. 2 ; Blais c. Vaillancourt, [2004] no AZ-50227205, B.E. 2004BE-469 (C.S.), par. 11-14.
-
[67]
Duquette c. Aimez, 2008 QCCS 3051, par. 28 ; Viau c. Davis, [2000] R.D.I. 71, J.E. 2000-199 (C.S.).
-
[68]
Cloutier c. Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de), préc., note 32, par. 32-35 ; Québec (Ville de) c. Commission des champs de bataille nationaux, 2008 QCCS 1564, par. 68 ; Ferme Jeanmiber inc. c. Ross, préc., note 65, 14 ; Drouin c. St-Bruno de Montarville (Ville de), 2014 QCCQ 1314, par. 21 ; P.-Cl. Lafond, préc., note 33, p. 309 ; contra : Légaré c. Garant, préc., note 61 (remplissage d’un fossé) ; Côté c. Proulx, [1990] R.L. 191, J.E. 90-434 (C.A.) (remblai d’un fossé de ligne entre deux terrains) ; Grimard c. Commission scolaire Rouyn-Noranda, [2005] no AZ-50307297, B.E. 2005BE-474 (C.Q.) (défaut d’entretien d’un fossé).
-
[69]
Orychiwsky c. Murphy, préc., note 41, par. 44 et 48.
-
[70]
Ministère de la Justice du Québec, Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec, un mouvement de société, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1993, p. 575. La jurisprudence répète fréquemment ce constat.
-
[71]
Par ailleurs, la servitude d’écoulement peut illustrer une résistance au changement dans l’application des règles de droit qui permettent la modification artificielle de l’écoulement naturel des eaux. La règle jurisprudentielle dégagée sous l’empire du Code civil en vigueur avant 1994, selon laquelle le drainage agricole fait exception à l’obligation de ne pas aggraver la situation des terrains inférieurs, n’a pas été reprise de façon textuelle par la nouvelle codification. Le C.c.Q. mentionne tout au plus que le drainage agricole n’est pas présumé aggraver la situation, ce qui pourrait implicitement suggérer une présomption générale d’aggravement en cas de travaux sur le fonds supérieur. Alors qu’une exemption est définitive, une présomption peut être renversée. Malgré le texte de l’article 979 C.c.Q., la jurisprudence continue à appliquer cette disposition comme accordant une exemption à l’interdiction de ne pas aggraver la situation des terrains inférieurs, et non comme établissant une présomption.
-
[72]
Voir : Hardy c. Cinq-Mars, [1985] no AZ-85011131, J.E. 85-371 (C.A.) ; Beauchemin c. Trudeau, (1933) 54 B.R. 62 ; Drouin c. St-Bruno de Montarville (Ville de), préc., note 68, par. 21. Contra : Paquette c. Clair, 2014 QCCA 2202 (inondations créées par les vents et les vagues de grandes marées lors de tempêtes).
-
[73]
Voir : Prévost c. Edwards, [2004] R.D.I. 303, J.E. 2004-712 (C.S.), par. 36 ; Tremblay c. Marchand (Succession de), [1986] R.D.I. 793, 795 (C.S.).
-
[74]
Ce recours a fait l’objet de plusieurs commentaires ; voir : Robert Godin, « Droit civil. Commentaire sur l’article 982 du Code civil du Québec – Deuxième partie », (2011) 70 R. du B. 203 ; Robert Godin, « L’intérêt général – Commentaire sur l’article 982 du Code civil du Québec ou “Je puise, mais n’épuise” », (2010) 69 R. du B. 137 ; P.-Cl. Lafond, préc., note 33, p. 319-321 ; Monique Lussier, « De certaines notions et recours de droit civil en matière de responsabilité environnementale extracontractuelle », dans S.F.P.B.Q., vol. 124, Développements récents en droit de l’environnement (1999), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 1, aux pages 81-86 ; Anne-Marie Sheahan, « Le Nouveau Code civil du Québec et l’environnement », dans S.F.P.B.Q., Développements récents en droit de l’environnement (1994), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 1, aux pages 11-16 ; Charlotte Lemieux, « La protection de l’eau en vertu de l’article 982 C.c.Q. : problèmes d’interprétation », (1992) 23 R.D.U.S. 191.
-
[75]
C.c.Q., art. 981 ; Poisson c. Arthabaska (Corp. du Comté d’), préc., note 43 ; Trépanier c. Rigaud (Municipalité de), 2006 QCCQ 5114 ; Dufour c. Grégoire, préc., note 42. Le recours englobe aussi la pollution de l’eau, mais cet aspect n’est pas pertinent à l’égard des volumes de prélèvement d’eau.
-
[76]
À propos des titulaires du recours, voir : Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 34, par. 81-84 ; Association des résidents du lac Mercier inc. c. Paradis, [1996] R.J.Q. 2370 (C.S.).
-
[77]
Quant à l’aspect préventif, voir : Lambton (Municipalité de) c. Staniscia, 2006 QCCS 5484, par. 39 ; A.-M. Sheahan, préc., note 74, à la page 13.
-
[78]
À l’égard de l’intérêt général, voir l’affaire Boucher c. Pohénégamook (Ville de), 2012 QCCS 2362, par. 162. Voir aussi : Gestion Serge Lafrenière inc. c. Calvé, [1999] R.J.Q. 1313 (C.A.) ; Roy c. Tring-Jonction (Corp. municipale du village de), [2001] R.R.A. 806, J.E. 2001-769 (C.S.), p. 12 et 22 ; Association des résidents du lac Mercier inc. c. Paradis, préc., note 76 ; Ouimette c. Canada (Procureur général), [1995] R.J.Q. 1431 (C.S.). Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale. Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 213-216, fournissent une définition des termes « intérêt général » qui aide à comprendre leur portée. Depuis l’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 34, la tendance à voir les articles 976 et suivants C.c.Q. comme supplétifs du droit de l’environnement pourrait réduire la limite du recours en épuisement induite par les termes « contraire à l’intérêt général ». Néanmoins, l’impact de ces termes reste incertain, ce qui se répercute sur la portée du recours en épuisement. Selon certains auteurs, si les prélèvements d’eau autorisés par un permis administratif conformément à la législation applicable reflètent et concrétisent l’intérêt général, leurs impacts environnementaux pourraient être hors de portée du recours en épuisement : voir R. Godin, « Droit civil. Commentaire sur l’article 982 du Code civil du Québec – Deuxième partie », préc., note 74, p. 209-217. La situation est encore moins claire à l’égard des prélèvements d’eau qui bénéficient d’une exemption en vertu de laquelle l’obtention d’un certificat, d’une autorisation, ou un permis n’est pas requise ; voir : Loi sur la qualité de l’environnement, préc., note 18, art. 22, 31.47, 31.75 et 31.87 ; Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, RLRQ, c. Q-2, r. 35.2, art. 5 et 6 ; Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2, r. 3, art. 2 et 3. Dans un tel cas, la décision du législateur d’exempter un prélèvement reflète-t-elle une décision d’intérêt général ? Cette décision pourrait-elle plutôt indiquer une volonté de ne pas modifier le droit commun applicable ? Quoi qu’il en soit, la théorie selon laquelle les termes « contraire à l’intérêt général » écartent le recours de l’article 982 C.c.Q., et ce, dès que l’épuisement est causé par une action faisant l’objet d’une autorisation administrative, a vu sa force persuasive radicalement affaiblie depuis une intervention du législateur en 2009. Désormais, l’article 3 de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection, RLRQ, c. C-6.2, définit la notion d’intérêt général dans le contexte de la gestion des ressources hydrique (dans l’article premier de cette loi, la référence à l’article 913 C.c.Q., qui mentionne aussi l’intérêt général, confirme que le législateur demande une lecture conjuguée de cette loi et du C.c.Q.). Par conséquent, il semble maintenant probable que les termes « [à] moins que cela ne soit contraire à l’intérêt général » écartent le recours de l’article 982 C.c.Q. uniquement lorsque ce recours serait contraire aux impératifs de protection, de restauration, de mise en valeur et de gestion des ressources en eau. En fin de compte, l’importance de ces incertitudes est limitée tant que l’article 982 ne sera pas conceptualisé comme l’expression particularisée des règles de voisinage en matière hydrique. Actuellement, la jurisprudence laisse penser qu’un demandeur qui considérerait l’article 982 comme désavantageux pourrait tout simplement décider d’intenter un recours en vertu de l’article 976 C.c.Q.
-
[79]
R. Godin, « Droit civil. Commentaire sur l’article 982 du Code civil du Québec – Deuxième partie », préc., note 74, p. 208, en vient au même constat.
-
[80]
Dufour c. Grégoire, préc., note 42. L’affaire Ménard c. Goulet, 2006 QCCQ 7695 (responsabilité d’un voisin parce qu’il a creusé un fossé sur son terrain et, de ce fait, probablement asséché le puits de surface du demandeur), pourrait s’appuyer sur l’article 982 C.c.Q., mais le fondement de la responsabilité n’est pas indiqué dans le très bref jugement. Le rapport d’expert au soutien de la demande mentionne que « les conditions météorologiques des dernières années, avec une réduction substantielle des précipitations, à (sic) sûrement aussi contribué à réduire le niveau de la nappe d’eau du marais » (par. 3), ce qui réduit la part de responsabilité du voisin à 50 p. 100 des dommages encourus pour l’assèchement du puits.
-
[81]
Dufour c. Grégoire, préc., note 42, par. 12, 23, 24, 31 et 32 (l’italique est de nous).
-
[82]
C.c.Q., art. 1457. Les développements dans cette section s’appuie largement sur l’ouvrage de Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., t. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.
-
[83]
Toute conduite qui dévie de la conduite prudente et diligente ne constitue cependant pas une faute. Dans l’affaire Commission Hydro-Électrique du Québec c. Compagnie internationale de papier du Canada, [1987] R.J.Q. 2362 (C.A.), la Cour d’appel s’exprime ainsi :
[Je] ne peux suivre le jugement a quo qui caractérise comme fautive la décision d’Hydro-Québec de ne pas avoir utilisé depuis longtemps la méthode de production proposée par les experts. L’appelante n’avait pas cette obligation. Elle avait certes le devoir de se conduire raisonnablement dans l’opération du barrage. Mais, je ne peux admettre qu’il lui faille, pour ce faire, utiliser la meilleure procédure d’opération.
L’objectif d’éviter de dépasser la norme de 18 000 p.c.s. en période de crue de la rivière Désert, tant que le réservoir permettait d’absorber les apports naturels et que l’inondation pouvait être évitable, n’est pas excessif ou déraisonnable.
À mon avis et en toute déférence pour l’opinion contraire, un tribunal ne peut se substituer aux opérateurs d’un ouvrage et leur imposer un mode d’administration alternatif, à moins qu’il ne soit évident que celui utilisé était manifestement erroné, incorrect ou imprudent, ou contraire à des règles de fonctionnement établies.
-
[84]
J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 190-194.
-
[85]
Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 34, par. 32-36.
-
[86]
Id.
-
[87]
C.c.Q., art. 1607 et 1611. Voir J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 371 et suiv., plus particulièrement à la page 397, pour le dommage futur probable. Cette dernière caractéristique du dommage recevable mérite d’être soulignée dans le contexte d’une réflexion sur la variabilité hydrologique où les probabilités de survenance d’un évènement hydrique constituent un jalon usuel de la réflexion.
-
[88]
J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 709 et suiv., plus particulièrement aux pages 720 et 721.
-
[89]
Babin c. Hunger-Mayor, [2002] no AZ-50117707, B.E. 2002BE-350 (C.S.).
-
[90]
Perreault c. Ste-Luce (Municipalité de), 2011 QCCQ 8867.
-
[91]
Il s’agit du même phénomène que celui auquel se réfère le paragraphe plus haut afférant à la note 59, relativement au recours en cas de troubles de voisinage. Au même effet, voir infra, note 134.
-
[92]
J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 205.
-
[93]
Voir la Loi sur la sécurité civile, RLRQ, c. S-2.3, art. 5 et 6.
-
[94]
J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 201 et 202.
-
[95]
Voir C.c.Q., art. 2804.
-
[96]
Voir Chris Milly et autres, « Climate Change. Stationarity is Dead : Whither Water Management ? », Science, vol. 319, no 5863, 2008, p. 573.
-
[97]
J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 716, 717 et 725-727.
-
[98]
Selon J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 717, la théorie de la prévision raisonnable des conséquences « ne permet véritablement la détermination du lien de causalité que s’il existe une faute et ne peut être appliquée dans les situations d’intervention d’une force majeure ».
-
[99]
C.c.Q., art. 1465.
-
[100]
De façon générale, voir J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 867-903.
-
[101]
Id. ; Pascal Fréchette, « Le fait des biens », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Obligations et responsabilité civile, fasc. 19, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles.
-
[102]
Brown c. Hydro-Québec, [2003] R.R.A. 769 (C.A.).
-
[103]
Ultimement, un ouvrage qui cause des dommages à la suite d’un évènement météorologique extrême n’agit jamais de façon véritablement autonome, ne serait-ce du fait qu’il a été construit au départ. De manière générale à l’égard de cette question complexe, voir J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 876-885, selon qui « [l]’exigence du fait autonome permet tout d’abord d’exclure du champ d’application de l’article 1465 C.c. les cas où, lors de la réalisation du dommage, le bien était directement mû, dirigé, conduit ou contrôlé par une personne » (p. 880). La jurisprudence accepte les recours fondés sur l’article 1465 C.c.Q. lorsque le lien entre l’intervention humaine à l’égard de l’ouvrage et les dommages liés à la présence de l’ouvrage apparaissent suffisamment indirects. L’éloignement chronologique entre l’intervention humaine et le fait autonome du bien s’avère particulièrement important : Tremblay c. Tremblay (Municipalité de canton), [2005] R.R.A. 650, J.E. 2005-913 (C.Q.), par. 49.
-
[104]
Giguère c. Ste-Marie (Ville de), [2000] R.R.A. 733 (C.S.). Pour une autre illustration au même effet dans un contexte hydrographique marqué par les crues de 1996 dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, voir l’affaire Tremblay c. Tremblay (Municipalité de canton), préc., note 103.
-
[105]
Ouimette c. Procureur général du Canada, préc., note 23, par. 74.
-
[106]
Dans l’affaire Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, par. 131-143, la rivière Lorette est considérée comme un bien au sens de l’article 1465 C.c.Q. Connectés ensemble, la rivière et le réseau d’égout municipal constituent le système de drainage d’un quartier de Québec. Pour les limites de la logique qui assimile une rivière à un bien, voir l’affaire Dupuis c. Canada (Procureur général), préc., note 53, par. 149-170. Dans l’affaire Barnard c. Rock Forest (Ville de), [2003] R.L. 116, B.E. 2006BE-104, les biens autonomes causant le dommage sont des fossés de drainage en bordure d’une rue.
-
[107]
Innovassur, assurances générales inc. c. Sherbrooke (Ville de), 2012 QCCQ 534 ; Promutuel L’Abitibienne, société mutuelle d’assurances générales c. La Sarre (Ville de), 2011 QCCQ 6894, par. 100-112 ; Beaulne c. Gatineau (Ville de), [2003] no AZ-50172865, B.E. 2003BE-624 (C.Q.) ; Cloutier c. Vaudreuil-Dorion (Ville de), [1997] no AZ-97036242, B.E. 97BE-419 (C.Q.). En général, voir Jean Hétu, Yvon Duplessis et Lise Vézina, Droit municipal : principes généraux et contentieux, 2e éd., t. 2, Brossard, Publications CCH, 2003, p. 11451 et suiv., pour une revue exhaustive de la jurisprudence.
-
[108]
Drouin c. St-Bruno de Montarville (Ville de), préc., note 68, par. 44-49 ; Union canadienne (L’), compagnie d’assurances c. St-Bruno-de-Montarville (Ville de), 2011 QCCQ 10475 (la conformité de la conception du réseau est admise, mais le défaut d’entretien adéquat entraîne la responsabilité : voir en particulier le paragraphe 48) ; SSQ, société d’assurances générales inc. c. Ste-Thérèse (Ville de), 2007 QCCQ 7748, par. 52-58 (« pour bénéficier de la présomption de faute de l’article 1465 C.c.Q., il n’est pas nécessaire d’identifier la cause des inondations »).
-
[109]
La Cour d’appel a rendu des arrêts particulièrement instructifs à l’égard du fait autonome des systèmes de drainage municipaux ; voir : Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2 ; Dicaire c. Chambly (Ville de), 2008 QCCA 54 ; Forest c. Laval, préc., note 64.
-
[110]
Dicaire c. Chambly (Ville de), préc., note 109, par. 21-23. Pour des exemples de conduite municipale ayant repoussé la présomption de faute, voir : Promutuel Prairie-Valmont c. Rougemont (Municipalité de), 2011 QCCQ 5746, par. 65 et 66 ; Pouliot c. St-Bernard (Municipalité de), 2007 QCCQ 7654, par. 46-53.
-
[111]
Québec c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, par. 141 et 144-153. Lorsqu’une rivière est intégrée au système de drainage municipal, l’irrespect de l’obligation d’en assurer l’écoulement normal qui incombe à la municipalité affecte l’évaluation de la conduite municipale. Les obligations que le Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1, imposait à cet égard aux municipalités sont à charge des municipalités régionales de comté depuis le 1er janvier 2006 : voir la Loi sur les compétences municipales, RLRQ, c. C-47.1, art. 103-109. Une municipalité ne peut pas se dégager de la présomption de faute lorsqu’elle tolère des raccordements illégaux à son égout unitaire désuet en contravention à son propre règlement : Lacasse c. La Durantaye (Municipalité de la paroisse de), 2006 QCCQ 11599, par. 123, 124, 147 et 148.
-
[112]
Dicaire c. Chambly (Ville de), préc., note 109, par. 30 et 31. La Cour d’appel s’appuie sur le consensus des experts ayant témoigné en l’instance et sur la consécration accordée à cette pratique par le Ministère de l’Environnement, « Directive 004 – Réseaux d’égout », [En ligne], [www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/ eaux-usees/dir004/] (1er juillet 2016), entrée en vigueur le 25 octobre 1989, qui énonce ceci : « Pour un district résidentiel, la période de récurrence devrait se situer entre un minimum de 2 ans et un maximum de 15 ans ; la valeur la plus souvent utilisée est 5 ans. Pour un district commercial ou de valeur élevée, il est d’usage courant d’utiliser une période de récurrence de 15 à 20 ans ». Dans l’affaire Équipements ÉMU ltée c. Québec (Ville de), 2011 QCCS 1038, par. 383, la Cour supérieure indique qu’un réseau majeur doit être en mesure d’évacuer une pluie d’une récurrence de 100 ans (maintenu en appel dans l’affaire Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, bien que la période de récurrence à respecter pour la conception d’un réseau majeur n’y soit pas confirmée directement). Voir aussi : Tremblay c. Lac-Beauport (Municipalité de), 2012 QCCS 1664 ; SSQ c. Ste-Thérèse, préc., note 108, par. 55 et 56 ; Quincaillerie A. Laberge inc. c. Huntingdon (Ville de), [2002] no AZ-50120923, B.E. 2002BE-359 (C.Q.).
-
[113]
Dicaire c. Chambly (Ville de), préc., note 109, par. 42 :
Chambly n’avait pas à concevoir un réseau d’égout au-delà des normes édictées par les règles de l’art, fondement de la Directive 004 du ministère de l’Environnement. Une fois établi que son réseau a été conçu, construit et entretenu selon ces règles, Chambly n’avait pas, en l’espèce, d’autre fardeau de démonstration. À ce sujet, je partage l’opinion de la juge de première instance qui écrit :
De toute évidence, en proposant comme norme une pluie de récurrence entre « un minimum de 2 ans et un maximum de 15 ans » en secteur résidentiel et en reconnaissant que « la valeur la plus souvent utilisée est 5 ans », le législateur n’a pas imposé aux villes l’obligation de mettre en place un réseau d’égout capable d’évacuer des pluies de récurrence de plus de 25 ans, 50 ans ou 100 ans (voir aussi par. 54).
-
[114]
Id., par. 43 : « Peut-être qu’une preuve d’expert pourra remettre en cause les règles de l’art en la matière au regard des phénomènes climatiques récents ou en fonction de tout autre avancé de la science. Cette possible remise en question des normes de conception n’a pas été soulevée ici par aucune des parties. En conséquence, il n’y a pas lieu de commenter davantage. »
-
[115]
J. Hétu, Y. Duplessis et L. Vézina, préc., note 107, p. 11 451 :
[L]a construction d’un réseau d’égout ou d’aqueduc relève de la discrétion d’une municipalité […] La municipalité qui refuse un tel service ne peut être poursuivie en dommages-intérêts s’il n’y a ni mauvaise foi, ni fraude, ni discrimination, ni abus de pouvoir, ni quelque autre manquement grave dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire […]. Toutefois, même si une municipalité n’est pas obligée d’avoir un système d’égouts souterrains pour les eaux pluviales, elle doit par ailleurs posséder un système de drainage des eaux de surface qui soit adéquat et ne déborde pas dans les sous-sols riverains […]. Une fois la décision prise de fournir un service municipal et de construire alors un réseau d’aqueduc ou d’égout, la municipalité va engager sa responsabilité si elle ne prend pas tous les moyens raisonnables pour s’assurer que les installations sont adéquates.
aussi : Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, par. 154-171 ; Lauzon c. Cité de St-Martin, [1966] B.R. 702 ; Laferrière c. Montréal (Ville de), 2014 QCCS 5008, par. 35 ; Promutuel L’Abitibienne c. Amos (Ville d’), 2007 QCCQ 11818, par. 21 et 22 ; Beaulne c. Ville de Gatineau, préc., note 107 ; Comeau c. Carleton (Ville de), [1997] R.L. 176, B.E. 97BE-296 (C.Q.).
-
[116]
Voir l’affaire Promutuel du Lac au Fjord c. Saguenay (Ville), 2014 QCCS 3790, par. 33 :
Comme le Tribunal l’a déjà souligné, l’obligation du gardien est une obligation de moyen, donc de prudence et de diligence raisonnable. Bien que la Ville semble s’occuper adéquatement de l’entretien de son système de réseau, il fut établi qu’elle n’a pas remplacé ou modernisé le système existant depuis 1958. Elle n’a d’ailleurs pas entrepris de travaux importants pour augmenter la capacité de certaines conduites. La solution qui a été plutôt retenue est celle d’un entretien annuel s’apparentant plus à une solution curative que préventive. Quoi qu’il en soit, bien que la Ville n’est pas tenue de fournir à ses citoyens un réseau d’égout sanitaire et pluvial parfait, elle doit prendre les mesures appropriées pour fournir à ses citoyens un réseau adéquat.
-
[117]
Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2 ; voir aussi l’affaire Bird c. Deauville (Municipalité de), [1998] R.R.A 735, J.E. 98-1208 (C.S.) (où la municipalité délivre des permis de construction dans le secteur où se trouve la résidence inondée, bien qu’elle sache que le plancher des sous-sols des résidences est situé à un niveau inférieur au niveau d’un lac et au niveau de la rue).
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[118]
Quincaillerie A. Laberge inc. c. Huntingdon (Ville de), préc., note 112, par. 8, 34, et 46-52.
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[119]
La municipalité peut néanmoins appeler les professionnels et les entrepreneurs en garantie.
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[120]
De façon générale, voir J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 750-757. Pour l’application de la force majeure aux catastrophes naturelles, voir Michel Bélanger, « Lorsque la catastrophe environnementale n’est plus un cas fortuit », dans S.F.P.B.Q., vol. 114, Les catastrophes naturelles et l’état du droit, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 39.
-
[121]
Cependant, l’obligation d’indemnisation en proportion de la faute fait en sorte que le défendeur peut être tenu responsable en partie lorsqu’il y a véritable concours de la force majeure et de la faute : voir J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 749.
-
[122]
Pour la recevabilité de la défense de force majeure à l’égard de la présomption de faute de l’article 1465 C.c.Q., voir : Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, par. 239, Drouin c. St-Bruno de Montarville (Ville de), préc., note 68 ; Pouliot c. St-Bernard (Municipalité de), préc., note 110 ; J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 895 et 896. Pour la recevabilité de la défense de force majeure dans le contexte de la servitude d’écoulement, voir : Brompton Pulp and Paper c. Grégoire, préc., note 24, p. 337 ; L. Giroux et autres, préc., note 22, 61. Dans l’affaire Bergeron c. Hydro-Québec, [1983] R.L. 26 (C.S.), la force majeure écarte la responsabilité qui pourrait découler de l’ouverture des vannes d’un barrage malgré l’inondation de propriétés en aval (le recours en vertu de la LRE n’est pas mentionné). Par contre, l’affaire Blanchette c. Courcelles (Corporation municipale de), préc., note 27, par. 27-31, laisse entendre que la question reste en suspens. Quoi qu’il en soit, la nécessité d’établir un lien de causalité entre la présence d’un ouvrage de retenue et les dommages amène à penser que la défense de force majeure s’applique à la servitude d’inondation.
-
[123]
Voir J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, préc., note 82, p. 750 et suiv.
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[124]
Id., p. 752 et 753.
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[125]
Ce constat est répété régulièrement par la jurisprudence au moins depuis M. Bélanger, préc., note 120. Dans l’affaire Muir c. Magog (Ville de), 2015 QCCQ 508, où une municipalité est poursuivie pour le débordement d’un ruisseau servant de fossé de drainage municipal qui a causé l’inondation d’une résidence, le tribunal indique que la partie invoquant l’article 1470 C.c.Q. a le fardeau de prouver non seulement qu’il existe un cas fortuit ou de force majeure, mais également que c’est l’unique cause des dommages.
-
[126]
Entreprises Beau-Voir inc. c. De Koninck, préc., note 64, par. 209-211.
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[127]
Québec c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, par. 183.
-
[128]
À propos de la qualification de la tempête de verglas comme force majeure, voir l’affaire PierreVillage inc. c. Construction 649 inc., [1999] R.J.Q. 1369, J.E. 99-976 (C.S.).
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[129]
Par exemple, voir l’affaire Entreprises Beau-Voir inc. c. De Koninck, préc., note 64, par. 197-204.
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[130]
Pour un énoncé des principes qui guident l’appréciation des témoignages contradictoires d’experts, voir l’affaire Tremblay c. Tremblay (Municipalité de canton), préc., note 103, par. 61-63.
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[131]
Québec (Ville de) c. Équipements Emu ltée, préc., note 2, par. 180-182.
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[132]
D’une part, dans l’affaire Promutuel L’Abitibienne c. Amos (Ville d’), préc., note 115, par. 29, le tribunal indique ce qui suit : « Les fluctuations de climat de ce pays sont bien connues et ce ne sont que des pluies d’une récurrence d’une fois sur 25 ou 50 ans qui puissent être qualifiées de force majeure, autrement même les pluies d’une récurrence d’une fois aux cinq ans ne peuvent être qualifiées d’imprévisibles. La municipalité ne peut donc invoquer ce moyen d’exonération. »
D’autre part, dans l’affaire Pouliot c. St-Bernard (Municipalité de), préc., note 110 (refoulement dans un sous-sol à la suite d’une pluie exceptionnelle qui engorge un réseau d’égout municipal généralement capable de supporter les fortes pluies), la Cour du Québec énonce ceci (par. 13 et 14) :
[C]e caractère d’imprévisibilité constitue un critère fort exigeant selon la jurisprudence et la doctrine, vu qu’il est établi que le climat de ce pays est sujet à des fluctuations qui causent de fortes pluies.
Dès lors, vu la preuve, le Tribunal est d’avis que la pluie tombée à St-Bernard les 4 et 5 août 2003 a été très importante en intensité et en durée et qu’elle a créé une situation exceptionnelle ; cependant, il est aussi d’avis qu’elle n’a pas pour autant revêtu le caractère d’imprévisibilité requis, ne pouvant conclure qu’une telle précipitation soit totalement fortuite, vu la nature du climat de ce pays.
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[133]
Par exemple, dans l’affaire Guardian du Canada (Nordique (La), compagnie d’assurances du Canada) c. Rimouski (Ville de), 2008 QCCS 2153, par. 1, treize ingénieurs ont été entendus, dont plusieurs à tire de témoins experts. Les mécanismes des fardeaux de preuve ont été élaborés en vue de protéger la liberté et les droits individuels et d’exprimer des valeurs sociales de justice et d’équité : voir Hajo Versteeg, « The Conflict between Law and Science », dans Raymond Côté, Dawn Russell et David VanderZwaag (dir.), Le droit de l’environnement : ses problèmes et ses incertitudes, Montréal, Thémis, 1993, p. 209, aux pages 228 et 229. De façon plus générale, voir Ernest Weinribb, « A Step Forward in Factual Causation », (1975) 38 Mod. L. Rev. 518, 533.
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[134]
À l’instar des troubles de voisinage et de la responsabilité extracontractuelle, la référence au standard de la personne normale, prudente et diligente par l’entremise de l’évaluation de l’imprévisibilité rend la notion de force majeure sensible à la connaissance générale que le public et les juristes ont des variations hydrologiques et du changement climatique : voir supra, notes 59 et 91.
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[135]
Blanchette c. Courcelles (Corporation municipale de), préc., note 27, par. 35.
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[136]
Tremblay c. Lac-Beauport (Municipalité de), préc., note 112, par. 50, 53 et 54. Le passage fait référence à l’affaire City of Montreal c. Browns Bottle and supplies inc., [1961] B.R. 651, 654.
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[137]
Selon l’affaire Guardian du Canada (Nordique (La), compagnie d’assurances du Canada) c. Rimouski (Ville de), préc., note 133, par. 403, où le tribunal cite avec approbation M. Bélanger, préc., note 120, l’accroissement des connaissances scientifiques à propos des changements climatiques et de leurs effets sur les ressource en eau confine de plus en plus les évènements imprévisibles à ce qui n’a pas été imaginé : « L’imprévisibilité d’un événement peut en effet se situer à deux niveaux, soit qu’un événement ne pouvait être imaginé ou soit que tout en connaissant l’existence de cette possibilité seules sa survenance et sa situation demeurent inconnues. Ainsi, une pluie extrême, survenant une fois sur cent ans, n’est pas imprévisible, puisqu’on peut en mesurer statistiquement la récurrence. »