Résumés
Résumé
L’avocat a une responsabilité et une fonction sociale essentielle. Il travaille à faire le bien et à maintenir la paix au sein du groupe. Il reconnaît mieux que d’autres les malaises et les situations injustes dans la société, en plus d’avoir concrètement la possibilité d’agir sur eux en les exposant publiquement au tribunal. L’avocat est un acteur social et la salle de cour constitue la scène sur laquelle il est appelé à se produire juridiquement. Sa performance personnalisée et prophétique s’apparente grandement à celle d’un comédien au théâtre. Affirmer ainsi qu’il peut y avoir effectivement de l’art à la barre, identifier l’avocat à un artiste ou encore assimiler la performance d’un procureur lors d’un procès à une prestation artistique permet de mieux comprendre l’importance du rôle de l’avocat dans la société. L’artiste, tout comme l’avocat, assure une communication entre les individus. Tous les deux sont libres et créatifs. Ils s’adressent à tout le monde et parlent pour tous et au nom de tous. Ils se font tribuns. Ils disent tout haut ce qui ne doit pas rester silencieux. Artiste et juriste se ressemblent et ont en commun bien plus que le même suffixe.
Abstract
The lawyer has a responsibility and an essential social duty. He works for the greater good and to maintain peace within the group. He recognizes better than others the weaknesses and the injustices in society, adding that to the concrete possibility to act upon them by displaying them publicly in court. The lawyer is a social actor and the courtroom constitutes the stage where he juridically performs. His personalized and prophetic performance has many similarities with the performance of a theater actor. Stating that there could be art at the bar, relating the lawyer to the artist or assimilating the prosecutor’s performance during a trial to an artistic rendition allows a better understanding of the lawyer’s role in society. The artist, like the lawyer, assures a communication between people. Both of them are free and creative. They are talking to everyone and are speaking in the name of everyone, for everyone. They become tribune. They say out loud what needs not to remain quiet. Artist and jurist are alike and have much more than a suffix in common.
Resumen
El abogado posee una responsabilidad y una función social esencial, ya que trabaja por el bien y para mantener la paz del grupo. Sabe reconocer mejor que otros los malestares y las situaciones injustas de la sociedad, además de poder actuar concretamente para neutralizarlos al exponerlos públicamente en el tribunal. El abogado es un actor social, y la sala de audiencia es el escenario en el que ha sido llamado para ejercerse jurídicamente. Su desempeño personalizado y profético se asemeja mucho a la de un actor de teatro. Entonces, se puede afirmar que, efectivamente, hay arte en un juzgado, al comparar a un abogado con un artista, o incluso, cotejar la actuación de un procurador en un proceso con una representación artística, lo cual permite comprender mejor la importancia del papel que juega el abogado en la sociedad. El artista, al igual que el abogado, garantiza una comunicación entre los individuos, pues ambos son libres y creativos. Estos se dirigen a todo el mundo, y hablan por y a nombre de todos, se convierten en tribunos, y dicen en voz alta lo que no debe permanecer en silencio. El artista y el jurista se parecen, y tienen en común mucho más que el mismo sufijo.
Corps de l’article
Acte premier — Le juriste
La dispute est d’un grand secours :
Sans elle on dormirait toujours.
[…]
Le trop d’expédients peut gâter une affaire :
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.
Jean de La Fontaine[1]
Aujourd’hui n’est pas une journée comme les autres. C’est jour de récré pour le procureur. Il a rendez-vous au préau, son terrain de jeu : le palais de justice. En arrivant à l’antre de la discorde aux allures de temple, le procureur gravit hiératiquement les marches du palais et par une porte-guichet, comme une brèche au travers de trop grands vantaux, il se glisse au coeur de l’enceinte à la fois si familière et si hors du commun. Le procureur retrouve ses pairs et ses repères. Il ne participe pas à cette valse folle et à ces milliers d’enjambées égarées auxquelles est dédié ce grand hall d’entrée. Son temps est compté. Tous ses pas sont dédiés et il ne se laisse jamais dérouter. Il connaît bien le chemin qui le mène à la salle d’audience où il a été convoqué. Or, il aura beau le parcourir mille fois, se baigner dans la même rivière, c’est chaque fois comme une première : de nouvelles eaux[2].
L’occasion est rarissime et les invités, dignes d’estime. L’habillement du procureur doit faire l’objet d’une attention méticuleuse. Il y a des règles qui l’encadrent et des limites à ne pas dépasser : « À l’audience du tribunal, la tenue suivante est de rigueur [pour l’avocat] : toge, rabat, col blanc et tenue vestimentaire foncée […] Toutefois, le port de la toge n’est pas requis durant les mois de juillet et août, sauf pour le procès devant jury[3]. » Quiconque souhaite prendre la parole à l’audience est tenu d’apporter un soin particulier à sa toilette et doit être convenablement vêtu[4]. Il en va des avocats comme de l’ensemble des témoins appelés à la barre[5] : « s’il y a des préparatifs pour celui qui invite, il y en a aussi pour l’invité[6] ». Le procès est protocolaire et, comme toutes les formes de cérémonial et de rituel, il impose un certain décorum, c’est-à-dire une manière de faire et de se présenter, de la bienséance et des convenances[7]. La mise en scène imposée dans les cours de justice facilite le déroulement de l’instruction, tout en permettant d’ériger l’autorité de l’institution judiciaire et de soutenir le caractère symbolique de cette instance de médiation sociale[8].
Une fois qu’il a revêtu son harnachement de basoche, le procureur peut se concentrer sur le duel oratoire qu’il s’apprête à livrer. Il profite du silence d’un cubicule près de la salle de cour pour s’isoler des sources de dérangement. C’est dans cette petite loge qu’il va y rencontrer son client et ses témoins pour fignoler les derniers détails avant la séance. Le procureur se concentre en prévision du débat. Il met de l’ordre dans ses idées et dans ses papiers. Il classe les éléments de la preuve qu’il entend déposer et les arrêts qu’il souhaite soumettre à l’appui de ses prétentions. Il relit les libellés des lois qui sont susceptibles d’être invoqués et il se remémore le récit des faits à la manière d’un comédien qui révise une dernière fois son texte avant de monter sur les planches. Celui qui veut faire valoir des droits au prétoire doit d’abord faire ses devoirs.
Il est 9 h 25, et l’huissier ouvre la porte de la salle du tribunal. Il invite les parties belligérantes à prendre place dans l’arène judiciaire. Le procureur de la partie demanderesse se dirige côté senestre, alors que celui de la partie défenderesse s’installe à l’opposé et à la gauche du juge. 9 h 30 ! L’audience doit débuter. On entend un son de cloche comme trois coups de théâtre et l’huissier-audiencier déclare à haute voix : « Silence. Veuillez vous lever. La Cour ***, présidée par l’honorable ***, est ouverte[9]. » Le juge fait son entrée par une discrète porte dérobée au fond de la salle de cour et se hisse sur sa chaire surélevée. Il s’installe à son siège et retrouve un bureau sans encombrement, une table rase. Tout le monde se rassoit. Le jeu va pouvoir commencer, le combat va bientôt s’engager. Le procureur s’apprête à entrer en scène et à se mettre à l’oeuvre. Le juge se tourne vers lui et il dit : « La parole est à vous[10]. »
Acte II — L’artiste
One of the unique things about being an artist
is that you have a voice
that people hear and listen to.
Gary Grice[11]
L’art est une affaire de « tribune ». Dérivant du latin tribuna qui signifie « estrade », la définition du mot « tribune » évoque l’idée d’un certain public à qui on parle et qui écoute. « L’art ne peut pas être un monologue[12] » et l’artiste n’a pas droit à la solitude, disait Camus. En somme, si l’art est une « tribune », l’artiste est nécessairement un tribun, un orateur qui affirme tout haut ce qui ne doit pas rester silencieux, celui qui se fait défenseur du peuple, c’est-à-dire celui qui parle en son nom ; du latin tribunus qui veut aussi dire « magistrat ». Traditionnellement, le terme « magistrat » désigne l’ensemble des gens de loi et inclut à la fois les juges et les avocats. Contrairement aux pays issus d’une tradition de droit civil, les pays dits de common law ne font pas de distinction entre le « premier degré de la magistrature[13] », celle du parquet dont la pratique se fait debout et la magistrature assise, celle du siège qui, au fond, est celle des juges[14]. Nous tâcherons de particulariser en temps opportun la performance des plaideurs et celle des décideurs, mais pour l’instant, refermons cette parenthèse étymologique et poursuivons notre incursion dans le domaine de l’art.
Peu importe la contingence qu’il peut prendre, l’art est donc d’abord et avant tout une tribune, voire un lieu d’expression. C’est l’occasion pour un artiste de s’adresser à un public — sa voie pour faire entendre la sienne (sa voix) —, de partager avec autrui son interprétation du monde. Tout compte fait, l’oeuvre d’art est donc une forme de communication[15]. Cela dit, il ne peut pas s’agir d’une communication ordinaire : « L’art est un bien infiniment précieux, un breuvage rafraîchissant et réchauffant, qui rétablit l’estomac et l’esprit dans l’équilibre naturel de l’idéal[16]. » Si toutes les communications déployaient ce genre de charme et avaient sur nous cet effet assouvissant, nous serions constamment en état d’extase et de paix. Or, il n’y a rien de véritablement rassérénant à se faire dire « le sel est sur la table ». C’est pratique et bon à savoir, mais c’est tout. Les communications de tous les jours sont habituellement anodines et éculées. Elles n’ont aucune destination artistique.
Le parler quotidien est de l’ordre de la banalité, tandis que l’art se distingue par son originalité. Il est le fruit d’une démarche hors du commun. Cela ne veut pas dire pour autant que l’« ordinaire » ne puisse pas contribuer d’une quelconque façon à une activité artistique, mais il ne saurait constituer à lui seul une forme d’art. Les objets manufacturés et « déjà prêts » que Marcel Duchamp détourne et désigne comme des oeuvres d’art (ready-mades), notamment son célèbre urinoir, constituent encore les meilleurs exemples de telles prouesses. Pour la petite histoire, Duchamp fait l’acquisition d’un urinoir en 1917 avec pour objectif de le présenter à New York lors d’une exposition d’art. À cette occasion, il retourne l’objet, ajoute l’inscription « R. Mutt 1917 » et intitule le tout Fontaine. En d’autres mots, Duchamp choisit un article commun qui existe déjà, mais il vient en changer la signification et l’usage. Il donne à l’objet un nouveau titre, un nouvel horizon et un nouveau sens, bref il lui donne une nouvelle pensée. Cette oeuvre qu’il proposera sous une identité autre que la sienne ne fera finalement pas partie de l’exposition pour laquelle elle avait été conçue. À la suite de ce refus, Duchamp argumentera que ce qui compte dans la définition de l’art — le facteur déterminant qui vient définir ce qu’est l’art — ne doit pas se limiter à la fabrication de l’oeuvre, car « l’artiste n’est pas un bricoleur[17] ». L’idée doit prévaloir sur la création[18], précisera-t-il. Autrement dit, ce sont la conception intellectuelle de l’oeuvre et l’intention de l’auteur qui déterminent fondamentalement l’art, et non la capacité d’un artiste à fabriquer un objet qui tient lieu d’oeuvre d’art. En somme, la performance de l’artiste est essentiellement plus importante que le résultat final.
Cet épisode de la « Fontaine » n’est pas une fable, toutefois nous pouvons quand même en tirer une leçon[19]. En effet, notons que c’est à cette occasion que l’art s’émancipe et s’affranchit de son corps contraignant. L’art réside dorénavant dans l’intellect, voire dans la performance psychique de l’artiste. L’objet en tant que tel — l’urinoir — importe peu, c’est « le choix de cet objet par l’artiste dans un contexte qu’il a déterminé et la fonction qu’il lui assigne[20] » qui constitue désormais le facteur déterminant de l’oeuvre d’art. C’est ce que l’objet signifie ou ce qu’il devrait signifier[21] qui doit primer. L’intellectualisation ou plus précisément la conceptualisation de l’art ont pavé la voie à l’art minimaliste et à une dématérialisation toujours plus grande. Pour la plupart des oeuvres dites d’art contemporain, « la forme tangible de l’oeuvre importe peu : l’idée, le choix, le langage, l’air, la lumière, l’énergie, l’espace environnemental, le temps, la perception, le rapport avec le spectateur et le contexte d’exposition sont constitutifs de la forme de l’oeuvre[22] ». En d’autres mots, l’oeuvre d’art contemporain ne se réduit pas simplement à ce qui se donne à voir. Elle est, pour un artiste, un mode d’expression qui implique une production d’actes lors d’un événement où tout n’est pas prévu. À la fin de la manifestation, c’est le déroulement complet de l’événement, c’est-à-dire la performance de l’artiste et l’ensemble des circonstances l’entourant, qui détermine et représente l’oeuvre.
L’art est une performance ! C’est l’action d’un artiste ; une activité artistique unique et également prophétique. En se présentant sous l’aspect de la performance, l’art a élargi ses horizons et a permis une démocratisation de toutes les pratiques artistiques. Cette approche moins contraignante de l’art nous a inspiré un possible parallèle avec le domaine juridique. Le rapprochement entre le droit et l’art n’est pas nouveau[23], voire il est inévitable[24]. Cependant, ce qui nous intéresse n’est pas le traitement de l’art par le droit positif[25] ou encore l’analyse de la présence du droit au travers des propositions artistiques[26]. Non, après avoir longuement monté le décor de notre analyse, ce que nous souhaitons faire ici est d’explorer en quoi et comment la prestation de l’avocat dans l’enceinte du tribunal peut s’apparenter ou non à une production artistique entendue comme une performance (acte III) personnalisée (acte IV) et prophétique (acte V). Nous cherchons à savoir si le juriste est un artiste ou s’il n’y a de ressemblance entre les deux que le suffixe. Autrement dit, y a-t-il de l’art à la barre ?
Acte III — La performance
Au cinéma, on vous donne un texte.
À la barre, on est auteur-compositeur
[…]
L’acteur c’est comme l’avocat,
s’il n’est pas sincère, cela se sent immédiatement.
Me Éric Dupond-Moretti[27]
L’art est à la portée de tous. Il peut et doit être n’importe qui ; toutefois, il ne peut pas et ne doit pas être n’importe quoi. Une discipline artistique s’appuie toujours sur un matériau spécifique possédant un registre de lois qui lui est propre. Ce matériau caractéristique « oppose une résistance correspondante à l’arbitraire du créateur[28] » et permet à l’art de prendre forme au sens large et figuré. L’artiste souhaitant s’exprimer au travers d’une discipline artistique doit posséder quelques notions élémentaires de celle-ci et faire avec un certain nombre de contraintes[29]. Un peintre est d’abord quelqu’un qui sait manier le pinceau et jouer avec les couleurs. Un sculpteur est celui qui parvient à modeler la pierre ou le bois avec un maillet et un ciseau. Si cela est vrai pour les artistes pratiquant leur art en laboratoire, le principe s’applique tout autant à ceux qui s’offrent in tuitu personae à un auditoire. Dans ces cas-là, le chanteur est celui qui comprend les rythmes et les harmonies et qui, de même, maîtrise la gamme diatonique de sa voix, alors que le danseur est celui qui connaît les limites, mais aussi toutes les possibilités de son corps[30]. Au surplus, les arts de la scène font souvent appel à des habiletés variées. Le chanteur ne fait pas toujours que chanter et le danseur, danser. Un comédien peut être amené à réciter, à danser, à chanter et parfois tout cela à la même occasion, selon la pièce dans laquelle il performe. Un minimum de connaissances est requis dans la pratique d’un art, mais la technique ne constitue pas l’art en soi[31]. Au contraire, elle est à son service. Plus un artiste a de contrôle sur les techniques de son moyen d’expression, plus il a la possibilité de s’élever par son art et du même coup, transporter celui à qui il est destiné. La technique sert de levier à l’artiste. Elle élargit son champ des possibles.
Quant à la discipline du droit, il est quasiment inconcevable d’imaginer pouvoir s’adonner à la pratique judiciaire sans avoir un minimum de connaissances juridiques. C’est d’ailleurs à l’apprentissage de celles-ci que sont consacrées les nombreuses années d’études que le juriste doit effectuer avant de pouvoir pratiquer le droit. Pourtant, chaque jour, des causes sont entendues dans les palais de justice sans qu’intervienne aucun avocat au dossier. En effet, que ce soit par choix ou par nécessité, des gens qui sont aux prises avec une situation réelle de conflit vont se représenter seuls lors d’un procès. Dans ces situations qui demeurent somme toute l’exception, le juge veille au bon déroulement de l’instance et au respect de la procédure, occupant pour l’occasion, avec diligence, un rôle plus actif afin d’assurer une saine gestion de la justice[32]. La performance qu’offre une personne non représentée devant un tribunal est de même nature que celle de l’avocat. Le théâtre amateur n’en est pas moins du théâtre parce qu’il est pratiqué par des non-professionnels. Par contre, un manque d’expérience et de connaissances juridiques est susceptible de nuire à celui qui joue en solo. Il pourrait l’empêcher de convaincre avec efficacité et de faire valoir ses droits avantageusement. Le peintre et le rapin maîtrisent le pinceau tous les deux. La différence ne se situe pas dans leur capacité à peindre, mais bien dans leur prestation.
Bien qu’il soit possible pour un profane de performer judiciairement, la pratique professionnelle du droit, quant à elle, impose la maîtrise d’un arsenal technique sui generis et contrôlé. Celui qui souhaite devenir avocat doit aller à l’école et apprendre son métier de juriste. Pendant cette étape formatrice, le futur juriste est « endoctriné » et accumule des connaissances sur la Constitution de son État, la législation en vigueur au pays ainsi que la procédure qui encadre la pratique judiciaire. Il apprend à travailler avec ses outils que sont les codes, les textes législatifs et la jurisprudence. Par mimétisme, il se familiarise avec le rituel judiciaire. On lui inculque une manière de se comporter, de se présenter et même de parler. Il développe graduellement des aptitudes pour la négociation, la rédaction et la plaidoirie. Toutefois, le candidat au titre de juriste aura beau affiner ses réflexes et augmenter ses connaissances juridiques pendant trois ou quatre ans sur les bancs d’école, rien ne lui assurera l’éloquence de la pratique judiciaire. Celui qui connaît les règles d’un jeu ne connaît pas nécessairement le jeu, car celui-ci n’est pas véritablement un jeu tant qu’il n’est pas joué. Autrement dit, tant qu’il n’aura pas revêtu la toge, l’avocat ne demeurera que l’ombre de lui-même.
L’avocat et le juge exercent des métiers de juristes[33] qui se ressemblent et s’assemblent, mais qui essentiellement ne sont pas pratiqués de la même façon. Le juge travaille à la manière d’un écrivain ou d’un peintre, alors que l’avocat offre une prestation qui s’apparente davantage à celle d’un comédien au théâtre. Tel un peintre, le juge se nourrit et s’inspire de ce qu’il voit et de ce qu’il entend. Il écoute attentivement et activement les revendications des deux parties pour être en mesure de trancher le litige par la suite. Ce n’est que lorsqu’il prend la cause en délibéré et qu’il se retire dans son cabinet de juge[34] que sa performance débute véritablement. Son bureau constitue son laboratoire ou son studio de création. Les récits auxquels il fut exposé dans la salle d’audience et sa connaissance technique du droit sont l’ensemble des matériaux dont il dispose pour performer, faire un choix, c’est-à-dire interpréter et décider. Il peut se faire aider ou discuter avec des confrères, mais la décision lui revient. Le juge s’exécute avec une grande liberté. Il peut changer d’idée comme bon lui semble, prendre une nouvelle direction, revenir sur ses pas, préciser ou encore voiler une opinion pour autant que cette valse-hésitation ne s’échappe pas de son bureau. Seul le verdict doit paraître au jour[35] et être exposé dans la décision judiciaire, un jugement savamment rédigé et peaufiné, une oeuvre qui ne pourra plus être modifiée une fois exhibée. La décision judiciaire est au juge ce que la toile est au peintre et le livre à l’écrivain, c’est-à-dire une oeuvre créée en chambre qui va par la suite se détacher de son auteur pour mener une carrière autonome.
La performance du juge est à peu de chose près terminée lorsqu’il retourne à la salle d’audience pour faire état de son jugement. Sa décision est déjà prise et ses motivations ont déjà été rédigées. Il en fait simplement la lecture comme on expose une toile dans une galerie d’art. À la différence, lorsque l’avocat se présente au prétoire, c’est pour y offrir une performance singulière, une représentation qu’il ne jouera qu’une seule fois en direct du tribunal et sans possibilité de rappel. L’avocat offre une prestation unique comme celle d’un comédien au théâtre[36]. Il a beau exercer dans son champ d’expertise et plaider régulièrement sur des requêtes et des thèmes similaires, il ne se répétera jamais. Il n’aura pas non plus la possibilité de recommencer une plaidoirie ou de reprendre la présentation d’une preuve dans un procès. La performance de l’avocat est captée en une prise unique, c’est une prestation en un temps, d’où la nécessité pour lui d’être très bien préparé.
Au moment où il s’apprête à monter sur les planches devant un public, le comédien doit être fin prêt. Il doit être concentré et attentif aux moindres détails qui sont susceptibles de perturber sa performance. Il doit connaître son texte et parfois aussi celui des autres. Il doit contrôler ses respirations et ses élocutions ; savoir quand parler et quand se taire ; comment bouger et où se déplacer sur la scène. Cependant, tout cela ne lui vient pas naturellement, il y a un metteur en scène qui le dirige et qui l’aide à se préparer. Le comédien prend part à de nombreuses répétitions avant de jouer la pièce devant un public. Un peu de la même façon, l’avocat ne se présente pas devant le tribunal sans s’être préalablement préparé. Pour ce faire, il rencontre assidûment et à répétition ses clients et ses témoins avant une audience. Il revoit sa preuve et le récit des faits qu’il entend présenter. Il marque les passages importants dans les législations et dans la jurisprudence. Par contre, à la différence du théâtre, la mise en scène du procès, quant à elle, est déjà prévue dans les codes de procédure. Le port de la toge et du rabat par l’avocat est un signe que celle-ci lui a déjà été enseignée et qu’il en a la maîtrise : il est maître.
Puisque toutes les situations ne sont pas prévisibles lors d’une prestation au théâtre ou à la cour, c’est la bonne maîtrise des techniques théâtrales ou juridiques de même que l’ensemble des préparatifs qui permettront au comédien ou à l’avocat de ressaisir avantageusement un cas fortuit. Peu importe le genre d’incident qui peut survenir, un blanc ou une réponse inattendue, le comédien et l’avocat devront faire face à l’adversité : le spectacle doit continuer (the show must go on). Plus ils seront préparés, c’est-à-dire en contrôle de ce qu’ils peuvent contrôler, plus ils seront en mesure de réagir efficacement et à leur bénéfice aux impondérables. L’avocat et le comédien doivent se préparer en considérant l’imprévisible et l’improbable comme quelque chose de possible. Ils doivent savoir improviser[37]. Contrairement au comédien qui joue une pièce scénarisée et qui doit s’en tenir à ce qui est déjà écrit, l’avocat, quant à lui, a la possibilité d’écrire du nouveau texte[38]. Dans ces conditions, le procès s’apparente davantage aux types de théâtre pratiqués dans la commedia dell’arte ou dans le cadre d’une ligue d’improvisation[39] pour lesquels aucune des performances ne s’appuie sur un texte rédigé à l’avance. Le procès comme le match d’improvisation est « une sorte de “happening” mais rigoureusement encadré[40] » dans lequel deux adversaires s’affrontent et s’engagent dans un jeu théâtral. La performance de l’un doit considérer la performance de l’autre et faire avec tout ce qui est proposé. Les avocats jouent et développent des stratégies et un sens pratique avec le temps ; un sens du jeu qui s’acquiert par l’expérience du jeu lui-même[41]. Le bon joueur est celui qui a la capacité d’inventer une solution dans une situation imprévue[42], tout en respectant le cadre dans lequel le jeu se joue. Il est celui qui réagit aux tirs (ou tirades) comme si les tirs le commandaient, alors qu’au fond c’est lui qui les commande véritablement[43].
L’avocat pratique l’art de la scène et l’art de la rhétorique : il veut séduire et il veut convaincre. Le but du jeu n’est pas d’arriver à une entente, mais bien de gagner l’opinion du public constitué du juge et à l’occasion, des jurés. L’avocat joue en s’appuyant et en s’ajustant tour à tour sur la performance des autres membres de la distribution. Si certains collaborent bien avec lui et facilitent sa prestation, comme c’est le cas de ses témoins, d’autres s’efforcent plutôt de mettre en échec l’avocat de manière à l’empêcher d’atteindre son objectif. Cela constitue précisément le travail de l’avocat de la partie adverse. C’est de bonne guerre, car les deux belligérants tentent mutuellement de faire avorter la démarche de l’autre. À la fin de la représentation, voire des représentations, le juge s’éclipse pour amorcer son propre processus créatif. En somme, l’« art judiciaire », s’il en est, demeure toujours une cocréation dans laquelle tout le monde y met un peu du sien.
Acte IV — La personnalité
À l’oeuvre on connaît l’artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
Des Frelons les réclamèrent ;
Des Abeilles s’opposant,
Devant certaine Guêpe on traduisit la cause […]
« De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une abeille fort prudente […]
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties. »
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art passoit leur savoir ;
Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Jean de La Fontaine[44]
Une oeuvre d’art est quelque chose d’unique en soi. Il peut y avoir des copies, des imitations, des répliques ou des faux, mais la véritable oeuvre d’art se détaille toujours en un seul exemplaire. C’est le premier, il est singulier, et c’est le dernier, c’est l’original ! Il ne peut pas y avoir deux originaux de l’original[45]. L’oeuvre d’art se distingue de ses « semblables » parce qu’elle demeure intimement liée à la personne de son auteur[46] et au contexte de son élaboration. Elle seule est en mesure de témoigner de l’individualité et de la personnalité de son créateur qui lui aussi est unique[47]. L’oeuvre d’art découle d’une inspiration née dans la tête d’un individu. Elle est avant toute chose une oeuvre de l’esprit[48]. Elle est révélatrice du message singulier que l’artiste a consigné dans sa production artistique, mais aussi de la singularité de sa personne[49] : « L’artiste est tout entier dans son oeuvre, et l’oeuvre révèle l’artiste[50]. »
Celui qui choisit de faire de l’art son moyen d’expression cherche habituellement à communiquer son interprétation du monde avec le plus grand nombre. Il souhaite partager avec tout un chacun sa vision de ce qu’ils ont tous en commun. Voilà pourquoi l’artiste en appelle à un dialogue continuel avec tous les individus[51] et recherche ipso facto une compréhension universelle ou une grande communion ; l’idéal de la communication, précise Camus. En tout état de cause, celui qui désire entrer en communication avec autrui le fait par le truchement d’un discours. En l’occurrence pour l’artiste, il s’agit d’un discours artistique qui prend la forme de la production proposée et qui se révèle dans un langage singulier. Le discours artistique n’a pas de formes déterminées. Cependant, comme tous les discours, il a un début et il a une fin. Celui qui tient un discours le commence et le termine. Autrement dit, le discours est un événement et, au surplus, il est référencé. Il renvoie toujours à la personne de son auteur et à la situation singulière qui l’a vu poindre. Le discours purement objectif n’existe pas. Tous les discours sont subjectifs et intimement liés au parcours unique de leur initiateur. Celui qui raconte une histoire amorce en quelque sorte l’écriture de sa biographie[52], car celui qui parle a déjà interprété, il vient de quelque part. Un individu s’inscrit dans une généalogie, car d’aussi loin que nous pouvons reculer, un être humain se présente dans un monde qui est déjà là. Il s’insère dans une filiation, dans un monde qui le voit naître. Comme il ne lui est pas donné de se créer, il est d’abord un récepteur confronté à un monde qu’il devra interpréter. Ce monde exerce une influence sur lui, mais heureusement en retour, il a lui aussi la possibilité d’agir sur le monde et de l’influencer. Il n’est possible de comprendre quelque chose, d’interpréter une situation et de communiquer qu’à partir de sa propre existence et de ses expériences personnelles[53].
Le discours est un événement qui a pour fonction de communiquer l’intenté d’un locuteur, c’est-à-dire essentiellement ce que celui qui le produit veut dire[54]. L’intenté est le sens du message. Il n’y a d’ailleurs que ce dernier qui peut passer dans la communication. Le langage et l’apparat du discours ne font pas le voyage avec lui. On traduit du français à l’anglais et non du français en anglais. C’est le sens de ce qui est dit qui peut être traduit. Il n’y a pas de correspondance exacte entre les langages. Seul ce que le locuteur a voulu dire a la possibilité d’être traduit ; seul le sens de son discours peut être compris. Ce qui est intéressant dans le discours artistique — et, au final, la seule chose qui sera communiquée —, c’est le sens ou l’intenté que l’artiste lui a donné[55]. Cette touche personnelle est de l’ordre de la noétique, c’est du psychique subsumé par le sémantique[56], précise Paul Ricoeur, la part du sujet qui est communiquée dans le discours. Autrement dit, c’est la référence au locuteur et au sens de sa pensée. Le noétique communiqué renvoie directement à la personnalité de l’auteur et à ce qu’il a voulu dire, faisant ainsi du discours artistique, un événement personnalisé et de l’art, une performance discursive nécessairement unique.
L’artiste se distingue des autres par son originalité. Il mélange les genres et il utilise des moyens d’expression variés. Il transgresse parfois les codes dans le but de s’approcher avec le plus de justesse possible de ce qu’il souhaite transmettre comme message. Un peintre n’est pas obligé d’utiliser uniquement des pinceaux et de la peinture. Il peut coller du papier ou des objets sur la toile. Il peut écrire ou reprendre les images produites par d’autres. Il peut marcher sur ses toiles et lancer la peinture afin de créer un mouvement. En fait, il est libre de s’exprimer comme bon lui semble. De même, si la peinture ne semble plus convenir et ne plus constituer pour lui le meilleur moyen pour s’exprimer, il peut cesser sa pratique et faire autre chose. Dès lors, il ne sera plus un peintre, mais il n’en demeurera pas moins un artiste. Quant au comédien, il pratique son art sur une scène en s’offrant personnellement à un auditoire par sa prestation. Chacune de ses performances constitue un nouveau tableau. Il est très prolifique, mais malgré le fait qu’il s’exécute itérativement, soir après soir, qu’il re-crée de manière répétée et avec similitude l’oeuvre de la veille, sa performance quotidienne le révèle à chaque fois comme la première fois. Il ne peut y avoir deux performances identiques comme il ne peut y avoir deux originaux d’une même oeuvre d’art. On peut recommencer une performance, mais on ne peut jamais la refaire. D’autre part, si en théorie, tous les comédiens peuvent tenir tous les rôles, dans la pratique, la performance d’un comédien n’est pas interchangeable avec celle d’un autre. Un comédien-remplaçant ne peut pas offrir la performance de celui qu’il remplace. Il ne peut qu’offrir la sienne. Un metteur en scène choisit ses comédiens en fonction de ce qu’il souhaite dire et surtout de quelle façon il entend le faire dire. Il utilise les comédiens comme un moyen pour passer son propre message de la même façon que le comédien utilise tous les atouts de sa personnalité pour transmettre une émotion qui lui est particulière. Le jeu d’un comédien lui est propre, et c’est pourquoi il y a des têtes d’affiche. Le comédien qui se cache derrière le masque est tout aussi important que le personnage qu’il incarne. Selon les rôles qu’il est amené à camper, le comédien peut devoir modifier sa façon de parler ou de bouger. Il se présente au public avec l’apparence d’un autre, mais la façon dont il est dissimulé ne lui enlève pas pour autant sa personnalité. Il porte seulement et temporairement un masque. Un comédien se définit par sa capacité à prendre les allures d’une autre personne tout en combinant celles-ci avec sa propre personnalité. Il incarne un personnage, mais il n’est pas le personnage. Il reste toujours un peu du comédien sous le costume, et c’est ce qui rend sa performance unique.
L’avocat qui se présente à la barre cherche fondamentalement à dire quelque chose de simple : son client a raison, tandis que l’autre a tort, il a fait cela ou il ne l’a pas fait, l’accusé est innocent ou il est coupable. Les conclusions recherchées par l’avocat constituent son intenté, le sens du message qu’il tente de faire valoir auprès du décideur. Or, il n’est pas le seul. Les avocats de chacune des parties cherchent à instruire le juge en lui faisant part du bon sens, c’est-à-dire le leur. Chaque avocat use longuement du verbe et martèle son propos. Ils se répètent volontairement de manière à limiter les « bruits » qui pourraient nuire à la bonne compréhension du juge. Tous les moyens de preuve sont bons pour dire ce qu’ils ont à dire pour autant que ce soit approprié et pertinent[57]. Lorsqu’un avocat parvient à convaincre le juge, son intenté est habituellement repris et traduit dans le dispositif du jugement ; c’est la décision judiciaire à proprement parler. Celle-ci est univoque et rédigée de façon concise. Il ne reste plus qu’à l’appliquer. C’est une autre histoire en ce qui concerne les motifs sur lesquels le juge s’est appuyé pour décider. Quand ils sont publiés, les motifs sont de longue haleine et risquent de mettre au jour certaines ambiguïtés et parfois d’ouvrir la porte à un éventuel appel. Le juge n’a pas la possibilité de s’instruire sur la cause autrement qu’en écoutant les représentations des procureurs. Il doit apprécier et interpréter la performance de chacun pour rendre sa décision. Les motifs expliquent son choix et constituent en même temps un compte rendu, voire une « critique » du jeu qui s’est déroulé devant lui.
Le juge et l’avocat sont tous les deux au service de la justice. Ils doivent pareillement soutenir le respect de la règle de droit et agir avec dignité, intégrité et honneur dans l’intérêt supérieur de la justice et de la société[58]. Cependant, les rôles de l’avocat et du juge ne sont pas de même nature. Le juge exerce un pouvoir judiciaire. Il a comme tâche de rendre justice dans le cadre du droit en vigueur dans la société[59]. Son discours est lié à l’État. Le juge parle publiquement et officiellement[60] lorsqu’il rend une décision. Il s’exprime au nom de l’institution judiciaire. Autrement dit, il ne parle pas pour lui-même lorsqu’il porte sa toge, mais toujours au nom d’une instance qui le dépasse. Quand une décision émane de la Cour, c’est l’institution judiciaire qui en est véritablement l’auteure ou, à tout le moins, qui en assume la responsabilité. L’institution judiciaire parle par l’entremise de ceux qu’elle met en place suivant une mécanique interne particulière et légitime. Pris sous cet angle, le juge est bel et bien, comme le veut la phrase célèbre de Montesquieu, la bouche qui prononce les paroles de la Loi[61]. En somme, le discours du juge n’est pas complètement libre ; c’est un discours obligé et lié. Certes, le juge demeure impartial et évite les activités incompatibles avec l’exercice du pouvoir judiciaire et les situations qui pourraient l’empêcher de remplir utilement ses fonctions[62], mais son discours n’en demeure pas moins un discours officiel. Le juge a de très grandes responsabilités et ses décisions sont lourdes de conséquences. C’est à lui que revient le dernier mot[63], c’est lui qui tranche les litiges et qui décide du sort des prévenus. Spécialement lors de ces situations difficiles, voire dramatiques, le juge ne saurait parler toujours de son propre chef et en toute liberté. Le discours des juges est contraint et teinté d’un caractère officiel trop près du pouvoir qui nous empêche de le penser comme un discours artistique[64]. « L’art ne vit que des contraintes qu’il s’impose à lui-même : il meurt des autres[65]. » Cela dit, la démarche interprétative du juge qui mène à la prise de décision n’en demeure pas moins créative[66]. Seulement, elle ne saurait prétendre avoir une vocation artistique.
Tout comme le juge, l’avocat exerce une fonction dans l’appareil judiciaire, mais à la différence de son confrère, il ne relève pas directement du pouvoir judiciaire. L’avocat qui performe et laïusse au tribunal le fait librement. Son discours ne vient pas lier l’institution judiciaire. Il ne constitue pas un discours officiel. À partir du moment où l’avocat reçoit un mandat de représentation de la part d’un client, tous les deux ne parlent plus que d’une seule voix. La relation qu’entretient l’avocat avec son client n’est pas contraignante de la même façon que la relation du juge avec le pouvoir judiciaire. L’avocat demeure libre de représenter ou non les intérêts d’une personne devant les tribunaux. Il peut accepter ce rôle puis cesser de l’occuper si cela ne lui convient plus. Des règles et des délais doivent parfois être respectés, mais ceci n’enlève rien au principe. Cette liberté dont dispose l’avocat, son client en bénéficie aussi. De manière générale, la personne (hormis la personne morale) aux prises avec une situation conflictuelle souhaitant recourir aux tribunaux pour régler le différend n’a pas l’obligation de se faire représenter[67]. Elle peut choisir le procureur de son choix sous réserve de s’entendre avec lui sur les conditions et le tarif de la représentation. De même, si elle l’a souhaité au départ, elle peut changer d’idée par la suite.
L’avocat pratique une profession libérale. Il est libre et son discours l’est tout autant. En tant que membre du barreau, il a des responsabilités, dont celle de ne pas porter personnellement atteinte aux lois ni d’inciter quiconque à le faire. Par contre, il a tout le loisir de les critiquer et de les contester, de demander qu’elles soient modifiées ou abrogées dans la mesure où il le fait pour des raisons et par des moyens légitimes[68]. L’avocat tient un discours juridique dans une tribune officielle, mais son discours n’est pas pour autant un discours officiel. Il utilise les moyens de l’officialité pour faire entendre sa voix libre. Contrairement au juge dont la prestation artistique est galvaudée par son statut d’officier, l’avocat, quant à lui, peut encore souscrire à notre prétention d’être l’auteur d’un discours à la fois artistique et juridique. Dans cette perspective, il semble être plus opportun d’avoir la possibilité de dire le premier que le dernier mot.
Acte V — La prophétie
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !
Arthur Rimbaud[69]
L’artiste est quelqu’un qui ressent les choses autrement. C’est un être sensible qui ne comprend pas toujours ce qu’il dit[70] et qui n’a pas non plus nécessairement le plein contrôle de ce qu’il fait[71]. L’artiste est un poète au sens où ce qu’il tente d’exprimer, sans jamais y parvenir complètement, naît malgré lui d’un dialogue intérieur qui l’agite. Vivre en poète lui permet de conserver un accès à l’absolu et à l’éternel[72], à quelque chose de sublime, de plus grand que lui dont il n’est donné à aucun être humain d’avoir la pleine maîtrise. La forme de la performance poétique et artistique dit bien quelque chose, mais elle ne dit pas tout. Elle est métaphorique, voire allégorique, en ce sens qu’elle renvoie à quelque chose d’autre[73] ; elle est de l’ordre de l’icône[74]. L’intenté du poète dépasse les moyens de sa production. Les mots qu’il choisit et les termes par l’entremise desquels il s’exprime n’épuisent pas le sens de ce qu’il veut dire[75]. Cette capacité qu’a le poète d’aller au trécarré du champ de la réalité et de rendre compte par le langage de ce qui nous dépasse tous infiniment n’est pas donnée à tout le monde. Toutefois, il est loisible à tous de s’y risquer.
Les holà du non-poète
Le poète va au-delà des mots ;
Le poète vient d’au-delà des mots ;
Le poète est l’au-delà des mots.
Il s’en sert comme tremplin ;
Il nous invite à le suivre ;
Il nous montre le chemin ;
v – e – r – t – i – g – e
Ô la Beauté ! Ô l’Amour !
Les mots nous rassurent ;
Ils nous indiquent celui du retour.
L’artiste ne parle pas pour lui-même. Le juriste non plus d’ailleurs. Tous les deux communiquent avec la communauté, pour elle et en son nom. Ces agents sociaux sont de véritables poètes. Ils parviennent à trouver les « mots » qu’il faut lorsque plus aucun ne semble seoir à la tâche[76]. Toutes leurs paroles sont prononcées pour l’avenir et évoquent un idéal collectif dans lequel le groupe se reconnaît et envers lequel il se sent obligé. L’artiste et le juriste poursuivent tous les deux une démarche de nature poétique et prophétique. Ils annoncent l’avenir, ils dictent le chemin. La performance de l’artiste consiste en une re-création partielle de la nature originelle[77]. Il calque son langage sur elle[78], mais son propos ne l’imite pas pour autant[79]. De la même façon, le juriste est créatif lorsqu’il ré-active les récits fondateurs de la société, ces « actes originaires d’énonciation du devoir-être qu’une société reconnaît[80] ». L’artiste et le juriste sont des prophètes qui parachèvent le monde et la société en nous permettant de les voir sous un nouveau jour, d’une nouvelle façon, d’une manière dont nous n’aurions pas pu même imaginer[81]. Leurs performances supposent une capacité, de tous les deux, à dépasser ce qui existe et à anticiper au-delà ; à rêver[82].
Pour Jean-Luc Marion, le peintre est à « la croisée du visible ». Il voit davantage que ce qui se donne à voir[83], il voit l’invu. Ce que Marion nomme « invu » est en lien avec l’invisible, mais contrairement à ce dernier, l’invu a la possibilité de devenir visible par le fruit du travail du peintre, l’invisible restant invisible à jamais. Le peintre est celui qui se rend à la « frontière indécise du visible et de l’invu […] pour la lui faire franchir[84] », il en est le portier, précise-t-il. Son travail consiste essentiellement à donner des formes à cet invu, à le mettre en scène dans un tableau et à le faire voir sur une toile[85]. L’invu est à ce qui n’est pas vu de la même façon que l’insu est à ce qui n’est pas su, l’inouï, à ce qui n’est pas entendu, l’intact, à ce qui n’est pas touché[86], et nous rajoutons à cette liste l’« injuste » comme étant ce qui n’est pas juste.
Les raisons qui peuvent amener une personne à retenir les services professionnels d’un avocat sont très variables, mais essentiellement l’intervention qui est recherchée peut être de l’ordre de la prévention ou de la guérison. Les actes curatifs sont destinés à remédier à une situation d’injustice, alors que les démarches préventives consistent à se précautionner contre la survenance d’événements injustes et à s’y préparer. Or, toutes les situations ne peuvent pas être prévues de la même façon qu’un peintre ne peut pré-voir, nous dit Marion. L’invu demeure imprévu jusqu’au dernier moment[87]. À l’avenant, l’injuste n’est perceptible qu’au moment où une injustice existe concrètement. Ce n’est que lorsqu’une situation d’injustice survient réellement — au moment où le crime est effectivement commis — que l’avocat est alors en mesure de percevoir ce qui n’est pas juste, c’est-à-dire l’injuste.
L’avocat n’a pas une idée préconçue de l’injuste. Il ne l’invente pas non plus. Il le découvre lorsqu’il prend connaissance des faits qu’on lui raconte et qu’il les met en lien avec ses connaissances juridiques. L’injuste apparaît à l’avocat au milieu du récit que lui fait son client de la situation qui l’afflige. L’injuste est là et il se révèle à l’avocat parce qu’il est attentif à lui et qu’il est entraîné pour le cerner. Seulement, le client ne vient pas voir l’avocat uniquement pour qu’il reconnaisse l’injuste de sa situation. Chaque individu a la capacité de reconnaître l’injuste qui le concerne. Ce que le client veut fondamentalement, c’est que cet injuste reprenne le chemin du juste.
Il y a toujours deux côtés à une médaille. Indubitablement, un injuste ne vient jamais seul. Il est à tous les coups confronté à un autre injuste. L’avocat est un justicier. Il est le portier de la justice, celui qui a la possibilité de faire passer l’injuste au juste en le mettant en scène au tribunal, en l’adressant publiquement. Évoquer l’injuste permet d’amorcer une quête du juste. L’avocat est à la « croisée de la justice ».
Épilogue
Le but de l’art […] n’est pas de légiférer ou de régner,
il est d’abord de comprendre.
[L’artiste] n’est pas juge, mais justificateur.
Il est l’avocat perpétuel de la créature vivante.
Albert Camus[88]
Le juge et l’avocat sont les deux grands acteurs du monde judiciaire. Notre analyse de leur performance respective aura cependant démontré que seul l’avocat peut prétendre tenir à la fois un discours juridique et artistique. Affirmer qu’il y a effectivement de l’art à la barre, identifier l’avocat à un artiste ou encore assimiler sa performance personnalisée et prophétique à une prestation artistique permet de saisir toute l’importance du rôle que l’avocat est amené à jouer dans la société. L’avocat, tout comme l’artiste, assure une communication entre les individus. Tous les deux sont libres et créatifs. Ils s’adressent à tout le monde et parlent pour tous et au nom de tous. Ils se font tribuns. Ils disent tout haut ce qui ne doit pas rester silencieux.
Un juge n’est pas un Don Quichotte, défenseur du faible et de l’opprimé, qui se donne à tous les vents pour réparer les torts et les injustices. Il ne peut décider que des cas qu’on lui amène. En ce sens, le travail de l’avocat est donc primordial et préalable à celui du juge. L’avocat a une responsabilité et une fonction essentielle. Il ouvre la porte à la communication sociale. Il travaille à faire le bien et à maintenir la paix au sein du groupe. Il reconnaît mieux que d’autres les malaises et les situations injustes dans la société et, en plus, il a la possibilité d’agir sur eux en les exposant publiquement au tribunal. La formule voulant que les juges aient la capacité de dire le droit n’est pas fausse, mais elle n’est pas totalement exacte, voire elle est incomplète. En effet, s’il est juste d’affirmer que les juges disent le droit, dans la pratique, ce sont concrètement les avocats qui ont la possibilité de leur faire dire. Le juge dit le droit, mais c’est l’avocat qui le fait.
~ FIN ~
Parties annexes
Notes
-
[1]
Jean de La Fontaine, « Le Chat et le Renard », dans Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine : 320 illustrations de Gustave Doré, Mont-Royal, Phidal, 2000, p. 78.
-
[2]
Héraclite, Fragments, trad. par Marcel Conche, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 452-462.
-
[3]
Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle, TR/2002-46 (Gaz. Can. II), art. 6.
-
[4]
Id., art. 7 ; Règlement de la Cour du Québec, TR/2015-114 (Gaz. Can. II), art. 22.
-
[5]
Le juge est autorisé et il a tout le loisir (qu’il prend régulièrement) de refuser d’entendre celui ou celle qui se présente devant lui dans un accoutrement qui déroge de la norme prescrite.
-
[6]
Plutarque, Le banquet des sept sages, Paris, Klincksieck, 1954, tel que repris dans Robin Nadeau, Les manières de table dans le monde gréco-romain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 194.
-
[7]
R. Nadeau, préc., note 6, p. 99, souligne la présence de protocoles et de décorums liés à la consommation de nourriture et de boisson dans les banquets à l’époque gréco-romaine. Il constate et note en effet que « l’environnement, l’ambiance, les gestes, les rythmes, les aliments, la vaisselle, l’habillement des convives sont guidés par des normes qui régulent le repas. Ils facilitent le déroulement des repas, sa mise en scène, sa théâtralité ». Sur le protocole en général, voir Louis Dussault, Le protocole. Instrument de communication, 2e éd., Montréal, Protos, 2003, ou sa version abrégée : Louis Dussault, Le protocole. Instrument de communication, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2009 ; sur le rituel judiciaire, voir Antoine Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 2010.
-
[8]
Arnaud Lucien, La justice mise en scène. Approche communicationnelle de l’institution judiciaire, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15 et 22. Le formalisme sur lequel tablent les institutions rappelle leur fonction et en facilite l’exercice : voir L. Dussault, 2009, préc., note 7, p. 2.
-
[9]
Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle, préc., note 3, art. 3 et 5 ; Règlement de la Cour du Québec, préc., note 4, art. 23 et 29.
-
[10]
Le juge s’assure du bon déroulement de l’audience et du respect des règles de procédure, mais il n’a pas la charge d’enquêter, d’apporter de nouvelles preuves ou d’éclairer celles présentées par les parties. Les avocats sont maîtres de leur dossier dans un système contradictoire comme au Québec. Voir le Code de procédure civile, R.L.R.Q., c. C-25.01, art. 10 et 19 (ci-après « C.p.c. »).
-
[11]
Gary Grice, dit GZA ou The Genius, est un des membres fondateurs du groupe hip-hop Wu-Tang Clan. La citation est tirée de l’émission StarTalk Radio Show de juillet 2013 (saison 4, épisode 20) animée par l’astrophysicien américain et directeur du Hayden Planetarium de New York, Neil Degrasse Tyson, docteur. Dans une série de deux émissions intitulée The Science of Hip Hop with GZA, consultable sur StarTalk, The Science of Hip Hop with GZA (Part 1), saison 4, épisode 20, [En ligne], [www.startalkradio.net/show/the-science -of-hip-hop-with-gza-part-1/] (23 février 2016), le célèbre scientifique poursuit son travail de vulgarisation des sciences en discutant avec le rappeur et d’autres collaborateurs des influences des sciences sur le hip-hop et vice versa. Ce qui était au départ un genre musical a dépassé le cadre de la musique et s’est imposé socialement et politiquement comme une attitude, celle d’une jeune génération méprisée et discriminée qui doit se défendre quotidiennement contre les inégalités et les indignités que lui impose la vie dans les ghettos. Le hip-hop est un lieu d’expression libre, une tribune qui a su donner de la force, de la fierté et du courage à des communautés. Il a contribué à changer les codes et il a modifié les rapports sociaux.
-
[12]
Albert Camus, « L’artiste et son temps », dans Albert Camus, Discours de Suède, Paris, Gallimard, 1958, p. 23, à la page 42.
-
[13]
Honoré de Balzac, Sur Catherine de Médicis, Paris, Éditions du Carrousel, 1999, p. 92.
-
[14]
Il n’existe d’ailleurs pas non plus d’école de la magistrature, comme c’est le cas en France par exemple. Dans les pays anglo-saxons, « [u]n bon juge, c’est avant tout un avocat brillant qui va se distinguer pendant une dizaine d’années avant de changer de fonction. Absence de spécialisation des études qui elle-même se justifie par l’absence d’un corps de magistrats » : Aurélie Duffy et Wanda Mastor, « Regards croisés sur les figures des procès anglo-saxons », dans Wanda Mastor et Lionel Miniato (dir.), Les figures du procès au-delà des frontières, Paris, Dalloz, 2013, p. 71, à la page 72.
-
[15]
Jean-Marie Pontier, « La notion d’oeuvre d’art », R.D.P. 1990.1403.
-
[16]
Charles Baudelaire, « Salon de 1846 », dans Charles Baudelaire, Oeuvres complètes, Paris, Éditions Robert Laffont, 2011, p. 639, à la page 639.
-
[17]
Centre Pompidou, « L’oeuvre de Marcel Duchamp : Fontaine, 1917/1964 », [En ligne], [mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ ENS-Duchamp/ENS-duchamp.htm#image4] (23 février 2016).
-
[18]
Id.
-
[19]
La pro-position de Duchamp a eu l’effet d’une bombe dans les milieux artistiques de l’époque. Encore aujourd’hui, les ready-mades et surtout l’ensemble de ses dérivés ne font toujours pas l’unanimité. Les experts débattent régulièrement sur le sujet, alors que le grand public se demande parfois, à juste titre, si ce qu’on lui présente comme étant de l’art dans les musées en constitue véritablement. Le domaine juridique ne fut pas épargné non plus par l’onde de choc. Il a fallu revoir notamment la façon de protéger les oeuvres ainsi que les droits de leurs créateurs.
-
[20]
Nadia Walravens, « La remise en cause des notions traditionnelles d’auteur et d’oeuvre de l’esprit », dans Institut Art & Droit, L’art contemporain confronté au droit, p. 13, à la page 14, [En ligne], [artdroit.org/wp-content/uploads/ 2013/11/Actes-du-colloque.pdf] (13 février 2017).
-
[21]
J.-M. Pontier, préc., note 15, 1404.
-
[22]
N. Walravens, préc., note 20, à la page 14.
-
[23]
« L’art et le droit sont totalement compatibles : ils sont mêmes indissociables dès lors que l’oeuvre d’art circule […] et que l’artiste sort de son atelier pour aller contracter » : Gérard Sousi, « Introduction. L’art contemporain entre exigence de droits et contraintes du Droit », dans Institut Art & Droit, préc., note 20, p. 2, à la page 2.
-
[24]
J.-M. Pontier, préc., note 15, 1404 :
[Le] droit ne peut être indifférent [à l’art] puisque l’une des raisons d’être du droit est de s’appliquer, notamment, au faire de l’homme. Enfin, l’oeuvre d’art donne nécessairement naissance à des rapports de droit parce qu’il se pose, ou peut se poser, des questions de successions réclamées par les héritiers, de droits revendiqués par l’auteur de l’oeuvre, d’impositions exigées par les pouvoirs publics, etc. Ainsi le droit est légitimé à se pencher sur l’oeuvre d’art. Si le juriste ne se préoccupait pas de l’oeuvre d’art, la réalité se chargerait vite de le contraindre à la prendre en considération.
-
[25]
Voir Nathalie Heinich, « “C’est un oiseau !” Brancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l’art », (1996) 34 Droit et société 649.
-
[26]
Voir Nycole Paquin (dir.), Les signes de la justice et de la loi dans les arts, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008 ; Antoine Garapon et Denis Salas (dir.), Imaginer la loi. Le droit dans la littérature, Paris, Michalon, 2008.
-
[27]
Propos recueillis par Jean-Paul Fronzes, « Me Dupond-Moretti : “On n’a tiré aucune leçon d’Outreau” », Corse-matin, 27 octobre 2013, [En ligne], [www.corsematin.com/article/derniere-minute/me-dupond -moretti-on-na-tire-aucune-lecon-doutreau] (13 février 2017). Celui que les pénalistes français surnomment l’« Acquittator » s’est illustré, entre autres, dans l’affaire VA-OM et le procès d’Outreau. Plus récemment, il a représenté les intérêts de Jérôme Kerviel et de Bernard Tapie. Son propos sur les avocats et les acteurs fait suite à une incursion personnelle dans le monde du cinéma en 2013, alors qu’il a tenu, au côté de Vincent Lindon et Chiara Mastroianni, le rôle d’un avocat dans le film Les salauds de Claire Denis.
-
[28]
Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie, trad. par Jeanne Étoré et Bernard Lortholary, Paris, Seuil, 1991, p. 101 :
Pour qu’une oeuvre d’art voie le jour, il faut que le flot de l’imagination personnelle se modifie de telle sorte qu’il puisse être traduit dans un de ces matériaux […] [C’est en surmontant] la tension récurrente entre son imagination et le matériau que son imagination prend forme, qu’elle devient partie intégrante d’une oeuvre et qu’elle est en même temps communicable, autrement dit objet d’un écho éventuel auprès des autres, même si ce ne sont pas nécessairement les contemporains de l’artiste.
-
[29]
« Mastery is revealed in limitation » : Johann Wolfgang Von Goethe, « Nature and Art », dans Johann Wolfgang Von Goethe, Selected Poetry, trad. par David Luke, Londres, Penguin Classics, 2005, p. 125. Autrement dit, « c’est en travaillant à l’intérieur d’un cadre imposé que se révèle le maître » : Oscar Wilde, « Le déclin du mensonge », dans Oscar Wilde, Maximes et autres textes, trad. par Dominique Jean, Paris, Gallimard, 2012, p. 25, à la page 58.
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[30]
« La danse est le premier-né des arts. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l’homme se sert de son propre corps pour organiser l’espace et pour rythmer le temps » : Curt Sachs, Introduction à l’histoire de la danse, Paris, Gallimard, 1938, p. 7, tel que repris et édifié dans Pierre Legendre, « Interroger la danse au XXIe siècle », dans Pierre Legendre, Argumenta dogmatica : Le fiduciaire suivi de Le silence des mots, Paris, Éditions Mille et une nuits, 2012, p. 157, à la page 157.
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[31]
« Django Reinhardt ne sait pas lire la musique, mais il est capable de l’écrire. Il n’a besoin que d’un scribe » : Alain Gerber, Insensiblement (Django), Paris, Fayard, 2010, p. 102.
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[32]
Règlement de la Cour du Québec, préc., note 4, art. 26.
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[33]
Si les avocats sont tous des juristes de formation, ce n’est pas toujours le cas pour les juges. Traditionnellement, les juges étaient concrètement les pairs et, comme les jurés aujourd’hui, ils ne possédaient aucune formation juridique. Au surplus, la maîtrise de connaissances juridiques pouvait être une source de récusation. Aujourd’hui, la technisation de la justice oblige souvent les juges à avoir une formation minimale ou une expérience adéquate, quoique ce ne soit pas nécessairement de rigueur. En effet, certains tribunaux spécialisés ou commissions à vocation particulière accordent encore plus d’importance à la connaissance du milieu qu’à celle du droit et n’hésitent pas à nommer des individus sans formation de juriste à des postes de décideurs.
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[34]
Jeremy Bentham appelait d’ailleurs le cabinet du juge « le “petit théâtre de la justice” par opposition à la scène “principale” qui était la salle d’audience » : A. Garapon, préc., note 7, p. 36.
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[35]
Id., p. 36.
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[36]
Robert Gravel, « De l’improvisation théâtrale en général et en particulier », dans Robert Gravel et Jan-Marc Lavergne, Impro. Réflexions et analyses, Montréal, Éditions Leméac, 1987, p. 13, à la page 15 :
Au théâtre, c’est toujours la première fois qu’une parole est dite, qu’un geste est posé ! Quand le comédien qui prête sa voix et son corps à Hamlet arrive au début de l’acte III, il ne sait pas encore ce qu’il vient y faire… Mais tout à coup les mots surgissent dans sa tête spontanément : – « Être ou ne pas être, telle est la question… » Et le comédien les dit pour la première fois de sa vie… même si ça fait deux cents fois qu’il joue la pièce. Et même si un millier de comédiens l’ont jouée des milliers de fois avant lui, il fait frissonner le spectateur d’une émotion toute neuve.
-
[37]
Id., p. 31 : bien que l’essentiel de l’improvisation repose sur quelque chose d’imprévu, « [i]l serait faux de penser que l’art d’improviser n’a pas besoin de technique ».
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[38]
Id., p. 18 : « Apprendre à improviser, c’est avant tout apprendre à écrire. » Le travail de l’avocat consiste à convaincre par la parole. Il a toute la liberté d’inventer du nouveau texte pour parvenir à ses fins. Cependant, il ne doit pas abuser du verbe de manière à détourner outrageusement les faits ou à en créer des nouveaux. Voir le film Un crime au paradis de Jean Becker sorti en 2001, avec en tête d’affiche Jacques Villeret, André Dussollier et Josiane Balasko, reprise du film Le poison de Sacha Guitry sorti en 1951, avec Michel Simon. La trame de ces récits tient dans l’idée d’un bougre qui va à la rencontre d’un avocat pour lui annoncer qu’il a tué sa femme, alors que ce n’est pas encore le cas. Il apprend alors de la bouche du procureur (et à l’insu de ce dernier) la meilleure façon de se débarrasser de sa femme de manière à éviter la peine la plus sévère.
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[39]
S’inspirant à la fois du théâtre et du hockey, le sport national des Québécois, Robert Gravel et Yvon Leduc ont cofondé à Montréal, en 1977, la Ligue nationale d’improvisation (LNI). Le concept veut que deux équipes de comédiens s’affrontent dans le cadre d’un match d’improvisation dont l’issue du jeu est déterminée par les spectateurs qui sont amenés à réagir immédiatement et à voter sur les prestations des acteurs. Cette nouvelle approche du théâtre a fait boule de neige et on retrouve aujourd’hui des ligues d’improvisation dans différents pays et s’exprimant dans diverses langues : LNI, Mission, [En ligne], [www.lni.ca/theatre-de-la-lni/ mission-et-historique] (23 février 2016).
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[40]
R. Gravel, préc., note 36, à la page 34.
-
[41]
Pierre Bourdieu, Choses dites, Paris, Les Éditions de Minuit, 1987, p. 77.
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[42]
C’est quelqu’un qui peut dire sur ses intentions : « I don’t know, I’m making this up as I go ! » et réussir son coup chaque fois, comme le célèbre docteur Henry Walton « Indiana » Jones Jr. (interprété par Harrison Ford) dans Les aventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost Ark), premier volet de la série des films d’Indiana Jones de Steven Spielberg sortie en 1981.
-
[43]
Kobe Bryant, ex-joueur étoile des Lakers de Los Angeles dans la National Basketball Association (NBA) : « Our teams were hard to play against, […] because the opposition didn’t know what we were going to do. Why ? Because we didn’t know what we were going to do from moment to moment. Everybody was reading and reacting to each other. It was a great orchestra », tel que cité dans Phil Jackson et Hugh Delehanty, Eleven Rings. The Soul of Success, New York, Penguin Press, 2013, p. 69. Phil Jackson a remporté onze championnats (six avec les Bulls de Chicago et cinq avec les Lakers de Los Angeles) de la NBA en tant qu’entraîneur. Il est particulièrement reconnu pour avoir mis en oeuvre avec succès la stratégie du triangle offensif élaboré par son assistant Tex Winter. Cette approche particulière du jeu fait reposer les mouvements offensifs sur ceux de la défense rivale. De cette façon, tous les déplacements sont improvisés et toutes les ouvertures et possibilités de jeu dépendent du mouvement des joueurs adverses.
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[44]
Jean de La Fontaine, « Les Frelons et les Mouches à miel », dans J. de La Fontaine, préc., note 1, p. 177.
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[45]
C’est ainsi qu’il n’existe pas deux violons rouges, mais bien un seul faisant l’objet d’une grande convoitise. Voir le film Le violon rouge (The Red Violin) de François Girard sorti en 1998 qui s’inspire avec liberté et spécule ad libitum autour de l’histoire du fameux Red Mendelssohn qu’aurait fabriqué Antonio Stradivari en 1720.
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[46]
Une oeuvre d’art qui ne saurait être reliée à son auteur perd beaucoup de sa valeur. Les conservateurs des musées, les collectionneurs et les marchands d’art recherchent incessamment ce lien d’authenticité.
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[47]
La pluralité est le contexte dans lequel s’entreprend toute l’action humaine : selon Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, trad. par Georges Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 42 et 43, « nous sommes tous pareils, c’est-à-dire humains, sans que jamais personne soit identique à aucun autre homme ayant vécu, vivant ou encore à naître ».
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[48]
« Une production scientifique, artistique ou littéraire est ce qu’on appelle une oeuvre de l’esprit résultant du talent, de la détermination et de l’inspiration d’un individu. Cette production est également une création puisque des idées novatrices, de nouvelles possibilités et de nouvelles solutions émergent d’un travail intellectuel ou artistique » : Normand Landry, Droits et enjeux de la communication, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2013, p. 199.
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[49]
Gilles Lhuilier, La loi, roman, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008, p. 84.
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[50]
J.-M. Pontier, préc., note 15, 1420.
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[51]
« Jugeant [parfois] le dialogue impossible avec des contemporains sourds ou distraits, il en appelle [à la postérité,] à un dialogue plus nombreux, avec les générations » : A. Camus, préc., note 12, à la page 42.
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[52]
Gérard Vincent, L’histoire de l’homme racontée par un chat, Paris, Quai Voltaire, 1992, p. 12 :
Avant de lire un livre d’histoire, ne privilégie pas les faits qu’il relate, mais la personne de l’historien. Lis sa biographie, puis celle de son biographe, enfin celle du biographe de sa biographie. Le peux-tu ? Non, sans doute. Donc, tu n’apprendras rien d’autre que le jugement d’un certain homme, à un certain moment, tableau d’une certaine époque dont ne subsistent que des traces incomplètes. L’historien est le produit d’une histoire que tu ne peux pas mieux connaître que celle qu’il rapporte. Et, selon son âge, le même historien peut relater la même histoire de différentes façons tant il est vrai qu’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve.
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[53]
L’historien cherche à comprendre la réalité des Anciens, mais il n’a pas le loisir de se soustraire à sa propre compréhension de la réalité. Il doit faire dialoguer les deux. Voir R. Nadeau, préc., note 6, p. 29 et 63.
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[54]
Paul Ricoeur, Discours et communication, Paris, L’Herne, 2005, p. 17 et 18.
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[55]
« C’est celui qui fait la peinture qui est intéressant ou qui ne l’est pas. Que la peinture soit irréaliste ou réaliste ou surréaliste, ça m’est complètement égal. Ce qui m’intéresse est ce que celui qui fait cette peinture a à dire » : propos de Francis Picabia présenté dans « Francis Picabia In Conversation » sur l’album La nourrice américaine – EP, disque offrant deux interprétations de l’oeuvre (1920) de Picabia du même nom ainsi que divers extraits d’entrevues réalisées avec Picabia entre 1945 et 1949, paru au Royaume-Uni sur étiquette LTM en 2008, à la piste 2.
-
[56]
P. Ricoeur, préc., note 54, p. 63.
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[57]
« La preuve de tout fait pertinent au litige est recevable et peut être faite par tous moyens » : Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2857.
-
[58]
Code de déontologie des avocats, R.L.R.Q., c. B-1, r. 3.1, art. 4 et 12 ; Code de déontologie de la magistrature, R.L.R.Q., c. T-16, r. 1, art. 1, 2 et 10.
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[59]
Code de déontologie de la magistrature, id., art. 1.
-
[60]
Pierre Bourdieu, « Cours du 1er février 1990 », dans Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Seuil, 2012, p. 78, aux pages 84-91.
-
[61]
Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, Gallimard, 1995, p. 337.
-
[62]
Code de déontologie de la magistrature, préc., note 58, art. 3, 4, 6 et 7.
-
[63]
« Quand ce dernier mot du juge est un mot de condamnation, le juge se rappelle à nous comme porteur non seulement de la balance mais du glaive » : Paul Ricoeur, Amour et justice, Paris, Éditions Points, 2008, p. 28.
-
[64]
« La politique […] est une pierre attachée au cou de la littérature […]. La politique au milieu des intérêts d’imagination, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert. » : Stendhal, Le rouge et le noir. Chronique du XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2013, p. 460.
-
[65]
A. Camus, préc., note 12, à la page 62.
-
[66]
Nous avons d’ailleurs reconnu et exposé le caractère créatif de l’interprétation juridique par les juges dans un récent article : Guillaume Provencher, « Du texte à la décision : pour une juste interprétation », dans David Marrani, Pascal Richard et Jean-Jacques Sueur (dir.), Droit(s) et sanction. Études juridiques internationales, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 273.
-
[67]
C.p.c., art. 87.
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[68]
Code de déontologie des avocats, préc., note 58, art. 12.
-
[69]
Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre », dans Arthur Rimbaud, Poèmes et textes mis en image par Gabriel Lefebvre, Waterloo, Renaissance du livre, 2001, p. 40, aux quatrains 6 à 8.
-
[70]
« Les poètes sont des mimes : ils ne savent pas ce qu’ils disent parce qu’ils font corps avec ce qu’ils disent. Ils parlent comme on danse […] et, s’il est vrai qu’ils peuvent inventer, improviser […], ils ne possèdent pas le principe de leur invention » : P. Bourdieu, préc., note 41, p. 99.
-
[71]
« Un artiste ne doit pas comprendre ce qu’il fait. Le jour où il sait ce qu’il fait ou il le comprend, il doit faire autre chose » : F. Picabia, préc., note 55.
-
[72]
Tzvetan Todorov, Les aventuriers de l’absolu, Paris, Éditions Robert Laffont, 2006, p. 223.
-
[73]
« L’oeuvre d’art est bien une chose, chose amenée à sa finition, mais elle dit encore quelque chose d’autre que la chose qui n’est que chose […]. L’oeuvre communique publiquement autre chose, elle nous révèle autre chose ; elle est allégorique » : Martin Heidegger, « L’origine de l’oeuvre d’art », dans Martin Heidegger, Chemins qui mènent nulle part, trad. par Wolfgang Brokneier, Paris, Gallimard, 1986, p. 16.
-
[74]
Voir Jean-Luc Marion, « L’idole et l’icône », dans Jean-Luc Marion, Dieu sans l’être, 3e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 15.
-
[75]
Jean Grondin, Du sens de la vie. Essai philosophique, Saint-Laurent, Éditions Bellarmin, 2003, p. 52.
-
[76]
Ce sont des « prophètes éthiques » et des « prophètes juridiques » parce qu’ils tiennent « un discours destiné à être unanimement reconnu comme l’expression unanime du groupe unanime » dans les moments difficiles, c’est-à-dire lorsque plus personne ne voit d’issue : P. Bourdieu, préc., note 60, aux pages 80, 94 et 95 ; l’auteur fait référence à Weber pour l’utilisation des expressions « prophètes » : Max Weber, Sociologie de la religion, trad. par Isabelle Kalinowski, Paris, Flammarion, 2006, p. 167-171.
-
[77]
« L’art, comme le droit, imitait la nature, c’est-à-dire la loi naturelle, d’origine divine. L’artiste, comme le législateur, ressemblait dans son action de re-création partielle de la nature, au créateur divin produisant la totalité de la nature. L’artiste était selon le concept de poeta creator, procreator, c’est-à-dire semblable à Dieu » : G. Lhuilier, préc., note 49, p. 85, voir aussi p. 56 ; l’auteur réfère à Ernst Kantorowicz, « La souveraineté de l’artiste. Notes sur les maximes juridiques et les théories esthétiques de la Renaissance », Poésie, no 18, 1981, aux pages 9 et 21.
-
[78]
Alessandro Baricco, Constellations. Mozart, Rossini, Benjamin, Adorno, trad. par Frank La Brasca, Paris, Calmann-Lévy, 1999, p. 137.
-
[79]
O. Wilde, préc., note 29, aux pages 79-82 :
[À la rigueur,] l’Art sert de modèle à la Nature tout autant qu’à la Vie. [Autrement dit,] la Vie imite l’Art bien plus que l’Art imite la Vie. [Elle] tend un miroir à l’Art et tantôt reproduit quelque étrange type imaginé par le peintre ou le sculpteur, tantôt accomplit concrètement ce qui a été rêvé par le romancier […] Les choses n’existent que parce que nous les voyons. Or, ce que nous voyons, la façon dont nous le voyons, dépend des Arts qui nous ont marqués.
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[80]
P. Bourdieu, préc., note 60, à la page 94.
-
[81]
Pour Édouard Glissant, « [c]e qui est important pour un poète […], ce n’est pas crier quelque chose, que de toute manière on peut crier autrement et de manière probablement plus efficace, soit par des textes politiques, soit par des analyses, mais c’est de manifester dans son écriture poétique quelque chose qu’on ne voit pas d’ordinaire ; c’est-à-dire, de mettre à jour, par son écriture, des rouages d’un fonctionnement qui n’est pas perceptible à tout le monde » : Maryse Condé, « Maryse Condé a rencontré Édouard Glissant », Le Magazine guadeloupéen (Magwa), vol. 44, no 10, 1983, p. 44, tel que cité et souligné dans Katell Colin, Le roman-monde d’Édouard Glissant. Totalisation et tautologie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008, p. 83.
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[82]
Jacques Chevallier, « Le droit autorise-t-il la rêverie ? », dans Mathieu Doat et Gilles Darcy (dir.), L’imaginaire en droit, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 125, aux pages 133 et 134.
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[83]
« Aucun grand artiste ne voit jamais les choses telles qu’elles sont vraiment. Si c’était le cas, ce ne serait plus un artiste » : O. Wilde, préc., note 29, à la page 88.
-
[84]
Jean-Luc Marion, La croisée du visible, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 53.
-
[85]
« Car tout ce que je raconte, je l’ai vu ; et si j’ai pu me tromper en le voyant, bien certainement je ne vous trompe point en vous le disant » : Stendhal, préc., note 64, p. 452.
-
[86]
J.-L. Marion, préc., note 84, p. 51.
-
[87]
Id., p. 54.
-
[88]
A. Camus, préc., note 12, à la page 58.