Corps de l’article

Les histoires d’amour intergénérationnel ont inspiré plusieurs artistes, chanteurs et écrivains. C’est Michel Fugain qui chante Les fleurs de mandarine[1], Barbara qui entame les Sables mouvants[2], Stephen Vizinczey qui signe l’Éloge des femmes mûres[3]. L’initiation amoureuse est romancée avec une certaine tendresse, mais l’abus sexuel choque profondément les consciences. Entre ces deux pôles, le droit cherche ses repères. Comment faut-il aborder la sexualité des jeunes gens ? L’adolescence est une période de transformation physique intense qui s’achève avec la maturité physiologique nécessaire à la reproduction humaine. Les baisers, les caresses et l’intimité partagée sont des expériences nouvelles, enrichissantes et excitantes pour un grand nombre d’adolescents. Il est entendu qu’à tous les âges de la vie les contacts sexuels non consensuels sont criminels. De même, les contacts sexuels avec les enfants doivent être réprimés. Cependant, qu’en est-il des rapprochements intimes que l’adolescent ou l’adolescente souhaite et désire ?

En 1984, le comité Badgley, chargé d’étudier les infractions sexuelles contre les enfants, a posé clairement la question de l’équilibre « entre la protection des enfants contre les agressions et l’exploitation sexuelles, d’une part, et la possibilité pour les jeunes de s’exprimer sur le plan sexuel du début de leur adolescence à l’âge adulte, d’autre part[4] ». Inspiré par les recommandations de ce comité, le législateur avait établi l’âge du consentement sexuel à 14 ans, mais à 18 ans dans le contexte des relations d’autorité, de confiance ou d’exploitation[5]. Or, une modification législative récente hausse l’âge du consentement à 16 ans, dans le but de mieux protéger les jeunes contre l’abus et l’exploitation sexuels[6].

Il est certes permis de remettre en question la moralité des contacts sexuels entre adultes et adolescents. Toutefois, faut-il les interdire ? Lorsqu’une personne n’a pas l’âge de consentir, les gestes sexuels auxquels elle s’adonne en toute liberté sont criminels. En l’occurrence, ces crimes sont assortis d’une peine minimale d’emprisonnement[7]. La condamnation produit un double effet stigmatisant : l’étiquette d’agresseur sexuel, avec tout ce qu’elle comporte d’infâmant, se superpose à celle de prisonnier. C’est l’adulte qui subit cette sentence, objecteront certaines personnes. Bien entendu, mais les adolescents, eux, risquent de ne pas avoir recours aux services d’éducation et de consultation auxquels ils ont droit de peur que leur partenaire ne se retrouve devant les tribunaux. Aux États-Unis, la loi oblige d’ailleurs tout professionnel de la santé à dénoncer les situations d’illégalité potentielle aux autorités policières[8]. La criminalisation de la sexualité adolescente est un risque très réel, qui n’emporte pas nécessairement une meilleure protection des jeunes.

Au cours des dernières années, la criminalité sexuelle a régulièrement défrayé la manchette, l’opinion publique s’est soulevée et le législateur a resserré l’étau répressif autour des agresseurs[9]. Mesure populiste, la hausse de l’âge du consentement permet au législateur d’affirmer à peu de frais son action politique contre les « pédophiles », sans toutefois s’attacher aux véritables causes de la violence sexuelle contre les enfants et les adolescents, qui mériteraient des investissements autrement plus importants, tant sur le plan des services sociaux que sur le plan de l’éducation sexuelle. Dans les lignes qui suivent, nous inscrirons les récentes modifications législatives sur la toile de fond du populisme pénal. Pour ce, nous utiliserons une démarche méthodologique proprement juridique et analyserons les nouvelles dispositions à la lumière des débats parlementaires ayant présidé à leur adoption, pour ensuite esquisser leur application potentielle à la lumière de la jurisprudence canadienne.

1 Populisme pénal, violence sexuelle et sexualisation

Qu’est-ce que le « populisme pénal » ? De manière usuelle, l’expression renvoie au fait, pour le législateur, d’adopter une loi répressive dans le but de plaire à une frange de son électorat et d’augmenter son capital politique, sans égard à l’efficacité et aux effets projetés de cette loi[10]. Le populisme pénal peut se manifester avec force en période de campagne électorale, les politiciens promettant de faire la vie dure aux criminels, vilipendant le premier à émettre une voix dissonante parmi ce concert punitif. Il peut également résulter du scandale : survenance d’un crime horrible, importante couverture médiatique, violente réaction populaire, adoption d’une loi plus sévère pour calmer les inquiétudes. Le populisme pénal conduit donc à un accroissement répressif important, qui se manifeste par la création de nouvelles infractions et par une augmentation marquée de la sévérité des peines. C’est ainsi que le recours au système carcéral, qui fait pourtant l’objet d’une critique continue depuis les années 70 à cause de son incapacité générale à réhabiliter les criminels, de sa contribution au maintien du crime et de son coût exorbitant[11], connaît une formidable expansion dans certaines démocraties[12] et un renouveau certain au Canada[13], notamment par la création de peines minimales d’emprisonnement[14] et la réduction des possibilités d’obtention de sursis[15].

L’augmentation du recours au système carcéral a de quoi laisser perplexes les universitaires et les acteurs du système de justice pénale, qui connaissent les effets délétères de l’emprisonnement et son impuissance devant le phénomène du crime. Cette perplexité s’accentue en raison du fait que le taux de criminalité est à la baisse depuis les années 90[16]. Toutefois, la voix du populisme pénal n’est pas celle des experts et de leurs froides statistiques, bien au contraire. Fondamentalement antiélitiste, le populisme pénal constitue la réponse populaire au fléau social qu’est le crime. Il tire sa force de l’inefficacité des solutions proposées jusqu’ici par les juristes et les bureaucrates pour contrôler et réduire cette criminalité, que la majorité des gens croit d’ailleurs en pleine expansion[17]. Le système de justice, érigé par des experts déconnectés de la réalité, aurait failli à sa tâche en privilégiant les droits des accusés au détriment des droits des victimes et de la communauté. Il faut donc se détourner des experts, de leurs chiffres et autres données quantifiées pour revenir à des solutions fondées sur le sens commun : enfermer les criminels et les citoyens vivront en paix. Les données scientifiques ne font pas le poids en regard de la « force de l’émotion, la simplicité de la réponse et la puissance des idées reçues[18] ».

Il serait vain, toutefois, de réduire le populisme pénal à une utilisation machiavélique du droit criminel par des politiciens en quête de votes. Le populisme pénal est une lame de fond qui traverse l’ensemble de l’Occident, et il faut en dire davantage pour en mesurer toute la puissance. Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer le vent punitif qui balaie les sociétés occidentales[19]. Sans reprendre tout ce qui a été dit à ce sujet, nous nous pencherons sur certains thèmes pour comprendre en quoi le populisme pénal intéresse la hausse de l’âge du consentement sexuel.

Le populisme pénal est intimement lié au sentiment d’insécurité et à la perte de repères qui caractérisent les sociétés modernes : redéfinition du marché du travail, précarité, éclatement de la famille traditionnelle, déclin du religieux, autant de zones où s’effrite la cohésion sociale. Il en résulte une insécurité généralisée qui fragilise le sentiment d’appartenance au groupe et remet en question l’existence d’une morale commune. À cette insécurité latente s’ajoute le sentiment, largement créé et entretenu par les médias, que le crime est florissant et le criminel, tapis dans l’ombre à quelques coins de rue. Il peut sembler paradoxal que le populisme pénal prenne son envol alors que le taux de criminalité est à la baisse. Paradoxal pour l’expert, mais pas pour le citoyen qui, lui, entretient la perception d’une criminalité à la hausse. D’autre part, comme le souligne John Pratt, la volonté de resserrer l’étau du droit criminel ne découle pas du taux de criminalité mais du sentiment d’une perte de contrôle généralisée :

[T]he growth of punitive sentiments should be seen as a characteristic of more general concerns about a perceived decline in social cohesion, rather than being linked to particular levels of crime. What this means is that such sentiments are not tied instrumentally to punishing criminals but are related to the symbolic use of punishment as a means, and one of the most obvious and immediately available means, of restoring order and authority at a time when these qualities have been unravelling right across the social field (Durkheim 1893/1964). By the same token, the more social cohesion seems to be unravelling, the more strident will be the calls for more severe punishments : again, not particularly as a response to crime, which may even be in decline, but as a way of providing consensus and uniformity[20].

À l’ère du renouveau moral, certains groupes sont particulièrement ciblés. Au premier chef, les prédateurs sexuels d’enfants, qui constituent désormais la figure emblématique du mal. L’image du monstre est celle du pédophile pervers et violent, multirécidiviste, organisé en réseau et traquant ses proies en ligne. Les violeurs en série participent aussi de cette vision d’horreur. Malheureusement, nous le savons, des crimes atroces sont réellement commis contre des femmes et des enfants. Cependant, l’image médiatisée du prédateur sexuel correspond à une très faible proportion de la réalité. L’abus et l’exploitation sexuels sont majoritairement le fait de parents, de beaux-parents ou d’autres membres de l’entourage immédiat[21].

Dans l’imaginaire collectif, le délinquant sexuel est donc un être particulièrement sordide. Certes, l’importance de la couverture médiatique accordée aux crimes horribles et exceptionnels participe de cette construction, mais il y a plus encore. En effet, dans la logique du populisme pénal, le criminel, c’est l’Autre, celui qui, par définition, n’est pas le citoyen ordinaire. Car, dans l’unisson de la condamnation, une communauté morale se recrée, en quelque sorte[22]. D’où la résurgence des mythes sur le viol, qui représentent l’agresseur comme un étranger attaquant violemment ses victimes, généralement au fond d’une rue sombre.

Le mouvement féministe a pourtant lutté d’arrache-pied contre une telle représentation, démontrant, chiffres à l’appui, que les victimes de violence sexuelle sont généralement agressées au sein même de leur famille ou de leur communauté. Pourtant, malgré une sensibilité plus grande qu’autrefois aux dommages parfois irrémédiables que causent les agressions sexuelles, une grande partie de la population adhère fortement au « mythe de l’étranger[23] ». Alors que le mouvement des femmes a toujours présenté la violence sexuelle comme un problème systémique qui ne pouvait se résorber qu’à travers une redéfinition des rapports de genre, le populisme pénal présente la violence sexuelle comme le problème des violeurs et des pédophiles ; la solution est donc d’emprisonner ces nouveaux monstres pour purifier le corps social.

L’exploitation sexuelle choque profondément la conscience sociale lorsqu’elle a pour cible des enfants. Dans nos sociétés, ceux-ci incarnent la pureté, et de plus en plus, la rareté. De surcroît, ils sont vulnérables et sans défense devant un agresseur adulte. Enfin, ils subissent généralement des préjudices physiques et psychologiques graves dans la foulée d’une agression. Le viol d’un enfant est le cauchemar du parent moderne. Cette angoisse parentale est décuplée par le développement et l’utilisation croissante d’Internet ; les sites de rencontres et d’échanges, le partage en ligne de photos et les caméras Web contribuent tous à la création d’une « inquiétude diffuse face à un danger difficile à cerner[24] ». Car désormais, même dans le confort de sa maison, au côté de la présence protectrice de ses parents, l’enfant est vulnérable. Selon John Pratt, la compréhension contemporaine du prédateur sexuel naît également d’une anxiété collective relativement à l’éclatement des zones privée/publique provoqué par l’intrusion du Web dans la cellule familiale[25]. L’Autre peut toujours entrer dans la demeure, que les portes soient verrouillées ou non.

Ajoutons à cela que les parents sont généralement très préoccupés par la sexualisation de leurs enfants. La mode, les clips, la publicité mettent constamment en scène des jeunes corps désirables et à moitié nus. Bombardés d’images aussi sexuées que stéréotypées, les jeunes filles suivent une mode vestimentaire parfois choquante, toujours sexy, alors que les jeunes hommes consommeraient très tôt des images pornographiques[26]. Avec la Toile, la vie sexuelle des jeunes est plus que jamais objet de préoccupations adultes. L’accessibilité des images sexuelles et pornographiques en ligne entretient les craintes d’une sexualisation précoce des enfants et d’une hypersexualisation des adolescents. Les maladies transmissibles sexuellement et les risques de grossesse achèvent de dresser un tableau plutôt sombre. Au regard de tous les dangers qui les guettent, l’idéal serait peut-être que les jeunes s’abstiennent de tout contact sexuel[27].

La hausse de l’âge du consentement sexuel, c’est donc tout cela :

  1. un opportunisme politique certain, où le législateur prétend mieux protéger les enfants contre les prédateurs sexuels en haussant l’âge du consentement sexuel ;

  2. l’adoption d’une modification législative pour répondre à des inquiétudes palpables mais non documentées ;

  3. l’alignement de la politique législative canadienne sur celle des États-Unis ;

  4. la peur du pédophile en ligne et, en fond d’écran, la peur de la sexualité adolescente.

Dans les lignes qui suivent, nous illustrerons concrètement notre propos en étudiant les modifications législatives à l’oeuvre, de même que les débats parlementaires qui les ont précédées. À cet égard, nous nous sommes particulièrement intéressées aux travaux du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui a entrepris l’étude détaillée du projet de loi sur la hausse de l’âge de consentement au cours des mois de mars et d’avril 2007[28]. La majorité des personnes ayant témoigné à cette occasion était en faveur du projet de loi, bien que certaines voix dissonantes se soient fait entendre[29]. Sans prétendre à une analyse exhaustive des discours, nous puiserons parmi ces témoignages pour mieux refléter les tendances exprimées.

2 Hausse de l’âge du consentement sexuel

Pièce maîtresse de la politique criminelle du Parti conservateur, la Loi sur la lutte contre les crimes violents[30], sanctionnée le 28 février 2008, rassemble plusieurs projets de loi différents. Chacun d’entre eux participe d’un regain punitif : augmentation des peines minimales d’emprisonnement pour certains crimes mettant en jeu des armes à feu ; renversement du fardeau de la preuve en matière de mise en liberté sous caution ; peines et surveillance plus sévères pour les délinquants dangereux ; peines et moyens de détection accrus en matière de conduite avec facultés affaiblies ; et, enfin, hausse de l’âge du consentement. Le projet de loi sur cette hausse, caressé depuis longtemps par les conservateurs, se sera finalement faufilé sous le couvert d’une meilleure protection contre les prédateurs sexuels[31].

Si la structure du régime établi en 1988 dans la foulée du rapport Badgley[32] demeure essentiellement la même, la réforme entraîne toutefois des conséquences importantes sur les contacts sexuels consentis entre jeunes adultes et adolescents en criminalisant des relations amoureuses autrefois licites. Une adolescente de 14 à 16 ans ne peut plus consentir à des contacts sexuels (baisers, caresses ou autres) avec un homme de 22 ans, par exemple. En effet, les nouvelles dispositions interdisent les rapports sexuels consensuels entre les adolescents de 14 à 16 ans et les personnes qui sont leurs aînées de plus de cinq ans. Quant aux adolescents de 12 à 14 ans (moins un jour), leur liberté demeure assujettie à une clause de proximité d’âge de deux ans. L’autonomie sexuelle des adolescents est donc relative : ils peuvent avoir des contacts sexuels, mais entre eux. La synthèse qui suit, présentée sous forme de tableau, devrait faciliter la compréhension de la loi et des modifications qui y ont été apportées en 2008.

Tableau

Type de contacts

Année

1988

2008

Contacts sexuels adulte-enfant

Interdit (art. 150.1 (1))

Idem

Contacts sexuels adolescent-adulte ou adolescent-adolescent dans un contexte d’autorité, de confiance ou d’exploitation

Interdit jusqu’à la majorité (art. 153)

Idem

Autres contacts sexuels entre les adolescents

Permis entre un jeune de 12 à 14 ans et un autre jeune qui est de moins de deux ans son aîné (art. 150.1 (2))

12 ans ↔ moins de 14 ans

13 ans ↔ moins de 15 ans

14 ans - 1 jour ↔ moins de 16 ans

Permis sans restriction à partir de 14 ans, exception faite des relations sexuelles anales

Idem

Idem (réforme sans impact sur les couples d’adolescents)

Autres contacts sexuels adolescent-adulte

Permis sans restriction à partir de 14 ans (art. 150.1 (1)), exception faite des relations sexuelles anales (art. 159 (2))

Permis entre un jeune de 14 à 16 ans et une personne qui est de moins de cinq ans son aîné (art. 150.1 (2.1))

14 ans ↔ moins de 19 ans

15 ans ↔ moins de 20 ans

16 ans - 1 jour ↔ moins de 21 ans

Permis sans restriction à partir de 16 ans (art. 150.1 (1)), exception faite des relations sexuelles anales (art. 159)

-> Voir la liste des tableaux

Ainsi, concrètement, la hausse de l’âge du consentement restreint davantage l’autonomie sexuelle des jeunes de 14 à 16 ans, qui ne peuvent plus consentir à des contacts sexuels avec des personnes « trop âgées ». Remarquons qu’avant la réforme leur autonomie était déjà relative, puisqu’ils ne pouvaient pas consentir à des contacts sexuels avec des adultes en situation d’autorité, de confiance ou d’exploitation. En 2005, le législateur avait d’ailleurs précisé que la différence d’âge était un facteur à considérer au moment de décider si la relation était de nature exploitante et, conséquemment, interdite suivant l’article 153 du Code criminel. De plus, le crime de leurre, érigé en 2002, criminalisait déjà l’utilisation du Web pour faciliter la perpétration d’une infraction sexuelle à l’égard d’une jeune personne[33]. Les adolescentes et adolescents étaient donc déjà protégés contre les prédateurs sexuels peu scrupuleux et plus âgés qu’eux. Toutefois, à partir de maintenant, la nature de la relation n’a plus aucune importance. Le crime est fonction de la différence d’âge. Seuls ceux qui se marient pourront vivre en toute légalité[34].

2.1 Opportunisme politique

La hausse de l’âge du consentement est un moyen facile pour le législateur d’affirmer à peu de frais son action politique contre les prédateurs sexuels, ces criminels qui marquent l’imaginaire social, avec, en prime, la certitude de plaire à une frange plus conservatrice de l’électorat.

L’abus et l’exploitation sexuels d’enfants et d’adolescents constituent des problèmes sociaux urgents et réels. De manière générale et constante, les jeunes sont surreprésentés parmi les victimes d’agression sexuelle. Au Québec, en 2007, 68 p. 100 des victimes avaient moins de 18 ans et la grande majorité d’entre elles étaient des filles[35]. Ces chiffres parlent indéniablement de la nécessité d’agir pour prévenir et contrer ces abus. Or, toutes les données diffusées indiquent que les filles sont sexuellement abusées par des hommes qu’elles connaissent (90 p. 100) et que le groupe d’agresseurs le plus important se trouve parmi les membres de la famille (40 p. 100)[36]. Pour achever de peindre ce sombre tableau, il faut noter que 73 p. 100 des agressions surviennent dans une résidence privée[37]. Ainsi, de manière typique, la victime est une adolescente de 13 ans, non consentante, qui subit les attouchements d’un père, d’un beau-père ou d’un oncle. Nous sommes loin du monstrueux pédophile qui traque impunément ses proies en ligne. Nous sommes plutôt dans le quotidien d’une famille quelconque, dans la chambre d’une jeune fille quelconque. La loi affirme depuis longtemps l’illégalité du comportement sexuel à l’oeuvre ; la hausse de l’âge du consentement sexuel ne produit aucun nouvel effet juridique sur cette réalité.

Le message du gouvernement est pourtant à l’effet contraire : « Le projet de loi C-22 vient appuyer un élément-clé de l’engagement de gouvernement de lutter contre la criminalité. Il propose d’assurer une meilleure protection aux jeunes personnes contre les prédateurs sexuels adultes en faisant passer l’âge du consentement de 14 à 16 ans et de remplacer cette expression par “âge de protection[38]. » La hausse de l’âge du consentement a officiellement pour objet de protéger contre les agressions et ce discours se répercute jusque dans le préambule de la loi, qui clame que les familles canadiennes doivent « être en mesure d’élever leurs enfants sans craindre que ceux-ci soient la cible de prédateurs sexuels[39] ». Or, non seulement la hausse de l’âge du consentement ne changera absolument rien à la réalité des agressions sexuelles commises contre les jeunes, mais, de surcroît, le discours sur lequel elle s’érige masque le terrible fait que le drame se joue au sein même des familles canadiennes.

2.2 Absence de données scientifiques

Au cours de la dernière campagne électorale, le premier ministre du Canada a répété sur plusieurs tribunes que ses politiques en matière criminelle ne se fondaient pas sur les opinions des experts, mais sur celles de Monsieur et Madame Tout-le-Monde[40]. La hausse de l’âge du consentement en fournit un joli exemple. L’examen du projet de loi est étranger à toute discussion sur l’ampleur de la cybercriminalité, sur l’impact juridique concret de la mesure proposée et plus encore sur les relations sexuelles consenties entre adultes et adolescents[41].

Comme nous l’avons vu, la seule conséquence juridique de la modification proposée est de criminaliser des relations consensuelles entre adolescents (de 14 à 16 ans) et adultes (différence d’âge de plus de cinq ans) qui ne se déroulent pas dans un contexte d’autorité, de confiance ou d’exploitation. Or, les données indiquent qu’à cet âge les jeunes ont une vie sexuelle active et, conséquemment, il est possible qu’ils partagent parfois leur intimité avec des adultes.

Au Canada, l’Étude sur les jeunes, la santé sexuelle, le VIH et le sida au Canada, publiée en 2003, demeure la dernière étude d’importance sur la sexualité des jeunes[42]. Cette enquête établit qu’un grand nombre d’adolescents ont déjà eu des contacts sexuels à 12 ans (baisers prolongés et caresses), ce qui est le cas d’une écrasante majorité d’adolescents de 16 ans[43]. Le sexe oral est pratiqué par 30,0 p. 100 des jeunes de 14 ans et par 52,5 p. 100 des jeunes de 16 ans. Quant aux relations sexuelles avec pénétration, elles ont été expérimentées par au moins 2,0 p. 100 des élèves de 12 ans[44], par 21,0 p. 100 des élèves de 14 ans et 43,0 p. 100 des élèves de 16 ans. Ajoutons enfin que l’âge moyen de la première relation sexuelle complète au sein du groupe des 16 ans qui se disent sexuellement actifs est de 14,3 ans[45].

Tableau

Contacts sexuels

Scolarité (âge)

7e année ou 1re secondaire

(généralement 12 ans)

9e année ou 3e secondaire

(généralement 14 ans)

11e année ou 5e secondaire

(généralement 16 ans)

Baisers prolongés et caresses

42,0 %

66,0 %

81,0 %

Sexe oral

Au moins 1,0 %

30,0 %

52,5 %

Relations sexuelles (pénétration)

Au moins 2,0 %

21,0 %

43,0 % (âge moyen : 14,3 ans)

-> Voir la liste des tableaux

Les données obtenues au Québec en 2002 dans le contexte de l’Enquêtesociale et de santé auprès des enfants et des adolescents sont comparables au profil canadien : environ la moitié des jeunes de 13 ans avaient déjà eu une relation amoureuse (ce qui sous-tend baisers et caresses) et 4,2 p. 100 d’entre eux avaient expérimenté une relation sexuelle avec pénétration. Pour les élèves de 16 ans, ces taux grimpaient respectivement à 80,0 p. 100 (relation amoureuse) et 40,0 p. 100 (relation sexuelle avec pénétration)[46]. L’âge moyen à la première relation sexuelle des jeunes de 16 ans ayant affirmé être sexuellement actifs était de 14,5 ans[47].

Qu’en est-il, maintenant, des contacts sexuels entre adultes et adolescents ? Il existe très peu de données sur la question. Les chercheurs canadiens notent que les filles ont « en général une maturité physiologique plus précoce que les garçons, [et qu’elles] choisissent habituellement des partenaires plus âgés qu’elles[48] », mais il est difficile d’extrapoler quant à l’ampleur du phénomène. Quelques rares études américaines ont tenté de circonscrire la prévalence des relations adolescentes-hommes adultes, soit la combinaison sexuelle la plus fréquente lorsqu’il s’agit de personnes d’âge différent[49]. Bien que les données demeurent insuffisantes pour tirer des conclusions solides et que de nombreux problèmes méthodologiques surviennent dans leur interprétation, il semble que ce type de relation soit relativement fréquent : de 3,5 p. 100 à 13,0 p. 100 des adolescentes en feraient état[50]. Si ces relations peuvent emporter des effets négatifs pour les jeunes filles, elles peuvent également s’avérer positives et, à l’heure actuelle, il est difficile de généraliser[51]. Il n’y aurait pour ainsi dire pas de données sur les relations jeunes filles-femmes adultes. Quant aux relations entre adolescents et femmes adultes, elles seraient le lot d’environ 5,0 p. 100 des adolescents et seraient globalement considérées comme bénéfiques par les intéressés[52]. Il en irait de même pour les jeunes gays, qui réagiraient de manière positive aux interactions sexuelles avec des hommes plus mûrs qu’eux[53]. Dans ce dernier cas, les adolescents affirment que leur relation avec un homme adulte leur a permis de mieux accepter leur orientation sexuelle et de s’épanouir davantage. Bien que dans l’état actuel des connaissances des recherches supplémentaires soient nécessaires, particulièrement en ce qui a trait aux relations entre les hommes et les adolescentes, les données publiées réfutent fortement la présomption d’un traumatisme. Difficile, donc, d’affirmer la hausse de l’âge du consentement sur cette base.

2.3 Mondialisation

La mondialisation des normes pénales et le désir de s’aligner sur la politique américaine participent aussi de la hausse de l’âge du consentement sexuel. Aux États-Unis, l’âge du consentement sexuel est de 16 ans dans plus de 40 États. Dans quelques États, il faut même attendre 18 ans avant d’avoir la capacité légale de consentir librement à des contacts sexuels[54].

Le député Rob Nicholson s’est appuyé sur les différences entre le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni pour asseoir la nécessité du projet de loi. Il s’est exprimé en ces termes :

Vous serez peut-être intéressés de savoir que le Royaume-Uni a fixé cet âge à 16 ans. Dans la plupart des États australiens et dans de nombreux États américains, cet âge est d’au moins 16 ans. Il me semble que dans une société moderne, c’est une incohérence et c’est l’indication qu’il y a un trou dans la loi lorsque des jeunes personnes de 14 ans peuvent être victimes d’un prédateur âgé de 40 ans. Même si les données statistiques montrent qu’il n’y a pas beaucoup de personnes âgées de 25 ou 35 ans qui exploitent les jeunes personnes ou en profitent, il n’en ressort pas moins qu’il y a des justifications de politique publique très solides pour faire passer cet âge à 16 ans[55].

Le raisonnement est simple : l’âge du consentement sexuel est plus élevé ailleurs, aussi convient-il de faire de même au Canada. Une intervenante, fondatrice de l’organisme Mad Mothers Against Pedophiles, a également souhaité que la sévérité des lois canadiennes reflète celle qui règne aux États-Unis[56]. Dans ce contexte, deux ou trois précisions s’imposent.

Premièrement, les États-Unis constituent un cas à part parmi les démocraties occidentales, qui se distingue tant par son intolérance à l’égard des relations sexuelles impliquant une personne mineure que par l’incohérence intra-étatique de son régime juridique[57]. À ces égards, le droit américain fait l’objet de très nombreuses critiques et plusieurs juristes proposent qu’il soit revu et corrigé[58]. Deuxièmement, à lui seul, l’âge du consentement renseigne peu sur le régime réservé aux adolescents dans un pays donné, parce qu’il n’est qu’une des facettes d’un ensemble de règles relativement complexes qui ont pour objet de protéger les enfants tout en préservant la liberté sexuelle des jeunes. Toutes les démocraties occidentales ont déterminé un âge de consentement sexuel, lequel varie de 12 à 18 ans. Il ne faut pas nécessairement en conclure que les adolescents sont mieux protégés dans un régime ou dans l’autre… les variations reflètent plutôt différentes logiques juridiques qu’il convient d’analyser dans leur ensemble[59]. Par exemple, il peut être normal de fixer un âge élevé à cet égard dans un pays où c’est la seule mesure de protection des mineurs, puisque cet âge doit permettre la poursuite des relations entre adolescents et personnes en situation d’autorité (c’est le cas, par exemple, en Belgique et au Luxembourg, où la barre est fixée à 16 ans). De même, un seuil élevé présente moins de risque de criminalisation s’il est assorti d’un processus de filtrage des plaintes (ainsi, en Finlande et en Norvège, l’âge du consentement est de 16 ans, mais les deux tiers des cas ne sont pas judiciarisés[60]). Enfin, un âge relativement bas est approprié s’il coexiste avec d’autres mesures de protection (par exemple, l’âge du consentement est de 14 ans, mais de 18 ans dans le contexte des relations d’autorité).

2.4 Peur du pédophile en ligne et peur de la sexualité adolescente

Les participants à l’étude du projet de loi ont largement discuté de la protection des enfants contre les prédateurs sexuels en ligne. Les jeunes de 14 et 15 ans seraient vulnérabilisés par la Toile. Ils « vivent dans le monde d’Internet et y ont des réseaux sociaux, alors que ce n’est pas le cas pour la plupart de leurs parents[61] ». Or, les prédateurs sexuels pourraient aisément dissimuler leur âge pour mieux duper les jeunes et ensuite échapper à toute responsabilité criminelle[62]. Quitte à le rappeler, les contacts sexuels consentis dans une relation d’exploitation sont déjà criminalisés et la différence d’âge fait partie des facteurs dont le tribunal doit tenir compte à cet égard[63]. De surcroît, le fait de communiquer avec une personne mineure au moyen d’un ordinateur en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction sexuelle constitue un crime depuis 2002[64].

Le contrôle exercé sur la sexualité des mineurs répond également aux craintes liées à l’hypersexualisation des adolescents. Plusieurs interventions en témoignent, mais la plus candide à cet égard est celle du directeur de l’Alliance évangélique du Canada, qui s’est érigé contre la sexualisation précoce des enfants et des adolescents, affirmant être fermement convaincu « que l’expression sexuelle la meilleure et la plus enrichissante est celle qui est vécue dans le cadre d’une relation conjugale à vie[65] ». Selon lui, les parents et les communautés spirituelles doivent promouvoir « l’enseignement des valeurs qui façonnent la jeunesse, y compris la compréhension de leur identité sexuelle d’un point de vue chrétien ». À l’opposé, d’autres intervenants militaient pour une augmentation des investissements en éducation, toujours dans l’objectif de contrer l’hypersexualisation des jeunes[66]. Le gouvernement aura choisi la voie de la moralité, tout en boudant l’occasion qui lui était donnée d’harmoniser le régime afin qu’il s’applique sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle[67].

3 Survol de la jurisprudence canadienne

Que nous apprend la jurisprudence sur les rapports entre le droit criminel et la sexualité adolescente ? Nous avons examiné un peu plus de 80 décisions canadiennes avant de dégager les constats qui suivent. La recherche embrassait l’ensemble des décisions canadiennes depuis la réforme de 1988 (instauration des articles 150.1 à 153 du Code criminel) et ne s’intéressait qu’aux contacts consensuels impliquant une personne mineure.

Premier constat : comme nous l’avons vu, les adolescents jouissent déjà d’une solide protection contre les adultes susceptibles de profiter de leur vulnérabilité, puisque leur consentement ne peut pas être obtenu dans le contexte d’une relation de confiance, de dépendance, d’exploitation ou d’autorité. Dans ce type de relation, il est sans importance que la personne mineure soit empressée, voire amoureuse, puisque l’article 153 du Code criminel n’a pas pour objet d’interdire les contacts sexuels contre volonté, mais ceux qui se déroulent dans un contexte particulier, marqué par le déséquilibre des forces inhérent à la nature de la relation. Si, à la lumière des faits qui lui sont soumis, le juge conclut que l’adolescent se trouvait dans un contexte d’autorité, de confiance ou de dépendance par rapport à son partenaire, ou qu’il était exploité, les gestes sexuels seront considérés comme criminels[68]. Il peut en aller ainsi dans un contexte familial[69], scolaire[70], parascolaire[71], d’emploi (y compris les emplois occasionnels comme le gardiennage d’enfants)[72], religieux ou sectaire[73] et ainsi de suite[74]. Ce genre d’affaires prédomine au sein de l’échantillon jurisprudentiel étudié.

Second constat : le risque de criminalisation de la sexualité adolescente est réel et tangible. Certaines déclarations de culpabilité ne sont pas liées au contexte relationnel dans lequel s’inscrit le consentement (confiance, dépendance, autorité ou exploitation), mais purement et simplement à l’âge des participants. Par exemple, dans l’affaire R. v. D.A.[75], la plaignante était âgée de 11 ans et l’accusé, de 13 ans. Malgré une différence d’âge de moins de deux ans, sa culpabilité a été retenue, puisque la plaignante était juridiquement incapable de consentir aux contacts sexuels. Dans l’affaire R. v. J.Y.[76], les deux adolescents, respectivement âgés de 13 et de 16 ans, avaient deux ans et neuf mois de différence. Les contacts sexuels étaient consensuels. L’accusé a été déclaré coupable. Le juge a conclu que le législateur avait validement imposé un âge pour consentir afin de protéger les jeunes filles des abus de pouvoir[77]. Dans R. v. D.J.H.[78], l’accusé avait 16 ans. Les deux plaignantes avaient moins de 14 ans et l’une d’entre elles était sa copine, mais, en raison de la différence d’âge, le consentement n’était pas valide[79].

Ces quelques exemples jurisprudentiels personnifient des situations limites : les protagonistes auront bientôt l’âge du consentement sexuel ou, encore, leur différence d’âge excède de quelques mois ce qui est permis par la loi. Bien sûr, à partir du moment où le droit trace une ligne de démarcation, les situations limites sont inévitables. Les règles juridiques adoptées dans la foulée du rapport Badgley[80], qui établissaient l’âge du consentement sexuel à 14 ans, sous réserve d’une clause de proximité d’âge de deux ans, constituaient une tentative sincère de répondre à la réalité adolescente. Elles s’érigeaient sur un principe qui faisait consensus, à savoir que les enfants ne sont pas des partenaires sexuels égaux. Dans ces conditions, les cas frontière, même s’ils peuvent être choquants, apparaissent comme le prix à payer pour l’application efficiente de la loi. Or, les nouvelles règles de droit en vigueur embrassent des situations factuelles beaucoup plus nombreuses qu’autrefois. La criminalisation de la sexualité adolescente n’est plus seulement incidente et exceptionnelle ; elle englobe de nouveaux pans relationnels. De plus, elle opère désormais à la faveur d’un principe différent, suivant lequel les adolescents ne peuvent pas avoir de partenaires sexuels adultes.

La hausse de l’âge du consentement influe également sur la défense d’erreur de fait quant à l’âge, prévu par l’article 150.4 du Code criminel. Dans cette défense, l’accusé doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour vérifier l’âge de son partenaire[81]. Avec la modification législative, ce moyen de défense existe toujours, mais la tranche d’âge où l’erreur est possible est complètement différente. Par exemple, un jeune homme de 20 ans ne pourra plus utiliser ce moyen de défense afin de contrer une accusation où il a eu des contacts sexuels avec une fille de 14 ans.

L’histoire jurisprudentielle américaine illustre bien les dérives potentielles d’une trop grande criminalisation. Plusieurs exemples pourraient venir appuyer le propos[82]. Qu’il nous suffise de relater la dramatique histoire de Matthew Limon. Une semaine après avoir fêté ses 18 ans, Limon a eu des relations sexuelles orales avec M.A.R., un adolescent de 14 ans. Matthew Limon s’est vu infliger une peine de détention de dix-sept ans. La Cour suprême du Kansas l’a finalement acquitté (après cinq années de détention), jugeant que la Kansas Unlawful Voluntary Sex Relations Statute violait le quatorzième amendement[83].

Conclusion

L’obtention du consentement sexuel d’une jeune personne dans un contexte relationnel inégalitaire mérite d’être criminalisé. Cependant, est-il possible d’en dire autant de la différence d’âge entre deux individus ? En haussant l’âge du consentement sexuel, le législateur enrichit la palette des crimes sexuels d’une nouvelle infraction : être plus âgé que son ou sa partenaire. Nouveau crime d’état ? Ajoutons que, avec deux clauses de proximité d’âge différentes et un régime distinct pour les relations en contexte d’autorité, il y a fort à parier que jeunes et moins jeunes s’embrouilleront à travers cet enchevêtrement normatif.

La hausse de l’âge du consentement carbure à la peur du prédateur sexuel, mais elle ne s’appuie sur aucune base scientifique solide. Plusieurs questions demeurent sans réponse dans l’état actuel des connaissances. Qu’en est-il de la prévalence des relations adultes-adolescents ? Nous légiférons sur une hypothèse que les données publiées en la matière ne paraissent pas valider, soit que ce type de relation emporte toujours des conséquences négatives pour les jeunes. Certes, l’abus sexuel d’enfant doit être réprimé avec vigueur. Toutefois, dans le même temps, il faut permettre que les adolescents explorent leur sexualité sans craindre l’opprobre du droit criminel, pour eux ou leur partenaire. Les jeunes doivent pouvoir recourir aux services de santé et d’information qui leur sont destinés en toute confiance, ils doivent pouvoir dévoiler leur vie intime sans risquer une quelconque dénonciation.

Il faut résister à la tentation de tout interdire. Le droit criminel n’est pas une mesure de prévention ; il ne suffit pas d’ériger une nouvelle infraction pour régler une problématique sociale complexe. Ici, l’interdit est donné en réponse à l’exploitation sexuelle et est affirmé comme une mesure de protection des jeunes. Cependant, une analyse croisée des dispositions criminelles pertinentes révèle que la hausse de l’âge du consentement produit des effets juridiques à l’égard d’un seul scénario : celui des contacts sexuels consentis entre adolescents et adultes, dans un contexte de relative égalité. Dans ses effets concrets, la loi brime l’autonomie sexuelle des jeunes, marque certaines relations consensuelles au fer du droit criminel et conduit directement à l’emprisonnement de ces nouveaux abuseurs, coupables d’être trop âgés. À terme, pareilles initiatives populistes conduisent à un gonflement répressif et remettent en cause le principe de modération mis en avant il y a quelques décennies par la Commission de réforme du droit[84]. Pouvons-nous alors encore affirmer que le droit criminel est un outil de dernier ressort ?