Résumés
Résumé
Les humains ne sont pas les seuls êtres dotés d’une conscience et d’une sensibilité à évoluer dans la biosphère : il existe d’autres manières de percevoir et de comprendre, et donc d’autres conceptions du beau, si ce n’est d’autres formes de réalité. Le dossier « Animaux et figurations animales » tente de mieux comprendre ces phénomènes par le prisme de l’imaginaire et de l’esthétique.
Abstract
Humans are not the only beings endowed with a consciousness and a sensitivity to evolve in the biosphere: there are other ways of perceiving and understanding, and therefore other conceptions of beauty, if not other forms of reality. The dossier « Animaux et figurations animales » tries to better understand these phenomena by the prism of the imaginary and the aesthetic.
Corps de l’article
« Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, que votre philosophie n’en rêve », déclare Hamlet dans la tragédie du même nom (Shakespeare, 2016 [1603]: 77). Au sein de la diégèse, ces paroles sont une incitation à tenir compte de ce qui dépasse la raison, en l’occurrence l’apparition spectrale du roi assassiné. On peut aussi les comprendre, sur le plan symbolique, comme une reconnaissance des remises en question opérées par les sciences modernes alors naissantes, le doute du personnage se faisant l’écho d’incertitudes plus vastes. Rien n’empêche toutefois, d’un point de vue post-humaniste — voire post-moderne, au sens littéral du terme — d’y voir un rappel poétique du fait que les humains ne sont pas les seuls êtres dotés d’une conscience et d’une sensibilité à évoluer dans la biosphère. Par-delà les projections ou les spéculations de la « philosophie » — « Des mots, des mots, des mots » (98), comme le souligne le prince danois avec condescendance —, force est de reconnaître qu’il existe d’autres manières de percevoir et de comprendre, et donc d’autres conceptions du beau, si ce n’est d’autres formes de réalité.
Le dossier « Animaux et figurations animales », codirigé par Anne-Sophie Coiffet et Violette Pouillard, tente de mieux comprendre ces phénomènes par le prisme de l’imaginaire et de l’esthétique. Trois approches complémentaires sont privilégiées. Il est question, dans une perspective historique, des manières dont la société occidentale a pu définir les animaux et leurs rapports aux humains, au fil des siècles, et des incidences de ce savoir sur la représentation ou la monstration de ceux-ci, que ce soit en art et en littérature ou dans la conception de jardins zoologiques. Ceci ouvre, selon une approche phénoménologique et/ou éthologique, à une étude des manières dont la sensorialité animale, telle que les humains la comprennent, vient enrichir leur conception de la réalité et permet diverses expérimentations dans les arts visuels, notamment la peinture et le cinéma, mais conduit aussi — non sans paradoxe — à une prise en compte de la part « animale » de la perception humaine, laquelle confère une dimension instinctuelle à certaines figurations ou représentations. Il en découle, par le biais d’un croisement entre zoologie et histoire de l’art, une réflexion sur la dimension esthétique ou artistique de certaines productions animales telles les termitières, la tonnelle nuptiale du jardinier à nuque rose, les toiles d’araignée et bien d’autres.
La signature visuelle du numéro est assurée par Vincent Chevillon, dont les photographies dévoilent le monde parallèle, mais figé, que constituent les réserves ou archives des musées de sciences naturelles, peuplées d’un amas hétéroclite d’animaux empaillés, de squelettes et autres carapaces. Ce sujet trouve un écho dans la section des « Contrepoints », qui présente des oeuvres explorant les thèmes de l’exposition zoologique, mais aussi, en un renversement mortifère, de la chasse et de la dépouille animale. Deux articles hors dossier prolongent l’idée d’une minoration ou d’une éclipse de l’humain en portant sur la question de la trace. Sunga Kim s’intéresse à l’effacement du corps dans la performance et la chorégraphie actuelles et aux manifestations indirectes de celui-ci qui en résultent. Lucie Roy réfléchit à la manière dont l’histoire reconstitue le passé — tout particulièrement le traumatisme collectif de la Shoah — à partir de documents ponctuels et à la part de subjectivité ou d’interprétation qu’une telle démarche implique.
La revue Captures a pour mandat de promouvoir les études liées à la question de l’imaginaire. Un numéro comme celui-ci, qui repose sur une constante interdisciplinarité, mais aussi une intersubjectivité dépassant la seule conscience humaine, est emblématique de cette mission. Je remercie vivement Fanny Bieth, ainsi que Sophie Guignard, Alexandra Martin et Elaine Després, pour tout le travail accompli.
Parties annexes
Bibliographie
- Shakespeare, William. 2016 [1603]. Hamlet, traduit par Yves Bonnefoy. Paris : Gallimard, « Folio », 272 p.