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Introduction

Dans l’esprit du travail intellectuel de Patricia Godbout et de son implication pédagogique à l’Université de Sherbrooke, cet article vise à penser en commun la traduction et l’enseignement dans le cadre du programme de littérature canadienne comparée. Ce programme inclut la traduction, car on peut la voir comme une manière de penser la littérature canadienne dans une perspective comparatiste (Pivato, 2011). Comment la traduction, et précisément la critique des traductions, nous aide-t-elle à comprendre la manière par laquelle la littérature se constitue au Canada? Mon intention est donc avant tout de réfléchir à la manière par laquelle la « critique des traductions » au sens d’Antoine Berman (1999; 1995) peut participer à l’enseignement de la littérature canadienne comparée.

Ce questionnement s’est fait à l’occasion d’une initiative pédagogique entreprise à l’été 2021 pour un tout nouveau cours que je venais de créer pour le programme de baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke, « TRA322 Traduction des littératures autochtones »[1]. En raison de contraintes administratives, le cours devait pouvoir être accessible à des personnes étudiantes hors programmes. Notamment pour cette raison, j’ai voulu axer le cours sur la critique des traductions plutôt que l’activité pratique de la traduction. Le niveau d’anglais pouvait être moindre, puisqu’il fallait à la classe un niveau suffisant pour lire l’anglais, sans nécessairement devoir traduire depuis cette langue. Cela a permis d’accroître le nombre d’étudiantes et étudiants, mais aussi de diversifier les parcours de formation en incluant certains groupes en études littéraires.

Dans le présent article, je présenterai d’abord les grandes lignes de l’initiative pédagogique de l’« atelier de critique de traductions ». J’expliquerai ensuite différents éléments d’un cas particulier, celui de la traduction de Markoosie Patsauq, que j’ai examiné avec ma classe sous forme de « leçons » apprises au cours de la séance. Ces leçons peuvent devenir des exemples pour aborder d’autres textes littéraires traduits[2].

L’atelier de critique des traductions comme initiative pédagogique

Le projet pédagogique qui a mené à cet exercice a ses fondements dans quelques éléments théoriques[3]. D’abord, il s’agissait dans le cadre de cette initiative de mettre en pratique la théorie traductologique apprise en classe. Quiconque a déjà enseigné la traductologie sait la difficulté qu’on peut avoir à allier la théorie et la pratique. L’atelier était d’abord conçu pour que la classe puisse appliquer des éléments d’une théorie et favoriser une compréhension des pratiques traductives. Il s’agissait aussi de favoriser l’exploration de recherches potentielles et, dans notre cas, de stimuler un intérêt chez les étudiantes et les étudiants pour une poursuite des études à la maîtrise.

L’idée initiale vient d’abord de quelques références sur la lecture de traductions littéraires dans un cours de littérature, notamment par Lawrence Venuti et Karen Emmerich (Emmerich, 2017; Venuti, 2013a; 2013b; 2017). Venuti et Emmerich parlent chacun de leur côté de leur expérience d’enseignement de la littérature traduite. L’un comme l’autre n’enseigne pas la traduction à proprement dit, ils enseignent plutôt la littérature en traduction. Les lectures qu’ils proposent à la communauté étudiante sont des textes en traduction : certaines personnes ne lisent donc pas les versions originales, ce qui est assez courant en études littéraires, sans que cela ne soit véritablement réfléchi. Qu’on fasse lire Kafka ou Dostoïevski dans un cours de littérature au Québec, on ne s’attend pas à ce que les gens soient en mesure de lire l’allemand ou le russe. Mais pour Venuti et Emmerich, il importe toutefois de lire plus d’une traduction d’une même oeuvre :

Looking at these translations together not only makes students aware of the historical, mutable nature of literary forms and literary taste but also helps them to understand the hermeneutic nature of translation as they see various interpretations of what a text means and even how it means taking shape in the translations.

Emmerich, 2017 : 152; c’est l’autrice qui souligne

Les questions qu’ils posent sont intéressantes, parce qu’ils proposent de lire le texte traduit pour lui-même, non pas comme un double plus ou moins équivalent de l’original. Comme on va le voir, un des objectifs de l’exercice est de se défaire de l’idée toute platonicienne de l’intangibilité de l’original. Dans mon cas, la grande différence avec ce qu’ont pu faire Emmerich et Venuti, c’est que mes cours s’adressent aussi à de futurs traductrices et traducteurs professionnels, un élément que je devais prendre en considération.

L’atelier s’appuie sur divers fondements théoriques : d’abord, des conceptions sur la pédagogie active, où la lecture en séminaire se propose comme démarche d’autonomie intellectuelle (Railton et Watson, 2016). À cette théorie de la lecture comme forme d’apprentissage actif s’ajoutent des éléments tirés de l’apprentissage par problème (Bédard et Bourget, 2016), au sens où les étudiantes et les étudiants ont à répondre en équipe à des problèmes posés par le professeur, et de la méthode des cas (Van Stappen, 1989), où l’accent est plutôt mis sur la manière qu’ont ces groupes d’exprimer l’évaluation qu’ils font d’une situation. Cette dernière méthode a été priorisée, notamment en raison de sa plus grande simplicité. En outre, l’apprentissage par problème amène à penser qu’une réponse est possible devant le problème posé par le professeur : l’objectif est plutôt ici la collaboration pour amener à réfléchir à sa propre démarche analytique. La méthode des cas permet ainsi une multiplicité de réponses, mais elle implique souvent un certain éthos de la confrontation, voire de la compétition entre les membres de la communauté étudiante. Dans l’atelier que j’ai proposé, j’ai voulu allier la multiplicité des réponses possibles à un problème posé (méthode des cas) tout en favorisant la collaboration entre étudiantes et étudiants (apprentissage par problème). En permettant cette hybridité pédagogique, les unes, les uns et les autres peuvent s’entraider tout en s’apercevant qu’il n’y a pas nécessairement une bonne traduction, mais une multiplicité de traductions possibles, c’est-à-dire une multiplicité de réponses possibles aux enjeux soulevés par la lecture des textes. Il faut apprendre à évaluer ce que fait une traduction et les raisons pour lesquelles elle a paru bonne à un moment donné. Ce qu’on tente de découvrir, on le verra bientôt, c’est la position traductive : tenter de se mettre à la place de la traductrice ou du traducteur pour comprendre comment un choix de traduction est fait.

Les séances de l’atelier

Dans les semaines qui précèdent l’atelier, les étudiantes et les étudiants sont invités à lire des textes théoriques pour se familiariser avec les concepts qui seront utilisés. Dans mon cas, j’ai beaucoup insisté sur la théorie d’Antoine Berman (1985 : pour les « tendances déformantes »; 1995 : 64‑83 pour son « esquisse d’une méthode ») et André Lefevere (1992 : chap. 1‑3). Les deux premiers chapitres de Risterucci-Roudnicky (2008), un livre dont un des publics cibles sont les classes universitaires de premier cycle, pourraient être également une bonne lecture préparatoire. Lors de la séance du cours qui précède la séance de l’atelier, un rappel des lectures théoriques et une présentation du corpus à lire en préparation du cours suivant peuvent être faits. Il s’agit de montrer aux étudiantes et étudiants ce qu’ils doivent chercher, mais sans leur dire la réponse (McKeachie et Svinicki, 2014). La lecture précédant l’atelier fait ainsi partie de l’atelier, elle peut être assimilée au « travail personnel » de l’apprentissage par problèmes (Bédard et Bourget, 2016 : 277). Cette séance peut aussi être l’occasion de prendre quelques minutes pour distribuer les textes entre les membres du groupe. Il est possible de faire lire les mêmes textes à tous : cela implique de ne faire lire qu’un extrait (un ou deux chapitres[4]) d’un roman ou quelques poèmes. Une autre possibilité, celle que je vais décrire, a été de séparer cinq versions différentes d’un même roman, celui de Markoosie Patsauq[5].

Pendant la séance, il s’agit de revenir essentiellement sur les questions posées et de faire voir les différences entre les versions. Cette série de questions (que je développerai dans la prochaine section) vise à remettre en question le jugement trop facile que les étudiantes et étudiants peuvent avoir de ce qu’est une « bonne » traduction : comparer la terminologie employée par les traductrices et traducteurs, ainsi que les éléments de style employés ou les effets idéologiques se découvrant du texte lu participent à un effet de défamiliarisation des habitudes trop rapidement prises par les étudiantes et étudiants en traduction. Il n’est pas toujours évident de pouvoir dire, comme nous le verrons bientôt, quelle est la « bonne » traduction. Dans les faits, il s’agit surtout de relativiser ce que veut dire une bonne traduction et de prendre conscience de la contingence intrinsèque à l’acte traductif.

Dans l’échelle taxonomique de Bloom (1956; révisée par Anderson et Krathwohl, 2001; citée dans Anonyme 2020), ce travail d’application de la théorie permet de relever le niveau cognitif de l’apprentissage : d’une simple mémorisation des concepts théoriques utilisés en traductologie (niveau 1) ou même d’une compréhension de ces concepts (niveau 2), ce qu’il est possible de mettre en pratique dans les séances antérieures par de petits ateliers est une application des théories (niveau 3), voire l’atteinte de niveaux supérieurs (niveau 4 avec l’analyse, niveau 5 avec l’évaluation).

Cet atelier de critique de traductions ne vise pas seulement à faire parler les étudiantes et les étudiants sur ce qu’ils voient comme une bonne traduction. Par la comparaison des versions, et avec l’analyse des paratextes, ils se rendent compte que les différences sont souvent le fait de versions destinées à différents publics – il y a là une des exigences de la méthode des cas : l’authenticité du cas, car ce qui se joue ici, c’est l’aspect social des conditions de la profession des traductrices et traducteurs, et des rapports entre ces professionnels et les maisons d’édition.

Les enjeux théoriques de la critique de traductions

Trois enjeux théoriques majeurs de la traductologie ont été privilégiés pour l’atelier sous forme de questions préparées et données aux étudiantes et aux étudiants une semaine avant la rencontre. Ces questions suivaient en quelque sorte une progression du texte vers le contexte[6]. Les premières questions portaient sur des « éléments culturels spécifiques », un peu selon le modèle des « cultural text units » de Peter Newmark (1988), par exemple :

  • Pouvez-vous repérer des noms propres (des personnes, des peuples – autochtones, allochtones – des localités, des langues, etc.)? Que peut-on dire à propos de l’orthographe?

  • Pouvez-vous repérer des éléments de mesure (spatiale ou temporelle : temps dans la journée; ou économique : monnaie)?

  • Pouvez-vous repérer des mentions d’institutions, nationales ou religieuses[7]?

D’autres questions étaient plus marquées par des éléments stylistiques, faisant référence aux lectures d’Antoine Berman et de Lawrence Venuti que nous avions faites en classe, par exemple :

  • Pouvez-vous repérer des allitérations, des assonances, des rimes particulières, des métaphores ou des expressions idiomatiques?

  • Retrouvez-vous des effets d’étrangeté ou d’exotisme?

  • Retrouvez-vous des notes de bas de page? Comment se présentent-elles?

Finalement, d’autres questions s’adressaient aux éléments paratextuels (péritextes : préface, notes des traductrices et traducteurs, etc.) des versions à lire (ou des informations trouvées en ligne : épitextes), et qui découlaient des lectures faites de Pierre Bourdieu (2002) et d’André Lefevere (1992), par exemple :

  • Comment présente-t-on l’autrice ou l’auteur? Sa nationalité, son statut, ses origines, son rapport à la traduction ou à la langue, etc.?

  • Comment présente-t-on le travail de traduction, les conditions de la traduction?

  • Comment présente-t-on les traductions antérieures du texte (lorsqu’on en parle), comment présente-t-on la traduction comme nouveauté?

  • Comment présente-t-on l’origine des traductrices ou des traducteurs? d’où viennent-ils?

  • À qui fait-on appel pour légitimer la traduction? Qui écrit la préface/postface, d’où viennent-ils, comment les présente-t-on?

Pour faire ce genre d’exercice, il faut avoir lu tous les textes, et déjà savoir ce que vont dire les étudiantes et les étudiants. Pour qu’un tel atelier fonctionne, il faut savoir les faire parler au bon moment, parce que l’intérêt n’est pas la réponse (est-ce vraiment intéressant de savoir qu’un personnage, « Suluk », le père de Kamik, le personnage principal, s’épelle « Salluq » avec deux l et un q plutôt qu’un k dans une des versions?). L’intérêt est plutôt dans la manière de faire parler le cas. À l’occasion d’un cours sur la traduction des littératures autochtones, le premier cours où j’ai monté cet atelier, avec cet exemple, nous avons pu parler du syllabaire autochtone, des différentes variétés de l’inuktitut, du système phonologique de cette langue et de ses rapports avec l’écriture – la gémination et la notation des uvulaires –, des réformes orthographiques de l’inuktitut, mais aussi du sentiment d’appartenance des aînées et aînés quant à l’orthographe, et ainsi de suite[8].

Bien sûr, comme professeure ou professeur, on peut arriver à la séance et apprendre des choses, parce que les étudiantes et étudiants font souvent une très bonne lecture, et ils font souvent l’effort d’aller chercher ailleurs, dans d’autres textes trouvés en ligne (épitextes), des informations, mais les grandes idées, on doit déjà les connaître, parce qu’il faut pouvoir faire intervenir au bon moment. Une étudiante d’un séminaire pour la maîtrise, en voyant comment se déroulait la séance, s’était exclamée : « Mais tout ce qu’on dit, c’est scripté! » Elle avait un peu raison, car ce qui importe, c’est l’interaction entre les différentes versions : faire une critique des traductions, ce n’est pas déterminer quelle est la bonne traduction, c’est comprendre que ce qui amène les traductrices ou les traducteurs à traduire de telle ou telle façon est déterminé par un ensemble de circonstances, parfois extérieur à eux. Voilà ce qu’il faut essayer de comprendre ensemble.

Les leçons de la traduction de Markoosie

En complément de ce texte, je voudrais partager quatre leçons de critique de traductions qui ont pu émerger des interactions entre les étudiantes et étudiants. Ce sont des leçons qui ont servi à prendre conscience des différences entre les versions, mais aussi de l’incidence qu’ont les traductrices et traducteurs sur l’interprétation du texte. Il ne s’agit pas de discerner ici laquelle des versions est la meilleure, mais bien de comprendre ce qui est en jeu en traduction.

Le succès de l’atelier a bénéficié du cas de la traduction du Harpon du chasseur (ou de Chasseur au Harpon, selon la traduction) de Markoosie Patsauq, considéré comme le premier roman inuit publié. Afin de présenter les cinq versions qui ont été passées en revue pendant mon cours, il est nécessaire d’expliquer un peu l’histoire du texte[9]. Ce qu’on nomme généralement Le harpon du chasseur a d’abord été publié sous le titre « ᐅᒪᔪᓯᐅᑎ ᐅᓇᑐᐃᓇᒧᑦ[10] » dans trois numéros de la revue Inuktitut (été et hiver 1969, et printemps-été 1970)[11]. Il s’agit du récit de la chasse d’un ours malade terrorisant une communauté. L’histoire serait inspirée des récits anciens que se racontaient les membres de la communauté inuite (McGrath, 1984 : 81; Markoosie, « Avant-propos », dans Patsauq, 2011 : 37). James H. McNeill, fonctionnaire au ministère des Affaires indiennes et du Nord, portant le titre de « Literature Development Specialist », éditeur du magazine Inuktitut, convainc Markoosie de traduire et d’adapter son récit en anglais pour McGill-Queen’s University Press[12]. Cette version est publiée en 1970, l’année même de la publication dans Inuktitut du dernier volet du récit. Une première traduction française de cette édition anglaise est faite par Claire Martin (nom de plume de Claire Montreuil) en 1971 : Le harpon du chasseur (Le Cercle du Livre de France). D’autres traductions seront ensuite éditées dans d’autres langues (notamment en allemand en 1974 et en danois en 1995, versions qui n’ont pas été utilisées lors du cours), et ce, à partir de la version anglaise.

Viendra par la suite une nouvelle version française, éditée par Daniel Chartier sous le même titre : Le harpon du chasseur, traduite par Catherine Ego (Presses de l’Université du Québec, 2011). Cette version faite en collaboration avec l’Institut culturel Avataq du Nunavik inclut une version révisée du texte inuktitut original, publié dans le magazine Inuktitut (1969-1970). Il y a au moins deux autres retraductions faites à partir de la traduction française de Catherine Ego, en hindi et en marathi, toutes les deux publiées en 2015. Ces dernières versions n’ont pas non plus été incluses lors des deux premiers ateliers.

Les deux chercheurs Valerie Henitiuk, traductologue, et Marc-Antoine Mahieu, linguiste, entreprennent de retraduire le récit à partir de l’original publié dans le magazine Inuktitut à la fois en anglais et en français, accompagné d’une réédition du texte original inuktitut entièrement révisée par Mahieu : ᐆᒪᔪᕐᓯᐅᑎᒃᐅᓈᑐᐃᓐᓇᒧᑦ = Uumajursiutik unaatuinnamut = Hunter with Harpoon = Chasseur au harpon. Cette publication de 2021 est éditée aux mêmes presses universitaires que la version de 1970 où cette dernière est encore en vente sous son titre original. Il est à noter que la traduction anglaise qu’on retrouve dans l’édition critique avait déjà été publiée de manière autonome l’année auparavant, Hunter with Harpoon (McGill-Queen’s University Press, 2020), elle sera suivie en 2021 de la traduction française, d’abord en France, sous le titre Kamik (Dépaysage, 2021; le syntagme « Chasseur au harpon » est utilisé comme sous-titre), et quelques jours plus tard au Québec : Chasseur au harpon (Boréal, 2021). Dans tous les cas, à la fois Henitiuk et Mahieu sont crédités à la traduction[13]. À ma connaissance, le texte inuktitut révisé par Mahieu n’a toujours pas été édité de manière autonome. Pour mon cours, tous les péritextes des éditions du Boréal et de McGill-Queen’s University Press ont fait l’objet d’une analyse. L’édition française n’a pas été utilisée puisqu’elle n’est pas en vente libre au Canada.

Il y a plusieurs avantages à utiliser la multiplicité des versions du texte de Markoosie pour faire une critique de traductions. Paradoxalement, c’est d’abord et avant tout parce que les étudiantes et étudiants ne comprennent pas la langue de l’« original »  : l’atelier ne vise pas à juger des enjeux de langue ou de déterminer laquelle des versions est plus  « fidèle », mais bien à comprendre comment chacune se révèle en adéquation avec ce qu’elle prétendait faire, à son objectif ou à sa fonction[14]. Il faut étudier le texte et ses paratextes, c’est-à-dire comment on présente le texte, et son contexte de création, il faut analyser ce qu’Antoine Berman appelait la « position traductive » (Berman, 1995 : 74‑75), c’est-à-dire la manière avec laquelle la traductrice ou le traducteur répond à sa pulsion de traduire, à la tâche qui lui incombe, la façon dont il ou elle a internalisé le discours ambiant sur la traduction, ses normes ou les idéologies dominantes; puis le « projet de traduction » (Berman, 1995 : 76‑79), c’est-à-dire la manière avec laquelle la traductrice ou le traducteur va accomplir le transfert du texte de la littérature source à la littérature cible, l’explication de son adaptation ou de son mode de traduction; et finalement l’« horizon du traducteur ou de la traductrice » (Berman, 1995 : 79‑82), c’est-à-dire l’ensemble des paramètres langagiers, littéraires, culturels et historiques qui déterminent comment la personne qui traduit sent ou pense la traduction, ce qui comprend l’attente du public, l’état de la littérature, l’existence d’autres traductions avec lesquelles il faut se situer. C’est avec ces paramètres en tête que nous avons entrepris l’atelier de critique de traductions. Dans les prochaines lignes, je propose quatre leçons que nous avons retenues dans la confrontation des versions disponibles du roman de Markoosie Patsauq.

Leçon 1 : la manière de présenter la biographie de l’auteur ou de l’autrice peut être une manière de situer les traducteurs et traductrices dans le champ littéraire

On aurait peut-être tendance à penser que l’auteur ou l’autrice comme personne (sa biographie) est la source stable sur laquelle on peut tous être en accord. Ce n’est étrangement pas le cas : l’auteur Markoosie ne provient pas du même endroit selon la version qu’on lit. En effet, les deux premières versions (1970, 1971) indiquent ceci dans leur avant-propos[15] :

Resolute is the only settlement on Cornwallis Island, and it is home to Markoosie, the author of this story

McNeill, « Foreword », dans Patsauq, 1970 : 5

L’auteur de ce roman est un esquimau âgé d’une trentaine d’années. Il vit à Resolute Bay, village de trois cents habitants, […]

Anonyme, « Avant-propos », dans Patsauq, 1971 : 7

La baie Resolute (Resolute Bay) est une baie située sur l’île Cornwallis qui est aujourd’hui situé au Nunavut (il s’agissait à l’époque des Territoires de Nord-Ouest). La communauté qui s’y trouve est le deuxième village habité le plus septentrional du Canada, après Grise Fiord. L’origine de Markoosie n’est pas la même si on lit les péritextes des éditions plus récentes. Sur Resolute Bay, Daniel Chartier écrit ceci :

Comme d’autres écrivains inuits, [Markoosie] fait partie de ceux qu’on a appelés « les exilés du Nouveau-Québec », hommes et femmes déplacés dans les années 1950 du village d’Inukjuak (autrefois Port Harrison) vers l’extrême Arctique par le gouvernement fédéral, victimes d’une volonté d’établir la souveraineté canadienne dans le Nord. Markoosie a donc passé une partie de sa vie à Resolute Bay, sur l’île Cornwallis, et n’a pu réintégrer que des années plus tard son village natal

Chartier, « Introduction », dans Patsauq, 2011 : 12‑13

L’apparat critique de Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu raconte la même histoire, dans une section sur le rôle de l’éditeur McNeill dans la production de l’édition de 1970. Par souci de concision, je ne donne qu’un extrait :

That foreword [par McNeill] speaks of Resolute as “home to Markoosie” (1970 : n.p.), with no reference to the fact that the author was in fact born some two thousand kilometres south and was almost a teenager before ever laying eyes on Cornwallis Island, on which he and his family were in effect imprisoned

Henitiuk et Mahieu, « Translation Journey of Markoosie’s Text », dans Patsauq, 2021c : 234

Or, lorsqu’on veut désigner le lieu même où Markoosie est né, Chartier donne un lieu précis :

Markoosie Patsauq (ᒫᑯᓯ ᐸᑦᓴᐅᖅ) est né en 1941 sur la côte ouest de la baie d’Ungava, dans ce qui est aujourd’hui le territoire du Nunavik, au Québec

Chartier, « Introduction », dans Patsauq, 2011 : 12[16]

Henitiuk et Mahieu mentionneront, aussi le lieu de la naissance de Markoosie, mais cette fois dans une section commentant la version de 2011, en référence directe au projet éditorial de Chartier. Cette fois, cela vaut la peine de citer plus longuement :

The decidedly awkward politics of this relay retranslation [la retraduction en français de la version de 1971 par Markoosie], as set within a volume edited by Daniel Chartier, are worth teasing out. Despite the fact that the Inuktitut syllabics original is printed in full in the back half of the volume, the source text for this French version remains solely the English adaptation, which is, ironically, not included in the book, not even in part. Further, the allusive title of the series to which this publication belongs suggests a nationalistic claim: “Jardin de givre” (Garden of frost) is a reference to “Soir d’hiver” (Winter evening) by iconic Québécois poet Emile Nelligan (1879-1941). Its chief sponsors include DIAND along with Quebec’s Ministère de la culture, des communications et de la condition féminine. The implication is that this work and its author belong unambiguously to Quebec literature, even though Markoosie lived outside that province from 1953 through 1975. Further, although usually said to have been born in Inukjuak (on the east coast of Hudson Bay, in “New Quebec”), he was in fact born on a tiny island just off Elsie island – a place the Inuit themselves call Nuvutsiit – which was under the jurisdiction of the then Northwest Territories and now Nunavut

Henitiuk et Mahieu, « Translation Journey of Markoosie’s Text », dans Patsauq, 2021c : 251[17]

Plus tôt, dans une section sur la publication de 1970 aux Presses universitaires McGill-Queen’s, Henitiuk et Mahieu écrivent :

Note, conversely, that the packaging of the 2011 French-language edition makes a clear claim for Markoosie as belonging to Quebec, which is equally hard not to read as colonial in tone

Henitiuk et Mahieu, « Translation Journey of Markoosie’s Text », dans Patsauq, 2021c : 234

Cette accusation est sans fondement. Le mot « Québec » est plus utilisé dans l’édition critique d’Henitiuk et Mahieu que dans celle de Chartier, et précisément dans la préface écrite par Markoosie Patsauq lui-même où il discute des différences linguistiques entre l’inuktitut parlé au Nunavik et celui parlé dans le Haut-Arctique[18].

À l’occasion de l’atelier, lorsque je fais le tour de cette question avec les étudiantes et étudiants, selon la version lue, les réponses diffèrent. Les lectrices et lecteurs des deux premières éditions mentionne Resolute Bay, alors que les autres mentionnent le Québec. Les lecteurs de l’édition critique de 2021 reviennent sur le propos des deux traducteurs concernant les conséquences, pour Markoosie, d’être né sur une île dans la baie d’Hudson et le lien avec Nelligan, et expriment une certaine mécompréhension. C’est l’occasion pour moi de présenter brièvement l’histoire les rapports entre le Québec et la communauté inuite, de l’extension vers le nord des provinces du Manitoba, de l’Ontario et du Québec en 1912 jusqu’au Renvoi sur les Esquimaux à la Cour suprême du Canada (1939)[19]. Cette discussion à propos des deux documents juridiques permet de se faire une idée sur l’approche coloniale du Québec et du Canada concernant la communauté inuite. Henitiuk et Mahieu ont raison de mentionner que les îles situées dans la baie d’Hudson sont exclues du territoire québécois parce que, dans la loi de 1912, le législateur canadien a indiqué qu’à partir du milieu de l’embouchure de la rivière Eastmain (ancienne extension maximale du Québec au nord-ouest), la frontière s’étend « northerly and easterly along the shores of Hudson bay and Hudson strait ». Le juriste Jean-Paul Lacasse mentionnait déjà les problèmes qui pouvaient survenir avec une telle description qui ressemble fort à une erreur de rédaction :

Or de nombreuses questions peuvent se poser quant au sens du mot « rivage » (s’agit-il de la ligne des hautes eaux, de celle des basses eaux, ou d’une autre?). […] La question est d’une importance pratique considérable puisque de nombreuses îles sertissent le pourtour septentrional du Québec. Or, certaines ne sont rattachées au Québec qu’à marée basse et deviennent tour à tour îles et presqu’îles de sorte que, selon l’interprétation donnée aux termes de délimitation, ces espaces seraient situés soit au Québec soit aux Territoires du Nord-Ouest [aujourd’hui le Nunavut].

Lacasse, 1977 : 121, voir également Dorion et Lacasse, 2011 : 75

Pendant le cours, au moment d’aborder la loi de 1912, j’essaie d’être le plus exhaustif sur la situation juridique du territoire. Je demande par exemple, ce qu’il en est des quais situés sur la baie d’Hudson au Nunavik : font-ils partie du Québec ou du Nunavut? Quand je sens que je perds peu à peu les étudiantes et les étudiants, c’est à ce moment que je pose une nouvelle question : à quoi ça sert de tatillonner sur le statut juridique de l’île où est né Markoosie? La discussion repart ainsi dans une nouvelle direction : pourquoi importe-t-il à Henitiuk et Mahieu de faire dire à Chartier qu’il tient tant à mentionner le Québec alors même que Chartier utilise plutôt l’expression « littérature inuite » lorsqu’il s’agit pour lui de parler du champ littéraire auquel appartient Markoosie? Comment explique-t-on l’étrange angle mort d’Henitiuk et Mahieu qui sont les seuls à mentionner l’appartenance manquée de Markoosie à la « littérature canadienne autochtone » (Patsauq, 2021c : 228)? On commence alors à prendre conscience que ces détails visent davantage à situer les commentateurs du texte présenté que son auteur originel.

Leçon 2 : l’orthographe utilisée indique plus souvent d’où viennent les traductrices et traducteurs que leur attitude envers la langue

Une des questions posées à l’occasion de l’atelier de critique de traductions vise, pour les étudiantes et étudiants, à repérer les différences dans l’orthographe des noms de personnes et de lieux. Un tour de table permet de faire le décompte de quelques noms. Je cite dans les prochaines lignes le même extrait où sont mentionnés, outre le héros, Kamik, son père et sa mère, les deux amis du héros, afin de voir la différence orthographique. La scène se passe après l’attaque de l’ours, les gens de la communauté décident de partir à sa recherche pour le tuer. Je cite d’abord les versions de 1970, de 1971 et de 2011 qui, cette fois, sont très semblables (je souligne les noms des personnages) :

Next day the wind was calm, but it was cold. All the hunters except Mittik and Issa began to get ready for the trip, each man thinking his own thoughts. Maybe some of them were wondering if they would ever come back alive. Kamik helped his father harness the dogs. His mother, Ooramik was tying supplies to the sled. At last everyone was ready, and at the sound of snapping whips the dogs let out a howl and jumped forward. Kamik and Suluk waved to Ooramik in farewell

Patsauq, 1970 : 14‑15

À l’aube, tous les chasseurs – sauf Mittik et Issa – commencèrent leurs préparatifs. La journée serait froide, mais sans beaucoup de vent. Les hommes étaient pensifs. De cette chasse dangereuse, ils pouvaient se demander s’ils reviendraient jamais. Pour sa part, Kamik aidait son père à atteler les chiens pendant que sa mère, Ooramik, attachait solidement les provisions sur les traîneaux. Enfin, chacun fut prêt. Les fouets claquèrent et les chiens s’élancèrent en hurlant. Ooramik, debout près de l’igloo, répondait aux signes d’adieu de son mari et de son fils[20]

Patsauq, 1971 : 13‑14

Le lendemain, le vent était tombé mais il faisait encore froid. À l’exception de Mittik et Issa, tous les chasseurs se préparèrent pour l’expédition. Ils étaient absorbés dans leurs pensées. Sans doute certains d’entre eux se demandaient-ils s’ils reviendraient vivants de cette chasse… Kamik aida son père à harnacher les chiens. Ooramik, sa mère, attacha les livres et l’équipement sur le traîneau. Enfin, tout le monde fut prêt. Au claquement des fouets, les chiens s’élancèrent en aboyant. Kamik et Suluk saluèrent Ooramik de la main

Patsauq, 2011 : 44‑45

Voici la version de 2021, en français et en anglais :

Le lendemain, ils commencent les préparatifs de leur chasse à l’ours. Le temps est meilleur, mais le vent n’a pas cessé. Tous les hommes se préparent, à l’exception d’Aisa et de Mitiq qui vont rester sur place.

Certains des hommes se disent que tel ou tel, peut-être, ne reviendra plus chez lui.

Kamik aide son père, sa mère harnache les chiens, ils vont bientôt partir.

Quand tous sont enfin prêts, leurs chiens s’élancent. Ils démarrent à toute vitesse en aboyant furieusement.

Au loin, Kamik et Salluq font des signes de la main à Ujamik

Patsauq, 2021c : 125

The next day, they get ready to go after the bear. The weather has improved, although it is still windy, and all the men are getting ready, except for Aisa and Mitiq, who are staying behind.

A few of the men are now thinking about how some of them may not come back.

Kamik helps his father, and his mother harnesses the dogs. Soon they will be ready to go.

When everyone is finally ready, their dogs take off at full speed, barking furiously.

From far off, Kamik and Salluq wave at Ujamik

Patsauq, 2021c : 89

L’orthographe de la dernière édition est plus conforme à l’écriture originale de l’inuktitut où Aisa s’écrivait ᐊᐃᓴ, Mitiq, ᒥᑎ (sans le q final), tout comme Salluq (ᓴᓗ, sans le q final et la gémination) et Ujamik (ᐅᔭᒥ, sans le k final). Ces noms ont été respectivement orthographiés ᐁᓴ[21], ᒥᑎᖅ, ᓴᓪᓗᖅ et ᐅᔭᒥᒃ[22].

Un même phénomène se constate avec les toponymes, où le nom de la communauté où iront trouver refuge les chasseurs se nomme, de 1970 à 2011, Kikitajoak, et, en 2021, devient Qikirtajuaq (ᑭᑭᑕᔪᐊ dans l’original inuktitut, ᕿᑭᕐᑕᔪᐊᖅ dans la version révisée). Si je demande aux étudiantes et aux étudiants de lire ces mots, plusieurs font remarquer qu’ils n’ont pas idée comment prononcer un « q » sans « u ». Plusieurs mentionnent l’impression d’exotisme qu’ils ressentent à lire ces mots, ou encore celle d’authenticité qui s’en dégage. Comment expliquer que les premières versions, à commencer par celle de 1970 par Markoosie lui-même, ne respectent pas l’inuktitut original? Cette question permet de faire un tour de table sur les liens entre l’oralité et sa transcription, et le rôle de l’orthographe tant pour celui qui écrit le texte que pour celui qui le lit.

Je ne peux parler que de mon expérience ici avec les locutrices ou locuteurs de langues autochtones. J’ai remarqué certaines tendances à travers les échanges que j’ai eus avec eux et avec des linguistes : les locutrices et locuteurs natifs tendent à accorder moins d’importance à une orthographe standardisée qui reproduirait exactement la prononciation. Ce souci est souvent le fait de linguistes travaillant auprès d’eux qui désirent garder en mémoire la prononciation et faciliter l’étude de la langue. Dans une conférence prononcée à l’Université du Québec à Montréal (Compton, 2021a), le linguiste spécialiste de l’inuktitut, Richard Compton, expliquait ainsi que pour le dictionnaire créé en collaboration avec les aînés de Ulukhaktok dans la Région désignée des Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest) (Kudlak et Compton, 2018), une discussion avait eu lieu sur l’orthographe à utiliser. Le projet du dictionnaire proposait d’utiliser l’orthographe moderne (déjà employée par Lowe [1983] dans son dictionnaire), mais certains aînés tenaient à garder les anciennes formes orthographiques des toponymes et d’autres mots (comme les noms de famille, par exemple)[23]. Le compromis se présente ainsi dans le dictionnaire (inuinnaqtun/anglais) :

Ulukhaqtuuq

Community of Ulukhaktok

(formerly Holman)

Selon Lowe (1983 : xvii), l’ancienne orthographe que les aînées et aînés connaissaient le mieux provient des missionnaires anglicans qui ont tenté de reproduire, dans le système phonologique qui était le leur (celui de l’anglais) les sons de cette langue inuite. Suivant cette logique, peut-on supposer que l’orthographe utilisée par Markoosie dès la version de 1970 correspond à celle qu’utilisaient les locutrices ou locuteurs étrangers (dont les missionnaires) de l’inuktitut, avant sa normalisation à l’écrit? Voulait-il au contraire adapter en connaissance de cause la sonorité des noms propres inuktituts au système phonologique de l’anglais? Les paratextes sont silencieux sur ce sujet. On peut simplement prendre acte de ce qu’on retrouve dans les différentes éditions. Les éditions subséquentes en français, la traduction de Martin comme celle d’Ego, répètent l’orthographe de l’édition de 1970 et ne tente pas de « franciser » les noms propres[24]. La dernière édition critique quant à elle prend le parti de la standardisation orthographique. C’est cohérent avec la posture de traducteur de Marc-Antoine Mahieu, lui-même d’abord et avant tout linguiste, spécialiste de l’inuktitut. C’est aussi cohérent avec le projet de traduction de cette édition qui peut se voir comme un outil pour apprendre l’inuktitut à partir du texte de Markoosie (Henitiuk et Mahieu, « Untangling the lines », dans Patsauq, 2021c : 169). En effet, encore une fois selon mon expérience, les apprenantes et apprenants de langues autochtones, y compris les autochtones eux-mêmes dont ce sont leur langue seconde, rejoignent les linguistes dans un certain désir d’exactitude entre l’oralité et l’écriture. L’écriture devient alors une surface d’inscription de la mémoire de la langue, et la précision sur la prononciation prend alors une importance plus grande[25].

Leçon 3 : il y a toujours des intentions implicites lorsqu’on demande à quelqu’un d’écrire une préface

Il est intéressant de remarquer qui signe les préfaces et autres paratextes des différentes versions. Encore une fois, une certaine distinction peut être faite entre le groupe des premiers écrits (1970-1971) et ceux des années 2000. Dans l’édition anglaise de Markoosie se trouve une préface de trois pages écrites par le fonctionnaire James H. McNeill, le « spécialiste du développement de la littérature »[26]. La préface donne quelques informations : qui est l’auteur du livre, d’où vient le texte, etc. Un facsimilé d’une page publiée dans le magazine Inuktitut suit cette préface, ainsi qu’une section intitulée « Acknowledgements » où l’auteur et l’éditeur remercient pour son soutien financier le ministre des Affaires indiennes et du développement du Nord de l’époque, l’honorable Jean Chrétien, ainsi que James McNeill pour le travail qu’il a fait pour la production du livre. La version traduite par Claire Martin en 1971 reprend les mêmes éléments, mais dans l’ordre inverse : tout en bas de la première page suivant la mention légale se trouvent des remerciements de l’auteur seul à l’« Honorable Jean Chrétien, ministre des Affaires indiennes ». L’éditeur pour sa part remercie le « Conseil des Arts du Canada ». Cette section est suivie de la même page facsimilée provenant du magazine, puis de l’avant-propos de deux pages. L’avant-propos n’est pas signé, il semble être le résumé de la préface en anglais de McNeill. Ce dernier n’est jamais mentionné dans cette édition.

Cette première discussion avec les étudiantes et étudiants permet de prendre conscience du rôle des commanditaires dans l’édition d’un livre, ainsi que de prendre la mesure des pratiques éditoriales à l’égard de la traduction. En effet, on y trouve une place très grande pour le politique qui finance l’édition (dans ce cas, un ministre est nommé) et pour un fonctionnaire du gouvernement fédéral, chose plutôt rare dans le domaine de l’édition. Claire Martin, la traductrice de la version française, comme c’est souvent le cas, n’a pas de lieu réservé pour exprimer, par exemple, des difficultés de traduction. Son nom se retrouvera tout de même sur la couverture, chose plutôt rare à l’époque, mais que Pierre Tisseyre avait rendu commun avec sa collection « Les deux solitudes » de cette maison d’édition[27]. Cela s’explique peut-être par le fait qu’elle était relativement bien connue à l’époque dans le milieu littéraire pour sa propre production littéraire, elle avait notamment obtenu le prix du gouverneur général en 1967 (Henitiuk, 2017 : 52).

L’édition de 2011 par Daniel Chartier marque un certain tournant. L’édition se veut critique, le roman devient un objet du discours littéraire, et les signes se multiplient dans les paratextes. Si ces derniers représentaient respectivement environ 7 % du texte total en 1970 (5 pages de paratextes, 71 pages pour le roman lui-même) et 4 % en 1971 (4 pages de paratextes, 87 pages pour le roman), en 2011, on parle de 41 % (67 pages de paratextes, 98 pages pour le roman, français et inuktitut confondus; si on prend le texte inuktitut pour une forme de paratexte, comme je pense on devrait le faire ici, la proportion monte à 62 %). On y trouve d’abord une page de remerciements qui accompagnent les informations sur la maison d’édition, une table des matières (deux pages), une introduction de l’éditeur, Daniel Chartier (32 pages), un avant-propos de l’auteur (une page), suivi des 59 pages du roman en traduction française. Une deuxième section en inuktitut comprend 13 pages d’une version abrégée et simplifiée de l’introduction de Chartier (traduite de la version anglaise), suivies de la préface d’une page par Markoosie, elle aussi traduite de l’anglais, ainsi que 36 pages pour le roman en inuktitut. Cette section est alors suivie d’une version abrégée de l’introduction de Chartier (dix pages) en anglais, d’une chronologie (quatre pages) en français, et finalement d’une section intitulée « Bibliographie et réception » (trois pages). Dans les paratextes, celui qui se montre le plus est Daniel Chartier qui signe « Daniel Chartier, professeur, Université du Québec à Montréal », et ce, dans trois langues (français, inuktitut, anglais). La courte préface d’une page de Markoosie écrite originellement en anglais ne se trouve étrangement pas dans l’édition, elle est traduite deux fois, en français d’abord, en inuktitut ensuite (par quelqu’un d’autre, semble-t-il). Un facsimilé de sa préface manuscrite en anglais est encadré dans la version française de l’introduction de Chartier (Chartier, « Introduction », dans Patsauq, 2011 : 17). On remarque ainsi, lors de l’atelier, l’importance que prend l’éditeur dans cette nouvelle édition critique. Cependant, on remarque aussi l’invisibilité de la traduction dans cette édition : la traductrice Catherine Ego n’a pas de lieu pour parler de ses problèmes de traduction ou de ses choix (notamment le célèbre allou), elle n’est jamais mentionnée par Chartier. On n’apprendra le nom de la traductrice que dans la page consacrée aux livres publiés dans la même collection et sur la page titre. Même invisibilisation pour Claire Martin, mais en fait de toute l’édition de 1971 puisque la seule mention se trouve dans la bibliographie. Ainsi, alors qu’en 1970, un fonctionnaire de l’État canadien venait donner sa caution pour légitimer le texte inuit, cette fois, c’est désormais l’institution littéraire par l’entremise d’un professeur d’université spécialiste des études littéraires qui le fait.

L’édition critique de 2021 produite par Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu perpétue en quelque sorte cette légitimation par l’univers académique. Refaisons notre calcul : dans cette édition, on retrouve dans l’ordre une table des matières (deux pages), une préface de Markoosie Patsauq (cinq pages, il s’agit de la traduction d’une transcription d’un entretien), une première version du roman en inuktitut (syllabaire) (46 pages), une deuxième version du roman en inuktitut (écriture romanisée) (38 pages), une troisième version du roman traduit en anglais (35 pages), une quatrième version du roman traduit en français (38 pages), un apparat critique en neuf sections cosigné par Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu (102 pages), une courte section intitulé « Editors’ Acknowledgments » (deux pages), une section « Appendices » incluant cinq annexes (48 pages), une bibliographie (16 pages) et finalement un index (six pages). Sur les 338 pages comprenant du texte, 181 pages sont consacrées à autre chose que le texte du roman, soit environ 54 %[28].

Dans cette édition, l’apparat critique est de loin le plus impressionnant. Contrairement à l’édition de 2011 par Chartier, celle de Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu retrace l’histoire des éditions du livre de Markoosie et souligne des enjeux de traduction. Cela est peu étonnant, considérant que les deux éditeurs sont aussi les traducteurs du texte. On y traite longuement des autres éditions et des problèmes de traduction des autres versions. Mais la posture ressemble également à celle de Chartier dans la mesure où Henitiuk et Mahieu se posent aussi comme professeure et professeur spécialistes, cette fois à la troisième personne, dans un passage de la première section de l’apparat critique, dans une sorte de « récit des origines » de la pulsion ayant mené à l’établissement de cette édition critique :

Mahieu, born and raised in France, has since 2009 been a professor of Inuktitut linguistics at INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales; this major languages institute is a member of Sorbonne Paris Cité), and he began working on a new French version of Markoosie’s best-known work in 2013. […]

Henitiuk is a settler Canadian specializing in comparative literature and translation studies, and when in 2014 she began looking seriously at the English and French versions of both Sanaaq and Harpoon, she was struck by the degree to which so many of the burning issues in these disciplines were encapsulated in the journey undertaken by Markoosie’s text in particular

Henitiuk et Mahieu, « Untangling the Lines », dans Patsauq, 2021c : 169‑70

La dernière édition a toujours beau jeu d’avoir le dernier mot sur tout ce qui a été publié avant elle. Retenons toutefois que l’édition française qui la précède, celle de Chartier, est, comme on l’a compris, sévèrement critiquée.

Dans le cas de cette dernière édition comme dans celle de Chartier en 2011, une place est laissée à Markoosie pour revenir sur son texte, et ce, même si les deux préfaces sont très différentes, autant sur la forme que sur le fond. La préface de Markoosie dans l’édition de Chartier (écrite en 2010) semble distante : c’est un auteur qui écrit au loin, revisitant le texte bien des années plus tard. Celle de la version de 2021 réécrite à partir d’une entrevue faite chez lui par Mahieu, est peut-être moins éloignée, mais elle marque un même écart par rapport à l’événement de la publication originale, comme le faisait l’édition française de 1971. Le fait de placer Markoosie, l’auteur du livre, en préface, a l’étrange conséquence de créer un écartement entre le texte et la personne dont on supposait l’auctorialité : Markoosie devient dans les deux cas l’objet d’un discours littéraire écrit par d’autres[29]. Étrangement peut-être, le fait que, dans les premières éditions de 1970 et 1971, c’était l’« auteur » (supposément Markoosie) qui remerciait Jean Chrétien, attribuait à tout le moins de manière narrative une agentivité à Markoosie[30]. Une certaine objectification, voire une aliénation, de l’auteur Markoosie se produit dans les éditions critiques à partir de 2011, et de manière plus marquée dans celle de 2021 lorsqu’on lit, dans les « Editors’ Acknowledgement », un « Postscript » : « On 8 March 2020, while this book was still in production, Markoosie Patsauq passed away of cancer, at his home in Inukjuak. » (Henitiuk et Mahieu, « Editors’ Acknowledgement », dans Patsauq, 2021c : 262) L’édition critique est un tombeau.

Il est intéressant de noter que les livres monolingues publiés avec les traductions de l’édition critique de 2021 ne contiennent pas la même préface écrite par Markoosie[31]. Dans l’édition en anglais (McGill-Queen’s, 2020) comme dans l’édition française (Boréal, 2021), la préface est signée par la militante des droits inuits Mary Simon[32]. Elle s’y remémore notamment sa rencontre avec Markoosie en 1993 alors qu’il faisait partie d’une délégation inuite auprès de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones pour y témoigner de la relocalisation forcée dans le Haut-Arctique. Les derniers mots de Simon se présentent comme des remerciements. Je mets d’abord la version anglaise originale, puis la traduction-adaptation par Gounof dans l’édition de Boréal :

Finally, as I applaud the new release of Hunter with Harpoon after fifty years, I want to congratulate the efforts of all those at McGill-Queen’s University Press who are working to bring it back to life, and particularly Valerie Henitiuk and Marc-Antoine Mahieu for introducing the idea for a new version and translation of Markoosie’s original work. I also offer my appreciation of James McNeill of Indian and Northern Affairs who in the late 1960s edited and worked to bring into the Qallunaaq world Markoosie’s original manuscript, written in syllabics

Mary Simon, « Foreword », dans Patsauq, 2020 : ix‑x

Enfin, tout en applaudissant la parution de Chasseur au harpon cinquante ans après la publication initiale, je tiens à saluer les efforts accomplis par tous ceux qui[33] ont travaillé afin de lui redonner vie, en particulier Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu pour avoir fait germer l’idée d’une traduction du texte original de Markoosie. Je remercie également James McNeill, des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui, à la fin des années 1960, a adapté le manuscrit original de Markoosie, écrit en syllabique, afin de le transmettre au monde qallunaaq

Mary Simon, « Préface », dans Patsauq 2021a : 10; c’est moi qui souligne[34]

C’est la seule fois peut-être qu’il est dit de manière aussi franche que la version anglaise de 1970 n’est pas de la main de Markoosie, mais de James McNeill[35]. On peut penser que le traducteur français a mal interprété l’expression « edited and worked » en le traduisant par « a adapté », ou bien n’a pas mesuré la portée que ce terme pouvait avoir ici. Dans un cas comme dans l’autre, il est malheureux qu’on ait laissé l’impression d’une si grande illégitimité de la version de 1970 par Markoosie auprès des lectrices et lecteurs francophones.

Ainsi, Son Excellence la très honorable Mary May Simon, aujourd’hui gouverneure générale du Canada[36], n’est pas spécialiste des études littéraires, ni professeure de langue inuktitut, ni encore traductologue. Elle n’appartient pas au monde universitaire, son milieu est celui de la politique. Sa signature pour la préface est éloquente : « Mary Simon, ex-présidente d’Inuit Tapiriit Kanatami[37], ex-ambassadrice du Canada au Danemark et aux Affaires circumpolaires ». Lorsqu’on fait l’atelier, la question se pose de savoir pourquoi avoir choisi cette personne pour préfacer un livre grand public alors qu’elle ne semble pas avoir de connaissance particulière sur la littérature inuite ni être très impliquée dans le milieu littéraire autochtone[38]. On remarque en tout cas qu’elle est une haute fonctionnaire, à l’image de McNeill, ce qui laisse croire à un certain retour en arrière qui pointe en direction de la première édition de 1970. Une différence toutefois est de taille : Mary Simon est une Inuk originaire du Nunavik. On comprend ici que les pressions de l’édition autochtone obligent les éditeurs à montrer une certaine collaboration avec des actrices et acteurs autochtones, sans que soient évidentes les raisons qui ont motivé le choix de cette personne en particulier[39].

Leçon 4 : des versions manifestement différentes peuvent cacher un projet similaire

Faire l’atelier de critique des traductions en demandant aux étudiantes et étudiants de lire chacun une seule version permet de favoriser la discussion sur les différents projets de traduction. On a pu constater une différence marquée entre, d’une part, les versions de 1970 et de 1971, de l’autre, les versions à partir de 2011. Comme il a souvent été dit dans les commentaires sur Markoosie, la version de 1970 et sa traduction par Claire Martin incluent toutes deux des images, ce qui est perçu aujourd’hui comme un signe que le texte était destiné à un public jeunesse. Chartier tout comme Henitiuk et Mahieu s’entendent là-dessus :

Peut-être sa qualification comme roman pour la jeunesse a-t-elle nui à sa réception littéraire, ou peut-être les critiques ne disposaient-ils pas des outils de référence nécessaires pour juger de la valeur de l’oeuvre

Chartier, « Introduction », dans Patsauq, 2011 : 9

Since its publication, Harpoon of the Hunter has regularly appeared in any number of children’s literature reference works, indicative of a stubborn tendency to view Inuit story and song as juvenile in nature and/or didactic in purpose

Henitiuk et Mahieu, « Reception of the 1970 English Adaptation, Titled Harpoon of the Hunter », dans Patsauq, 2021c : 180

Une des raisons serait peut-être justement la présence d’illustrations dans les premières versions. Henitiuk et Mahieu citent Robin Gedalof McGrath à ce propos :

The presence of illustrations in so many Eskimo books frequently leads non-Inuit to assume the books are intended only for children. This is not so. Eskimos do not have a “children’s literature” and stories are intended for adults and children alike

Gedalof, 1977 : 24; cité dans Henitiuk et Mahieu, « Reception of the 1970 English Adaptation, Titled Harpoon of the Hunter », dans Patsauq, 2021c : 181

C’est peut-être à ce compte-là qu’on perçoit, finalement, la grande ressemblance entre les projets des deux éditions critiques : le corps professoral universitaire a intérêt à montrer que ce texte ne relève surtout pas de la littérature jeunesse, qu’il doit sortir de cette catégorisation pour faire voir sa véritable valeur, celle-là même qu’il perçoit. Un même désir, donc, de montrer le texte tel qu’il a toujours été, mais que personne n’arrivait encore à voir sans leur intervention. Et ce désir identique est l’objet de leur compétition.

Tout cela est relativement banal : faire l’exercice de retraduire un texte (ou de le republier) nécessite toujours de justifier la nouveauté, et celle-ci passe souvent par un accès privilégié à l’original. L’édition de Chartier comme celle d’Henitiuk et Mahieu se présentent ainsi comme deux tentatives d’imposer une version légitime dans un champ disciplinaire, celui de la littérature autochtone en général, et de la littérature inuite en particulier. Il s’agit ainsi moins de légitimer un auteur (Markoosie) grâce aux statuts des professeures et professeurs qui éditent l’oeuvre, que de légitimer ces derniers dans le champ grâce à l’auteur, inversant ainsi le sens dans lequel circule habituellement le capital symbolique (Bourdieu, 2002 : 6). Il est notable à cet égard que les deux éditions universitaires se prévalent d’une préface écrite par l’auteur.

Tout cela est de bonne guerre : l’atelier de critique de traductions sert aussi à introduire la communauté étudiante aux enjeux sociaux de la recherche universitaire et à ses inévitables luttes de pouvoir. Un élément me semble toutefois problématique : lorsqu’on participe à l’oubli de l’histoire des éditions antérieures. Chartier, si je puis dire, en est coupable (qu’il en soit conscient ou non), il ne mentionne jamais dans son introduction la première traduction française de Markoosie par Claire Martin (son nom n’apparaît que dans la bibliographie) et efface complètement la réception qui existait de l’oeuvre dans le monde francophone, qu’elle ait été trop petite ne change rien à l’affaire. Henitiuk et Mahieu font mieux en parlant longuement dans l’apparat critique des versions antérieures. Cependant, on peut remarquer dans leurs derniers textes sur le sujet l’effacement progressif de la traduction par Catherine Ego. Par exemple, dans l’entrée « Markoosie Patsauq » de l’Encyclopédie canadienne (2022), un site web pour le grand public auquel peuvent contribuer les universitaires, ils mentionnent les « nouvelles traductions, réalisées plus rigoureusement » (sans dire qu’ils en sont les auteurs), et citent la traduction de Claire Martin, mais omettent l’édition de 2011 traduite par Catherine Ego[40]. Il s’agit d’une autre fonction, cette fois archéologique, que peut avoir l’atelier de critique de traductions : servir à faire remonter à la surface ce qui était enfoui, les couches sédimentaires des projets traductifs successifs, faire l’histoire d’une oeuvre qui reste à s’accomplir.

Conclusion

Pour faire un atelier de critique de traductions, le cas de Markoosie est exemplaire, au sens d’exceptionnel. Il peut difficilement servir de modèle, car il y a peu de cas qui pourraient permettre une discussion aussi riche que celle qu’on a eue. Je pense que cela est dû au fait que le texte même de Markoosie participe d’une certaine « liminarité ». Je qualifie l’oeuvre de « liminaire » parce qu’elle se situe, comme plusieurs autres textes de littérature autochtone, entre l’oralité et l’écriture, entre la tradition orale autochtone et la littérature nationale canadienne, entre l’anglais et l’inuktitut, entre Markoosie le « premier écrivain inuit publié » et Markoosie le « raconteur d’histoires entendues dans sa jeunesse » : ce texte comme tout texte est ce qu’on veut qu’il soit, selon nos désirs, nos besoins, comme professeure ou professeur de littérature ou comme traductrice ou traducteur, ou comme fonctionnaire au ministère des Affaires indiennes et du Nord. Le texte de Markoosie agit ainsi comme miroir des attentes qu’on a envers un texte de littérature autochtone. Et ce désir exprimé dans le texte détermine aussi la manière qu’on aura de présenter l’oeuvre, de la traduire, de la publier, de la commenter et de la vendre.

Un autre aspect utile que le texte de Markoosie apporte est la nécessité de déconstruire l’idée même d’« original » en traduction. Dans ce cas-ci, non seulement l’oeuvre est dédoublée par l’autotraduction de Markoosie en anglais, mais lui-même remettait en question le caractère original des histoires, en écrivant dans sa préface à l’édition de 2011 :

L’histoire de Kamik est inscrite dans ma mémoire depuis mes jeunes années. Nombreux sont les enfants et les adultes qui l’ont entendue au fil des générations. Je l’ai écrite pour qu’elle reste vivante

Markoosie, « Préface », dans Patsauq, 2011 : 37

La discussion en atelier est aussi aidée dans ce cas-ci par les nombreux paratextes, à la fois liés à l’oeuvre (les péritextes), mais aussi le discours qu’on a porté historiquement et de manière contemporaine sur l’oeuvre (les épitextes). Dans le cas du livre de Markoosie, les enjeux de réédition sont déclarés publiquement, dans la promotion du livre, dans différents lancements ou des articles promotionnels.

Je termine en rappelant l’objectif de l’atelier de critiques des traductions, en adaptant le propos de Karen Emmerich qui m’avait donné l’impulsion de créer cette initiative pédagogique : permettre aux étudiantes et aux étudiants de prendre conscience de « la nature changeante, historique, des formes et du goût littéraires », en plus de les aider à « comprendre la part herméneutique de la traduction en faisant l’expérience d’une pluralité d’interprétations à la fois de la signification du texte, mais aussi des manières dont cette signification prend forme dans les différentes versions » (Emmerich, 2017 : 152; ma traduction). L’atelier de critique de traductions est ainsi de faire l’expérience de la traduction en tant que traduction.