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La peur rouge : Histoire de l’anticommunisme au Québec 1917-1960 est le quatrième livre de l’historien Hugues Théorêt, à qui nous devons notamment Les chemises bleues : Adrien Arcand, journaliste antisémite canadien-français, référence sur le mouvement fasciste canadien. Comme le titre l’indique, l’auteur présente les différentes formes d’opposition au communisme dans la province de Québec de 1917 à 1960. L’année 1917 voit débuter ce que l’auteur appelle « l’émergence de la gauche au Canada », tandis que 1960 marque la défaite de l’Union nationale, qui emporte avec elle le discours anticommuniste tel qu’on l’a connu jusqu’alors. Le Québec présente un cas particulier, puisque comme l’explique l’auteur, le mouvement communiste n’y a jamais été important. Les mouvements de gauche en général sont demeurés marginaux au cours de la période étudiée. Cela n’a pas empêché le foisonnement d’une littérature anticommuniste abondante. Dans un style accessible, Théorêt présente une synthèse du discours inspiré par cette « peur rouge ».
Le premier chapitre est consacré à la montée des partis et organisations de gauche au Canada de 1919 à 1935. L’auteur y aborde la grève générale de Winnipeg en 1919, la fondation du Parti communiste du Canada et les premières lois anticommunistes. Quelques pages présentent les réactions au Québec, principalement celles des politiciens Louis-Alexandre Taschereau et Maurice Duplessis. On comprend néanmoins que sur le plan politique, l’anticommunisme est encore une préoccupation principalement fédérale. L’auteur démontre bien que l’opposition au communisme n’est ni exclusive au Québec, ni la chasse gardée de l’Église catholique et de l’Union nationale. Le deuxième chapitre, nettement plus volumineux, s’intéresse à ce que l’auteur appelle « l’anticommunisme religieux », puisque c’est principalement du clergé que vient l’opposition au communisme dans les années 1930. Aux premières loges se trouvent Mgr Georges Gauthier, archevêque de Montréal, et le cardinal Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve, archevêque de Québec. Théorêt présente la plupart des manifestations de l’anticommunisme encouragées par le haut clergé ainsi que par certaines organisations telles que l’École sociale populaire du père Joseph-Papin Archambault.
Le troisième chapitre est consacré à la tristement célèbre loi du cadenas de l’Union nationale, aux circonstances ayant mené à son adoption, aux critiques qui lui sont adressées et aux abus auxquelles elle a conduit. Le quatrième chapitre nous présente les nombreux écrits anticommunistes publiés au Québec dans les années 1930-1940, notamment les articles de la revue L’Action nationale et les brochures de l’École sociale populaire. Le cinquième chapitre s’intéresse à des événements moins strictement québécois, soit l’élection de Fred Rose, l’unique député de l’histoire du Parti communiste du Canada, élu en 1943 dans Montréal-Cartier, et l’affaire Gouzenko, révélation d’un réseau d’espionnage communiste au Canada. Finalement, le sixième chapitre présente les manifestations de l’anticommunisme dans l’après-guerre. L’auteur abandonne ici la division thématique des premiers chapitres et présente conjointement l’anticommunisme religieux, politique et littéraire.
Théorêt nous explique que les motivations de l’anticommunisme québécois sont principalement religieuses. On pourrait difficilement affirmer le contraire. C’est naturellement la religion qui a guidé les interventions de l’Église et c’est en tant que chrétiens que les politiciens se sont opposés au communisme. Malheureusement, l’analyse s’en tient toujours à la surface. L’auteur décrit les principales manifestations de l’anticommunisme au Québec, mais ne se risque pas à les expliquer. Quelles étaient les motivations de Louis-Alexandre Taschereau et de Maurice Duplessis à lutter contre le communisme ? Pourquoi une si grande partie de l’opinion publique canadienne-française a-t-elle appuyé la loi du cadenas ? L’explication « ils étaient catholiques » ne nous semble pas suffisante. Comment expliquer que le Québec commence à se désintéresser de la lutte contre le communisme alors que la peur rouge est toujours bien présente chez les gouvernements canadien et américain, où la sécularisation a également été vécue après la Seconde Guerre mondiale ? Théorêt s’aventure rarement à donner son interprétation. Au lecteur de se faire une opinion en lisant les nombreuses citations.
L’auteur a consulté des monographies européennes afin de mettre en contexte l’anticommunisme canadien. L’impression demeure pourtant que le Québec est étudié ici en vase clos. En introduction, l’auteur demande pourquoi l’opposition au communisme a mobilisé davantage l’opinion publique que l’opposition au fascisme. La question est pertinente, mais le Québec et le Canada ne font pas figure d’exceptions sur ce plan. Qu’en est-il des États-Unis ? De la Grande-Bretagne ? De façon générale, comment se positionne le Québec dans sa lutte au communisme par rapport à d’autres démocraties catholiques telles que la Belgique et l’Italie post-Mussolini ?
J’ai apprécié Les chemises bleues principalement parce que son auteur s’est attaqué à un sujet sensationnel avec mesure et nuance. Je m’étonne donc de lire dans ce livre des généralisations telles que « Les partisans de Lénine, les militants de gauche et les syndicalistes sont persona non grata dans la maison de Dieu » (p. 17). Comment alors expliquer les nombreux appuis des évêques et des prêtres aux syndicats catholiques dans les années 1930 et 1940, dont la grève d’Asbestos de 1949 constitue l’exemple le plus éloquent ? Tous les évêques ne partageaient pas le zèle anticommuniste de l’Union nationale.
Je me suis étonné de lire que le cardinal Villeneuve était un « proche allié de Maurice Duplessis » et qu’il « s’évertua pendant toute la durée de son règne à combattre le communisme » (p. 61-62). Dans mon propre livre L’Église et la politique québécoise de Taschereau à Duplessis, j’explique que cette réputation d’allié de l’Union nationale que traîne le cardinal est largement surfaite. Quant à sa lutte contre le communisme, ce n’est qu’après le déclenchement de la guerre civile espagnole que Villeneuve se joindra aux opposants du bolchevisme. Auparavant, il se faisait tirer l’oreille par le délégué apostolique, Mgr Andrea Cassulo, à qui il répondait que ceux qu’on appelait les communistes à Québec n’étaient en réalité que de pauvres chômeurs désespérés à la recherche d’une solution miracle. En contrepartie, de véritables alliés de Duplessis dans la lutte au communisme, tels que le chanoine Cyrille Labrecque de Québec et le chanoine Georges Panneton de Trois-Rivières, ne sont pas mentionnés dans le livre.
L’ouvrage aurait sans aucun doute bénéficié d’une consultation des fonds d’archives des premiers ministres et des évêques de la province afin de découvrir ce qui se disait derrière les portes closes. Il aurait également été intéressant de confronter les évêques nommés par Pie XI (1921-1939), qui demandait de lutter contre le communisme en améliorant les conditions de vie des travailleurs, et les évêques nommés par Pie XII (1939-1958), qui après la Seconde Guerre mondiale réclamait au contraire une lutte musclée et implacable. Les évêques de cette deuxième catégorie, en particulier Mgr Georges Cabana de Sherbrooke et Mgr Albertus Martin de Nicolet, seront bien plus enclins à collaborer avec l’Union nationale pour combattre les communistes (et les syndicats par la bande).
L’amateur passionné d’histoire retrouvera dans ce livre une synthèse agréable à lire du mouvement anticommuniste québécois avant la Révolution tranquille. Le chercheur y trouvera quant à lui une compilation relativement exhaustive des publications et événements incontournables inspirés par la « peur rouge ». On peut d’ailleurs espérer que ce livre ne sera pas le dernier à s’intéresser au sujet, car force est d’admettre qu’il s’intéresse à un courant de pensée que nous comprenons encore bien peu.