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Une partie significative de la société civile québécoise s’est mobilisée pour venir en aide aux habitants du Chili à la suite du coup d’État d’Augusto Pinochet le 11 septembre 1973. Cet article se penche sur le rôle joué par des religieuses et des religieux pour maintenir cette connexion dynamique. Nous savons que plusieurs d’entre eux et d’entre elles se trouvaient au Chili en tant que missionnaires au moment du coup d’État et que certains de ces individus ont joué un rôle important pour aider des ressortissants chiliens à fuir le pays vers le Canada. Pour en venir aux faits, comment exactement les liens de solidarité avec le Chili ont été maintenus par des membres de l’Église durant la dictature de Pinochet ?

L’exploration de l’action de l’Église catholique et de ses missionnaires comme de ses relations avec la résistance aux régimes militaires latino- américains qui prennent le pouvoir dans la région dans les années 1970 n’est pas inédite dans l’historiographie. En fait, cette étude se situe dans le proche voisinage des recherches portant sur la théologie de la libération et sur le rapprochement de certains religieux avec le socialisme et les mouvements révolutionnaires en Amérique latine[1]. Depuis la monographie de Margaret Randall sur la dimension religieuse de la révolution sandiniste au Nicaragua – où quatre religieux font partie du premier gouvernement – le nombre des travaux consacrés à analyser la confluence des idées des clercs progressistes avec les idéologies révolutionnaires latino-américaines et la résistance face aux dictatures militaires n’a cessé de croître[2].

Cette connexion entre l’action de l’Église catholique et la résistance aux régimes militaires latino-américains n’a pas été au coeur des préoccupations dans l’historiographie du missionnariat québécois. Néanmoins, la plupart des auteurs et autrices ont noté la transformation de ce missionnariat après le concile Vatican II et l’influence que des religieux latino-américains ont eue sur ce processus adaptatif[3]. Plusieurs spécialistes ont précisé que l’évolution de l’effort missionnaire québécois a débuté avec la fondation du Comité d’Entre-Aide Missionnaire en 1950 et a réellement pris son envol avec la fondation de la Commission épiscopale de l’Amérique latine (CECAL) et de l’Office Catholique canadien de l’Amérique latine (OCCAL) en 1960, en réponse aux appels des papes Pie XII et Jean XXIII pour que l’Église canadienne compense le manque de religieux en Amérique latine en y envoyant des missionnaires[4].

Les objectifs de la mission se précisent davantage avec l’encyclique Mater et Magistra (1961). Les conclusions du concile Vatican II, ainsi que la publication de la constitution pastorale Gaudium et Spes (1965) et de l’encyclique Populorum Progressio (1967) modifient encore plus les objectifs du missionnariat[5]. La réception de Vatican II impacte aussi l’Église latino-américaine qui réoriente ses priorités lors du deuxième Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) qui se tient à Medellín en 1968, rencontre qui proclame l’option préférentielle pour les pauvres[6].

Les travaux de Yves Carrier, Catherine Foisy et de Catherine LeGrand, de même que certains mémoires de maîtrise, analysent bien l’impact de ces transformations sur le missionnariat québécois en Amérique latine[7]. Notre article, qui s’inscrit dans la poursuite de ces recherches, a pour objectif de spécifier la mobilisation des clercs et des religieuses à travers leur dénonciation de la violence de la dictature et leur contribution à l’organisation d’actions solidaires, tant au Québec qu’au Chili.

Afin d’établir le contexte, dans un premier temps, nous analyserons l’établissement des missions québécoises au Chili et leur couverture médiatique dans les revues religieuses en rapport avec la situation sociopolitique de ce pays. Dans un deuxième temps, les liens entre religieux et socialisme sont examinés à travers la complicité de Jean Ménard – de la Société des Missions-Étrangères du Québec – avec le syndicaliste Michel Chartrand à propos de la situation au Chili. En effet, cette connexion entraîne des conséquences sur l’organisation au Québec de mouvements de solidarité vers le pays d’Amérique du Sud. Dans un troisième temps, deux témoignages sont analysés. D’abord, celui du prêtre des Missions-Étrangères Claude Lacaille, p.m.é., devenu missionnaire au Chili après le coup d’État, est étudié afin de comprendre la contribution de certains religieux à la vitalité de l’Église populaire chilienne, pilier de la résistance. Puis nous nous penchons sur le témoignage de Flora Fernández, jadis emprisonnée au Chili dans une prison administrée par les soeurs du Bon-Pasteur, afin de prendre en considération des formes de solidarité moins explicites. Enfin, cet article considère un exemple des campagnes solidaires publicisées dans les revues religieuses québécoises. En somme cet article s’appuie sur une variété de sources comprenant des articles publiés dans des revues religieuses, des entrevues avec des missionnaires et une Chilienne, ainsi que des manifestes et des tracts témoignant de la solidarité avec la résistance.

Une présence missionnaire séculaire au Chili

C’est en 1853 qu’arrivent les premiers membres de l’Église québécoise au Chili. Les Soeurs de la Providence accostent au Chili lors de leur retour de l’Oregon où la mission prévue là-bas avait échoué – on note qu’à l’époque, avant la construction du chemin de fer reliant la côte ouest à la côte est et avant la construction du Canal du Panama, il s’agissait de l’itinéraire le plus rapide pour revenir au Québec. Face à ce qu’il interprète comme un envoi de la Providence, l’archevêque de Santiago Mgr Rafael Valentín Valdivieso Zañartu sollicite son homologue de Montréal, Mgr Ignace Bourget, pour confier à ces religieuses la prise en charge des oeuvres sociales dans son pays. Devenues les premières missionnaires canadiennes-françaises en Amérique du Sud, elles gèrent d’abord un orphelinat. Elles sont rejointes par les Franciscaines Missionnaires de Marie en 1904, les Frères du Sacré-Coeur en 1924, les soeurs du Bon-Pasteur de Montréal en 1935, les Oblats en 1947 et les prêtres des Missions-Étrangères en 1960[8]. Haïti mise à part, le Chili est alors le troisième pays d’Amérique latine, après le Pérou et le Brésil, comptant le plus de missionnaires québécois – avec un total de 133 en 1971[9].

C’est à partir des années 1940 que le nombre de missionnaires augmente de façon significative. D’abord, l’accueil triomphal réservé au cardinal de Québec Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve, en tant que légat papal pour les fêtes en l’honneur de la Vierge de Guadeloupe à Mexico en 1945, permet aux évêques latino-américains conviés à l’événement de constater la ferme volonté de l’Église canadienne-française de participer aux oeuvres de la propagation de la foi[10]. Lors du congrès panaméricain d’Action catholique en 1945 qui a lieu au Chili, ils réalisent également qu’il y a des avantages à inviter les missionnaires québécois à venir oeuvrer dans leur pays, car ils étaient recommandés par le fondateur même de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) Joseph Cardijn. Cette association contribue largement au renouveau de l’action sociale catholique, inaugurant entre autres la méthodologie d’action sociale « voir », « juger », « agir », méthodologie qui fut surtout mise en pratique en Amérique latine par les adeptes de la théologie de la libération quelques décennies plus tard.

De nouvelles connexions avec le Chili résultent de ces événements. L’oblat Maurice Veillette explique que « [l] a vitalité de la JOC canadienne frappa le Cardinal [Caro] qui demanda l’aide d’un oblat canadien à la direction de l’Action catholique chilienne. Le père Albert Sanschagrin […] fut désigné pour cette mission spéciale. Peu de temps après […] le Cardinal Caro ainsi que [l’] évêque d’Iquique sollicitaient des Oblats pour leurs diocèses respectifs[11] ». Les oblats seront par la suite très actifs dans les zones les plus pauvres du Chili, une présence qui se renforcera après les appels des papes Pie XII et Jean XXIII pour que le clergé des pays développés vienne en aide à leurs confrères latino-américains.

Utilisant la méthodologie « voir », « juger », « agir », plusieurs oblats travaillant ou ayant travaillé dans les régions où les ouvriers des mines sont nombreux constatent leurs difficultés et soutiennent leurs revendications quant à l’obtention de meilleures conditions de travail et d’une plus grande justice sociale. En cela, ils adoptent au début des années 1960 une pratique missionnaire et une sensibilité envers les populations pauvres qui se popularisent en Amérique latine après la deuxième rencontre du CELAM à Medellín en 1968 et la formulation de la théologie de la libération par Gustavo Gutiérrez en 1971. Le cas du missionnaire Guy Boulanger illustre bien cette trajectoire, lui qui a vécu une immersion dans une communauté minière à partir des années 1950. Cette expérience, raconte-t-il, a changé son apostolat et ses prises de position, car « la misère sociale [choque] le missionnaire qui ne comprend pas comment les gens font pour survivre[12] ».

En septembre 1970, l’élection de Salvador Allende est bien accueillie par plusieurs religieux. Missionnaire au Chili, Robert Quevillon écrit dans L’Apostolat, la revue des Oblats, qu’il partage les objectifs du nouveau gouvernement :

Si tu ne t’engages pas sur le plan politique, si tu ne vois pas la nécessité de l’éducation politique des gens de ton entourage, tu ne les aides pas à embarquer dans le grand mouvement de libération de l’homme […] le vrai problème, c’est celui d’une société injuste, qui sème l’injustice, qui sécrète la misère. Comment y remédier, sinon en s’engageant en faveur des pauvres et contre le sous-développement[13] ?

La revue des Jésuites, Relations, s’intéresse aussi aux liens entre christianisme et socialisme qui s’affirmaient au Chili, en publiant en 1971 un article intitulé « La participation des chrétiens dans la construction du socialisme : déclaration de 80 prêtres chiliens[14] ». Cet intérêt crée des liens durables avec certains religieux et religieuses du Québec. Ainsi, Yves Vaillancourt affirme dans Relations en 1971 : « Mais, ne serait-ce pas précisément la chance de l’Amérique latine contemporaine que de voir se réaliser une rencontre entre l’Église – au moins à travers un de ses secteurs – et la libération ? Est-ce que le phénomène des chrétiens révolutionnaires ne pourrait pas permettre une dialectique nouvelle qui profiterait et à la libération et à l’Église[15] ? » L’influence de la religiosité latino-américaine sur le catholicisme de certains religieux québécois comme sur leur engagement politique[16] est ici évidente ; en effet, Yves Vaillancourt sera un des membres fondateurs du groupe marxiste québécois Réseau des politisés chrétiens (RPC) seulement trois années plus tard.

Les chrétiens socialistes, à l’origine de la solidarité Québec-Chili

Dès l’élection de Salvador Allende, le 4 septembre 1970, plusieurs religieux s’intéressent à l’exemple chilien. Le jésuite Yves Vaillancourt commente dans Relations en novembre 1970 que la « victoire d’Allende invite […] à l’espoir[17] ». La revue Relations couvre avec grand intérêt le congrès d’avril 1972 des Cristianos por el socialismo qui se tient à Santiago, d’autant plus que quatre religieux québécois sont présents à cet événement fondateur étant « les seuls non latino-américains à présenter un rapport en espagnol sur les conditions sociopolitiques dans leur pays et les changements dans l’Église catholique[18] ». L’intérêt est tel qu’en avril 1974, « des Québécois constituent le Réseau des politisés chrétiens favorisant un socialisme marxiste et révolutionnaire » et que le premier congrès international du regroupement Chrétiens pour le socialisme a lieu à Québec en avril 1975[19].

Directement impliqué au début du gouvernement Allende avec le Movimiento Obrero de Acción Católica où les liens entre christianisme, mouvements ouvriers et révolution sont discutés[20], le missionnaire Jean Ménard joue un grand rôle[21] dans cette mobilisation chrétienne en faveur du socialisme. Il n’est pas surprenant, considérant le contexte de radicalisation du mouvement syndical québécois dans les années 1970, que les centrales syndicales québécoises, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), montrent alors un intérêt aigu pour l’action du gouvernement de l’Unité populaire. En réalité, la CSN mentionne explicitement cette influence dans son manifeste d’octobre 1971 Ne comptons que sur nos propres moyens[22]. Cet intérêt s’illustre plus encore par la participation d’un représentant de la CSN et d’un du FTQ qui se sont rendus au Chili en avril 1973 pour participer à la conférence internationale ouvrière organisée par la plus importante centrale syndicale chilienne, la Central Única de Trabajadores (CUT)[23]. À cette occasion, Jean Ménard accueille au Chili le syndicaliste Michel Chartrand[24]. Un socialiste humaniste, formé par le catholicisme social et l’Action catholique, Chartrand est alors le président du Conseil central des syndicats nationaux de Montréal (affiliés à la CSN). Une amitié durable se forge durant ce voyage, qui facilitera la collaboration entre les deux individus au moment d’établir au Québec des organismes de solidarité avec le Chili.

Si le missionnaire et le syndicaliste s’entendent bien, c’est aussi, aux dires de Jean Ménard, parce que Chartrand « avait découvert que les missionnaires qui allaient en Amérique latine avaient une vision sociale qui était très proche de la sienne[25] ». Lors de la visite de Chartrand au Chili, Ménard lui fait connaître le « travail qu’on fait nous autres, les prêtres catholiques » avec les ouvriers et Chartrand est étonné de constater que les missionnaires québécois, même des religieuses, habitent dans les mêmes quartiers populaires que les ouvriers chiliens[26]. Selon Ménard, il est ainsi convaincu de l’adhésion de ces religieux et religieuses au projet émancipateur du président Allende[27].

Lors du coup d’État, survenu le 11 septembre 1973, Ménard est en visite à Montréal et contacte immédiatement Michel Chartrand pour organiser la contestation et témoigner la solidarité qui s’impose. D’autres religieux québécois expulsés du Chili dans les semaines suivantes publient un manifeste à leur retour au Québec dénonçant le coup d’État qui perpétue les « conditions infrahumaines » des masses exploitées avec la complicité abjecte « de pays capitalistes étrangers, dont le nôtre[28] ». Avec l’aide du tout nouveau Secrétariat Québec-Amérique latine fondé au printemps de la même année, Catherine LeGrand explique que Ménard devient, avec des signataires du manifeste, l’un des « fondateurs de Solidarité Chili-Québec en 1973[29] ». Il s’implique dans les campagnes de solidarité et dans l’accueil des réfugiés chiliens à l’instar de plusieurs autres religieux, comme la soeur Clotilde Bertrand, qui font connaître au Québec la situation chilienne après leur retour forcé au pays[30]. Un ancien missionnaire au Chili, Yves Neuville explique cet épisode dans une entrevue accordée à la publication Nouveaux cahiers du socialisme : « Avec une quinzaine de militants, dont Robert Quevillon et Clotilde Bertrand, j’ai participé à l’organisation de la Conférence de solidarité ouvrière (CISO) de 1975 ; le Conseil central avec Michel Chartrand a été la cheville ouvrière de l’organisation de cette conférence[31] ». Le Centre International de Solidarité ouvrière (CISO), organisation à laquelle prennent part les missionnaires susmentionnés, voit le jour la même année. Selon Clotilde Bertrand, le CISO joue un rôle crucial pour protéger des individus arrêtés et détenus par le régime militaire :

Est-ce que le CISO a sauvé des vies ? Certainement ! Premièrement, parce que l’on a les noms de ceux qui ont été sauvés dans les pires années de répression de 1975 à 1980. Ça, c’était les années épouvantables où les armées ont fait des dégâts. Il y a des gens qui sont entrés dans la clandestinité et on a eu leurs noms par nos collaborateurs au Chili et en quatre heures on envoyait des télégrammes à l’ONU, au gouvernement canadien, aux Affaires extérieures, à l’ambassade canadienne au Chili, au gouvernement chilien, etc. On signait les noms des milliers de membres des centrales syndicales et on envoyait le message qui exigeait la libération en dedans d’un certain nombre d’heures des individus en question. Quand les autorités locales sont informées qu’à l’international on connaît la situation, cela a un effet important[32].

Ainsi, en collaboration avec les membres du Comité Québec-Chili, comprenant des représentants des centrales syndicales et d’autres organismes de la société civile québécoise, des religieux font pression sur le gouvernement canadien pour qu’il accueille plus de réfugiés chiliens et tentent même de faire libérer des prisonniers politiques au Chili[33]. Le militantisme dans la province en faveur de la cause chilienne et la couverture médiatique dans les revues religieuses québécoises quant au viol des droits de la personne commis par la dictature se poursuivent jusqu’à l’effondrement du gouvernement militaire. Pour d’autres, vers lesquels nous nous tournons à présent, la solidarité avec les Chiliens et Chiliennes s’est construite directement dans le pays d’Amérique du Sud.

Construire l’Église populaire pendant la dictature

Le parcours au Chili de Claude Lacaille de la Société des Missions-Étrangères du Québec est singulier. Ce dernier n’est pas missionnaire au Chili au moment du coup d’État et n’a donc pas été expulsé du pays. C’est plutôt le contraire qui se produit. Il explique : « Ma décision fut prise ce soir-là même [du coup d’État] : je me rendrais au Chili pour rejoindre la résistance. Je communiquai aussitôt avec la Société des Missions-Étrangères à laquelle je m’associai et, le 29 septembre 1975, j’atterrissais au Chili, les dents serrées et les tripes nouées[34] ». Lacaille avait accompli des expériences missionnaires en Haïti et en Équateur avant de se rendre au Chili en 1975, à travers lesquelles il s’était politisé au point d’adhérer pleinement à la théologie de la libération dans les années 1970.

Les intentions du missionnaire québécois sont très claires : il veut soutenir l’Église populaire. Cependant, une période d’adaptation est nécessaire afin de comprendre comment aider, s’impliquer et rejoindre la résistance. Il explique : « [on était] deux prêtres dans un quartier populaire, on fait quoi ? […] Les soeurs disaient d’aller visiter les femmes dans les maisons. Mais on ne pouvait pas aller visiter les femmes dans les maisons quand elles sont toutes seules. [Leurs maris] n’auraient pas aimé ça, avec raison ! Ils ne nous donnaient pas la communion sans confession nous autres là[35] ». Ne pouvant s’impliquer directement avec les groupes de femmes et ne pouvant plus travailler avec des groupes populaires dans les régions minières en raison de la dictature militaire, le missionnaire se trouve finalement un travail dans un hôtel. C’est à partir de cette position qu’il noue des contacts dans la résistance[36].

Après avoir quitté cet emploi, il côtoie des religieux et des religieuses qui le mettent en contact avec le courant libérateur de l’Église populaire chilienne. Il collabore alors avec des groupes populaires oeuvrant sous les auspices du Vicariat de la solidarité. Ses actions outrepassent à l’occasion ce qui est approuvé par le Vicariat. Par exemple, après avoir rencontré un groupe de familles pauvres, il cautionne leurs actions d’invasion de terrains[37]. Cette prise de terrain est planifiée longtemps à l’avance. Malgré les risques, l’occupation fonctionne : « Tu as mille personnes, des familles, des jeunes familles avec des bébés, qui envahissent un terrain. Ils se font chasser par l’armée. Ils se font matraquer pis tout ça. Les gars s’en vont en prison. Les femmes restent toutes seules, se font battre. Pis toi, tu arrives là : “Mon père, est-ce que l’on peut se réfugier à la chapelle ?” Bien sûr. Alors, j’ouvre la chapelle[38]… » Malgré les méthodes brutales de la dictature, les militaires n’entrent pas dans la chapelle. L’occupation se poursuit pendant trois jours, jusqu’à la visite du cardinal Raúl Silva Henríquez, qui aide à résoudre la situation.

Même s’il dit ne pas partager toutes les opinions politiques du cardinal, Claude Lacaille a du respect pour lui[39]. Il faut dire que c’est l’archevêque qui a mis sur pied le Vicariat de la solidarité, l’organisation de défense des droits de la personne de l’archidiocèse de Santiago. Cet organisme ne fait pas que défendre les droits des Chiliens, il permet aussi à l’Église populaire d’exister[40]. Lacaille peut ainsi créer de petites communautés chrétiennes dans les quartiers populaires, qui facilitent l’organisation clandestine de comités de citoyens, car seuls les regroupements religieux sont alors permis. Lors d’arrestations ou de séquestrations, les comités de citoyens peuvent se mobiliser et faire appel au Vicariat de la solidarité, car l’Église de Santiago assume une fonction de refuge pour les opprimés durant la dictature. Par exemple, l’archevêché a mis sur pied un service d’avocat pour faire valoir les demandes d’habeas corpus.

Cette connexion avec les milieux populaires et le réseau des clercs et laïcs de l’église populaire permet aussi à Claude Lacaille d’organiser des formes de protestation camouflées durant la gouverne d’Augusto Pinochet. En effet, le droit de réunion et de faire des rassemblements publics était fortement limité par la dictature, donc les manifestations étaient très difficiles et risquées. Toutefois, les cérémonies religieuses sont autorisées et le missionnaire québécois met à profit cette faille pour manifester de façon originale l’opposition des groupes populaires aux méthodes tyranniques employées par le régime militaire pour gouverner le pays. Lacaille relate : « on a organisé systématiquement des manifestations. La première c’était à [la mort de] Monseigneur Romero [du Salvador]. Là on s’est dit “Il faut continuer ça”. On a commencé à faire pendant des années le chemin de croix du Vendredi saint. Pour les stations du chemin de croix, on allait aux endroits où la dictature avait frappé[41] ». Ces manifestations sont l’occasion de donner la parole aux victimes du régime, qui ne pourraient pas s’exprimer autrement. Il se rappelle l’organisation d’une de ces rencontres :

On va monter [sur le cerro San Cristóbal] avec l’Église populaire, pis on va faire des stations. Pis les femmes qui ont perdu des enfants, des femmes des personnes exécutées, des détenus, vont prendre la parole. C’est la prise de parole des femmes. Alors on part, on était cinq cents, escorté de deux autobus de forces spéciales qui nous voyaient avec des pancartes[42].

Les messages politiques étant interdits, les membres du cortège inscrivent des citations du Magnificat sur leurs pancartes. Seules les citations bibliques incluant la référence étaient permises, alors on pouvait lire sur les pancartes : « Mon âme exalte le Seigneur… Il renverse les puissants de leurs trônes… Il élève les humbles… Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides » ; autant de citations religieuses qui rejoignent sémantiquement la théologie de la libération.

Le missionnaire québécois a donc rejoint le Chili et a appuyé les activités de l’église populaire en soutien aux gens opprimés par la dictature. Avec son réseau de religieux et religieuses progressistes, il a utilisé des méthodes créatives pour s’opposer à plusieurs décisions gouvernementales et aux actions répressives du régime militaire. Par exemple, à la suite d’un ordre d’expulsion de deux religieux du pays, au moment même que le cardinal Raúl Silva Henríquez rencontre Augusto Pinochet au siège de la présidence du Chili pour signifier son opposition, il mobilise des dizaines de religieux et religieuses de son réseau pour organiser une prière publique sur les marches de la Moneda. Évidemment, on ne laisse pas les gens s’approcher du palais présidentiel durant le régime militaire. Néanmoins, il confie lors de son entrevue que les forces répressives n’ont pas pu déloger les religieux et religieuses qui, officiellement, ne sont venus que pour prier. Encore une fois il s’agit d’une méthode ingénieuse pour signifier son opposition à une décision prise par le gouvernement dictatorial.

À l’instar d’autres missionnaires québécois qui ont oeuvré dans des pays dirigés par des régimes militaires, Claude Lacaille s’affaire à protéger la population contre la répression gouvernementale. Il héberge des gens fuyant les forces de l’ordre et aide certaines personnes à s’enfuir du pays. Le missionnaire ne collabore pas avec la résistance au point de commettre ou d’appuyer des actes violents. Son histoire n’est pas comparable à un Camilo Torres, mais ses actions au Chili durant la dictature contribuent à construire l’Église populaire, une Église tournée vers les revendications de la population[43]. Lacaille a utilisé des manières originales pour manifester son désaccord envers des politiques de la dictature[44].

Des collaboratrices du régime militaire ?

La congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon-Pasteur, connu sous le nom des Soeurs du Bon-Pasteur d’Angers, n’est pas reconnue pour son militantisme politique. En accord avec leur charisme, la communauté se consacre « principalement aux femmes démunies, comme les prisonnières, les filles-mères et les orphelines[45] ». Depuis 1864, les Soeurs du Bon-Pasteur d’Angers s’occupent des centres correctionnels féminins du Chili[46]. Arrivées au Chili en 1935, les religieuses québécoises de la congrégation, en plus de s’occuper de collèges pour filles, ont géré les opérations de la Casa Correccional de Santiago. La congrégation religieuse a été accusée dans le rapport Valech (aussi connu sous le nom Informe de la Comisión Nacional sobre Prisión Política y Tortura), qui énumère les violations des droits de la personne commises sous le mandat de Pinochet, d’avoir maintenu les prisonnières dans leurs centres dans un « état de peur et d’angoisse permanente[47] ».

Nous avons interviewé Flora Fernández, qui a vécu les premières années du régime militaire chilien et qui a été incarcérée dans la Casa Correccional de Santiago gérée par les religieuses québécoises. Quelque temps après son emprisonnement, Mme Fernández a émigré au Canada où elle est maintenant coordonnatrice du centre Assistance aux Femmes de Montréal, un organisme qui « a pour mission d’offrir un hébergement sécuritaire, confidentiel et gratuit aux femmes victimes de violence conjugale de toutes les communautés culturelles et à leurs enfants[48] ». Son témoignage peut surprendre, car elle ne garde pas un souvenir négatif de son passage au centre, affirmant même que les religieuses l’ont traitée humainement.

En mobilisant l’exemple de Flora Fernández, le but n’est pas de contredire les conclusions du rapport Valech. Cependant, considérant que Mme Fernández a orienté sa carrière vers les services sociaux après sa migration au Canada, un domaine qui l’a certainement sensibilisé à l’égard des violences faites aux femmes, son témoignage est digne d’être pris en considération. Celle-ci a des bons mots à adresser aux Soeurs du Bon-Pasteur à propos du traitement que les religieuses québécoises lui ont réservé. Évidemment, son témoignage ne nous renseigne que sur son expérience personnelle, mais l’impact que les soeurs ont eu sur sa vie et sa carrière justifie amplement sa considération. Elle témoigne même que, d’une certaine façon, les religieuses lui ont offert un sentiment de sécurité.

Étudiante depuis mars 1973, Flora Fernández participe aux assemblées étudiantes avant le coup d’État et est alors représentante du Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR) à l’université. Elle continue à collaborer avec le MIR après le coup d’État. Elle est ensuite dénoncée anonymement et arrêtée par la police militaire[49] avant d’être emmenée à Valparaiso pour y être interrogée, un moment traumatisant où elle a craint pour sa vie. Elle m’explique que dès son incarcération elle a « essayé de [s]e rappeler qu’est-ce qu’il fallait dire[50] ». Flora Fernández n’a dénoncé personne, mais a avoué être membre du MIR. Les militaires lui promettent un procès qui la conduira en prison, avec les meurtrières, les toxicomanes, les prostituées, « avec les pires de la société[51] ». Ils tentent de la terroriser, une stratégie qui fonctionne.

En arrivant au centre de détention, la peur s’estompe progressivement, nous dit-elle. En discutant avec des détenues, elle se met à comprendre « la relation qu’elles avaient avec les soeurs du Bon-Pasteur. Elles avaient réussi à établir une belle relation avec les soeurs[52] ». Malgré les conditions difficiles, elle se sent relativement en sécurité durant les mois passés au centre de détention :

Pis ce qu’il y a d’intéressant par rapport à ces soeurs-là c’était qu’elles nous protégeaient des militaires. Donc, une fois qu’on arrivait là, sauf s’il y avait une nouvelle cause là, une nouvelle délation pis ils venaient nous chercher pour ça, à partir qu’on arrivait là, ils ne venaient plus nous chercher. Et puis, elles, elles n’acceptaient pas non plus qu’ils viennent nous chercher de nuit. Donc s’il y avait des entrées et sorties c’était de jour. […] On sentait qu’il y avait comme un arrêt d’agir : ah ok, vous faites [les militaires] tout ce que vous voulez dehors, mais ici ce n’est pas vous qui menez. Il y avait des femmes des prisons qui travaillaient là, il y avait au moins quatre. Mais les soeurs imposaient un certain décorum [et un respect des] droits de la personne. J’étais bien impressionnée[53].

Bien que non pratiquante, Mme Fernández apprécie sa participation aux fêtes religieuses et à la chorale, parce que les religieuses sont d’humeur particulièrement agréable à ces moments. Elle prend rapidement contact avec les services juridiques du Vicariat de la solidarité et c’est « un avocat qui était payé par le vicariat qui a pu [la] représenter pour [la] faire sortir de prison[54] ». Flora Fernández reconnaît qu’elle a bénéficié du fait qu’elle a été emprisonnée en 1975 et non avant, donc à un moment où des ressources existent pour défendre les droits de la personne.

En côtoyant d’autres prisonnières, dont certaines issues de milieux familiaux difficiles, elle se familiarise avec le besoin de venir en aide aux plus démunis. Ses engagements politiques avaient préparé un terreau fertile à cette vocation, mais elle considère que les religieuses québécoises lui ont transmis « des grandes valeurs » de respect de la dignité des gens, qui influencent encore son travail de coordinatrice du centre Assistance aux Femmes de Montréal, car elle oeuvre afin « qu’il y ait la dignité partout […] c’est comme ça que je vois mon travail[55] ». Certes, les Soeurs du Bon-Pasteur n’ont pas comme mission de créer un réseau solidaire au Chili, bien qu’elles collaborent avec le Vicariat de la solidarité.

Les témoignages du rapport Valech confirment que toutes les femmes qui ont séjourné dans leurs centres correctionnels n’ont pas eu la même expérience que Flora Fernández. De même, l’expérience de la gauche chilienne avec ces religieuses n’est pas unanime. Soeur María Angélica Guzmán Vicuña, une femme inspirée par la Théologie de la libération qui avait été très impliquée dans la campagne électorale de Salvador Allende, a rejoint la communauté des religieuses québécoises après sa rencontre avec soeur María Salvador Parent[56]. Considérant son passé militant en faveur de Salvador Allende, Soeur Guzmán Vicuña pouvait probablement sympathiser avec une prisonnière comme Flora Fernández. Ainsi, le témoignage de Mme Fernández nous informe que certaines personnes considèrent, malgré les circonstances particulières de leur rencontre avec les religieuses québécoises, que ces dernières les ont traités avec dignité et leur ont même offert une certaine protection contre les pires abus.

Les revues religieuses dénoncent les abus et suscitent la solidarité

À l’international, plusieurs personnes, ainsi que des organisations non gouvernementales, se sont mobilisées pour dénoncer les abus contre les droits de la personne et faire pression sur les gouvernements pour que le gouvernement Pinochet au Chili respecte ces droits. Par exemple, les revues des communautés religieuses québécoises, à l’instar de Relations et de l’Apostolat, ont continué à dénoncer les abus commis par le régime militaire dans leurs publications, ainsi que de couvrir les enjeux chiliens jusqu’à la fin de la dictature.

En plus des publications des organismes de solidarité mentionnées précédemment, une des associations de solidarité les plus militantes, le Comité chrétien pour les Droits humains en Amérique latine (CDHAL), dont Jean Ménard a fait partie, voit le jour à Montréal en 1976. On peut lire dans la lettre patente de l’incorporation du CDHAL que l’objectif de l’association est : « de faire pression sur les gouvernements [et de] coopérer avec d’autres groupes qui partagent le même souci de promouvoir la justice humaine en Amérique latine[57] ». Il n’est pas surprenant que le Chili soit au coeur de leurs préoccupations.

Ce Comité fait connaître ses positions en organisant des conférences au Québec et en rédigeant des articles dans sa revue Caminando. L’Entraide missionnaire, organisme intercommunautaire créé par les instituts religieux québécois dans les années 1950, est aussi un lieu de convergence des mobilisations contre la dictature chilienne, publiant des articles dans leur revue et organisant des congrès où plusieurs ONG humanitaires sont présentes, tout comme les représentants des différentes communautés missionnaires.

Les acteurs catholiques du Québec se mobilisent non seulement pour dénoncer les exactions commises contre les populations chiliennes, mais aussi pour faire pression sur le gouvernement canadien. En effet, ce dernier a maintenu ses relations diplomatiques et commerciales avec le Chili. La mobilisation des acteurs catholiques à l’étranger fait pression sur leur gouvernement et le régime de Pinochet, soutenant ainsi les actions des missionnaires encore présents au Chili, qui devaient agir avec beaucoup plus de subtilité et de prudence.

Pour se faire une idée du genre de dénonciation relayée par les revues religieuses, il vaut la peine de considérer la publication Solidarités, revue de Développement et Paix, l’organisme officiel de développement international de l’Église catholique au Canada. La situation chilienne est couverte par de nombreux articles depuis la création de la revue en 1977. Par exemple, dans l’article « La position canadienne au symposium sur les droits humains, tenu au Chili en novembre 1978 », Solidarités relate les actions entreprises par l’Église catholique pour défendre les droits de la personne. On y dénonce aussi la complicité de plusieurs entreprises canadiennes en rapportant les paroles à ce symposium de l’évêque Adolphe Proulx de Hull :

Les corporations multinationales canadiennes recherchent des pays tels que le Chili où les droits humains ne sont pas respectés, où les salaires n’assurent que la survie, où les droits d’associations syndicales sont rejetés, où le chômage atteint des proportions indécentes et où les services sociaux sont décimés par des gouvernements de droite, ouverts au libre marché de manière à maximiser leurs profits. Ce faisant, ces gouvernements supportent et encouragent des modèles économiques antihumains qui exigent la violation constante des droits humains[58].

D’autres articles sont publiés pour dénoncer l’autoritarisme du gouvernement, ses méthodes arbitraires et la complicité du Canada en rappelant que « le Canada est le deuxième plus grand investisseur au Chili depuis le coup d’État[59] ».

En dénonçant le double discours du gouvernement canadien, la revue rend publique une collaboration canado-chilienne entre les forces de l’ordre des deux pays respectifs. On peut lire dans l’article « Canada-Chili : éducation à la chilienne ? » que le Canada aurait envoyé à Santiago cinquante officiers de sécurité pour recevoir une formation à l’Académie chilienne pour la sécurité nationale. L’article soulève la question : « Que peut bien vouloir “notre” service de sécurité en consultant l’expertise des tactiques terroristes d’un État policier fasciste[60] ? »

Au-delà des dénonciations, Développement et Paix appuie et coordonne des campagnes de solidarité. C’est le cas de la mobilisation concernant l’affaire Carmen Quintana, dont l’histoire est racontée dans la revue du CDHAL, Caminando, et celle de Développement et Paix, Solidarités. Le 2 juillet 1986, Carmen Gloria Quintana est arrêtée avec Rodrigo Rojas de Negri lors d’une manifestation. Dès leur arrestation, les militaires les arrosent d’essence et les brûlent vifs. Rodrigo décède quelques jours plus tard, mais Carmen survit. Rapidement une action solidaire à l’initiative de Louise Landriault du Caf’Tiers, une campagne coordonnée par Développement et Paix, est mise sur pied avec pour objectif de faire venir au Québec cette victime de la répression. Nous pouvons lire dans Solidarités :

Carmen est devenue, en quelques mois, la fille adoptive du Québec. Presque inconnue à son arrivée à Montréal l’automne dernier, cette jeune chilienne de 19 ans […] est maintenant une héroïne aimée et respectée de tous (elle se fait soigner depuis septembre 1986 à l’Hôtel-Dieu de Montréal). […] Carmen offre un exemple de solidarité réussie qui frappe l’imagination. Il est stimulant, car il donne crédibilité à l’efficacité des actions simples posées dans le cadre d’un front commun[61].

Ce cas montre bien comment la conscientisation et la mobilisation en faveur des droits de la personne effectués par des religieuses et des religieux à partir des années 1960 ont suscité des actions concrètes.

Conclusion

La mobilisation au Québec des religieux et religieuses, ainsi que celle des centrales syndicales, en faveur des Chiliens et Chiliennes à la suite du coup d’État d’Augusto Pinochet a été importante. Dans les années 1960, plusieurs missionnaires se sont solidarisés avec les revendications des travailleurs et des groupes populaires. Ainsi, un nombre significatif ont adhéré au projet politique de Salvador Allende, un projet politique en phase avec la théologie de la libération. La plupart des communautés missionnaires et revues religieuses québécoises ont adhéré à cette approche engagée. Le coup d’État du 11 septembre 1973 a constitué un choc pour les religieux et religieuses québécois. Ce fut le cas du prêtre des Missions-Étrangères Jean Ménard qui organisa des organisations de solidarité à son retour au Québec.

La solidarité québécoise pour la situation chilienne n’a pas été organisée qu’à partir de la province. En effet, des missionnaires comme Claude Lacaille sont demeurés durant la dictature et ont contribué à l’organisation de l’Église populaire chilienne. Ce prêtre des Missions-Étrangères a collaboré avec le Vicariat de la Solidarité et a même trouvé des moyens pour organiser des manifestations afin de dénoncer la gouverne du régime dictatorial. Il a pris de grands risques, organisant des comités de citoyens officieux et offrant refuge à des personnes recherchées par les forces de l’ordre ou les aidant à fuir le pays. Dans un autre ordre d’idée, une militante chilienne comme Flora Fernández se rappelle avoir été traitée avec respect et humanité par les religieuses québécoises du Bon-Pasteur qui géraient le centre correctionnel de Santiago où elle a été emprisonnée en 1975. Elle considère même que les soeurs lui ont transmis des valeurs qui guident encore ses actions aujourd’hui dans son travail d’assistance aux femmes victimes de violence.

Finalement, les publications religieuses québécoises ont continué à dénoncer le régime chilien tout au long de la dictature. Des revues telles que Solidarités ont même régulièrement fait pression sur le gouvernement canadien pour qu’il agisse en défaveur de la dictature. L’organisation Développement et Paix, s’est aussi impliquée dans des campagnes de solidarité avec le Chili et ses habitants. La mobilisation coordonnée par Développement et Paix afin de faire venir au Québec Carmen Quintana pour qu’elle puisse y recevoir des soins de santé après la violence qu’elle a subie de la part de la dictature est l’exemple le plus probant. Cela démontre bien que la solidarité avec le Chili s’est poursuivie tout au long de la dictature d’Augusto Pinochet. Les religieux et religieuses québécois, ainsi que les institutions représentant l’Église catholique, ont joué un rôle important dans cette mobilisation solidaire.