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Détentrice d’une maîtrise en histoire de l’art et doctorante dans la même discipline en cotutelle à l’Université Paul-Valéry de Montpellier ainsi qu’à l’Université de Montréal, Elsa Guyot se questionne sur la place du Moyen Âge au Québec. Ses axes de recherche portent « sur les différents enjeux d’ordre identitaire, politique, esthétique et économique qu’entraînent les mises en expositions muséales des objets médiévaux au Québec[1] ». C’est donc cette optique que l’on retrouve dans son ouvrage Rejouer l’histoire. Le Moyen Âge dans les musées du Québec. Partant du constat de la richesse des oeuvres dans les collections privées, Elsa Guyot cherche à comprendre la réception de l’art médiéval tant par les institutions muséales que par la société plus largement. Comment les collections se sont constituées et quelle en fut l’interprétation ? L’objectif est de « montrer en quoi une exposition muséale sur le Moyen Âge constitue un lieu de discours sur cette période historique et comment ce discours peut être influencé par les contextes religieux, culturel, politique, social et touristique » (p. 7). L’hypothèse clairement énoncée veut que « la manière dont un musée présente des objets ainsi qu’une période historique relève d’un parti pris qui participe à la construction de représentations subjectives » (ibid.). La vision des historiens et historiennes de l’art et des muséologues est donc au coeur de la réflexion de l’autrice et, comme le souligne cette dernière, les choix muséaux ne sont pas neutres. Au fil des décennies, les expositions sur le Moyen Âge illustrent les perceptions spécifiques à chaque période.

L’analyse s’articule en trois parties, relativement chronologiques, qui abordent chacune la réception du Moyen Âge au Québec, d’abord sous les angles esthétique et religieux, puis politique et, enfin, touristique et ludique. Ces trois grands axes correspondent aux trois chapitres subdivisés par ce que l’on pourrait qualifier de « cas types ». Rédigé à la première personne et ponctué de réflexions comme d’anecdotes de l’autrice, le texte est en phase avec une tendance récente de l’histoire dans laquelle les chercheurs et chercheuses sont aussi « acteurs et sujets ».

L’autrice débute par une rétrospective de la vision erronée de la période médiévale pour introduire le thème de l’influence du Moyen Âge au Québec dans les périodes plus anciennes (« Une référence esthétique et spirituelle », p. 13-61). Si on comprend la démarche face à un lectorat non universitaire, la nécessité reste discutable. Puis viennent les interrogations au centre de l’analyse : d’où vient le goût pour l’architecture médiévale ? Comment est-elle interprétée, surtout au niveau architectural et, plus marginal, dans le cadre universitaire ? Une longue section est consacrée à la création de centres d’études médiévales, centres liés à l’Église, et à l’arrivée de médiévistes européens. Il appert que l’intérêt pour le Moyen Âge déborde l’architecture religieuse. Les études universitaires comme les collections privées s’amplifient et on voit un marché florissant pour la beauté des objets dès le milieu du XXe siècle. Certaines collections se démarquent, dont celle du Musée des clercs de Joliette que monta le père Wilfrid Corbeil (1893-1979) dans une démarche didactique. La Revue l’Art sacré (1935-1969) des Dominicains français cherche à trouver dans l’art médiéval la source de la culture populaire, ce qui donne lieu à de multiples projets d’expositions photographiques destinées au grand public. En France comme en Amérique du Nord, on souhaite mettre fin aux barrières temporelles.

Dans le chapitre consacré aux « usages politiques du Moyen Âge » (p. 63-106), Elsa Guyot prend comme exemple l’exposition de 1944, organisée par l’Art Association of Montreal, futur Musée des beaux-arts de Montréal, dédiée à la Tapisserie de Bayeux. La reproduction montrée au public est en relation directe avec le débarquement des Alliés qui libérèrent Bayeux le 7 juin. L’objectif est patriotique : on voyait alors la possible contribution de l’Amérique du Nord à la sauvegarde du patrimoine ancien, ce qui donna lieu à d’autres expositions ayant le même objectif. Ici, Bayeux devenait le symbole du débarquement victorieux, comme la Tapisserie symbolisait la victoire de Guillaume de Normandie. Les décennies qui suivent posèrent la question de cet héritage dans un autre contexte, celui suivant la Révolution tranquille avec une société qui change, se laïcise et voit différemment le patrimoine confié alors au ministère des Affaires culturelles. Influencées par le renouvellement de l’historiographie, les expositions montées dans les années 1970 reflètent une nouvelle vision où les objets deviennent un moyen de comprendre une période et ses populations.

Le dernier chapitre (« Une île dans le temps », p. 107 à 153) se penche sur la dimension touristique et ludique, non seulement des expositions consacrées au Moyen Âge, mais aussi de tout ce qui se développe autour de la vision de la période médiévale. Le Moyen Âge investit l’espace public dans les années 1990-2000 par les jeux, les ateliers et les conférences grand public. Les Médiévales de Québec, dont la première édition s’est tenue en 1993, témoignent de ce glissement. Il s’agit de vivre une période, non sans que cela pose la question de l’anachronisme. Cet engouement pousse les sociétés muséales à augmenter le nombre d’expositions, de plus en plus prestigieuses et visant un large public. Présentées dans trois types de musées, les expositions Gratia Dei. Les chemins du Moyen Âge (en 2003 au musée de la Civilisation à Québec), Art et nature au Moyen Âge (en 2012-2013 au Musée national des beaux-arts du Québec en collaboration avec le Musée national du Moyen Âge à Paris) et Marco Polo, Le fabuleux voyage (en 2014 à Pointe-à-Callières), représentent trois approches distinctes, illustrant la pluralité d’angles et de perceptions. Elles partagent toutefois la volonté de placer le public au coeur du projet par une approche immersive et ludique. L’autrice termine ce chapitre en soulignant que, si le Québec se voulait « tout autant héritier du Moyen Âge que les sociétés européennes » (p. 141), ce désir de filiation s’atténue, mettant à jour des visions qui s’opposent : celles des historiens et historiennes qui ont une démarche critique face à leur période d’étude, et la demande mémorielle qui se combine aux besoins touristiques. Face à la baisse de financement, Elsa Guyot mentionne que les musées cherchent à « solliciter les émotions, la sensibilité, le ressenti et la capacité d’empathie de leurs visiteurs afin de créer un lien plus personnel entre eux et le parcours muséal » (p. 151).

La conclusion débute avec un retour, assez classique, sur les objectifs et la démarche, l’autrice s’attarde ensuite à la relation au passé que les expositions sur le Moyen Âge au Québec interrogent. Les thématiques des expositions se sont élargies, les objectifs ont changé en mettant davantage l’accent sur la proximité avec le sujet. La conclusion se termine sur une note personnelle, correspondant au ton et au style adoptés par l’autrice dans cet ouvrage intéressant et au regard novateur. On peut certes regretter que les illustrations plus récentes à la fin du livre ne soient pas en couleur, mais il s’agit d’un choix d’édition qui n’enlève rien à la pertinence de l’essai de Madame Guyot.