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Le centenaire de la CSN offre une occasion unique de retracer et d’analyser la trajectoire et la contribution spécifique de la centrale à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes. Ce parcours n’a rien de linéaire. Surtout, il est tributaire de nombreux facteurs : évolution de la société québécoise dans son ensemble, entrée des femmes sur le marché du travail, vision de la CSN quant à la place des femmes dans la société, influence de l’Église, évolution et organisation des effectifs féminins (syndiquées et salariées) au sein de la centrale, etc.

Pour saisir correctement toute la complexité de ce cheminement, il apparaît essentiel de resituer les luttes menées par les syndicats CSN, les prises de position et les grandes revendications portées par la centrale, dans les différentes époques qui ont marqué le dernier siècle.

Aussi, pour éviter tout mauvais procès consistant à juger des faits d’hier avec les yeux et les valeurs d’aujourd’hui, nous organiserons notre propos en fonction de quatre thématiques référant à certains repères historiques et à la trajectoire spécifique des femmes au sein de la centrale.

La première relate la situation et la place des femmes depuis la fondation de la CTCC jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. La seconde, qui s’étale de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à la fin des Trente glorieuses, témoigne des virages importants qui se dessinent à la CSN suivant une présence accrue et plus soutenue des femmes dans ses rangs. La troisième, qui va de 1973 jusqu’en 2010, fait état de l’organisation des femmes à l’intérieur de la centrale, dont elles constituent désormais la moitié des effectifs et de la jonction qui s’opère alors entre la lutte syndicale et la lutte des femmes. La dernière section est quant à elle consacrée au rôle spécifique joué par la CSN dans l’élaboration des grandes politiques publiques que le Québec va adopter à compter de 1996 pour mieux soutenir les Québécoises.

De la fondation de la CTCC à la Deuxième Guerre mondiale (1921-1939)

La CSN est fondée en septembre 1921 sous le nom de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC). Il s’agit d’un syndicat confessionnel, animé par la doctrine sociale de l’Église, où seuls les catholiques peuvent être admis comme membres actifs[1]. Chaque organisation affiliée se voit assigner un aumônier qui peut exiger, s’il le juge à propos, une approbation de l’évêque du diocèse avant qu’une résolution ne soit adoptée. Cependant, à la différence de ce qui existait avec les premiers syndicats catholiques du début des années 1900, les statuts et règlements de la CTCC affirment, dès le départ, que le but premier de l’organisation est « de surveiller et de défendre les intérêts des ouvriers ». Le congrès de fondation a pris bonne note que la CTCC n’attirerait pas d’adhérents si elle ne se souciait pas en priorité de les défendre contre le patronat. En ce sens, le congrès va aussi reconnaître l’importance du droit de grève. Les aumôniers vont toutefois s’opposer avec succès à la mise en place d’un fonds de grève, proposé dès la fondation par Alfred Charpentier, qui deviendra un des présidents importants de la centrale[2].

En 1921, les femmes sont relativement peu nombreuses sur le marché du travail et encore moins présentes parmi les rangs des syndiqués. Elles représentent environ un cinquième de la population active du Québec et un quart des effectifs ouvriers de Montréal. Pour ce qui est du taux de syndicalisation des Québécoises, on l’évalue à 2,6 % en 1923 et à 5,6 % en 1937[3].

Dans les couches populaires, la pauvreté est généralisée. Les conditions de vie et de logement sont déplorables, surtout dans les grandes villes. Le travail des femmes et même des enfants apparaît essentiel pour pouvoir joindre les deux bouts, notamment en milieu ouvrier. Les conditions de travail des femmes sont particulièrement pénibles en matière de cadence, de discipline, de santé et sécurité, de durée du travail, de salaire, et de rémunération à la pièce. La logique du salaire d’appoint est omniprésente et à peu près incontestée, même parmi les syndicats internationaux.

Enfin, la main-d’oeuvre féminine est jeune, très jeune même. Le travail des femmes hors foyer demeure un tabou assez généralisé, particulièrement s’il s’agit de femmes mariées. Le clergé, les élites et les nationalistes en font un cheval de bataille majeur. À leurs yeux, celui-ci constitue un énorme fléau social qui menace l’institution familiale sur laquelle reposerait la survie et la pérennité des Canadiens français ! Rien de moins.

Cette brève mise en contexte soulève deux grandes questions. D’une part, quel jugement portons-nous sur l’action de la CTCC pour syndiquer les femmes et pour défendre efficacement leurs conditions de travail ? D’autre part, la CTCC agit-elle comme un acteur d’avant-garde à l’égard des droits fondamentaux des femmes et de la place qui leur revient sur le marché du travail ou encore dans la sphère publique ?

Le cas du Syndicat des allumettières[4]

Ce syndicat féminin et catholique est affilié au Conseil central de Hull, qui est un des syndicats fondateurs de la CTCC. Il mènera, en 1919 et en 1924, deux grèves marquantes. La première portera sur la volonté patronale d’ajouter un deuxième quart de travail, sur la question des bas salaires et sur un enjeu majeur à l’époque, celui de la reconnaissance syndicale. Le conflit est solidement appuyé par le clergé et va se conclure par une victoire où la reconnaissance syndicale est arrachée et où les salaires vont connaître une majoration de 50 %.

La grève de 1924 va durer neuf semaines. La compagnie annonce alors sa volonté de baisser les salaires et exige de la part des salariées une renonciation à leur syndicat. Voilà qui est perçu comme une trahison par rapport au règlement de la grève de 1919. Pire encore, dans un contexte de syndicalisme catholique, le conflit prend une forte dimension morale, alors que la compagnie américaine Eddy Matches veut remplacer les contremaîtresses par des contremaîtres. L’existence de départements féminins au sein des usines est perçue à l’époque comme étant un rempart important pour prévenir le harcèlement sexuel au travail, par ailleurs assez fréquent.

Cet enjeu, qui survient en cours de conflit, va prendre l’avant-scène. Le clergé et la centrale ne ménagent pas leurs appuis pour soutenir les grévistes. Tout est déployé : piquetage pour bloquer les briseurs de grève, assemblées publiques, homélies dans les églises, collectes et création d’une forte solidarité régionale, etc. Cette combativité et l’immense élan de solidarité qu’elle va susciter en Outaouais vont marquer les esprits. Le taux de syndicalisation des femmes dans cette région deviendra, et de beaucoup, le plus élevé au Québec[5].

D’autres luttes héroïques

Jusqu’au milieu des années 1940, les employeurs n’ont aucune obligation légale de négocier de bonne foi. Les luttes sont particulièrement difficiles et les défaites syndicales sont nombreuses. Dans ce contexte, qui laisse tout l’espace aux patrons pour pratiquer un antisyndicalisme primaire, la CTCC va mener des grèves courageuses et historiques dans des secteurs où les femmes sont présentes, comme celui de la chaussure ou encore dans le secteur du textile, notamment avec la grève de 1937.

En 1926, la CTCC va soutenir un des conflits majeurs de cette décennie, celui de l’industrie de la chaussure de la région de Québec. Cette grève jette d’ailleurs un éclairage plus nuancé sur le type de syndicalisme pratiqué alors par la CTCC. En effet, on peut lire dans une publication patronale de l’époque le commentaire suivant : « Les unions nationales et catholiques qu’on citait comme étant les plus conciliantes du monde peuvent même faire la leçon aux internationales en fait d’intransigeance[6]… »

Une approche strictement défensive

Bref, au chapitre de la défense des conditions de travail, la CTCC semble tenir les engagements qu’elle a pris lors de son congrès de fondation. Constatons cependant que les luttes économiques menées sur la question des femmes gardent un caractère défensif et paternaliste. En effet, les syndicats catholiques vont par exemple réclamer une diminution plus substantielle des heures de travail pour les femmes, compte tenu de leurs responsabilités familiales et de la fragilité qu’on leur prête. Dès son premier congrès, la CTCC va demander aux propriétaires de magasin de fournir un banc aux caissières. Dans la même veine, elle cherche à interdire le travail de nuit aux femmes, à retarder l’âge d’entrée de celles-ci sur le marché du travail, ou encore à limiter les interactions avec les hommes en milieu de travail.

Si les syndicats catholiques et internationaux revendiquent une augmentation du salaire minimum des femmes, ils composent néanmoins avec l’existence de deux salaires minimums, un pour les femmes et l’autre pour les hommes. C’est dire qu’on est encore loin de revendications fondées sur l’égalité des sexes qui commenceront à poindre seulement dans les années 1950.

La CTCC et la place des femmes jusqu’à la Deuxième Guerre

De tout temps, les syndicats aiment se présenter comme des agents de changements sociaux. Pourtant, c’est loin d’être le cas pour ce qui est de la place des femmes dans la société, du moins pour les syndicats catholiques des années 1920-1940. À la faveur de la crise de 1929 qui entraînera misère et chômage endémique jusqu’à la guerre, on verra le Conseil central de Québec puis celui de Montréal revendiquer le remplacement des femmes par des hommes, dans la fonction publique québécoise, sauf si ces dernières sont des soutiens de famille.

En 1935, la CTCC va aussi réclamer du législateur « qu’il rétablisse à une juste proportion les emplois féminins par rapport à ceux détenus par les hommes et qu’il détermine une fois pour toutes les emplois qui ne conviennent pas au travail des ouvrières[7] ». La CTCC craint comme la peste la concurrence du « cheap labour » féminin. Elle milite pour qu’on verse aux hommes un salaire propre à soutenir une famille. Elle pousse parfois l’odieux jusqu’à traiter les femmes comme si elles étaient les premières responsables des bas salaires qui leur sont versés par les employeurs[8].

La CTCC et l’organisation des travailleuses

La CTCC mènera avec succès plusieurs campagnes de syndicalisation auprès des femmes. C’est d’ailleurs entre 1935 et 1939 que seront créées plusieurs fédérations, dont celles du textile, du vêtement, du commerce et des gants, où on retrouve un nombre important de travailleuses[9]. La syndicalisation des femmes demeure une contribution majeure à l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les salaires et autres protections offertes aux syndiquées par rapport aux travailleuses non syndiquées.

Dans le but d’apporter les nuances nécessaires sur la CTCC et sur la place qu’elle accorde aux femmes, rappelons qu’un petit nombre d’entre elles assistent tout de même au congrès de fondation de la centrale, comme on peut le voir sur la photo officielle de l’événement[10]. Ces représentantes syndicales viennent de la région de Hull, où se tient le congrès de fondation. Ça demeure quand même tout un exploit, lorsqu’on prend en compte les valeurs et les us et coutumes de l’époque !

En outre, Donalda Charron, présidente du syndicat des allumettières, sera la première femme à présider un syndicat au Canada dans les années 1920[11]. À l’évidence, la CTCC se montre plus ouverte envers ses membres de sexe féminin, quand elle n’a pas à affronter le clergé sur le travail des femmes mariées. C’est dire à quel point les femmes seront les grandes gagnantes de la déconfessionnalisation de la CTCC, qui s’amorcera tranquillement dès la fin de la guerre, pour se conclure en 1960, alors qu’elle deviendra la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

La CTCC et le droit de vote des femmes

Les années 1920 à 1940 sont marquées par une chaude lutte politique qui divise le Québec sur la question du vote des femmes et conséquemment sur les droits civiques et politiques de ces dernières. Le Québec sera, en effet, la dernière province canadienne à octroyer le droit de vote aux Québécoises. La CTCC s’y opposera jusqu’au bout. Encore une fois, le poids idéologique d’une résistance ouverte aux positions rétrogrades du clergé semble trop lourd à porter pour elle. Tout au long de cette dure bataille, la CTCC restera inflexible, alors que d’autres syndicats catholiques, comme l’Association des institutrices rurales catholiques, fondée par Laure Gaudreault, se rangeront en faveur des femmes et d’une réelle démocratie[12].

Dans ce débat, la CTCC va ironiquement demander que le gouvernement organise un référendum auprès des femmes pour savoir si elles souhaitent qu’on leur octroie le droit de vote[13] ! Cette position, loufoque et contradictoire à sa face même, témoigne de l’écartèlement de la centrale entre les aspirations de ses membres les plus progressistes et la chape de plomb que représente la position rétrograde du clergé québécois, qui a continué sa croisade contre le droit de vote des femmes, même après que le pape s’y soit rallié[14].

Au chapitre de la protection sociale, la CTCC se montrera cependant plus progressiste et plus soucieuse des intérêts des femmes. Dès ses premières années d’existence, elle revendiquera à plusieurs reprises la mise en place de programmes d’allocations familiales et de prestations pour les mères nécessiteuses[15]. Elle sera en avance de son temps de plusieurs décennies à ce sujet.

Les femmes s’imposent au travail et commencent à s’organiser dans la centrale entre 1940 et 1973

L’arrivée de la Deuxième Guerre mondiale va accélérer la présence des femmes sur le marché du travail. Le départ des hommes pour le front et la forte croissance engendrée par l’industrie de guerre vont donner lieu à des innovations assez spectaculaires.

En 1942, le gouvernement fédéral met sur pied un service spécialisé de recrutement et de formation de la main-d’oeuvre pour répondre aux besoins existants. Les femmes comptent pour 40 % des nouvelles recrues. Elles gagnent massivement le marché du travail et vont même faire une entrée remarquée dans des métiers autrefois occupés par des hommes (électriciennes, mécaniciennes, fabricantes d’instruments de précision et d’armes, etc.). Les salaires versés à ces travailleuses seront jusqu’à trois fois plus élevés que ceux qui sont payés aux infirmières et aux institutrices, ce qui entraînera parfois des pénuries de main-d’oeuvre dans ces secteurs pourtant névralgiques. Cependant, dans tous les cas, les salaires touchés par les femmes dans l’industrie de guerre demeurent inférieurs à ceux payés aux hommes dans les mêmes industries.

On assiste aussi à la création de garderies qui seront financées à 50 % par le gouvernement fédéral. L’impôt sur le revenu est revu pour relever le seuil des gains admissibles permettant à l’époux de continuer à toucher l’exemption pour personnes mariées, malgré le travail salarié de sa conjointe[16].

Il va sans dire que toutes ces mesures incitatives pour favoriser le travail des femmes hors du foyer vont rapidement disparaître dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Toutefois, cette tentative orchestrée de retourner les femmes au foyer ne remporte pas le succès escompté. La pauvreté des familles ouvrières qui perdure, le développement accéléré du secteur tertiaire et la consommation de masse qui s’implante à la faveur des Trente Glorieuses font en sorte que la main-d’oeuvre féminine chez les femmes mariées va continuer à croître, passant de 7,5 % des effectifs en 1941 à 17,3 % dix ans plus tard[17]. Le prêchi-prêcha s’avère inefficace et frappe même un mur.

Enfin lors de la Révolution tranquille, la féminisation du monde du travail connaîtra une nouvelle poussée de croissance avec le développement et la nationalisation des services publics de santé et d’éducation et avec la mise en place d’une fonction publique digne de ce nom. Ces nouvelles réalités vont aussi contribuer à l’évolution des mentalités.

De la résistance à la résignation

Lors de la Deuxième Guerre mondiale, la CTCC doit composer avec divers décrets adoptés par le gouvernement fédéral en vue d’inciter les femmes à participer activement à l’économie de guerre. La centrale exprime toutefois ses inquiétudes en ces termes lors du congrès confédéral de 1942 : « Que l’on utilise d’abord toute la main-d’oeuvre masculine disponible avant d’employer des femmes dans l’industrie[18]. »

Au sortir de la guerre, la CTCC choisit le camp du retour des femmes à la maison, comme en témoigne cette résolution adoptée au congrès de 1946, qui demande au gouvernement fédéral d’organiser une campagne pour valoriser la femme au foyer[19]. C’est dans l’air du temps et le fédéral s’empresse d’y donner suite. Par la force des choses, la centrale devra évoluer. La norme sociale d’après-guerre concernant le travail des femmes s’assoupit. Elle exige désormais qu’en aucun cas la vie professionnelle des femmes ne prenne le dessus sur les responsabilités familiales.

Ainsi, l’opprobre qui a longtemps frappé les travailleuses mariées va lentement se déplacer vers les mères de jeunes enfants qui décident de travailler, malgré l’absence déconcertante de politiques publiques pour les soutenir (congés de maternité, garderies, fiscalité favorisant l’autonomie financière des femmes, etc.).

Il faudra attendre en 1964 pour que Jean Marchand, alors président de la CSN, consacre dans son rapport moral livré à l’ouverture du congrès, le virage de la centrale à l’égard du travail féminin. Marchand admet que le phénomène semble irréversible et que la CSN a mis beaucoup de temps à se rendre à l’évidence. Il veut s’assurer que la centrale ratifie le principe adopté par le Bureau international du Travail qui veut « qu’aucune femme ne soit contrainte pour des raisons économiques à travailler hors de chez elle ; elle devrait être libre de le faire, si elle le désire. Mais, une fois ce choix fait, les mesures doivent être prises afin que les femmes puissent s’acquitter de leurs responsabilités sans inconvénient pour leur santé et le bien-être de leurs enfants[20]. »

Bien qu’il s’agisse ici d’un virage majeur sur l’acceptation du travail féminin, celui-ci demeure conditionnel puisque les femmes doivent continuer à porter seules sur leurs épaules le poids des responsabilités familiales.

Pour une première fois par ailleurs, une large section du rapport moral du président est consacrée au travail féminin. Marchand insiste sur l’importance de combattre la discrimination fondée sur le sexe, sur le droit à une rémunération égale pour un travail égal, sur le droit à des congés et des allocations de maternité, et à des garderies. Il lance aussi un appel vibrant pour que les femmes soient plus présentes sur les comités de négociation et dans les postes d’élues au sein de la CSN et de ses organismes affiliés. Ce faisant, Jean Marchand ne fait qu’ajouter son poids à plusieurs recommandations formulées par le passé par le Comité féminin, que nous présenterons plus loin.

Ce discours du président, nettement plus combatif et plus en phase avec la réalité du jour, ne tombe pas du ciel. Il fait écho à l’action de jeunes militantes qui cherchent à prendre leur place et à s’organiser au sein de la centrale depuis le début des années 1950.

Pour elles, le travail et le syndicalisme, c’est du sérieux ! Ça n’a rien d’un passage temporaire dans leur vie de femme. Elles ont voté avec leurs pieds pour aller sur le marché du travail et elles comptent bien y rester et prendre leur place comme syndicalistes pour défendre leurs droits.

D’autres « remarquables oubliées »

Une première femme est élue à la direction de la CTCC en 1952. Il s’agit de Yolande Valois, qui provient du Conseil central de Sorel. Nous savons bien peu de choses sur cette première femme vice-présidente de la CTCC. Elle sera réélue chaque année jusqu’en 1955, où elle est battue par Madeleine Brosseau, une militante aguerrie du syndicat de Dupuis Frères et de la Fédération du Commerce.

L’élection de Yolande Valois semble avoir fait bien peu de bruit dans la centrale. En effet, l’organe officiel de la CTCC, le journal Le Travail, présente la liste des dix nouveaux élus avec pour seul commentaire « Les délégués ont bien rempli leur devoir démocratique en élisant des hommes (sic) capables de diriger le mouvement[21] ». C’est tout dire !

Durant les années 1950 et 1960, plusieurs femmes vont se succéder à la 7e vice-présidence de la centrale, alors que d’autres vont faire leur marque au sein des fédérations ou des conseils centraux. La majorité d’entre elles reste largement méconnue et il serait intéressant que les historiens s’y intéressent davantage. Il y a fort à parier qu’on retrouverait parmi elles d’authentiques leaders syndicales et féministes, de plus en plus engagées à faire avancer les droits des femmes, au travail comme dans la société. Pensons par exemple à Jeanne Duval, qui a été tour à tour vice-présidente de la CTCC puis de la CSN. Non seulement a-t-elle joué un rôle de premier plan au sein du Comité féminin de la centrale, mais on la retrouve aussi en 1966, comme une des signataires de la charte de la Fédération des femmes du Québec. Cet événement n’a rien de banal. Il marque la renaissance au Québec du féminisme organisé. Pour la première fois de l’histoire des femmes au Québec, la création de cette fédération va permettre que les féministes de tous les horizons travaillent de concert (syndicalistes, intellectuelles, fermières, etc.)[22].

C’est le cas aussi d’Yvette Rousseau qui a connu un parcours remarquable comme ouvrière et militante du syndicat de la Penman’s de Coaticook, comme vice-présidente de la Fédération du textile de la CTCC, puis comme vice-présidence de la CSN, avant de présider la Fédération des femmes du Québec et de travailler à la fondation du Conseil du statut de la femme pour enfin être nommée sénatrice en 1979[23].

Enfin, d’autres parcours inspirants mériteraient aussi d’être explorés, comme ceux de Géraldine Dumas et de Lucie Dagenais qui furent les deux premières adjointes au comité exécutif de la CSN.

Le premier Comité féminin

Depuis des années, les femmes sont présentes dans les rangs des organisations syndicales, toutes affiliations confondues. Toutefois, elles sont quasi absentes des postes de direction. Le modèle du syndicat « féminin » observé chez les allumettières est peu courant. Dès 1935, la CTCC prend ses distances avec celui-ci, le jugeant mal adapté au régime de relations de travail existant en Amérique du Nord. Le congrès de 1935 est très clair. S’il accorde une grande importance à la syndicalisation des travailleuses, celle-ci devra être « établie selon les principes et les cadres de l’organisation masculine[24] ». Contrairement à ce qu’on connaît aujourd’hui, il n’y a pas à l’époque, de Comité de condition féminine dans aucune centrale syndicale.

Avant-gardiste, le congrès de 1943 demande que l’on s’intéresse de plus près à la spécificité du travail des femmes et que l’on mette sur pied un comité d’enquête qui leur soit propre. Cette résolution, qui aurait pu ouvrir tout un questionnement sur les pratiques syndicales et les politiques de négociation de l’époque, restera lettre morte jusqu’en 1953.

En 1953, alors que les femmes comptent pour près du tiers de l’effectif de la CTCC[25] l’idée d’un Comité féminin refait surface au congrès. Il sera formé exclusivement de femmes. Son mandat sera d’enquêter sur les problèmes rencontrés par les travailleuses, notamment « sur la répartition des tâches dans les usines, sur les problèmes de santé des ouvrières, sur l’application du principe de l’égalité de salaire à égalité de travail et sur les modes de rémunération du travail féminin[26] ».

L’enquête sera laborieuse, voire impossible à mener complètement. Le Comité n’a pas de budget. Aucun permanent n’y est affecté, même à temps partiel. Voilà qui explique que le premier rapport du Comité féminin « insiste davantage sur les problèmes d’insertion des femmes dans le syndicalisme et l’attitude des hommes à leur égard que sur les problèmes des femmes au travail[27] ».

Le Comité féminin semble à ses débuts avoir eu un certain mal à trouver sa vitesse de croisière. Avec l’arrivée de Jeanne Duval élue à la vice-présidence de la CTCC en 1957, le Comité entame avec une certaine intensité une autre étape de son travail. Il abordera par exemple des thèmes comme l’accès à la formation professionnelle des jeunes femmes[28], ou encore la réglementation des poids qui peuvent être soulevés en usine[29], le travail de nuit des femmes dans le secteur industriel, le travail à temps partiel, etc. Il pestera à plusieurs reprises sur les difficultés à faire appliquer la Convention internationale de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant le droit à un salaire égal pour un travail égal.

Bref, le Comité effectue, malgré peu de moyens, un travail de pionnier, qui va paver la voie à une approche féministe pour faire avancer les femmes dans les milieux de travail et dans le syndicalisme.

Au départ, la CTCC avait acquiescé à un comité d’enquête dont elle prolongera l’existence de congrès en congrès. De plus en plus interpellé par le peu de place occupée par les femmes dans les instances de la centrale, le Comité cherchera en vain à se faire reconnaître comme un vrai Comité féminin, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, auprès du Bureau confédéral de la centrale[30]. Il fait un lien, qui n’est pas sans intérêt, entre les conditions de travail déplorables et discriminatoires des travailleuses et les difficultés d’insertion des femmes au sein de l’appareil syndical.

Le malaise est de plus en plus palpable. Le Comité féminin, dans un immense coup de gueule, va proposer sa propre dissolution lors du congrès de 1966. Parce que ces femmes veulent être reconnues comme des « syndiquées à part entière », comme il est maintes fois rapporté dans le procès-verbal de cette réunion, elles vont préconiser la disparition d’une structure qui leur est propre, où elles peuvent réseauter pour mieux revendiquer et pour proposer une lecture plus juste des problèmes rencontrés par les femmes[31].

Elles craignent que l’existence du Comité contribue à les isoler davantage et que les problèmes qu’elles soulèvent soient considérés comme des « affaires de femmes » qui n’intéressent personne. Elles sont lasses et en colère. On peut les comprendre. Elles ne souhaitent pas être des travailleuses et des syndicalistes de seconde zone, continuellement ramenées au stéréotype féminin de ménagère et de mère de famille[32]. Pourtant, elles ne transcenderont pas ces difficultés en se noyant dans un univers sur lequel elles ont encore moins de prise. Malheureusement, leur désir de changements ne peut à lui seul entraîner le changement qu’elles escomptent tant.

L’expérience originale et unique du Comité féminin de la CTCC de 1953 aura vécu treize ans. Il renaîtra de ses cendres dans les années 1970, pour réapparaître sous la forme des Comités de condition féminine, qui désormais vont pousser dans chacune des organisations syndicales québécoises.

La combativité des femmes de la CTCC et de la CSN

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la CTCC redouble de militantisme face aux employeurs. Elle deviendra aussi un des principaux foyers d’opposition au régime duplessiste. L’aversion viscérale de Duplessis à l’égard des syndicats se manifeste alors par l’adoption de nombreuses lois visant à contrer la syndicalisation dans le secteur public, à miner le pouvoir de négociation des syndicats et à réprimer très sévèrement, voire très violemment, les conflits ouvriers[33].

Loin de rester sur la touche, les travailleuses affiliées à la centrale emboîtent courageusement le pas et font preuve d’une combativité remarquable.

La grève de Dupuis Frères de 1952

Le 2 mai 1952, quelque 800 travailleuses vont enclencher une grève tumultueuse qui les oppose à ce fleuron des entreprises canadiennes-françaises, le grand magasin Dupuis Frères du centre-ville de Montréal. Au coeur du litige : des méthodes de surveillance tatillonnes s’ajoutant à des rumeurs persistantes de congédiement, des salaires particulièrement bas, une semaine de travail plus longue qu’ailleurs et enfin des demandes de reconnaissance syndicale. L’entreprise cherche dès le départ à casser le syndicat. Elle décide non seulement de recruter des briseurs de grève et des agents de sécurité, mais elle organise un mégasolde dans son magasin, qu’elle souhaite garder ouvert durant le conflit. L’escalade est enclenchée. Le syndicat fait preuve de beaucoup d’imagination pour dissuader les clients. L’employeur réplique en usant de violence et de provocation.

Le conflit va se régler par une victoire significative du syndicat. La démonstration prouve que la CTCC peut « mobiliser les travailleuses mal payées du secteur du commerce contre leurs patrons, même si ceux-ci sont aussi des catholiques francophones. Après la signature de la convention collective, les autres grands magasins de Montréal doivent emboîter le pas et verser à leur personnel de meilleurs salaires et améliorer les conditions de travail[34]. »

La colère des douces : la grève des infirmières de l’hôpital Sainte-Justine de 1963

En 1963, le secteur public québécois est encore sous le joug de la Loi des différends entre le secteur public et leurs salariés, qui leur interdit la grève et prévoit l’arbitrage obligatoire, sous peine de très lourdes sanctions. L’assurance hospitalisation, en vigueur depuis 1961, fait gonfler le nombre de patients qui se présentent dans les hôpitaux pour y recevoir des soins qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer auparavant.

Les hôpitaux sont toujours dirigés par des communautés religieuses. Bien que le gouvernement soit devenu le principal agent payeur, celui-ci se tient loin des tables de négociations, pratiquant avec zèle la célèbre maxime de Jean Lesage : « La reine ne négocie pas avec ses sujets. » C’est dans ce contexte qu’une première grève des infirmières est déclenchée dans la plus complète illégalité. En effet, les 235 infirmières de l’hôpital Sainte-Justine ne suffisent plus à la tâche devant la montée des patients à admettre. Elles sont épuisées et particulièrement inquiètes de la qualité des soins offerts. Devant l’intransigeance de l’établissement, qui n’a de cesse de les renvoyer à l’arbitrage, elles vont entamer 30 jours de grève, qu’elles qualifieront pudiquement de « journées d’étude ». Leurs principales demandes portent sur les fardeaux de tâches et sur l’organisation des soins.

Elles échappent à la perte de leur certificat d’accréditation et à l’imposition d’amendes. Les marches qu’elles organisent devant l’hôpital, ponctuées de défilés aux flambeaux, vont frapper l’imaginaire et forcer la tenue d’une négociation secrète avec le gouvernement. Après leur retour au travail, les infirmières constateront les gains importants qu’elles ont réalisés, notamment sur l’organisation des soins et sur le contrôle de leur tâche.

Ce conflit historique va vivifier le syndicalisme dans le secteur hospitalier et amplifier le mouvement déjà bien engagé de syndicalisation. En outre, il va ouvrir la porte à la révision du Code du travail de 1964, qui accordera le droit de grève et un réel pouvoir de négociation au secteur public[35].

Quand la lutte des femmes et la lutte syndicale vont de pair : à partir de 1973

La disparition du Comité féminin fera en sorte qu’il n’y ait plus de moments privilégiés pour faire le point sur la lutte pour les femmes lors des congrès qui vont suivre. Toutefois, la révision du Code du travail de 1964 et l’étatisation des services de santé et d’éducation vont donner des ailes à la syndicalisation du secteur public. La CSN en sera la première bénéficiaire. Elle fera preuve de beaucoup d’innovation dans l’organisation des négociations collectives dans ce secteur. Celles-ci vont tour à tour se déployer au palier régional, puis à l’échelle de tout le Québec, avant de donner lieu, en 1972, au premier front commun CSN-FTQ-CEQ.

Ces années d’effervescence vont permettre des gains importants dans ce secteur hautement féminisé. Par exemple, la négociation de 1966, qui est la première dans les hôpitaux à viser l’ensemble des syndicats CSN du Québec, contribuera à faire disparaître les fortes disparités régionales qui existaient alors. Pour la première fois, les femmes vont réussir à faire inscrire dans une convention collective le droit à un congé pour accoucher et surtout leur droit de retour après une naissance.

La CSN poursuivra la bataille politique pour que ce droit fondamental soit désormais accordé à toutes les femmes en revendiquant qu’il soit inclus dans la Loi sur les normes du travail. Treize années passeront avant qu’elle y arrive en 1979. Pour rappeler à quel point les changements de mentalité exigent temps, détermination et ténacité, rappelons qu’encore aujourd’hui, la première cause de congédiement illégal contestée par les non-syndiquées en vertu des recours prévus à la loi des Normes du travail porte sur leur droit de réintégration après un congé de maternité !

Plusieurs autres gains arrachés de haute lutte dans le secteur public paveront la voie à d’autres modifications législatives importantes, tant à Québec qu’au fédéral, lesquelles permettront à toutes les travailleuses de s’en prévaloir (congés de maternité et parentaux, équité de rémunération entre les sexes, retrait préventif de la femme enceinte, harcèlement sexuel, etc.)[36].

Le retour en force du Comité de condition féminine

En 1973, autour de Monique Simard qui a joint depuis peu les rangs encore très clairsemés des femmes conseillères syndicales à la CSN, quelques militantes et salariées du mouvement font le constat suivant. Il n’existe pas dans la centrale une analyse cohérente et détaillée de l’oppression vis-à-vis des femmes. Dans ce contexte, les luttes menées pour éliminer les diverses formes de discrimination qui touchent les travailleuses sont fragilisées, parce que menées à la pièce. Ces militantes prennent aussi conscience de la sous-représentation des femmes à tous les niveaux de la centrale. Les conditions sont réunies pour la remise en place d’un Comité de condition féminine exclusivement féminin, composé de représentantes syndicales et de salariées du mouvement. Le congrès de 1974 y pourvoira[37].

Au congrès suivant, le Comité de la condition féminine déposera un rapport majeur. La lutte des femmes, combat de tous les travailleurs[38]. Cette analyse de l’oppression envers les femmes va influencer les orientations de la centrale pour les décennies à venir. Dès lors, le congrès de la CSN embrasse la lutte des femmes et la considère désormais comme indissociable des autres luttes syndicales. Voilà qui pose clairement la question de la prise en charge syndicale de la lutte que les femmes mènent et qu’elles continueront de mener, solidairement avec leurs collègues masculins.

Pour rendre compte de façon dynamique de la nature et de l’importance des travaux réalisés par le Comité de condition féminine, il y a lieu de nous pencher sur les éléments clefs de l’approche qu’il va déployer pour atteindre ses objectifs.

Un travail d’organisation et de mobilisation des femmes au sein de la CSN

Dès le départ, le Comité va vouloir s’implanter de la base au sommet du mouvement. Il privilégiera pour ce faire la création de Comités de condition féminine, non seulement dans les conseils centraux et dans les fédérations, mais aussi dans les syndicats locaux. Par exemple, le rapport déposé lors du Grand rassemblement des femmes de la CSN de 1984, célébrant le dixième anniversaire du Comité, recense l’existence de pas moins de 317 Comités de condition féminine à tous les niveaux du mouvement[39].

Cet impressionnant travail de réseautage tire aussi sa force de l’organisation de rencontres régulières de coordination entre les responsables des divers comités. Voilà qui assure la circulation de l’information et la cohésion nécessaire au progrès des revendications des femmes.

En 1978, la CSN va créer un service de la condition féminine pour soutenir les travaux du Comité. Les premières titulaires de ces postes seront Monique Simard, conseillère syndicale et son adjointe, Fernande Clément. Voilà qui fait une différence majeure par rapport à l’appui offert au premier Comité féminin.

Plus tard, la CSN se montrera sensible à recruter et à faciliter l’accès de plus de femmes aux postes de conseillères syndicales. Un programme novateur d’accès à l’égalité sera négocié en ce sens avec le syndicat des salarié.e.s du mouvement. Une fois sur deux, les femmes auront un accès privilégié à ces postes, jusqu’à l’atteinte de la parité dans chacun des services.

La représentation des femmes dans les postes électifs des organismes affiliés sera aussi une préoccupation constante de la condition féminine. Elle sera abordée régulièrement dans les diverses instances. Elle donnera lieu à une vaste enquête et à l’élaboration d’un guide de suivi lors du congrès de 1988. Dans la même veine, le congrès de 1996 adoptera un programme d’accès à l’égalité pour les femmes élues. Celui-ci ne met pas de l’avant une approche de quotas préétablis, mais il vise la parité et présente une série de mesures de soutien qui inspireront tout le mouvement.

Plusieurs militantes, d’abord impliquées au Comité national de condition féminine, vont accéder à la présidence des conseils centraux et des fédérations. Au niveau de la centrale elle-même, la progression est lente, même si les femmes comptent depuis longtemps pour la moitié des effectifs de la CSN.

À partir du milieu des années 1970, une élue occupera toujours un des six postes du comité exécutif de la centrale. Il faudra toutefois attendre 1986 pour qu’une deuxième la rejoigne et 1999, pour connaître un premier exécutif paritaire. En 1998, Lise Poulin devient la première secrétaire générale du mouvement. Le congrès de 2002 élira une première présidente, Claudette Carbonneau[40]. Il s’en trouvera encore quelques-uns pour se demander s’il faut saluer l’élection d’une première femme à la présidence ou simplement ajouter un nom à la liste des 12 hommes qui ont occupé ce poste depuis 81 ans. À croire que certaines mentalités restent parfois aussi têtues que les faits !

Un travail d’alliances intersyndicales et de solidarité avec le mouvement des femmes

Au début des années 1970, l’heure semble propice aux rapprochements, à la solidarité et au travail en coalition. Les Comités de condition féminine des centrales qui apparaissent à peu près tous au même moment n’ont aucun mal à travailler en alliance. Ils souhaitent casser le moule d’un certain isolement des femmes au sein du mouvement syndical. Une première Intersyndicale des femmes sera rapidement mise en place.

On assiste aussi à l’échelle de la société à un foisonnement d’initiatives féministes de tout ordre. En 1973, le Québec se dote d’un Conseil du statut de la femme. L’ONU fera de l’année 1975, l’année internationale des femmes. La Charte des droits et libertés de la personne sera adoptée quant à elle en 1976.

Les groupes communautaires occupent aussi le terrain de la mobilisation et des revendications féministes. Le 8 mars est organisé pour une première fois à Montréal par des professeures et des étudiantes de l’UQAM. Les centrales syndicales emboîtent le pas dès la deuxième année. La tradition de commémorer la Journée internationale des femmes est vite élargie au monde communautaire (assisté.e.s sociaux, regroupements de garderies populaires, etc.). Bref, l’idée d’un large comité organisateur pour fêter le 8 mars est née et a traversé le temps.

L’approche fondée sur les alliances et le travail en coalition fait partie de l’ADN du Comité de condition féminine de la CSN. Elle ne remplace pas le travail à faire au sein des organismes affiliés. Elle s’ajoute à celui-ci, pour renforcer les solidarités et augmenter le rapport de force.

Sur la question des femmes, la CSN va s’engager dans toutes sortes de manifestations, de coalitions, sur toutes sortes de sujets. Pensons par exemple à la Marche du pain et des roses, aux différentes Marches mondiales des femmes, à la Coalition pour l’équité salariale ou encore aux multiples manifestations organisées avec les regroupements de garderies et les parents, pour n’en nommer que quelques-unes.

Les priorités

Le congrès de 1976 en identifie trois, qui vont s’étaler jusqu’au début des années 2000 : les congés de maternité, les garderies et l’équité salariale. Celles-ci vont faire l’objet d’un travail soutenu dans les syndicats CSN. Nous en traiterons de façon détaillée dans la section qui suit, puisque l’histoire de ces luttes fait voir une contribution importante de la centrale dans l’élaboration des grandes politiques publiques qui restent prioritaires pour les femmes encore aujourd’hui.

D’autres priorités s’ajouteront au fil du temps : précarité et « sexisation » des emplois, programmes d’accès à l’égalité, harcèlement sexuel, etc. La condition féminine s’investit pour soutenir les syndicats aux prises avec ces problèmes. Elle multipliera les sessions de formation, proposera des clauses types, élaborera des guides et étudiera les conventions collectives pour détecter les dispositions qui peuvent être discriminatoires[41].

Ces femmes, qui bouleversent les vieilles habitudes et qui s’approchent du champ de la négociation, ne l’auront pas toujours facile. Elles font pourtant un travail essentiel pour arracher des précédents, qui ouvriront aussi la porte à l’évolution du cadre législatif.

L’avortement et la contraception

La volonté des femmes de se réapproprier le contrôle de leur corps est un thème fort de la vague de féminisme qui s’enracine au Québec à partir de la fin des années 1960. Les femmes de la CSN n’échappent pas à cette aspiration. La centrale s’engagera solidement au côté des « pro-choix » dans la bataille de l’avortement. En 1977, elle soutient le manifeste pour le droit à l’avortement libre et gratuit. Elle s’implique au Comité national de coordination de cette lutte. Elle sera aussi de toutes les manifestations pour soutenir le Dr Henri Morgentaler, puis Chantal Daigle et pour obtenir la décriminalisation de l’avortement. Enfin, elle revendiquera, avec force, la mise en place de cliniques de planification familiale et de contraception.

La CSN apportera une contribution particulière à la lutte pour l’humanisation de l’accouchement, en accueillant les sages-femmes dans ses rangs et en les accompagnant pour faire reconnaître leur profession.

La violence faite aux femmes et les agressions sexuelles

La CSN s’implique fortement dans la Marche du pain et des roses, qui a fait de la lutte contre la violence une de ses grandes priorités. Elle fera dans ses rangs un important travail de sensibilisation sur les questions de violence sur toutes leurs formes, incluant la violence conjugale et celle vécue en milieu de travail. Elle se battra avec succès pour que la Loi des normes du travail intervienne pour contrer la violence psychologique au travail.

La question des agressions sexuelles et l’impunité qui en découle trop souvent seront au coeur de ses préoccupations autour du mouvement #Metoo, et du procès tristement célèbre mettant en cause Gilbert Rozon.

La CSN et les politiques publiques concernant les femmes

Au terme du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, le gouvernement du Québec annonce son intention de procéder à trois réformes majeures : la mise en place d’un réseau de services de garde à contribution réduite, l’adoption d’une loi sur l’équité salariale et la création d’une Caisse québécoise de congés parentaux.

Ces réformes ne tombent pas du ciel. Elles trouvent leurs racines dans des luttes syndicales menées pendant des décennies. La CSN a été intimement mêlée à ces batailles. Elle a porté avec constance et ténacité, ces revendications sociétales devant les employeurs comme devant les gouvernements.

L’équité salariale : une longue et difficile histoire de luttes

Par son enjeu même, la lutte pour l’obtention d’une loi sur l’équité salariale se déploie d’abord dans les milieux de travail. Les syndicats sont aux premières loges pour faire lever les obstacles qui servent de paravents à la discrimination. La CSN est présente sur cette ligne de front tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

Le Front commun de 1972 donne une première mesure des efforts qu’il faudra mettre pour venir à bout de la discrimination salariale. En cherchant à négocier le célèbre 100 $ dollars par semaine et en s’attaquant aux écarts salariaux, le Front commun lève le voile sur une organisation du travail aussi archaïque que généralisée. Celle-ci repose sur des emplois dits « féminins » d’autres « masculins ». Cette division sexuelle des emplois sert à justifier une structure salariale qui discrimine et défavorise les femmes.

Malgré l’immense mobilisation qui caractérise cette négociation, le Front commun devra s’y prendre à plusieurs reprises avant de venir à bout de tous ces subterfuges qui génèrent des écarts salariaux nettement discriminatoires.

Ça joue dur dans le secteur public

Devant la ténacité des préjugés qui perdurent, la CSN veut tenter une approche plus globale. Elle négociera en 1986 une lettre d’entente qui prévoit l’ouverture d’une négociation sur la discrimination salariale.

L’équité salariale s’impose comme la grande priorité de la ronde de 1989. La détermination est au rendez-vous, alors que Rachel (la mascotte de l’équité à la CSN) défile sur la rue Rachel, accompagnée de 10 000 personnes. La centrale se bute à un employeur qui s’entête à nier l’existence de la discrimination systémique. On connaît la suite… Un règlement est conclu sans la CSN, sur un programme de relativité salariale qui ne cible pas la discrimination faite aux femmes. L’adoption de la loi 160 réussit à mater les grévistes de la centrale (perte d’ancienneté et suspension de la perception des cotisations syndicales)[42].

Dans le but de forcer une reprise des discussions, la CSN dépose, en 1992, à la Commission des droits de la personne, une nouvelle série de plaintes offrant un bon éventail des groupes discriminés. Ce recours, prévu à la Charte, est lourd et mal adapté pour régler un problème de nature systémique. Vingt-quatre ans plus tard, ces plaintes ne sont toujours pas réglées quand la CSN conclut une entente sur l’équité salariale avec le gouvernement. Rappelons que l’État employeur a multiplié les recours juridiques pour faire déraper ce processus. Il est même allé jusqu’à couper le budget de la Commission des droits de la personne pour qu’elle ne puisse pas faire les enquêtes qu’elle a pour mandat de réaliser. Il faudra retourner devant les tribunaux pour les forcer à agir. La CSN gagne ses batailles juridiques, mais dès qu’un problème est réglé, le gouvernement en invente un nouveau.

Ces faits parlent d’eux-mêmes. Ils démontrent toute la pertinence d’une loi sur l’équité salariale que les centrales syndicales et le mouvement des femmes réclament depuis 1978. Vivement une loi pour faire appliquer ce droit fondamental.

Ça ne s’arrête pas là. En 1993, Québec menace de ne pas verser aux professionnels de la CSN, les correctifs salariaux découlant de l’exercice de relativité salariale, à moins que la centrale ne reconnaisse que ces rajustements disposent du dossier de l’équité salariale ! L’impasse dure plusieurs mois. Il faudra déployer des trésors d’imagination pour mettre fin à ce chantage, en s’assurant que les membres CSN touchent leur dû, sans compromettre pour autant l’avenir du dossier.

L’histoire de l’équité salariale dans le secteur public s’étire jusqu’en 2006. Durant toutes ces années, la CSN poursuit la lutte sur tous les fronts : mobilisation, présence médiatique, travail en direct avec l’employeur, démarches juridiques, etc. Au 20e anniversaire de la loi, la CSN rapportait que des rajustements, à hauteur de 4 milliards de dollars, avaient été versés pour régler un problème dont l’employeur a nié l’existence pendant près de trente ans[43].

Ça brasse aussi dans le privé

Le dossier de l’équité salariale interpelle aussi les autres secteurs. Partout, les syndicats se butent à la même fermeture et aux difficultés pour faire reconnaître la discrimination. Rappelons à cet égard deux conflits marquants : 15 mois de grève pour les employées municipales de Marieville et une grève presque aussi longue, chez les employées de la Caisse populaire de Brossard pour l’équité salariale[44] !

En outre, les travailleuses de garderies affiliées à la centrale vont, pendant des années, mener le combat de l’équité en alliance avec les parents. On les verra défiler dans des centaines de manifestations plus colorées les unes que les autres. C’est à elles aussi qu’on doit cette comparaison tellement efficace, qui rappelle que sans équité salariale, les éducatrices sont condamnées à toucher un salaire nettement inférieur à celui offert aux gardiens de zoo. Difficile d’être plus clair !

Une loi qu’il faut amener devant les tribunaux

Après toutes ces mobilisations héroïques, après la Marche du pain et des roses qui a mis en mouvement des milliers de femmes, un projet de loi sera déposé en 1996. Au grand dam des syndicats, il contient un mécanisme bidon permettant au secteur public et à nombre d’autres employeurs (Mouvement Desjardins, Provigo, etc.) d’échapper aux objectifs de la loi, en invoquant avoir réalisé par le passé, un exercice de relativité salariale sans aucune autre exigence de conformité.

Une fois de plus, la CSN va relever le défi. Elle contestera les dispositions discriminatoires devant les tribunaux. Dans un jugement qui fait école, la juge Carole Julien va donner raison aux syndicats et déclarer inconstitutionnel le chapitre de la loi qui prévoit une procédure d’exception. C’est une grande victoire pour toutes les femmes du Québec. La Loi sur l’équité salariale n’est pas parfaite. Elle marque cependant un jalon important de la lutte des femmes pour leur dignité et leur autonomie financière. Elle rappelle aux femmes de la CSN que les luttes qu’elles ont engagées depuis les années 1920 pour la reconnaissance de leur travail n’ont pas été vaines.

Aujourd’hui dans tous les secteurs d’activité, les travailleuses syndiquées ou non, disposent d’un cadre légal auquel se référer, pour que le « droit à un salaire égal » puisse enfin se traduire concrètement sur la paie et réduire les écarts salariaux entre les hommes et les femmes. Sans chercher à s’en attribuer tout le mérite, les femmes de la CSN peuvent certainement afficher une grande fierté.

L’histoire d’un mariage heureux : le réseau des services de garde

Au début des années 1970, des garderies populaires commencent à émerger. Elles sont le fruit d’initiatives communautaires, portées par des militantes, des parents et des travailleuses fortement engagées. Le secteur est dynamique, motivé et créatif, mais sans le sou. Vite, il devra trouver des alliés. Les centrales syndicales répondent à l’appel. Dix ans plus tard, elles syndiqueront les travailleuses du secteur.

Voir grand, mais d’abord survivre : la décennie 1970

Dès le départ, les garderies voient grand. Elles rêvent de développer un réseau de services de garde universels, accessibles et gratuits pour répondre aux besoins des femmes et assurer le développement et la socialisation des jeunes enfants.

Pour y arriver, il faut que l’État les soutienne. Le gouvernement résiste en affirmant que la responsabilité des services de garde n’est pas collective et qu’elle incombe aux seuls parents.

Les garderies sont toujours coincées entre la capacité de payer des parents et l’obligation d’offrir des services de qualité et des conditions décentes aux travailleuses. Elles sont continuellement au bord du gouffre. Leur mobilisation vise deux objectifs : faire la promotion des garderies en démontrant le bienfait qui en découle pour les enfants et forcer l’État à s’impliquer financièrement par le biais de subventions directes aux garderies, plutôt que par des programmes ciblés d’assistance.

Dès leur création, les Comités de condition féminine des centrales s’impliquent à fond et apportent au Comité de liaison des garderies populaires un solide soutien politique et logistique qui se maintient avec une constance remarquable tout au long de la décennie. Les centrales adoptent et portent pleinement la revendication d’un réseau universel, accessible et gratuit de garderies contrôlées par les travailleuses et les usagers. Dès les années 1970, elles en font la promotion dans un document d’appui fort bien argumenté[45].

Bref, sans s’arroger le leadership des revendications, les centrales vont, tout au long de la décennie, être des appuis et des complices inestimables.

Une nouvelle étape : la syndicalisation des garderies

À partir de 1980, les travailleuses en garderie se syndiquent. Elles le font d’abord pour poser un geste politique. Elles savent qu’il faudra beaucoup de temps et d’énergie pour réussir à asseoir le gouvernement à une table de négociations et à négocier des conditions de travail dignes de ce nom. L’initiative est bien vue par les parents qui y voient aussi leur intérêt.

Une première tentative sera faite de porter leurs demandes à la table centrale des négociations du secteur public. On connaît la suite, la ronde de 1982 se termine par des décrets et des lois spéciales. C’est l’impasse.

Tenace, la CSN finira par trouver un chemin pour amener le gouvernement à se commettre. En 1986, une entente dégageant une enveloppe de 4 millions de dollars est conclue pour assumer les coûts de formation du personnel, offrir aux travailleuses un congé de maternité payé et l’accès à des assurances. Les contrats de travail vont devoir continuer à être négociés avec chacune des garderies, qui sont les véritables employeurs au sens de la loi, même si elles manquent cruellement de moyens pour ce faire. C’est néanmoins une grande victoire politique pour forcer l’État à reconnaître sa responsabilité et à financer à terme le réseau de services de garde dont rêvent les forces progressistes.

Dans la même veine, la CSN interpellera l’État en 1994, pour obtenir une première subvention, cette fois destinée à augmenter les salaires. Depuis des mois, les travailleuses défilent côte à côte avec les parents dans de nombreuses manifestations colorées. Pendant des années, les travailleuses vont organiser des actions de visibilité lors des « Journées nord-américaines contre les bas salaires en garderies ». Chaque fois, les parents sont au rendez-vous. Chaque fois, elles s’attirent l’appui du public. Chaque fois, elles font avancer le dossier de l’équité salariale et de l’urgence de l’engagement financier de l’État en faveur d’un réseau de services de garde.

La revendication d’une subvention salariale sera soutenue par une grève, où chaque semaine pendant dix semaines, trois garderies vont débrayer avec l’appui indéfectible des parents. La pression politique est très forte. Les travailleuses vont obtenir à l’occasion du dépôt du budget du Québec une première subvention salariale de 1 $ de l’heure. La CSN est alors invitée par le gouvernement du PQ de retour au pouvoir, à siéger à un comité de travail dont le mandat est de réfléchir au financement des salaires et à l’avenir du réseau. C’est toute une avancée.

Cette fois-ci, le fruit est mûr et le gouvernement de Lucien Bouchard annoncera à la fin de 1996 son intention de mettre en place les CPE. Dans cette foulée, le gouvernement va aussi généraliser le développement des services de garde en milieu scolaire, jusque-là concentrés dans quelques régions seulement. Les places disponibles dans les écoles vont s’accroître de 66 %.

Une première négociation provinciale

En 1999, la CSN, appuyée par une forte mobilisation des travailleuses de CPE, arrivera à convaincre le gouvernement d’ouvrir une table centrale de négociations pour y discuter d’une échelle unique de salaires pour tout le réseau et de la mise en place de deux groupes de travail pour entreprendre une démarche d’équité salariale et pour instaurer un régime de retraite pour l’ensemble du secteur.

Les résultats sont au rendez-vous. On convient d’une structure salariale pour le secteur. Les travailleuses, syndiquées comme non-syndiquées, toucheront des augmentations de salaire de 35,1 %. Un régime de retraite à prestations déterminées entrera en vigueur en 2003 et l’exercice d’équité salariale sera complété en 2006. Bref, une éclatante victoire après près de 20 ans de lutte.

La syndicalisation des éducatrices en milieu familial

Les éducatrices en milieu familial étaient considérées, jusqu’à la mise en place du réseau des services de garde, comme des travailleuses autonomes sans droit à la syndicalisation et sans avoir le statut requis pour se prévaloir par exemple de l’assurance-emploi ou encore pour bénéficier de l’équité salariale.

L’instauration de services de garde à contribution réduite change considérablement la donne pour elles. Leur rémunération est complètement dépendante des subventions gouvernementales, sur lesquelles elles n’ont pas de réel pouvoir de représentation. Elles décident de se syndiquer. Le Tribunal du travail juge qu’elles doivent être reconnues comme des salariées et qu’elles peuvent en conséquence se syndiquer.

À son arrivée au pouvoir, le gouvernement libéral de Jean Charest vote une loi pour leur retirer leur accréditation. La CSN s’engage alors dans une vaste campagne pour contrer l’adoption de plusieurs lois anti-ouvrières qui lui rappelle Duplessis. Elle portera leur cause devant les tribunaux. On lui donnera gain de cause et au Bureau international du Travail et devant les tribunaux nationaux. Il s’agit d’une rarissime, mais importante victoire dans la lutte que mène le mouvement syndical pour élargir les droits des travailleurs autonomes.

L’organisation des militantes oeuvrant pour les services de garde au sein de la CSN

Les éducatrices des CPE, celles qui oeuvrent en milieu familial et en milieu scolaire, de même que les professeures qui enseignent en Technique d’éducation à l’enfance conjuguent leurs efforts au sein de la centrale, pour réfléchir à l’avenir et au développement de ces services. Elles ont piloté de nombreuses recherches et publications qui ont alimenté la CSN dans son travail de représentation sur les services de garde.

Dans l’histoire fascinante de la prise en charge par l’État des services de garde, la CSN a joué un rôle non négligeable. Avec les travailleuses du secteur, elle a su démontrer la complémentarité de son action proprement syndicale, avec les luttes qu’elle mène au niveau social et politique pour défendre et développer les services publics. Une grande histoire d’alliance et de solidarité[46] !

Un difficile accouchement, mais un immense gain social : l’assurance parentale

C’est en 2006 qu’entre en vigueur le Régime québécois d’assurance parentale. Ce régime est plus accessible, plus souple et plus généreux pour les parents. Surtout, il introduit un congé de paternité propre aux pères, qui est un puissant levier de changement dans les relations homme/femme et père/enfant.

C’est la CSN qui entreprend l’extraordinaire mobilisation citoyenne qui conduira à l’adoption de ce régime novateur[47]. Retraçons le parcours long et plein de rebondissements qui mène à cette loi majeure.

La CSN et le Regroupement pour des congés parentaux

Depuis 1979, les travailleuses du secteur public bénéficient d’un congé de maternité et de congés parentaux dignes de ce nom[48]. Cette lutte importante n’a toutefois pas rejailli sur le secteur privé. Nombre de conventions collectives se limitent à prévoir un droit de retour au travail, après que les parents se soient prévalus du seul régime existant à l’époque, celui de l’assurance-emploi.

L’assurance-emploi n’est pas un régime adapté à la réalité de la maternité et des parents. Quand la CSN commence à travailler sur le dossier, plus du tiers des travailleuses enceintes n’ont pas accès au programme, parce que trop précaires ou parce qu’elles n’ont pas encore accumulé suffisamment d’heures de travail. Les prestations offertes sont faméliques et passent par un délai de carence. Surtout, rien n’existe pour encourager les pères à s’investir auprès des enfants et à partager les tâches.

Au tournant des années 1990, la CSN appelle à la mise en place du Regroupement pour un régime québécois d’assurance parentale. Seize organismes passant par les groupes de femmes, les groupes familiaux et toutes les organisations syndicales répondent à l’appel. Une plate-forme de revendications est élaborée autour des grands paramètres que l’on retrouve aujourd’hui dans la loi québécoise. Une vaste campagne d’opinion et de mobilisation s’enclenche, « Accoucher c’est pas chômer », scande-t-on de toutes parts. Les appuis s’additionnent et un véritable consensus social émerge, tant sur les revendications que sur le chemin à prendre pour y arriver[49].

En 1996, le gouvernement québécois fait connaître son intention d’aller de l’avant. Dès l’année suivante, il entame une difficile négociation avec Ottawa en vue de rapatrier la part des cotisations servant à financer le programme fédéral de congés de maternité pour mettre en place son propre régime. Cette négociation s’étire pendant huit ans. Le Regroupement reste très proche du dossier. Devant la fermeture du fédéral, Québec décide de légiférer en 2001. Toutefois cette loi, votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, n’entrera en vigueur que cinq ans plus tard, faute d’entente avec le gouvernement fédéral sur le rapatriement du programme.

Dès lors, les politiciennes et les militantes du Regroupement vont porter à bout de bras ce dossier pour le faire aboutir. La mobilisation se poursuit pour infléchir la position du fédéral. Québec interpelle la Cour d’appel en vue de faire confirmer sa compétence en la matière. Québec gagne. Ottawa porte ce jugement en appel. Avant que la Cour Suprême ne rende sa décision, la pression politique est telle qu’une entente intervient enfin entre les gouvernements.

Il faudra lever un dernier obstacle de taille. Le patronat fait la guerre à la hausse des cotisations nécessaires à la mise en place du nouveau régime. Malgré tout, Québec et le Regroupement résistent. Dix ans après le début de cette saga, le régime québécois entre en vigueur le 1er janvier 2006. La CSN sera invitée à siéger au conseil d’administration de cet organisme qui place le Québec à l’avant-garde pour ce qui est des droits des mères et des pères.

En guise de conclusion

La CSN n’a pas toujours embrassé avec la même ferveur la lutte des femmes. Elle reste une organisation marquée par les valeurs des époques qu’elle traverse. Elle n’a pas toujours, ni sur toutes les questions, assumé un leadership glorieux. Elle s’est largement rattrapée depuis et a même apporté une contribution importante à l’avancement des femmes et à l’évolution des mentalités dans la société.

Ce travail remarquable repose sur des facteurs qui méritent d’être rappelés. D’abord, il faut souligner sa constance à syndiquer les femmes, à soutenir leurs luttes et à les faire bénéficier des améliorations découlant de la syndicalisation. Elle a permis, souvent avant d’autres, l’organisation des femmes au sein de ses instances. La CSN a pu compter sur la combativité et l’engagement de ses militantes qui se sont employées à combattre la discrimination dans les conventions collectives, à développer des alliances et à tendre la main aux plus vulnérables. La centrale s’est enfin investie, avec courage et détermination, dans les luttes sociopolitiques qui s’imposaient.

Elle entame son prochain siècle en bonne position pour s’attaquer à de nouveaux défis comme la violence faite aux femmes, les suites de #Metoo et l’élargissement des mesures de conciliation famille et travail.