Résumés
Résumé
Les injustices dont sont victimes aujourd’hui les animaux domestiques ont mené certains partisans des droits des animaux à défendre l’idée selon laquelle la relation entre humains et animaux domestiques était intrinsèquement injuste et qu’il ne fallait pas permettre à ces derniers de se reproduire. Tout en s’inscrivant dans une théorie des droits des animaux « abolitionniste », cet article entend montrer que, sous réserve du respect de certaines conditions, il n’est pas nécessairement condamnable sur le plan moral d’autoriser la perpétuation des animaux domestiques – en particulier des animaux de compagnie. Ainsi, (1) je tenterai de montrer que s’il est vrai, toutes choses égales par ailleurs, qu’il est moralement acceptable de mettre au monde des enfants sur la base d’un désir égoïste (parce qu’avoir des enfants enrichit nos vies), alors il l’est aussi de laisser venir au monde des animaux de compagnie pour une raison semblable. (2) Le fait d’avoir un enfant ou un animal de compagnie ne mobilisent pas nécessairement les mêmes enjeux éthiques. Je ferai valoir que malgré certaines contraintes, la vie des animaux de compagnie peut tout à fait être enviable. Enfin, (3) j’indiquerai en quoi le premier argument fournit des pistes pour penser le statut légal des animaux de compagnie.
Abstract
Because of the injustices domestic animals suffer today, some animal rights theorists claim that the relationship between humans and domestic animals is intrinsically unjust, and that therefore we should not allow domestic animals to breed. I try to show in this paper that, provided that some specific conditions are respected, it is possible to allow the perpetuation of domestic animals—especially pets—while being consistent with an “abolitionist” animal rights theory. Thus, (1) I will try to show that if, all other things being equal, it is morally acceptable to have a child based on a selfish desire (because having children enrich our lives), then it is morally acceptable to have a pet for the same reason. (2) Having a child does not lead to the same ethical issues as having a pet. I will show that, despite some constraints, a pet’s life can be perfectly enjoyable. Finally, (3) I will show how the first argument can help us to think about the legal status of pets.
Corps de l’article
Introduction
À l’origine, le processus de domestication des animaux a été un processus injuste. Et nul doute qu’aujourd’hui de nombreux animaux domestiques – qu’il s’agisse des animaux destinés à être mangés ou des animaux de compagnies – subissent de nombreuses injustices et violations de leurs droits (Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 73, 76-77; Francione, 2000, p. 77). Cet état de fait a mené certains partisans des droits des animaux à défendre l’idée selon laquelle la relation entre humains et animaux domestiques était intrinsèquement injuste et que, s’il fallait prendre soin des animaux domestiques qui existent actuellement, en revanche, il ne fallait pas permettre à ceux-ci de se reproduire, cela afin que les différentes espèces d’animaux domestiques s’éteignent progressivement – et avec elles, toute relation qui a pu s’établir entre animaux domestiques et humains (Bryant, 1990; Dunayer, 2004; Francione, 2007; 2000, p. 170; Hall, 2006; Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 77-82). Tout en s’inscrivant dans une théorie des droits des animaux dite « abolitionniste », cet article entend montrer que, sous réserve du respect de certaines conditions, il n’est pas nécessairement condamnable sur le plan moral d’autoriser la perpétuation des animaux domestiques. Sue Donaldson et Will Kymlicka ont présenté des arguments solides en faveur de la perpétuation de l’existence d’animaux domestiques (2011, chap. 2 et 3). Toutefois, pour certaines raisons que j’exposerai plus loin, ceux-ci ne sont pas entièrement satisfaisants. Ainsi, je compte proposer un argument qui n’entre pas en contradiction avec ceux des deux philosophes, mais qui, en les complétant, permet de renforcer l’idée qu’il n’y a rien qui soit, par principe, moralement condamnable dans le fait que soit perpétuée l’existence d’animaux domestiques.
En résumé, l’argument est le suivant : tout comme nous perdrions beaucoup à ne plus avoir de relations familiales (notamment filiales – ce par quoi j’entends de manière générale les relations entre parents et enfants), amicales ou amoureuses, nous perdrions beaucoup à voir s’éteindre les relations que nous entretenons avec certains animaux domestiques. Ici, je pense en premier lieu aux animaux de compagnie, et c’est exclusivement sur eux que je me concentrerai. Le problème apparent de cet argument est qu’il repose essentiellement sur un intérêt égoïste : la relation que j’entretiens avec certains animaux domestiques enrichit mon existence. La perte de cette relation serait une perte pour moi, mais pas pour les animaux domestiques qui n’ont pas vu le jour, dans la mesure où nous parlons alors de « non-êtres » qui ne peuvent pas avoir d’intérêts.
Je défendrai l’idée selon laquelle le fondement égoïste de cet argument n’est pas, en fait, moralement problématique. Et pour cause : que cela soit conscient ou non, un tel désir est souvent au coeur de la volonté de concevoir et d’élever des enfants. Or, sauf situation particulière, nous ne voyons là rien de moralement condamnable. Ainsi, (1) je tenterai de montrer que s’il est vrai, toutes choses égales par ailleurs, qu’il est moralement acceptable de mettre au monde des enfants sur la base d’un désir purement égoïste du type évoqué plus haut, alors il l’est aussi de laisser venir au monde des animaux de compagnie pour une raison semblable. (2) Le fait d’avoir un enfant ou un animal de compagnie ne mobilisent pas nécessairement les mêmes enjeux éthiques. Les partisans de l’extinction des animaux domestiques soutiennent notamment l’idée que si l’enfant, de par sa condition, subit un nombre important de contraintes et se trouve dans un état de dépendance proche de celui des animaux de compagnie, en revanche, il est voué à grandir et à s’émanciper de cet état, contrairement aux animaux de compagnie (Francione, 2007).
Je poserai d’une part que certaines contraintes s’exerçant sur les animaux de compagnie pendant toute leur vie, ainsi que la dépendance de ceux-ci à l’égard des humains en ce qui a trait à certaines activités, ne sont pas nécessairement problématiques d’un point de vue moral et ne signifient pas forcément qu’ils ne puissent mener des vies plaisantes et épanouies. En effet, pour autant que certaines conditions soient respectées, les contraintes que subissent les animaux de compagnie et la dépendance de ceux-ci vis-à-vis des humains ne sont pas si différentes des contraintes que subit tout être humain (enfant ou adulte) et de la dépendance dans laquelle chacun se trouve vis-à-vis d’autrui. Ces contraintes et divers états de dépendance ne suffisent pas à nous faire penser que notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue et que nous aurions tort de mettre au monde des enfants qui vivraient et subiraient à leur tour le même sort. Dès lors, on peut penser qu’il en va de même pour les animaux de compagnie.
D’autre part, j’expliquerai en quoi laisser se reproduire les animaux de compagnie implique des devoirs et responsabilités à l’égard de ceux-ci et de leur progéniture. Dans cette partie, je suggérerai un certain nombre de conditions à respecter pour que soit moralement acceptable le fait d’avoir des animaux de compagnie. Toutefois, à ce stade, les conditions en question ne constitueront qu’une ébauche, hypothétique et partielle. Le plus important ici ne concerne pas les conditions en tant que telles, qui mériteront sans doute d’être développées ultérieurement (notamment de manière pragmatique, grâce à l’expérience acquise au contact des animaux), remaniées, ou auxquelles devront s’ajouter d’autres conditions. Ce qui compte avant tout est l’idée qu’il est possible de déterminer des conditions permettant de rendre la perpétuation des animaux de compagnie acceptable. Les quelques exemples que je donnerai ne sont peut-être pas les plus pertinents, mais j’espère qu’ils suffiront à convaincre le lecteur qu’il est malgré tout possible d’imaginer des conditions qui s’accordent avec une théorie des droits abolitionniste. Enfin, (3) j’indiquerai en quoi l’argument présenté en (1) fournit des pistes pour penser le statut légal des animaux de compagnie et de ceux qui ont la charge de s’en occuper. Mais avant cela, je présente ce qu’il faut comprendre par « théorie des droits des animaux abolitionniste », ainsi que les arguments de Donaldson et Kymlicka en faveur de la perpétuation de l’existence d’animaux domestiques.
Droits des animaux
Par « théorie des droits des animaux », j’entends une théorie qui veut que tout animal ayant une « existence subjective – c’est-à-dire tout animal conscient ou qui est un être sensible – » possède des droits inviolables qui protègent ses intérêts les plus fondamentaux (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 19). Un être est dit « sensible » lorsqu’il peut faire l’expérience subjective du plaisir et de la douleur (Francione, 2000, pp. xxii-xxiii). Autrement dit, un être conscient/sensible est un être qui a une expérience subjective de ce qui lui arrive et du monde qui l’entoure et pour qui la vie peut aller plus ou moins bien.
Les droits fondamentaux des animaux sensibles sont les mêmes que les droits fondamentaux des êtres humains : toutes choses égales par ailleurs, ils incluent le droit de ne pas être tué, de ne pas être torturé, de ne pas être l’objet sans consentement d’expériences scientifiques, de ne pas être la propriété d’autrui et de ne pas être enfermé sans motif valable. Respecter ces droits fondamentaux impliquerait entre autres l’interdiction de manger des animaux, de les exploiter en vue de la production de produits tels que le lait ou les oeufs[1], de pratiquer la chasse; l’abolition de la commercialisation des animaux de compagnie, de l’expérimentation animale, des zoos (en tout cas tels qu’ils existent aujourd’hui) et de toute autre activité où les animaux sont détenus, dressés[2] ou tués, non en vue de réaliser l’intérêt de l’animal, mais uniquement celui de l’être humain (comme c’est le cas pour les animaux de cirque ou pour les animaux destinés à la corrida) (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 49).
En ce sens, une telle théorie des droits des animaux peut être décrite comme « abolitionniste », dans la mesure où elle vise l’abolition de toute forme d’exploitation des animaux sensibles (Jeangène Vilmer, 2011, p. 81).[3] Par « exploitation », il faut entendre ici le fait d’utiliser les animaux en vue exclusive des fins humaines, sans prendre en considération (ou en ne prenant pas en considération de façon suffisamment sérieuse) les intérêts des animaux. Enfin, la théorie des droits des animaux telle que je l’entends est individualiste, au sens où elle considère que les entités intrinsèquement dignes de considération morale sont uniquement les individus (sensibles), et non les entités collectives. Ainsi, seuls sont pris en considération ici les droits et intérêts des individus (humains et non humains), non ceux des entités collectives que peuvent être les espèces ou les écosystèmes (pour autant que de telles entités puissent avoir des intérêts ou des droits). De ce fait, aucun des arguments qui seront présentés dans cet article ne reposera sur l’idée que nous avons des obligations envers les espèces animales et que la perpétuation des animaux de compagnie est moralement acceptable dans la mesure où elle permet d’assurer la survie de certaines espèces. Si nous avons des obligations, ce n’est pas à l’égard des espèces, mais des individus qui les constituent. C’est donc le sort des individus qui dicte le droit que nous avons ou non de laisser se perpétuer l’existence d’animaux domestiques (en particulier de compagnie), non celui de l’espèce en tant qu’entité collective.
Animaux domestiques
Un animal domestique est le fruit de l’élevage sélectif d’une espèce opéré par l’être humain afin d’en modifier la « nature » de façon à ce qu’elle serve les buts et objectifs humains (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 271). En ce sens, les animaux sauvages capturés qui sont ensuite domptés, simplement détenus dans des zoos ou gardés comme animaux de compagnie ne sont pas considérés comme des animaux domestiques (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 271). Une des caractéristiques des animaux domestiques est que ceux-ci sont l’objet – ou doivent être l’objet pour survivre – d’attention et de soins constants de la part des humains, et sont adaptés à une telle attention et à de tels soins (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 75). Dans cet article, je ne me préoccuperai que d’un certain type d’animaux domestiques : les animaux de compagnie que sont, par exemple, les chiens et les chats. N’entreront pas en considération les animaux utilisés comme animaux de compagnie, mais qui ne sont pas des animaux domestiques, tels que les animaux sauvages capturés ou qui ne sont pas issus d’un élevage sélectif. Comme exprimé précédemment, si l’on se place dans l’optique d’une théorie des droits des animaux, il ne fait aucun doute que le processus qui mène à la domestication a constitué – et constitue encore aujourd’hui – une injustice (Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 73, 76-77). Toutefois, cela signifie-t-il, comme le prétendent certains avocats des droits des animaux (Bryant, 1990; Dunayer, 2004; Francione, 2007; 2000, p. 170; Hall, 2006), que toute forme de relation entre humains et animaux domestiques (en particulier de compagnie) et que le fait d’autoriser la perpétuation de tels animaux sont, par principe, nécessairement injustes?
Donaldson et Kymlicka ne le pensent pas (2011, chap. 2 et 3). Ceux-ci se basent essentiellement sur l’idée selon laquelle, d’une part, les animaux domestiques peuvent avoir une vie tout à fait enviable et, d’autre part, qu’ils possèdent, toutes choses égales par ailleurs, le droit d’avoir des relations sexuelles, de se reproduire et d’« élever une famille » (droits que j’inclus par la suite sous le terme générique de « droit à la reproduction »). Comme les deux auteurs le suggèrent, de même que le remède à l’injustice qu’ont subie les esclaves africains emmenés de force en Amérique n’est pas de viser l’extinction de leurs descendants ni leur rapatriement en Afrique, le remède à l’injustice historique qu’a été le processus de domestication n’est pas d’empêcher les animaux domestiques de se reproduire, ni de les « ramener à la nature » – pour autant que cela soit possible (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 79). Pour Donaldson et Kymlicka, au contraire, la meilleure façon de résoudre cette injustice est d’intégrer pleinement les animaux domestiques dans notre communauté – qu’ils deviennent des citoyens à part entière.
Sans entrer dans la question de l’attribution du statut de citoyen aux animaux domestiques, les arguments de Donaldson et Kymlicka ne sont, en l’état, pas totalement satisfaisants – en particulier celui qui repose sur le droit à la reproduction. En effet, eux-mêmes ne semblent pas juger le droit des animaux à la reproduction aussi fort qu’il n’y paraît au premier abord – en tout cas dans le contexte qui est le nôtre (Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 144-149). En effet, dans le contexte actuel où, selon les deux philosophes, les êtres humains ont profondément bouleversé les mécanismes naturels de contrôle de la reproduction des animaux domestiques, un contrôle strict de la part des humains semble devoir s’appliquer aux animaux domestiques et leur droit à la reproduction rigoureusement limité, en raison notamment du risque de « surpopulation » d’animaux domestiques et du coût, aussi bien écologique que social, que cela engendre. Ainsi, Donaldson et Kymlicka acceptent, par exemple, la possibilité de laisser certaines femelles s’accoupler et élever une famille au moins une fois dans leur vie, quitte à les stériliser ensuite ou à contrôler leur reproduction d’une manière ou d’une autre (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 147).
Ainsi, pour les deux philosophes, si le droit à la reproduction est bien, si ce n’est un droit fondamental, du moins un droit important, dans le contexte actuel, il est voué à être sévèrement restreint, notamment à cause du risque de « surpopulation » des animaux domestiques évoqué plus haut. La plupart des philosophes estiment aujourd’hui qu’aucun droit n’est absolu. Par exemple, un droit aussi fondamental que celui de ne pas être tué peut perdre sa force normative dans une situation de légitime défense. Concernant les animaux domestiques, la situation serait telle que nous aurions la permission, sous certaines conditions qui restent à définir, d’aller de manière régulière, voire quasi systématique, à l’encontre de leur droit de se reproduire.
Dans ces conditions, le droit à la reproduction semble être une base encore trop fragile pour justifier la perpétuation des animaux domestiques, la raison principale étant que ce droit semble, en tout cas dans le contexte actuel, beaucoup trop sujet à de multiples atteintes (considérées comme moralement acceptables). De ce fait, même si les arguments de Donaldson et Kymlicka en faveur de la perpétuation des animaux domestiques constituent sans nul doute un premier pas important, ceux-ci ne sont pas à mon sens décisifs. C’est pourquoi je proposerai à présent un argument en faveur de la perpétuation des animaux de compagnie qui ne va pas à l’encontre des arguments de Donaldson et Kymlicka, mais qui au contraire, permet de compléter et renforcer l’éventail argumentatif qu’ils ont initié. Ainsi, même s’il est possible de défendre un respect plus intransigeant et moins sensible au contexte du droit de reproduction des animaux domestiques (en particulier de compagnie) que ne le font Donaldson et Kymlicka, cela n’est pas un problème pour l’argument que je présenterai. Au contraire, cela ne fera que renforcer un peu plus l’idée qu’il n’est pas nécessairement condamnable d’avoir des animaux de compagnie et de laisser se perpétuer leur existence (aussi bien celle de ceux qui vivent actuellement que celle de leur descendance).
Il est important de préciser que je ne prétends pas fournir un argument suffisant à lui seul pour justifier la perpétuation des animaux de compagnie. Par contre, je pense qu’il peut faire partie d’un « faisceau » d’arguments (dont font partie ceux proposés par Donaldson et Kymlicka) qui, ensemble, permettent in fine de justifier, sous certaines conditions, la perpétuation de la relation entre humains et animaux de compagnie.
Le droit d’avoir des enfants…
Mon argument principal repose sur trois intuitions.[4] La première est que bien souvent, la volonté d’avoir un enfant résulte d’un désir profondément égoïste – dans le sens où ce désir vise à réaliser un intérêt personnel, que la réalisation de ce désir se fasse au détriment de l’intérêt d’autrui ou non (en ce sens, réaliser un désir ou un intérêt égoïste n’est pas nécessairement condamnable sur le plan moral). De nombreuses personnes veulent concevoir et élever un enfant dans la mesure où cela enrichira leur vie et où il est estimé que les relations filiales sont particulièrement précieuses (bien que ce ne soit pas la seule raison égoïste qu’on puisse évoquer pour avoir un enfant (Wolf, 2001, pp. 367-369), dorénavant, lorsque je parlerai de fondement, de désir ou d’intérêt égoïste à avoir un enfant, je ferai exclusivement référence à cette raison-là). Dans cette optique, on ne fait pas un enfant pour le bien et l’intérêt de l’enfant, puisque lorsque l’on prend cette décision, il n’existe pas et n’a donc pas d’intérêt à naître. De ce fait, si celui-ci ne venait jamais à la vie, aucun de ses intérêts ne serait bafoué. Pour le dire autrement, le fait de ne jamais avoir d’enfant pourra être vécu comme une perte ou un manque pour l’adulte qui désire en avoir un, mais pas pour le « non-être » qu’est l’« enfant » désiré, qui ne viendra jamais au monde.[5] Ainsi, la décision d’avoir un enfant est souvent une décision égoïste.[6]
Bien entendu, il se peut que d’autres raisons motivent la décision de mettre au monde un enfant, telles que la pression sociale ou la culture dans laquelle nous évoluons – et cette décision peut également être le fruit d’un ensemble de raisons différentes. De plus, certaines personnes pensent peut-être – de manière erronée, mais sincère – faire un enfant dans l’intérêt de celui-ci, ou ne s’avouent pas leur égoïsme, ou ne sont pas conscientes du fait que ce qui motive avant tout leur décision est un désir égoïste.
Quoi qu’il en soit de ces cas – c’est la seconde intuition sur laquelle repose mon argument –, nous ne voyons généralement rien de condamnable dans le fait de vouloir un enfant sur la base d’un désir égoïste. Il y a certainement des situations particulières dans lesquelles nous estimons moralement condamnable de concevoir un enfant, mais celles-ci ne sont pas les plus courantes, ni forcément plus tragiques que d’autres situations où il est bien accepté d’avoir des enfants. Ainsi, de nombreuses personnes – si ce n’est la plupart – ne condamneront pas le fait qu’un enfant ait été conçu en temps de guerre. Au contraire, la conception et la venue d’un enfant dans ce genre de situation pourront être vécues – même par ceux qui ne sont pas les parents de l’enfant ou qui ne sont pas liés d’une manière ou d’une autre aux parents – comme un évènement particulièrement heureux qui n’est en rien condamnable, même si la vie du nouveau-né ne s’annonce pas des plus faciles. De même, si certains individus condamnent le fait que des personnes vivant dans des situations précaires, voire de misère avancée, aient un nombre important d’enfants, cela ne signifie pas qu’ils condamnent le fait que ces personnes en aient un ou deux, même si, à nouveau, la vie de ces enfants s’annonce ardue.
Je soutiens non seulement que de nombreuses personnes ont l’intuition qu’il n’est pas moralement condamnable, même dans des situations particulièrement difficiles telles que la guerre ou la pauvreté, de mettre au monde un enfant sur la base d’un désir égoïste, mais de plus, que cette intuition est vraie d’un point de vue moral, et j’espère que le lecteur partagera cet avis. Néanmoins, s’il se trouve en désaccord, la seule chose que je lui demande est de supposer que cette intuition est vraie. En effet, ce que je souhaite faire dans la suite de cet article n’est pas de démontrer la véracité des deux intuitions que je viens de présenter, mais de démontrer que s’il est vrai, toutes choses égales par ailleurs, qu’il est moralement acceptable de mettre au monde des enfants sur la base d’un désir purement égoïste, alors il l’est aussi de laisser venir au monde des animaux de compagnie pour une raison semblable.
Je tiens à préciser que la seconde intuition n’a pas besoin d’être aussi forte que celle que je viens de présenter pour que mon argument fonctionne. En effet, on pourrait très bien avoir l’intuition, par exemple, que seuls des parents suffisamment riches, intelligents et vivant dans un pays en paix peuvent concevoir un enfant. Le fait que les conditions exprimées par cette intuition soient plus restrictives que celle que je soutiens n’empêche pas que, s’il est vrai qu’il est moralement acceptable de mettre au monde des enfants sur la base d’un désir purement égoïste, sous réserveque les parents soientsuffisamment riches, intelligents et qu’ils vivent dans un pays en paix, alors il est moralement acceptable de laisser venir au monde des animaux de compagnie dans des conditions et pour une raison semblables.
… et un animal de compagnie
Je suis parti de l’intuition selon laquelle de nombreuses personnes désirent avoir un enfant dans la mesure où les relations filiales sont vues comme particulièrement précieuses et enrichissantes. La troisième intuition qui guide mon propos est que plusieurs personnes ont des animaux de compagnie parce que leur relation avec eux peut aussi être précieuse et irremplaçable. Il ne s’agit pas de dire que la relation avec un animal de compagnie équivaut à une relation filiale, mais qu’elle revêt tout de même une grande importance pour un grand nombre de personnes, et que de ne plus entretenir de telles relations serait vécu par ces personnes comme une perte appauvrissant beaucoup leur vie. Certains ont des contacts directs et constants avec des animaux de compagnie, d’autres plus distants et occasionnels, mais j’ai la ferme conviction que, de manière générale, la disparition de toute présence animale dans nos sociétés, autre que celles furtives d’un écureuil aperçu dans un arbre ou de moineaux guettant les miettes de nos repas, appauvrirait nos vies. J’ai du mal à imaginer une vie sans animaux ou dans laquelle, si certains étaient physiquement proches de nous, il serait impossible – ou considéré comme moralement condamnable – d’entretenir une quelconque relation avec eux.
Or, s’il est moralement acceptable d’avoir des enfants dans une optique égoïste telle qu’évoquée précédemment, pourquoi cela serait-il moralement condamnable en ce qui concerne les animaux de compagnie? Comme l’ont bien montré Donaldson et Kymlicka, le fait que le processus de domestication ait été un processus historiquement injuste ne signifie pas que toute relation avec les individus qui sont le fruit de cette injustice soit nécessairement injuste. Par analogie, ce n’est pas parce que la venue d’esclaves en Amérique est le fruit d’une grave injustice que la relation entre un Américain blanc et un Américain noir descendant d’esclave est nécessairement injuste. Pourquoi, dès lors, cela serait-il différent avec les animaux domestiques?
On peut considérer que tout processus de domestication, et pas seulement le processus historique particulier que notre monde a connu, implique nécessairement la violation d’un certain nombre de droits fondamentaux, et constitue donc nécessairement une injustice envers les animaux – c’est d’ailleurs la position que je soutiens. Cependant, cela signifie uniquement qu’aujourd’hui nous n’avons plus le droit de domestiquer de nouvelles espèces animales, non que la relation que nous entretenons avec les individus provenant d’espèces déjà domestiquées est nécessairement injuste. Les partisans de l’extinction des espèces domestiques (que je nommerai par la suite « extinctionnistes ») doivent donc proposer d’autres arguments que ceux évoqués plus haut pour justifier leur position. Ils doivent notamment démontrer que les relations entre animaux domestiques et humains sont, au contraire des relations filiales, intrinsèquement injustes ou que l’existence d’un animal domestique (en particulier de compagnie) implique nécessairement une situation injuste.
Dans la section suivante, je soutiendrai que, sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions strictes, la vie de certains animaux de compagnie ne constitue pas nécessairement une injustice et peut même être tout à fait enviable. Puis je montrerai en quoi l’analogie de la relation entre parents et enfants fournit des pistes pour penser le statut légal des animaux de compagnie et de ceux qui ont la charge de s’en occuper.
Vie parfaite, contraintes et dépendance
Je pars du principe que nous avons les moyens aujourd’hui de nourrir nos animaux de compagnie de manière éthique, c’est-à-dire en ne violant pas les droits fondamentaux d’autres animaux, tout en permettant à nos animaux de compagnie de vivre en bonne santé.[7] Cela étant dit, l’un des arguments principaux que font valoir les extinctionnistes est que, contrairement à ce que soutiennent Donaldson et Kymlicka, les animaux de compagnie n’ont pas (et ne pourront jamais avoir) une vie enviable, notamment parce que celle-ci est avant tout faite de contraintes et marquée du sceau de la dépendance – par exemple quant au moment de manger, de sortir, de jouer, etc. Si les premières années de vie des enfants sont elles aussi marquées par la contrainte et la dépendance, en revanche, les enfants s’émanciperont d’une telle situation, contrairement aux animaux de compagnie (Francione, 2007).
Au premier abord, les extinctionnistes peuvent donner l’impression qu’ils jugent la vie des animaux de compagnie peu enviable dans la mesure où celle-ci est loin d’être « parfaite ». Or, ils appliquent là un critère beaucoup trop exigeant pour autoriser l’existence d’animaux domestiques. En effet, personne n’exige qu’il faille être capable d’offrir une vie parfaite à ses enfants pour avoir le droit d’en avoir – en tout cas, c’est une des intuitions que je soutiens. Et d’ailleurs, je crains fort que personne – enfant ou adulte – n’ait de vie « parfaite ». Nous sommes tous confrontés à la tristesse, à la souffrance, à la frustration, à la déception, etc., mais cela n’est pas un argument en soi pour dire que notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
Par « vie qui vaut ou non d’être vécue », je pense ici essentiellement en terme de seuil : il y a un seuil en dessous duquel la vie ne vaut pas la peine d’être vécue et au-dessus duquel elle vaut certainement la peine de l’être. Sans entrer dans les détails, je considère qu’en ce qui concerne les animaux de compagnie, le seuil doit être élevé. La vie ne doit pas « tout juste » valoir la peine d’être vécue, mais doit potentiellement permettre d’atteindre un niveau élevé de bien-être et d’épanouissement. Par « vie qui vaut la peine d’être vécue » (que j’en parle à propos des animaux humains ou non humains), j’entendrai donc une vie qui permet potentiellement d’atteindre un niveau élevé de bien-être et d’épanouissement.
Il y a sans doute des vies qui ne valent pas la peine d’être vécues. Et il est clair que ce n’est pas parce que nous avons été ou serons tous confrontés un jour ou l’autre à la souffrance, (1) qu’il ne faut pas, de manière générale, chercher à réduire celle-ci tant que possible et, (2) qu’il n’y a pas certaines souffrances qui sont le fruit d’injustices qu’il faut fermement condamner et chercher à combattre. Les souffrances auxquelles je fais référence plus haut sont donc des souffrances réelles, mais qui, (1) ne constituent pas une injustice et, (2) ne remettent pas en cause le fait que notre vie – ou celle de nos enfants – vaille la peine d’être vécue. Par exemple, même si je ne souhaite pas à ma fille de connaître des chagrins d’amour, j’ai de bonnes raisons de penser qu’elle en connaîtra un jour. Toutefois, cela ne constitue pas un argument contre le droit que j’ai eu de mettre ma fille au monde. Il en est de même des animaux de compagnie. Ceux-ci ont fait ou feront un jour ou l’autre l’expérience de la tristesse, de l’ennui, de la peur, de la frustration, etc., mais cela ne suffit pas en tant que tel à souhaiter qu’ils ne vivent pas.
Cette première réponse repose sur une interprétation très peu charitable – voire de mauvaise foi – des arguments extinctionnistes. Je la mentionne néanmoins, car la réponse que je ferai à l’interprétation plus charitable – et plus correcte – de la position extinctionniste repose en partie sur la même base argumentative. Cette seconde interprétation est la suivante : l’idée n’est pas que la vie des animaux de compagnie n’est pas parfaite, mais que celle-ci est (nécessairement) une succession de contraintes, soit injustes – dans le sens où elles violent certains droits fondamentaux –, soit qui peuvent faire penser que la vie de ces animaux ne vaut pas la peine d’être vécue, soit les deux à la fois.
Il est inutile de nier qu’actuellement, de nombreuses contraintes exercées sur les animaux de compagnie sont injustes (Francione, 2000, pp. 76-79; Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 76-77). Toutefois, cela ne signifie pas qu’il est impossible d’envisager la vie de certains animaux de compagnie sans ces contraintes injustes. Certes, même en imaginant que toutes les contraintes injustes aient disparu, toute contrainte ne serait pas dissipée pour autant. Toutefois, sous certaines conditions (et si ces conditions étaient aussi respectées que certains principes de justice liés aux êtres humains), les contraintes restantes exercées sur certains animaux de compagnie ne seraient pas nécessairement telles qu’on doive souhaiter l’extinction de l’ensemble des animaux de compagnie. Pour être valables, les conditions en question devraient permettre d’assurer au mieux la possibilité pour les animaux de compagnie de s’épanouir au sein de leurs relations avec les êtres humains.
Outre la fin de la commercialisation des animaux de compagnie et des injustices qui l’accompagnent, on pourrait exiger que seuls certains individus issus d’espèces bien particulières puissent être des animaux de compagnie. Par exemple, on pourrait peut-être estimer qu’en ce qui concerne les oiseaux, les rongeurs, les reptiles (pour autant qu’il y ait certains reptiles qui puissent être considérés comme des animaux domestiques), la condition d’animal de compagnie implique de telles contraintes que celles-ci rendent leur vie très peu enviable. Dans ce cas, à choisir entre laisser se perpétuer leur espèce – et laisser quantité d’individus vivre des vies misérables –, ou la laisser s’éteindre, l’extinction est sans doute préférable. Je cite ces animaux en référence notamment aux conditions de détention qui sont généralement les leurs (cages grillagées ou en verres souvent exiguës) et qu’il paraît difficile d’améliorer, à moins d’avoir beaucoup d’argent et un espace énorme à disposition.
À l’inverse, on peut penser que les individus issus de certaines espèces d’animaux peuvent vivre des vies d’animaux de compagnie tout à fait confortables et plaisantes. Je pense ici essentiellement aux chats et aux chiens. Toutefois, là encore, cela ne signifie pas qu’il ne faudrait pas respecter certaines conditions importantes. Par exemple, il pourrait être prohibé d’avoir des chats d’appartement – c’est-à-dire qui n’ont pas la possibilité de sortir autre part que sur le balcon (pour autant que l’on en possède un).[8] Peut-être même que tout chat devrait pouvoir bénéficier d’une chatière afin de sortir quand il le souhaite.[9] Peut-être que les chiens devraient pouvoir socialiser plusieurs fois par semaine avec leurs congénères dans des endroits dédiés à cela, tout comme on emmène nos enfants au parc ou à l’école.[10] Enfin, si certains chats et chiens peuvent avoir des vies enviables en tant qu’animaux de compagnie, il est bien possible que ce ne soit pas le cas de tous les chiens et chats. Ainsi, certaines races sont telles que les individus lui appartenant vont nécessairement – ou selon une très grande probabilité – souffrir de « tares » qui affecteront leur qualité de vie de manière dramatique.[11] Dans ce cas, on peut juger préférable que ces races s’éteignent plutôt qu’elles se perpétuent. On peut même estimer que, de manière générale, la pratique qui consiste à laisser se perpétuer l’existence de races devrait s’éteindre de façon à ce qu’il n’existe plus de races à proprement parler. En attendant, tous les animaux de compagnie ne sont pas des animaux de race (ou si c’est le cas, tous ne font pas partie de races victimes de tares) et ne sont pas sujets aux maux que rencontrent ces derniers. On peut dès lors estimer que bon nombre de chiens et de chats mènent ou peuvent mener une vie qui n’est pas vouée à être déplaisante.
Je n’ai fait qu’esquisser certaines conditions que l’on devrait respecter pour conserver le droit d’avoir des animaux de compagnie. Il est bien sûr possible d’en imaginer d’autres ou d’en réfuter certaines, suggérées à ce stade uniquement à titre hypothétique. Néanmoins, quelles que soient les conditions retenues, celles-ci n’empêcheront pas qu’un certain nombre de contraintes s’appliqueront toujours aux animaux de compagnie. Elles n’empêcheront pas non plus le fait que ceux-ci vivront toujours dans un relatif état de dépendance vis-à-vis des personnes qui s’occupent d’eux.
Toutefois, ces contraintes et cet état de dépendance sont-ils tels qu’il faille désirer l’extinction des animaux de compagnie? Après tout – et c’est là que mon argument rejoint celui fait en réponse à la version non charitable des arguments extinctionnistes –, les enfants aussi bien que les adultes subissent un certain nombre de contraintes et dépendent d’autrui pour un grand nombre de choses. Est-ce une raison suffisante pour estimer que notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue et qu’il faut cesser d’enfanter? Certainement pas. Les animaux sont dépendants quant à leur accès à la nourriture? Ceux qui vivent confortablement dans des pays développés ont tendance à l’oublier, mais la plupart des individus n’étant pas agriculteurs, ils dépendent de ces derniers ainsi que du système économique et politique dans lequel ils vivent pour se nourrir (preuve en est des famines qui touchent certaines parties du globe et qui ne sont pas liées à des catastrophes naturelles, mais à la répartition des ressources existantes). Les animaux subissent certaines contraintes? La plupart des individus adultes ont (parmi bien d’autres contraintes) celle de devoir travailler cinq jours sur sept, en moyenne huit heures par jour pour se payer à manger, de quoi se vêtir, se loger et s’offrir quelques loisirs. Certains partisans des droits des animaux défendent même l’idée qu’une contrainte aussi importante que celle de travailler ne devrait pas être imposée à l’animal domestique (sur la question du travail des animaux domestiques, voir Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 139-142). Les animaux de compagnie sont dépendants d’autrui pour jouer? Si je peux pratiquer certains loisirs seul, bon nombre d’entre eux requièrent la présence et la volonté d’autres personnes de passer du temps avec moi. Ainsi, le passionné de tennis ne trouve pas toujours un partenaire pour jouer avec lui, et mes amis ne sont pas toujours disponibles pour aller boire une bière quand j’en ai envie. De plus, il s’agit de ne pas exagérer la dépendance liée au jeu dont seraient victimes les animaux de compagnie. En effet, si ceux-ci apprécient précisément la compagnie d’autrui, ils sont aussi capables de s’occuper seuls, pour autant qu’on aménage leur lieu de vie principal de manière adéquate. Néanmoins, face au risque de solitude, on pourrait par exemple envisager l’idée qu’une personne qui décide d’avoir un animal de compagnie doive, dans la mesure du possible, en avoir au moins deux (sous réserve de disposer de l’espace nécessaire).
Bref, à certains problèmes actuels que rencontrent les animaux de compagnie, il semble qu’on puisse trouver avec un peu d’imagination et de bonne volonté des solutions autres que l’extinction. De plus, il semble qu’un grand nombre de contraintes et d’états particuliers de dépendance auxquels on peut penser à leur égard s’appliquent pareillement aux êtres humains. Or, les contraintes auxquelles tout être humain est confronté quotidiennement et les états de dépendance dans lesquels il se trouve constamment ne suffisent pas à nous faire penser que nos vies ne valent pas la peine d’être vécues. Et même si nous savons pertinemment que nos enfants seront confrontés aux mêmes contraintes et aux mêmes situations de dépendance, cela ne suffit pas à nous faire penser que leur vie ne vaudra pas la peine d’être vécue et que nous aurions tort de leur donner la vie. Dès lors, en quoi cela serait-il différent en ce qui concerne les animaux de compagnie?
Une première réponse possible est que si nous sommes tous dépendants d’autrui pour un grand nombre de choses (parfois fondamentales), nous ne le sommes pas tous au même degré. En effet, certaines personnes sont dépendantes d’autrui pour plus d’actes particuliers que d’autres (ou pour des actes plus cruciaux que d’autres quant au bien-être et à l’épanouissement personnel). Par exemple, je dépends de l’État et de la façon dont il entretient les canalisations d’eau pour pouvoir prendre une douche tous les matins, mais quand tout fonctionne bien, je peux me doucher seul, sans aide, ce qui n’est pas le cas de certaines personnes handicapées. De même, si nous avons tous des contraintes, certains individus en ont plus que d’autres.
Sans pouvoir examiner chaque contrainte qui s’exerce sur les animaux de compagnie ou chaque acte particulier que ceux-ci réalisent ou qu’ils devraient pouvoir réaliser, j’espère avoir montré qu’en ce qui concerne certains actes importants, la dépendance des animaux de compagnie n’est pas différente de celle dans laquelle se trouve tout être humain (même si la dépendance en question ne prend pas exactement la même forme). De même, si les animaux de compagnie ont peut-être des contraintes que nous n’avons pas, nous en avons aussi qu’ils n’ont pas (ou qu’ils ne devraient pas avoir selon certains auteurs – ou pas au même degré que nous –, comme celle de devoir travailler).
Les extinctionnistes doivent dès lors démontrer, non seulement que les animaux de compagnie sont plus dépendants que nous pour la réalisation d’un certain nombre d’actes importants (ou subissent plus de contraintes que nous), mais de plus, que cette dépendance ou ces contraintes supplémentaires font que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Après tout, si les animaux de compagnie se révélaient être un peuplus dépendants que nous en ce qui concerne des actes non fondamentaux (ou se révélaient subir quelques contraintes supplémentaires, mais mineures), cela ne constituerait pas un argument pour dire que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
Une seconde réponse possible est que les animaux sont dépendants de manière plus « spécifique » que les êtres humains, au sens où ces derniers dépendent de manière générale d’« autrui » (les agriculteurs) et d’un système global de production et de distribution de la nourriture pour pouvoir se nourrir, alors que les animaux de compagnie sont spécifiquement dépendants d’un individu X pour obtenir à manger – si X ne nourrit pas son animal de compagnie, personne d’autre ne le fera, et l’animal en question mourra de faim.[12]
Premièrement, on peut se demander si certains êtres humains (voire la plupart) ne se trouvent pas, eux aussi, dans une position de dépendance « spécifique » concernant certains aspects importants de leur vie. Deuxièmement, on peut se demander si se trouver dans un tel état de dépendance est nécessairement problématique sur le plan moral. En ce qui concerne le premier point, il semble bien, par exemple, que de nombreux individus dépendent spécifiquement de l’État pour obtenir une aide financière et vivre (plus ou moins) dignement lorsqu’ils sont au chômage, pour avoir accès dans un délai raisonnable à des soins de qualité lorsqu’ils sont malades, etc. La dépendance évoquée ici est liée à une institution, non à un individu. Néanmoins, elle n’en est pas moins une dépendance spécifique telle qu’évoquée plus haut : si l’État X n’assure pas les services mentionnés, certains individus ne pourront se reposer sur personne d’autre pour affronter la situation dans laquelle ils se trouvent.
Cette dépendance spécifique est-elle moralement problématique? À moins d’avoir des convictions libertariennes, la réponse est non. Le rôle de l’État-providence est précisément d’assurer potentiellement à tous ses citoyens certains services qui, si l’État n’existait pas, ne seraient assurés par personne d’autre (ou ne le seraient pas de manière aussi efficace et étendue). Certes, de ce fait, bon nombre d’individus se trouvent dans une position de dépendance spécifique vis-à-vis l’État. Mais, sans lui, leur situation serait bien plus précaire, voire dramatique. En ce qui concerne les animaux de compagnie et l’exemple de la nourriture, ceux-ci dépendent effectivement de certains individus particuliers pour avoir à manger. Dans le même temps, ils ne seraient pas nécessairement mieux lotis s’ils se trouvaient livrés à eux-mêmes dans une société humaine, ou s’ils se retrouvaient livrés à eux-mêmes dans la nature.[13]
On peut estimer qu’une vie dans ces conditions est problématique en soi (aussi bien en ce qui concerne les animaux de compagnie que les êtres humains) : que l’on soit dans une situation précaire, voire dramatique, lorsque nous sommes livrés à nous-mêmes, ou que l’on soit dépendant de la bonne volonté d’une entité spécifique (qu’il s’agisse d’un individu ou d’une institution) pour qu’elle ne le soit pas, dans tous les cas, nous sommes bien loin de la vie idéale que chacun devrait pouvoir mener. C’est peut-être vrai, mais nous sommes nombreux à vivre dans de telles conditions, sans pour autant penser que notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue, et sans penser que nous ne devrions pas mettre au monde des enfants qui seront confrontés à une vie semblable. Dès lors, il devrait en être ainsi pour les animaux de compagnie.
Le fait que les individus humains puissent, pour certains d’entre eux, négocier et contester leurs contraintes ou leur état de dépendance davantage que les animaux de compagnie ne constitue pas non plus en tant que tel un argument en faveur de l’extinction des animaux de compagnie.[14] Cela implique simplement l’obligation de mettre en place un certain nombre de garde-fous (notamment institutionnels) relativement stricts afin de protéger au mieux les animaux de compagnie des contraintes ou des états de dépendance injustes auxquels ils pourraient faire face.
Liberté de mouvement
Il y a néanmoins une contrainte que subissent (et que devront sans doute toujours subir) certains animaux de compagnie, qui est au premier abord plus problématique que d’autres : la restriction de la liberté de mouvement. En effet, certains animaux de compagnie tels que les chiens ne peuvent pas, en général, se mouvoir en toute liberté.[15] Comme mentionné plus haut, on pourrait exiger que les personnes qui s’occupent de chiens aient l’obligation, non seulement de sortir leurs compagnons plusieurs fois par jour (notamment dans des lieux où ils peuvent évoluer sans laisse), mais également de les amener de manière régulière (notamment à leur demande) dans des lieux où ils peuvent s’amuser librement avec leurs congénères.[16]
Dans ces conditions, on peut sans doute estimer que la restriction de la liberté de mouvement ne constitue pas une contrainte telle que la vie d’un chien ne vaille pas la peine d’être vécue. Ce genre de vie n’aurait rien à voir avec celle des animaux de cirque, par exemple, entièrement réglée (déplacement, détention, dressage) en vue de réaliser certaines fins humaines. Dans le cas des animaux de compagnie, et même de ceux qui subissent des restrictions quant à leur liberté de mouvement, ceux-ci ont, ou en tout cas devraient avoir, des espaces de liberté et de détente, et la possibilité de vivre leur vie en partie comme ils l’entendent (tout comme nous pouvons mener notre vie uniquement en partie comme nous l’entendons).
Il est bien sûr extrêmement difficile, voire impossible de savoir avec certitude ce qui constituerait une vie qui vaut la peine d’être vécue pour un animal de compagnie. Ainsi, la restriction de la liberté de mouvement, même dans les conditions esquissées plus haut, est-elle fatale à une vie de chien épanouie? Certes, les chiens ne peuvent se mouvoir en toute liberté. Et on peut supposer que pour des raisons de sécurité (le chien peut en effet constituer un risque non négligeable pour autrui), il est pertinent de ne pas leur permettre de se mouvoir de façon totalement libre au sein des sociétés humaines.[17] Mais toute vie en société implique des contraintes. La question dès lors est de savoir si les bénéfices d’une vie en société l’emportent sur les contraintes inhérentes à celle-ci. En l’occurrence, la vie en société humaine a un certain nombre d’avantages pour les chiens. Ceux qui vivent en son sein ont (ou du moins devraient avoir) le gîte, le couvert (car s’ils sont dépendants d’autrui pour avoir à manger, ils sont en même temps plus sûrs d’avoir à manger lorsqu’ils vivent avec des êtres humains qu’en vivant dans la nature), sont (ou devraient être) soignés à l’aide parfois de techniques de pointe, sont protégés d’un grand nombre de risques mortels que tout animal sauvage encourt dans la nature, et enfin, profitent (ou devraient profiter) de la compagnie d’autrui dont ils semblent raffoler, qu’il s’agisse d’êtres humains ou d’autres animaux. Dès lors, ces avantages à vivre dans une société humaine valent-il la restriction de leur liberté de mouvement?
Nombreux sont les êtres humains qui, à choisir, opteraient sans hésiter pour la liberté de mouvement, quitte à abandonner la sécurité, le confort et les possibilités de loisir qu’offre la vie en société. Mais qu’en est-il d’un chien? La question se pose d’autant plus lorsque l’on sait que celui-ci est le fruit de multiples sélections qui ont créé des êtres en bonne partie adaptés au mode de vie inhérent à la vie en société humaine – adaptés aussi bien aux avantages qu’aux inconvénients d’une telle vie, dont la restriction de la liberté de mouvement fait partie. En l’état actuel de nos connaissances, je doute que l’on puisse trancher la question. Mais l’on est en droit de douter du fait que la restriction de la liberté de mouvement de certains animaux de compagnie – sous certaines conditions qu’il resterait à établir avec plus de précision – constitue nécessairement un désagrément fatal à une vie plaisante. Pour savoir ce qu’il en est, ou du moins s’approcher de ce qui doit être vrai, il faut davantage récolter de données empiriques – travail qui n’est pas celui du philosophe, mais de l’éthologue – et, sur la base de ces nouvelles connaissances, développer de nouveaux arguments. Mais, dans ce débat, les partisans de la perpétuation des animaux de compagnie ne partent pas battus d’avance.
Deux autres arguments pourraient toutefois être avancés à ce sujet par les extinctionnistes. Le premier est le suivant : dans la mesure où nous manquons aujourd’hui de connaissances quant aux conséquences de la restriction de la liberté de mouvement sur les chiens, le doute ne devrait-il pas profiter au chien? En l’occurrence, étant donné l’importance que revêt à nos yeux d’êtres humains la liberté de mouvement, ne devrions-nous pas partir du principe qu’il en est de même pour les chiens jusqu’à preuve du contraire? L’argument du doute est souvent utilisé lorsqu’il est question de manger les animaux. Celui-ci peut être présenté de la façon suivante :
imaginons que j’ai très envie de faire l’acte X. L’acte en question n’est pas indispensable pour ma survie ou mon bien-être général, même s’il m’apportera un peu de plaisir supplémentaire. Toutefois, il est possible que cet acte nuise de façon grave à un autre être humain. Nous serons tous d’accord pour dire que, dans la mesure où cet acte n’est pas nécessaire et qu’il est possible qu’il nuise de façon grave à un autre individu, je dois m’abstenir de commettre un tel acte. De la même façon, même si je n’en suis pas absolument certain, il y a de fortes chances pour que me nourrir par exemple de poissons […] nuise de façon grave – c’est le moins que l’on puisse dire – à ces derniers. Dans le doute, et dans la mesure où je n’ai pas besoin de les manger, je n’ai pas le droit de les tuer – même sans douleur.
Cassegrain, 2010, p. 4
Par analogie, il est possible que la restriction de la liberté de mouvement des chiens nuise gravement à leur qualité de vie. Dès lors, dans le doute, ne devrions-nous pas mettre un terme à cette pratique? Il y a deux façons d’y mettre un terme : la première consiste à laisser les chiens « retourner à la nature ». La seconde consiste à viser l’extinction totale des chiens.[18] Dans les deux cas, il existe certains problèmes qui ne se posent pas dans celui qui consiste à arrêter de manger certains animaux parce que l’on doute des conséquences morales de cette pratique.
Premièrement, dans le cas où j’arrête de manger certains animaux parce que je doute que cela soit moralement acceptable, au mieux je fais un acte bon, au pire je me restreins inutilement. Mais à aucun moment je ne cause un tort à qui que ce soit. En revanche, si je décide de relâcher mon chien dans la nature sans savoir avec une relative certitude que cela est dans son intérêt, alors il existe un risque important que je lui cause un tort (qui peut aller jusqu’à la mort s’il s’avère incapable de survivre seul dans la nature). Ainsi, il se peut que je cause un tort à mon chien en le gardant auprès de moi et en restreignant sa liberté. Mais il se peut également que je lui cause un tort tout aussi grave (voire plus grave) en le poussant à retourner dans la nature.[19]
Deuxièmement, dans le cas où j’arrête de manger certains animaux, s’il s’avère que j’avais tort de m’interdire de manger ces derniers, je peux alors sans souci me remettre à les manger. En revanche, dans le cas où nous aurions opté de manière collective pour l’extinction des chiens, il ne sera plus possible d’avoir de tels compagnons : ceux-ci auront disparu de manière définitive, et l’être humain aura perdu à jamais un type de relation qui peut être particulièrement enrichissant – même un extinctionniste comme Francione l’admet (Francione, 2007). Ainsi, contrairement au fait de s’abstenir de manger certains animaux par doute, les deux solutions proposées pour mettre fin à la restriction de la liberté de mouvement des chiens semblent comporter des risques non négligeables, aussi bien pour la qualité de vie du chien que pour la richesse de la vie des êtres humains. Dans la mesure où ce sont les extinctionnistes qui remettent en question le statuquo, c’est à eux que revient le fardeau de la preuve : de démontrer soit que le doute, contrairement à ce que je viens d’avancer, penche du côté de l’extinction, soit d’apporter des preuves solides, empiriquement fondées, que la restriction de la liberté de mouvement est fatale à une vie de chien épanouie. D’ici là, nous avons de bonnes raisons de continuer à avoir des chiens comme animaux de compagnie.
Le deuxième argument est le suivant : j’ai dit plus haut qu’il était possible que les chiens actuels, étant le fruit d’une sélection ayant pour but de créer des êtres adaptés aux besoins des êtres humains, soient parfaitement adaptés aux contraintes que leur impose la vie auprès des êtres humains, dont la restriction de la liberté de mouvement fait partie. Mais cet état de fait, s’il est avéré, n’est-il pas précisément horrible? N’est-ce pas parfaitement dégradant pour un animal que la façon dont il a été « créé » le mène à se satisfaire d’une vie où la liberté est amoindrie? Ma réponse est : pas nécessairement. Pour être plus précis, même en supposant qu’il soit problématique d’un point de vue moral de créer volontairement des êtres de ce type, cela ne signifie pas que, maintenant qu’ils existent, il soit moralement problématique de laisser se perpétuer leur existence et que, en l’état, leur situation doive nécessairement être considérée comme dégradante.
Certains animaux de compagnie (notamment certains chiens – j’exclus ici les races victimes de tares), malgré la dépendance dont ils font preuve en partie à l’égard des êtres humains et des contraintes qui leur sont imposées, sont néanmoins autonomes en un sens restreint du terme : ils ont en effet des désirs et des envies qui leur sont propres, qu’ils peuvent chercher à satisfaire par eux-mêmes ou qu’ils peuvent parfaitement exprimer et que les êtres humains se doivent de prendre en considération (Regan, 2004, pp. 84-86; Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 105-112). À partir de là, leur vie peut être épanouie et n’a rien en soi de dégradant. De plus, s’ils sont adaptés à leur mode de vie d’animal de compagnie, l’adaptation en question ne les rend pas nécessairement plus vulnérables que des animaux sauvages : celle-ci ne les empêche pas, par exemple, de pouvoir se défendre ou de montrer leur mécontentement. Ils ne sont pas non plus en tant que tel diminués comme peuvent l’être certaines personnes humaines handicapées. Enfin, contrairement à certaines personnes handicapées, leur vie n’est pas synonyme de souffrance intense ou quasi permanente. Ce sont des animaux en pleine santé, en parfaite possession de leurs moyens et qui peuvent pleinement exercer les capacités inhérentes à leur espèce. De ce fait, on peut penser de façon légitime qu’ils peuvent mener des vies épanouies. Laisser se perpétuer les animaux de compagnies décrits ci-dessus ne signifie donc pas nécessairement de laisser en vie des animaux diminués, souffrants ou particulièrement vulnérables, dont l’existence serait intrinsèquement dégradante.
Enfin, même s’il s’avérait que la restriction de la liberté de mouvement des chiens soit fatale à une vie épanouie, cela n’impliquerait pas nécessairement de devoir mettre fin à l’existence de tous les chiens. En effet, si on peut penser que ceux-ci ne devraient pas pouvoir se mouvoir de façon totalement libre en ville, en revanche, on peut tout à fait imaginer que cela peut être le cas s’ils vivent à la campagne où le faible nombre de personnes avec qui le chien entre en contact réduit de fait le risque que celui-ci peut constituer pour autrui.
Reproduction et responsabilité
Une différence importante qui réside entre le fait d’avoir des animaux de compagnie et des enfants est le contrôle que nous exerçons (et que nous avons en partie le droit d’exercer selon Donaldson et Kymlicka) sur la reproduction des premiers. Si nous exerçons un contrôle sur la sexualité de nos enfants dans leurs jeunes années, nous finissons par leur laisser entière liberté quant à la gestion de cet aspect de leur vie, ce qui n’est pas le cas des animaux de compagnie. C’est souvent nous qui décidons s’ils peuvent se reproduire, quand ils peuvent le faire et avec quel autre animal. Le fait qu’un certain contrôle soit exercé sur leur sexualité n’est pas à priori gênant pour les extinctionnistes, dans la mesure où ces derniers refusent systématiquement à tout animal de compagnie le droit de se reproduire. Néanmoins, quelques précisions importantes méritent d’être apportées sur ce point.
Premièrement, autoriser les animaux à se reproduire n’implique pas d’avoir le droit de les forcer à le faire (Donaldson et Kymlicka, 2011, p. 144). Ainsi, le respect des droits fondamentaux des animaux implique qu’il nous est interdit de les forcer à avoir des rapports sexuels avec d’autres animaux ou d’imposer aux femelles une grossesse par insémination artificielle. On peut créer des situations qui mettent en contact un mâle et une femelle et attendre de voir ce qui se passe (tout en laissant à la femelle la possibilité de refuser l’accouplement – par exemple en lui permettant de fuir le mâle), ou l’on peut, en ce qui concerne les chats libres de sortir comme ils l’entendent, décider de ne pas stériliser les femelles et de ne pas castrer les mâles et d’en accepter les conséquences, mais on ne peut pas les forcer à s’accoupler.
Deuxièmement, accepter que son animal de compagnie se reproduise implique certaines responsabilités, ou dit autrement, certaines obligations spéciales. Par exemple, d’être prêt à accueillir la couvée entière (dans des conditions moralement acceptables), ou alors de trouver par avance des familles d’accueil fiables (tout comme l’on ne permet pas à n’importe qui d’adopter un enfant humain). Bien entendu, nous avons les mêmes obligations si notre animal de compagnie se reproduit malgré nous (et malgré les mesures prises pour éviter cela). Enfin, il est clair qu’il est moralement prohibé de tuer ou d’abandonner les rejetons par simple souci de commodité (parce que, par exemple, on ne veut pas s’en occuper).
En somme, et j’espère que l’ensemble de la discussion menée l’a amplement démontré, même si le désir d’avoir un enfant ou un animal de compagnie est au départ égoïste, cela ne signifie pas que la relation que nous entretenons par la suite avec l’un ou l’autre soit purementinstrumentale et se fasse à leur détriment. En effet, malgré l’aspect égoïste qui a motivé la décision (et qui est moralement acceptable sur le plan intuitif), l’enfant et l’animal, lorsqu’ils sont là, doivent être considérés comme une fin en soi selon la formule kantienne, et jamais seulement comme un moyen d’assouvir nos différents désirs. Le désir égoïste qui motive la décision d’avoir un enfant ou un animal n’allège donc pas l’adulte de ses obligations envers eux, soit de considérer leurs intérêts et de respecter leurs droits fondamentaux.
Bien sûr, les conditions que j’ai énoncées (et celles qu’il resterait encore à définir) ne seront certainement jamais parfaitement respectées, et il existera malheureusement toujours des animaux de compagnie maltraités et victimes d’injustices. Toutefois, cela ne constitue pas en tant que tel un argument en faveur de l’extinction des animaux de compagnie. Il y a toujours eu et il y aura toujours des enfants victimes d’injustices, mais cela n’a jamais constitué un argument pour interdire toute procréation. De manière plus générale, des humains commettront toujours des injustices sur d’autres. Mais, là encore, cela ne constitue pas un argument en faveur de l’extinction de l’humanité. Au lieu de nous faire envisager la fin de l’humanité, cet état de fait pousse au contraire de nombreuses personnes à lutter plus fermement en faveur des droits de chacun. Pourquoi cela devrait-il être différent lorsqu’il s’agit des animaux de compagnie?
Le nombre d’animaux de compagnie
Comme je l’ai déjà souligné, je n’ai fait qu’esquisser certaines conditions que l’on pourrait devoir respecter pour conserver le droit d’avoir des animaux de compagnie. Néanmoins, on peut penser que les conditions en question seraient relativement exigeantes. Et l’on peut sans peine imaginer que celles-ci pousseraient certainement de nombreuses personnes qui ont aujourd’hui des animaux de compagnie à ne plus en vouloir ou à ne plus pouvoir en avoir. De ce fait, ces conditions réduiraient certainement le nombre d’animaux domestiques de manière importante. Si l’on ajoute à cela la fin de la commercialisation des animaux de compagnie et leur « production » quasi industrielle, on peut être sûr que le nombre d’animaux de compagnie diminuerait de manière drastique.
Toutefois, cela ne constitue pas en soi un problème pour mon argument. En effet, l’argument que je soutiens ne stipule pas que nous avons l’obligation de perpétuer l’existence d’animaux de compagnies, mais que ceux qui le veulent ont, sous certaines conditions, le droit de laisser se perpétuer leur existence. Si plus personne ne veut d’animaux domestiques sous ces conditions, nous ne pouvons forcer personne à en avoir. On peut regretter cet état de fait, mais ce dernier n’est pas moralement condamnable.[20]
Sans parler de disparition totale des animaux de compagnie (car on peut imaginer que des personnes seront toujours prêtes à en garder sous des conditions exigeantes – et auront les moyens de respecter ces dernières), on pourrait regretter leur diminution considérable si elle devait découler du respect de ces conditions. Toutefois, là encore, si la situation peut être regrettable, elle n’est pas pour autant moralement condamnable. Et mieux vaut un petit nombre d’animaux de compagnie dont les droits sont respectés et qui mènent une vie plaisante, plutôt qu’un grand nombre d’animaux qui mènent des vies misérables et dont les droits sont quotidiennement violés (ce qui est le cas dans la situation actuelle), ou que la disparition totale des animaux de compagnie et la fin de toute possibilité d’entretenir une relation de proximité avec eux (ce que prônent les extinctionnistes).
Avoir un animal de compagnie
Pour résumer, je suis parti de l’intuition selon laquelle la décision d’avoir un enfant était souvent le fruit d’un désir égoïste qui, toutes choses égales par ailleurs, était moralement acceptable. Par analogie, j’ai soutenu qu’il pouvait être tout aussi moralement acceptable d’avoir des animaux de compagnie sur la base d’un désir semblable. J’ai tenté de montrer que sous certaines conditions, la vie des animaux de compagnie pouvait être tout à fait enviable. Si certaines contraintes que subissent actuellement nombre d’entre eux constituent des injustices, on peut imaginer avoir des animaux de compagnie sans devoir nécessairement exercer de telles contraintes sur eux. De plus, les contraintes autres qui continueraient à s’exercer sur les animaux de compagnie et l’état de dépendance vis-à-vis des êtres humains dans lequel ceux-ci se trouvent à plusieurs égards, (1) ne sont pas nécessairement différents des contraintes auxquelles tout être humain est confronté et des états de dépendance dans lesquels chacun se trouve vis-à-vis d’autrui (et qui ne sont pas suffisants pour estimer que notre vie ou celle de nos enfants ne vaut pas la peine d’être vécue) ou, (2) s’ils sont différents, ne constituent pas nécessairement, là non plus, un dommage tel que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
Finalement, (1) laisser se reproduire certains animaux de compagnie ne signifie pas nécessairement de laisser souffrir des animaux diminués ou particulièrement vulnérables, dont l’existence serait intrinsèquement dégradante et, (2) le doute quant aux effets que certaines contraintes peuvent avoir sur la qualité de vie des animaux profite, jusqu’à preuve du contraire, à la thèse en faveur de la perpétuation des animaux de compagnie plutôt qu’à la thèse extinctionniste.
À ce stade, se pose une dernière question : quel statut légal envisager pour les animaux de compagnie et ceux qui en ont la charge? Francione a bien montré l’effet néfaste qu’avait sur les animaux le fait que ceux-ci soient considérés comme la propriété des êtres humains et en quoi cela constituait (même lorsqu’ils sont bien traités) une violation de leurs droits fondamentaux (Francione, 1995; 2000). Toutefois, lorsque le philosophe traite de la question des animaux de compagnie, il se base toujours sur leur traitement et leur statut légal actuels; jamais sur ce qu’ils pourraient être en dehors du statut de propriété (Francione, 2000, pp. 76-80, pp. 169-170; 2007), ce qui explique en partie sa conviction ferme en faveur de la thèse voulant qu’il vaut mieux que les animaux de compagnie s’éteignent.[21]
Toutefois, nous pouvons tout à fait envisager un statut légal différent pour eux et ceux qui s’en occupent, qui exclurait toute notion de propriété et toute relation de type « propriétaire/propriété ». En cela, l’analogie de la relation entre parents et enfants développée tout au long de cet article peut fournir une piste intéressante. On dit que les parents ont des enfants. Par là, nous n’entendons pas qu’ils les possèdent, mais qu’ils en ont la garde. Avoir la garde d’un enfant plutôt qu’en être propriétaire implique, de manière générale, l’obligation de prendre en considération les intérêts de l’enfant, de lui donner les moyens de mener au mieux une vie riche et épanouie et de reconnaître que celui-ci a des droits fondamentaux qu’il s’agit de respecter. Cela implique également certaines obligations spéciales vis-à-vis de l’enfant que d’autres personnes n’ont pas, ainsi que certains droits sur l’enfant que d’autres n’ont pas (par exemple, le droit de choisir le type d’éducation qui nous paraît le plus approprié – toujours dans la limite du respect des intérêts et des droits de l’enfant). Dans l’optique de protéger l’enfant, le non-respect de certaines obligations parentales ou la violation des droits de l’enfant peut entraîner la perte du droit de garde, qui peut dès lors être remis à d’autres individus plus aptes à s’occuper convenablement de l’enfant. Enfin, avoir la garde d’un enfant n’est pas l’équivalent d’une mise sous tutelle qui, comme je l’entends ici, implique de prendre toutes les décisions qui concernent l’enfant à sa place. Si, au départ, c’est bien ce que nous faisons, peu à peu, l’enfant développe des compétences lui permettant de décider pour lui-même, ce que les parents se doivent de respecter. Ainsi, nous pourrions avoir des animaux de compagnie comme nous avons des enfants. Cela n’impliquerait pas de considérer les animaux comme d’« éternels enfants ». En effet, comme l’expliquent bien Donaldson et Kymlicka (2011, p. 125), passé l’âge de l’éducation, nous devrions, tout comme pour nos enfants, considérer nos animaux de compagnie comme des êtres ayant un certain degré d’autonomie qu’il s’agit de respecter. Avoir un animal de compagnie sur le modèle de la parentalité ne signifie donc pas de tout décider constamment pour lui et de systématiquement lui imposer nos décisions.
Dès lors, le fait que les animaux de compagnie restent toute leur vie « sous notre garde » – au contraire de nos enfants qui, en devenant adulte, quitteront cette relation légale – n’est pas en soi problématique et constitue au contraire une protection légale importante pour les animaux de compagnie qui, pour certains, ne peuvent pas et ne doivent pas être totalement « livrés à eux-mêmes » comme peuvent l’être les humains adultes. Avoir des animaux de compagnie comme on a des enfants exigerait donc que les animaux ne soient plus considérés comme nos propriétés, ce qui n’empêcherait pas que, comme en ce qui concerne les enfants, nous aurions sur eux des droits que d’autres n’ont pas (toujours dans le respect de leurs intérêts et de leurs droits), mais également des obligations spéciales vis-à-vis d’eux, obligations qui nous rendraient de plus légalement responsables (liable en anglais) de certains de leurs actes. Au vu de la présente esquisse, il semble bien que nous puissions envisager un statut légal pour les animaux de compagnie et pour ceux qui s’en occupent, qui respecte parfaitement les intérêts et les droits des animaux tout en leur assurant une protection légale optimale.
Parties annexes
Notes
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[1]
Bien que la production actuelle des oeufs viole clairement les droits fondamentaux des poules, il est peut-être possible d’en imaginer une production éthique. Sur ce point, voir Donaldson et Kymlicka (2011, pp. 138-139).
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[2]
Au contraire de l’éducation, qui doit permettre à l’animal de se sentir à l’aise et de s’épanouir dans la société dans laquelle il évolue, le dressage implique une forme de soumission à l’être humain qui ne sert à aucun moment l’intérêt de l’animal et viole ainsi ses droits fondamentaux (Donaldson et Kymlicka, 2011, pp. 141-142).
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[3]
Les représentants les plus connus du mouvement abolitionniste sont sans aucun doute Gary Francione (1995; 2000) et Tom Regan (2004). Bien que Donaldson et Kymlicka soient critiques envers certains aspects de la théorie abolitionniste « classique », j’estime que leur théorie peut être considérée comme abolitionniste.
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[4]
Donaldson et Kymlicka partagent ces intuitions (2011, p. 91). Toutefois, ils n’en discutent pas pleinement les conséquences au regard de la question de la perpétuation des animaux de compagnie, ce que je compte faire dans cet article.
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[5]
Défendre cette position n’a aucune implication, qu’elle soit positive ou négative, quant à l’idée que nous pouvons avoir une obligation vis-à-vis des individus qui ne sont pas encore nés, mais dont il est à peu près certain qu’ils existeront sous une forme humaine proche de – si ce n’est identique à – la nôtre. Pour une introduction à la question des devoirs envers les générations futures, voir Lukas (2008).
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[6]
Si la décision d’avoir un enfant part souvent d’un désir égoïste, en revanche, la décision de ne pas en avoir peut très bien être motivée par des raisons non égoïstes qui prennent en compte l’intérêt virtuel de l’enfant potentiel. Sur les différentes positions concernant le « problème de non-identité », voir Lukas (2008).
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[7]
Par exemple, je pars du principe que nous sommes ou serions plus ou moins facilement en mesure de proposer des aliments végétaliens auxquels s’additionnent, ou dans lesquels sont ajoutés des compléments alimentaires afin d’éviter toute carence.
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[8]
L’interdiction d’avoir des chats d’appartement devrait être imposée dans des conditions de théorie idéale. Dans des conditions non idéales (actuelles ou futures), peut-être serait-il autorisé d’en avoir. En effet, dans la situation actuelle, où de nombreux chats sont abandonnés, peut-être est-il préférable de les adopter même si l’on vit en appartement. Si les personnes qui le font sont aimantes et soucieuses de leur bien-être, cette situation vaut mieux que de laisser les chats dans des refuges aux conditions parfois misérables, ou de les laisser se faire tuer parce que personne ne veut s’en occuper.
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[9]
Je laisse de côté la question de savoir s’il est problématique de laisser les chats sortir dans la mesure où ceux-ci pourraient se mettre à chasser (donc à tuer d’autres animaux), et s’il faudrait les empêcher d’une manière ou d’une autre de le faire. Sur la question de la prédation, voir notamment Sapontzis (1996) et Cassegrain (2011).
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[10]
En effet, l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, mais aussi de socialisation.
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[11]
Voir notamment l’étude de Calboli, Sampson, Fretwell et Balding (2008) ainsi que l’article du journaliste Archie Bland (2008).
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[12]
Je remercie un évaluateur anonyme des Ateliers de l’éthique/The Ethics Forum d’avoir suggéré cet argument.
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[13]
Je remercie Nicolas Tavaglione de m’avoir suggéré l’analogie entre la vie des animaux de compagnie et celle des êtres humains au sein d’un État-providence.
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[14]
Je remercie le même évaluateur anonyme d’avoir suggéré cet argument.
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[15]
Je me concentre ici sur les chiens, car, comme je l’ai exprimé précédemment, je pars du principe que dans une situation idéale, les chats devraient avoir la possibilité de sortir librement grâce à la pose de chatières. Toutefois, ce que je dis des chiens peut s’appliquer pareillement aux chats.
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[16]
Pourquoi ne pas imaginer, même, amener nos chiens dans des garderies afin qu’ils soient en compagnie de leur semblables tandis que nous allons travailler?
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[17]
Cela ne serait pas un problème pour mon argument si j’avais tort sur ce point, bien au contraire.
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[18]
Il existe une troisième solution : garder les chiens auprès de nous tout en les laissant se mouvoir librement. Toutefois, je suis parti plus haut de l’hypothèse que, toutes choses égales par ailleurs, cela n’était pas souhaitable.
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[19]
Il se peut également que le fait de relâcher un chien dans la nature cause un tort à autrui – à savoir, les animaux qui deviendront ses proies – et que cela ne soit pas acceptable moralement. Comme mentionné dans une note précédente, je laisse ici de côté la question de la prédation.
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[20]
Par analogie, je soutiens que si nous avons le droit de faire des enfants, personne ne peut nous obliger à en avoir. De ce fait, si un jour l’humanité entière décidait librement de ne plus se reproduire, on pourrait regretter la disparition de l’espèce humaine, mais du point de vue d’une théorie individualiste des droits (qui est, comme je l’ai déjà mentionné, le cadre théorique dans lequel j’inscris mon propos), cela ne serait pas pour autant moralement condamnable. Au contraire, c’est le fait de forcer les individus à se reproduire qui serait moralement condamnable.
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[21]
Dans une entrée récente sur son blogue (2012), Francione semble au premier abord prendre en considération la possibilité d’un autre statut pour les animaux que celui de propriété. Toutefois, les arguments qu’il présente ne constituent pas une critique directe de cette possibilité et celui-ci ne semble jamais vraiment envisager un traitement des animaux de compagnie différent de celui d’aujourd’hui (notamment en ce qui concerne leur reproduction, qu’il semble toujours envisager sous l’angle de la « production » de masse).
Bibliographie
- Bland, Archie, « The Big Question: Is the Breeding of Pedigree Dogs Leading to Cruel Abnormalities », 2008. URL : http://www.independent.co.uk/news/uk/this-britain/the-big-question-is-the-breeding-of-pedigree-dogs-leading-to-cruel-abnormalities-902853.html, date de consultation, 21 avril 2014.
- Bryant, John, Fettered Kingdoms, Winchester, Fox Press, 1990.
- Calboli, Federico C. F., Sampson, Jeff, Fretwell, Neale et David J. Balding, « Population Structure and Inbreeding From Pedigree Analysis of Purebred Dogs », Genetics, vol. 179, no. 1, 2008, pp. 593-601.
- Cassegrain, Bertrand, « Donner des droits aux animaux », Le Courrier, 17 décembre 2010, p. 4.
- Cassegrain, Bertrand, « Laissons la lionne tuer la gazelle. Droits des animaux, prédation, devoir d’assistance et défense d’un tiers », Philosophiques, vol. 38, no. 2, 2011, pp. 439-464.
- Donaldson, Sue et Will Kymlicka, Zoopolis. A Political Theory of Animal Rights, Oxford, Oxford University Press, 2011.
- Dunayer, Joan, Speciesism, Derwood, Ryce Publishing, 2004.
- Francione, Gary, Animals Property and the Law, Philadelphia, Temple University Press, 1995.
- Francione, Gary, Introduction to Animal Rights. Your Child or the Dog?, Philadelphia, Temple University Press, 2000.
- Francione, Gary, « Animal Rights and Domesticated Nonhumans », 2007. URL : http://www.abolitionistapproach.com/animal-rights-and-domesticated-nonhumans/, date de consultation, 21 avril 2014.
- Francione, Gary, « “Pets”: The Inherent Problems of Domestication », 2012. URL : http://www.abolitionistapproach.com/pets-the-inherent-problems-of-domestication/.
- Hall, Lee, Capers in the Churchyard: Animal Rights Advocacy in the Age of Terror, Darien, Nectar Bat Press, 2006.
- Jeangène Vilmer, Jean-Baptiste, L’éthique animale, Paris, Presses Universitaires de France, 2011.
- Meyer, Lukas, « Intergenerational Justice », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Edward N. Zalta (dir.), 2008. URL : http://plato.stanford.edu/entries/justice-intergenerational/.
- Regan, Tom, The Case for Animal Rights (1983), Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 2004.
- Sapontzis, Steve F., « Faut-il sauver le lièvre du renard? », Les cahiers antispécistes, 1996, no. 14. URL : www.cahiers-antispecistes.org/, date de consultation, 21 avril 2014.
- Wolf, Clark, « Population », in Jamieson Dale (dir.), A Companion to Environmental Philosophy, Malden, Oxford, Blackwell Publishers, 2001, pp. 362-376.