Essai bibliographiqueBibliographical EssayEnsayo bibliográfico

Entre sédentarité et nomadisme L’appartenance mouvante à un territoireLaugrand Antoine, 2021, Des Nomades à l’arrêt. Corps, lieux et cosmologie des Blaan de Malbulen (Philippines). Louvain-la-Neuve, Éditions Academia, coll. « Anthropologie prospective », 264 p.

  • Charles Macdonald

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  • Charles Macdonald
    Directeur de recherche émérite, Centre national de la recherche scientifique, France
    cjhmac@yahoo.com

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Couverture de Solidarités et tensions, Volume 47, numéro 3, 2023, p. 11-239, Anthropologie et Sociétés

L’intérêt primordial de cette ethnographie théorique et de cette géographie humaine d’un peuple autochtone du sud des Philippines est d’envisager l’espace dans lequel se meuvent les Blaan comme un espace de déplacements, d’avancées et de progressions incessantes ponctuées par de provisoires périodes de sédentarisation. Or, les Blaan sont des agriculteurs (maïs et riz surtout) dont les pérégrinations se situent dans un espace relativement circonscrit. D’où le titre paradoxal de l’ouvrage « des nomades à l’arrêt » ou alors peut-être « des sédentaires mobiles ». Du point de vue méthodologique, cette analyse est d’un grand intérêt. L’ouvrage comprend plus de 50 photos (dont le tirage malheureusement en noir et blanc et en petit format ne permet pas toujours une lecture claire) ainsi que des cartes et des illustrations qui offrent un visuel éloquent. Une bibliographie d’une douzaine de pages et un glossaire complètent cet ouvrage. La matière ethnographique s’appuie en outre sur deux volumes, recueils en langue blaan incluant les traductions anglaises d’entretiens enregistrés au cours d’« ateliers de transmission intergénérationnelle », volumes préparés et édités par l’auteur, Antoine Laugrand, et son père, l’ethnologue Frédéric Laugrand (2021). Dès l’entrée en matière, on découvre avec l’auteur, qui en fait un récit vivant à la première personne, cette population de la péninsule méridionale de Mindanao, à cheval entre le golfe de Davao à l’est et la baie Sarangani à l’ouest. On fait connaissance avec le guide de l’ethnologue, le Père Samson, figure attachante s’il en est. On apprend l’arrivée récente, dans les années 1940, des habitants de Malbulen (appelé aussi Little Baguio) à la suite de conflits et de violences intestines. On appréhende très vite l’univers social et politique qui les entoure, composé de guérillas menées par les rebelles communistes de la New People’s Army (NPA), une administration envahissante, et les menées prédatrices des habitants des basses terres, chrétiens Visayans et politiciens, qui tentent d’accaparer les meilleures parcelles. « Un climat de violence règne dans la région » (p. 20). La communauté qu’étudie l’auteur, la commune — ou village (barangay) — de Malbulen, créée en 1970, est celle de lumad (terme générique pour les Autochtones non islamisés et non christianisés de Mindanao) appartenant à la section dite Koronadal de ce groupe ethnolinguistique. Il s’agit de l’un des groupes les plus nombreux et les moins étudiés des Philippines. Le corps de l’ouvrage, bien résumé dans un avant-propos, se compose de six chapitres : 1) Enjeux méthodologiques et méthodes de travail ; 2) L’occupation de l’espace en relation avec la société ; 3) La toponymie en relation avec les récits, l’histoire et tous les êtres qui peuplent l’environnement ; 4) L’interaction humaine avec les lieux qu’elle marque et dont ces lieux la marquent ; 5) Les rythmes spatiaux et temporels ; 6) Les transferts spatiaux et particulièrement les transferts de corps dans les rituels thérapeutiques. Une conclusion offre une synthèse détaillée dont on peut déjà retenir le point d’orgue en écho à la zomia de James Scott (2019). Antoine Laugrand nous présente d’abord les deux instruments maîtres de sa recherche : la cartographie et « l’ethnographie de la marche ». La première est constituée d’un vaste planisphère qui permet de nommer les lieux dans la langue vernaculaire et de situer les trajets qui les relient. Celui-ci est accompagné d’une carte numérique. Cette cartographie est le support d’une riche connaissance toponymique, mais aussi cosmogonique et historique. La seconde est une expérience vécue par l’auteur de l’usage du corps, du sien en particulier, pour connaître l’espace et la multitude des formes de vie, certaines visibles et audibles, d’autres invisibles, dont l’entrelacs complexe forme la substance …

Parties annexes