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Joseph Needham, biochimiste et sinologue britannique, a consacré la moitié de sa vie à développer un projet magistral intitulé Science et civilisation en Chine (S.C.C) visant à étudier des découvertes et innovations chinoises, dont beaucoup ont précédé le cours de l’histoire occidentale. Dans cette édition anglaise de son ouvrage Joseph Needham, un taoïste d’honneur. De l’embryologie à la civilisation chinoise : entretiens avec Didier Gazagnadou (1991), l’auteur Didier Gazagnadou enregistre ses conversations avec Needham sur sa vie et ses travaux, qui ont eu lieu dans le bureau de ce dernier au Needham Research Institute entre 1988 et 1991. Needham affirme que sa vie est divisée en deux parties : jusqu’en 1937, il passait la plupart de son temps en biologie, biochimie, zoologie et embryologie ; et l’arrivée de trois chercheurs chinois en 1937 l’a amené à s’intéresser à la langue, à la science et à la civilisation chinoises. Gazagnadou soutient, pour sa part, que les différentes réorientations dans la pensée de Needham correspondent à trois tendances : la recherche de nouvelles possibilités créatives ; le goût pour de nouvelles expériences et relations ; et l’activité de réflexion philosophique (p. 15).
L’attitude ouverte et la réflexion incessante font de Needham un « explorateur du monde des idées » qui cherche à découvrir comment les choses diffèrent au lieu d’ériger des cloisons entre les différents champs d’investigation (chap. IV). En tant que socialiste, chrétien et taoïste autoproclamé, Needham essaie toujours de « construire des ponts » entre les éléments et les idées afin de révéler les points d’interaction entre les différences et d’établir des liens entre elles, par exemple entre ses parents, entre la science et la religion, entre la biochimie et la morphologie, et enfin entre la Chine et l’Occident (chap. I). Cet établissement des ponts témoigne du fait que des mondes divergents coexistent et que le rôle de l’anthropologue devrait également être celui d’un médiateur, aidant à comprendre et à réconcilier les conflits entre les différents acteurs du monde. En outre, selon Gazagnadou, l’une des questions soulevées dans les recherches de Needham en biochimie, en embryologie et en sinologie consiste à explorer comment des choses se développent, se stabilisent, et même disparaissent. Dans cette optique, ce qui intéresse Needham, ce sont les processus et leurs devenirs, et comment — plutôt que pourquoi — ces processus ont suivi tel ou tel développement et par quels mécanismes (p. 18). Cet intérêt de recherche coïncide également avec celui des anthropologues, qui tentent de comprendre comment les mondes sociaux se transforment.
Dans son projet S.C.C, Needham a posé deux questions principales, connues sous le nom de « problème de Needham », constituant l’impulsion pour sa conception de S.C.C et faisant partie d’une vaste et complexe énigme historique. La première question consiste à savoir pourquoi, malgré l’avance initialement prise par la Chine pendant les quatorze siècles précédant la Renaissance tant sur le plan économique que dans le domaine scientifique, c’est l’Occident qui a inauguré le passage à la « science moderne ». Et le second problème est qu’entre le IIe siècle avant J.-C. et le VIe siècle de notre ère, la Chine était beaucoup plus efficace que l’Europe dans l’application de la connaissance du monde naturel à des fins utiles (p. 53). Dans ses dialogues avec Gazagnadou, Needham évoque le déroulement de son oeuvre S.C.C, ainsi que le contexte du développement des sciences et des techniques dans la Chine antique et médiévale et sa distinction avec l’Europe (chap. III). Needham souligne que pour tout problème, il est important de s’interroger sur la structure économique et sociale et la situation historique correspondant au problème (p. 78). Il est donc tout à fait conscient des différences entre les voies et les circonstances du développement scientifique en Chine et en Europe. Par exemple, les sciences en Chine servaient principalement à l’État et étaient considérées, dans ce cas, comme orthodoxes par la bureaucratie des fonctionnaires érudits, tandis que celle-ci a fait de la Chine une société homéostatique et cybernétique, ralentissant et parfois inhibant le progrès des sciences et des techniques. De plus, le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme ont largement influencé la pensée scientifique chinoise. De fait, il y a davantage de facteurs contribuant aux distinctions entre la Chine et l’Europe, mais par manque d’espace, Needham n’est pas entré dans les détails lors des entretiens.
Dans l’ensemble, ce recueil d’entrevues nous donne un aperçu concret de la vie et de la pensée de Joseph Needham. Il passionnera tous ceux qui s’intéressent à l’oeuvre de Needham et à l’histoire des sciences et des techniques chinoises.