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Cet ouvrage collectif dirigé par Françoise Dussart (Anthropologie, University of Connecticut) et Sylvie Poirier (Anthropologie, Université Laval) propose une série de contributions anthropologiques sur les cosmologies autochtones d’Amérique du Nord (Laugrand, Nepton Hotte et Jérôme), d’Amérique latine (Tassinari, Crépeau, Colpron, Hall, Mackenzie), de Sibérie (Pimenova), de Malte (Rountree) et d’Australie (Vaarzon-Morel). Ces différents cas ethnographiques sont l’occasion pour les auteurs qui forment ce collectif d’aborder des thématiques aussi variées que l’adoption du christianisme, l’actualisation du chamanisme, la place des nouveaux médias, la négociation de la globalisation, la parenté, etc. La question principale qui se pose aux études de cas proposées dans l’ouvrage est de comprendre comment les sociétés autochtones actualisent de façon pragmatique leurs cosmologies, de façon à aborder la rencontre avec d’autres univers de sens, tels que le christianisme et la société coloniale. Il s’agit ainsi d’un ouvrage qui propose d’aborder la complexité et la contemporanéité des cosmologies autochtones à partir de multiples exemples fournis par les ethnographies des différents collaborateurs de Dussart et Poirier.
Les deux directrices n’en sont pas à leur première collaboration et l’on pourra dégager une certaine continuité dans leur travail. Dans l’introduction à un ouvrage collectif antérieur, Dussart et Poirier (2017) s’étaient intéressées aux enchevêtrements (entanglements) qu’elles avaient alors définis comme l’ensemble des tensions, des conflits, des compromis et des négociations entre les peuples autochtones et non-autochtones, conçu comme un processus imprévisible, inattendu, invisible et émergent (Ibid., 5-7). Dans la même veine, l’introduction de Contemporary Indigenous Cosmologies and Pragmatics propose une intervention théorique bien fouillée sur les cosmologies autochtones. Pour les deux autrices, l’enchevêtrement religieux qui caractérise la contemporanéité des sociétés autochtones « has become the new normal […] the goal of this volume is to consider the complex connections among religiosity, politics, activism, and resistance » (p. 4) [est devenue la nouvelle norme [...] l’objectif de ce volume est d’examiner les liens complexes entre la religiosité, le politique, l’activisme et la résistance]. Dans cette introduction, les autrices proposent leurs propres définitions des concepts qui leurs permettent de mieux saisir ces dynamiques. Dussart et Poirier proposent ainsi de comprendre la notion de cosmologie en tant que:
local theories elaborated by social groups about the origin, composition, and dynamics of the cosmos ; about its spatial and temporal proprieties ; about the beings, objects, and powers that constitute it ; about the nature of the relations between all these “existentsˮ and forms of agencies ; and finally about the place that humans occupy within it. (p. 6) [les théories locales élaborées par des groupes sociaux sur l’origine, la composition et la dynamique du cosmos ; sur ses propriétés spatiales et temporelles ; sur les êtres, les objets et les puissances qui le constituent ; sur la nature des relations entre tous ces « existants » et formes d’agencéité ; et enfin sur la place que les humains y occupent.]
Les deux anthropologues font également valoir l’avantage d’appréhender la contemporanéité des cosmologies autochtones en termes de religiosité plutôt qu’en termes de religion. Selon elles, bien que les deux termes aient la même racine étymologique latine (religare) qui signifie « relier », la notion de religiosité, contrairement à celle de religion, dénote l’idée de processus. Elles ajoutent que le terme « religiosité »
includes the conceptual, ritual, and experiential dimensions of the cosmological fact. It conveys how the dialogic and dialectic relationships between creativity, knowledge, power, and authority orients Indigenous ways of being and knowing. (p. 8) [comprend les dimensions conceptuelles, rituelles et expérientielles du fait cosmologique. Il transmet comment les relations dialogiques et dialectiques entre la créativité, la connaissance, le pouvoir et l’autorité orientent les manières autochtones d’être et de connaître.]
Dussart et Poirier situent également l’ouvrage collectif qu’elles dirigent dans la lignée des travaux de Stengers (2003) et Latour (1999) sur les cosmopolitiques. Ce faisant, elles mettent de l’avant le caractère politique des cosmologies autochtones ainsi que leurs propensions à ne pas se limiter au domaine humain :
the Indigenous political sphere invites in ancestors and other-than-human agencies with whom humans share a ‘common cosmos’ and engages them in relations of communication, mediation, and alliances. (p. 12) [la sphère politique autochtone inclut les ancêtres et les actants autres qu’humains avec lesquels les humains partagent un « cosmos commun » et les engage dans des relations de communication, de médiation et d’alliance.]
La collection des contributions proposées dans Contemporary Indigenous Cosmologies and Pragmatics amène Dussart et Poirier à émettre un certain nombre de constats théoriques à portée générale. Pour n’en citer que deux, le premier est que « l’ouverture cosmologique » des sociétés autochtones, leurs religiosités enchevêtrées et leur capacité à recadrer et reconfigurer leurs cosmologies et leurs rituels « allow Indigenous peoples to reproduce their worlds and specific identities within the constraints, appetites, and turmoil of a globalized world » (p. 24) [« permet aux peuples autochtones de reproduire leurs mondes et leurs identités spécifiques dans le cadre des contraintes, des appétits et de l’agitation d’un monde globalisé »]
Le second constat est que l’incorporation de l’altérité au sein de leur univers de sens permet d’affirmer des identités particulières et des projets de vies distincts au sein d’un monde globalisé, qui demeure hostile à ce que les autrices nomment le « being-at-home-in-the-world » (p. 25) des sociétés autochtones.
Il est impossible de revenir sur chacune des contributions à cet ouvrage mais mentionnons que Contemporary Indigenous Cosmologies and Pragmatics est un ouvrage cohérent qui propose une réelle synergie entre les différents chapitres, ce qui n’est pas toujours le cas pour un ouvrage collectif de ce genre. Il donnera l’occasion aux chercheurs en anthropologie de pousser plus loin leurs réflexions sur la contemporanéité des cosmologies autochtones, notamment à travers une riche diversité et ce, sur le plan à la fois thématique et ethnographique mais aussi théorique. N’importe quel spécialiste ou étudiant qui s’intéresse aux dynamiques religieuses autochtones y trouvera son compte.
Parties annexes
Références
- Dussart, F. et S. Poirier, 2017 (dir.), Entangled Territorialities : Negociating Indigenous Lands in Australia and Canada. Toronto, University of Toronto Press.
- Latour, B., 1999, Politiques de la nature. Paris, La Découverte.
- Stengers, I., 2003, Cosmopolitique II. Paris, La Découverte.