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L’ouvrage Care of the Species: Races of Corn and the Science of Plant Biodiversity de l’anthropologue John Hartigan Jr. offre une ethnographie multisite, depuis les champs et les laboratoires de génétique du Mexique jusqu’à divers jardins botaniques d’Espagne, avec l’objectif d’encourager la (re)connaissance végétale. La première partie immerge le lecteur dans les activités du Laboratorio Nacional de Caracterización de Propiedades Fisicoquímicas y Estructura Molecular [Laboratoire national pour la caractérisation des propriétés physicochimiques et de la structure moléculaire] à Guanajuato, au Mexique, à travers une « description mince » (thin description) des « manifestations copieuses du maïs » (copious manifestations of maize) — une plante ici décrite à partir de son état de semence, d’être vivant, jusqu’à son état de donnée informatique (p. 4). L’auteur s’intéresse particulièrement aux razas de maiz (variétés de maïs), fasciné par le concept de « race » (« variété ») en lien avec cette plante domestiquée. En notant que ce concept n’a aucune valeur taxonomique, Hartigan démontre comment les notions de « variétés » et d’« espèces » s’entremêlent à travers des histoires de domestication et de conquête. Ici, la question du soin est discutée, mais sans être différenciée clairement de la question du contrôle des razas.
Cette lacune par rapport aux subtilités des politiques de soin se perçoit du fait de la seule et unique description du livre qui porte sur une rencontre avec des fermiers mexicains. Celle-ci se déroule dans le contexte d’intervention d’une ONG qui souhaite initier quelques fermiers aux méthodes de sélection et « d’amélioration » des razas de maiz (p. 78). Alors que les fermiers insistent sur le fait que c’est le travail physique continu entraîné par le fait de s’occuper des razas de maiz qui cultive une relation de soin, Hartigan ne s’y attarde aucunement. Il s’intéresse plutôt à la caractérisation des manoeuvres abstraites du travail de soin des généticiens (p. 84-85) alors qu’ils soumettent les variétés de maïs à des procédures d’extraction, d’insertion et de transposition. Hartigan note qu’en développant un « sens pour les génomes », soit en calibrant les espèces dans le laboratoire, ou pour révéler des instances de sélection, les généticiens démontrent une « capacité de s’engager de manière attentionnée à travers les lignes des espèces » (p. 116). Bien qu’un manque de critique ou d’argumentaire puisse être reproché à l’approche de description mince que l’auteur décrit comme « un positionnement de suspension des certitudes analytiques de l’ethnographe » (p. xxvi), il aurait gagné à approfondir la question du soin et du maïs.
Un virage surprenant nous transporte dans les jardins botaniques d’Espagne, l’auteur s’intéressant alors plus généralement à la question de l’encadrement de l’espèce et au débat fondamental entre les sciences génétiques et taxonomiques. Les razas de maiz maintenant oubliées, on explore les classifications taxonomiques et méthodes d’étiquetage par le biais des pratiques du Real Jardín Botánico de Madrid, du Jardí Botànic de Barcelona et du Jardí Botànic de la Universitat de València. Hartigan qualifie les jardins botaniques de sites productifs de la conceptualisation « d’espèces » et d’« ethnographies vivantes » (p. 151), laissant pendante la question de savoir en quoi d’autres lieux seraient plus ou moins vivants. De manière plus intéressante, l’auteur évoque un sens de correspondance et un langage partagé qui émerge dans les pratiques des botanistes qui trient les spécimens végétaux. Ici, la réalité de l’« espèce » est comprise comme une catégorisation plus flexible que ce que les a priori des sciences génétiques auraient pu nous faire croire. Hartigan apporte l’idée que des liens sont tracés entre la forme et la signification de la variance dans les pratiques d’observation botanique — des liens qui semblent perdus dans les abstractions de la conceptualisation génétique.
En somme, le lecteur pourra être déçu par la description mince de ce livre qui semble, dans les faits, constituer deux livres incomplets raboutés l’un après l’autre, en plus de constituer en soi une fausse allégeance au maïs et au végétal. Les razas ne sont pas suivies avec la persévérance et l’attention qu’elles méritent. En ce même sens, l’anthropologue a aussi réduit la place de ceux qui le soignent d’une façon intime et physique, notamment les fermiers mexicains. Cette négligence éloigne l’ouvrage de la multitude des réalités des razas de maiz et des possibilités vivantes qui émergent au sein des relations de soin entre les espèces humaines et non humaines. Ainsi, malgré son sujet intéressant et la volonté annoncée de l’auteur d’introduire son lecteur au végétal, il est difficile de se sentir guidé vers ce dernier. La contribution de l’ouvrage à l’anthropologie et aux sciences végétales demeure ainsi minimale ou généraliste. Le lecteur peut néanmoins y trouver une discussion serpentine de la classification linnéenne, de la domestication, de la variété et des pratiques scientifiques à l’égard du végétal.