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What Is Islam ?… est l’ultime ouvrage de Shahad Ahmed, spécialiste de l’Islam de l’Université de Harvard décédé en septembre 2015. Il y discute de son thème de prédilection d’une façon tout aussi large et complexe que le titre de son livre le laisse entendre. Plus précisément, il critique la manière insatisfaisante dont l’islam, comme objet et catégorie, est conceptualisé dans les discours populaire et scolastique. Il est d’avis qu’une conceptualisation valable de l’islam se doit d’être cohérente avec la dynamique des contradictions qui anime l’islam ; un aspect dont la conceptualisation moderne échoue à rendre compte.
Ahmed présente tout d’abord les différentes manières avec lesquelles l’islam contredit la conceptualisation simpliste à laquelle il est réduit, autant en Occident que dans certains pays musulmans qui favorisent une lecture plus légale du Qur’an. Ces exemples comprennent la révérence culturelle que les musulmans portent pour le livre Divan d’Hafiz, malgré son attitude parfois irrévérencieuse envers la piété rituelle musulmane, et l’attitude contradictoire que les musulmans adoptent envers l’alcool, qui est prohibé par l’islam, mais consommé par les musulmans.
Puis Ahmed déconstruit la conception populaire de l’islam. Cet exercice inclut la déconstruction de l’islam comme ensemble de lois et prescriptions, comme religion et comme culture. Dans les trois cas, affirme Ahmed, ces conceptualisations sont boiteuses, car elles tombent presque toutes dans l’un de deux pièges : soit elles opèrent une essentialisation de certains éléments dans le but de créer un concept d’islam authentique – marginalisant dans la foulée les phénomènes humains et historiques de l’islam ; soit elles définissent celui-ci comme une large expansion de phénomènes sans véritable point commun, rendant l’exercice de conceptualisation impossible et le terme « islam » insignifiant. Une fois les aspects déficients des diverses conceptions exposés, Ahmed dédie les deux derniers chapitres du livre à l’élaboration d’une meilleure conceptualisation de l’islam et à comment cette dernière pourrait être appliquée de manière efficace.
Dans son ensemble, il s’agit d’un ouvrage critique qui utilise des données historiques et théologiques de façon à comparer les conceptions erronées de l’islam. On saisit ce qu’Ahmed tente d’accomplir dans sa critique des recherches de Clifford Geertz, faisant remarquer que Geertz encourage les chercheurs à interpréter la culture presque par libre association, sans porter attention aux raisons qui rendent la culture significative pour ses pratiquants. Pour sa part, Ahmed maintient que l’islam est ce qui crée les significations chez ses fidèles – un fait que Geertz aurait reconnu s’il avait pris en compte l’histoire des croyances musulmanes dans son étude du sujet – et son objectif est donc de dessiner la carte du continent des significations de l’islam, de construire un sens avec les significations qu’il peut avoir pour les musulmans.
C’est là un objectif ambitieux et la quantité phénoménale de sources variées utilisées par Ahmed fait montre de son sérieux. L’exploration exhaustive du sujet fait de ce livre en un outil très utile pour tout chercheur ayant un intérêt pour ce thème. L’approche historique utilisée par Ahmed lui permet d’asseoir sa critique et de présenter une image de l’islam selon une perspective différente de celle à laquelle nous sommes habitués.
Cela étant dit, cette particularité constitue aussi une arme à double tranchant. S’il est vrai que toute perspective permettant d’observer un objet d’une façon nouvelle est toujours la bienvenue, le fait que cette perspective reste focalisée sur les détails techniques de sa discipline la met à risque d’être obscure. Pour le dire autrement, la structure adoptée dans le livre ne favorise pas son assimilation. La description à plusieurs reprises d’un concept avec force détails rend l’expérience de la lecture accablante, et le style d’écriture n’aide en rien à atténuer le problème. L’ouvrage aurait gagné en clarté si plusieurs des phrases aussi longues que des paragraphes avaient été coupées et les énumérations interminables abrégées.
Enfin, il faut savoir qu’il s’agit d’un texte à saveur anthropologique, mais pas d’un texte anthropologique per se. Cela signifie qu’on n’y retrouve pas vraiment les éléments souvent attendus dans ces textes ; par exemple, il n’y a pas de cadre théorique explicite ou de méthodologie de recherche autre que la comparaison de faits historiques avec des conceptions contemporaines, ce qui rend malaisé son inscription dans la discipline. Si le contenu offert par What Is Islam ?… est d’une grande richesse, le lecteur doit être préparé à un fort engagement lorsqu’il aborde cet ouvrage.