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Olivier Roueff, sociologue de formation et chercheur au CNRS, s’intéresse aux intermédiaires du travail artistique et principalement au jazz. Son intérêt s’est concrétisé à la suite de ses nombreuses publications, dont Jazz, l’échelle des plaisirs. Dans cet ouvrage, il nous présente l’histoire sociale de l’industrie culturelle du jazz en France. Sa recherche, axée sur le rôle central des intermédiaires dans l’implantation du phénomène, prend également en compte les musiciens et les auditeurs. Ce sont les interactions et les confrontations entre ces trois acteurs qui ont permis l’acceptation du jazz comme catégorie musicale. Dès le début, l’émergence et l’instabilité de ce nouveau phénomène esthétique ont provoqué une polarisation entre les jazz traditionnel et moderne. Cet enjeu est essentiel pour la compréhension de l’histoire du jazz. Ici, l’auteur expose ses connaissances précises du sujet puis démontre que plusieurs dynamiques sociales et culturelles doivent être prises en compte pour saisir l’ampleur du phénomène du jazz en France. Pour expliquer leur rôle, l’auteur a opté pour une division en trois parties : la formation et l’unité d’un genre musical ; la formation d’un univers spécifique et ses enjeux ; et la polarisation entre le jazz expérimental et le jazz traditionnel.
Dans un premier temps est présenté le lien entre l’apparition du jazz en France et l’arrivée du phénomène du Cake-Walk en 1902. Cette musique dansante d’origine afro-américaine a rapidement conquis le coeur des Français qui s’approprient le rythme pulsé africain. Cette « racialisation » de la musique évoque l’exotisme, la sensualité et reflète l’hédonisme bourgeois des jeunes Français lettrés de l’époque. L’installation de nombreux soldats américains noirs en France lors de la Guerre de 1914-1918 facilite l’implantation des jazz-bands américains et du dancing, style de danse qui mélange exotisme, érotisme et plaisirs. Leur popularité permet l’émergence d’une critique musicale spécialisée ainsi que l’apparition d’intermédiaires, spécialistes en jazz, reconnus et respectés.
Dans un deuxième temps, l’ouvrage met en évidence que l’autonomie acquise par les intermédiaires a permis au jazz de s’établir comme genre musical. La création du Hot Club de France en 1932 vient consolider la position de cette musique avec la présence de deux intermédiaires importants, Charles Delaunay et Hugues Panassié, qui deviennent les figures de proue de la scène artistique jazz française. Toutefois, leur vision du genre évolue et une polarisation s’établit entre les deux hommes. Si Panassié vante le traditionalisme du jazz, Delaunay se tourne vers le modernisme et le Bebop. Durant l’Occupation, les artistes américains, engagés par les intermédiaires français, dominent ce marché. Cette situation crée des dissensions entre musiciens français et intermédiaires avec, comme trame de fond, la dépendance de la France au marché du jazz américain.
La période d’après-guerre voit naître de nouveaux dispositifs en France : c’est l’arrivée des caves à jazz et du free jazz politisé avec comme thématiques la décolonisation, les mouvements sociaux en France et la création de musiques improvisées européennes. L’importance des nouvelles politiques culturelles favorise la reconnaissance du jazz et de ces musiques improvisées.
Dans un troisième temps, l’ouvrage présente les résultats concrets de l’étude ethnographique effectuée par Roueff sur l’esthétisme et l’expérience du jazz qui a pris place dans deux clubs de jazz : le Pelle-Mêle, situé dans la ville de Marseille, et l’Instant chaviré, localisé à Montreuil, dans la région parisienne. Ces deux clubs présentent toujours l’idée de polarisation entre le traditionalisme (Pelle-Mêle) et l’expérimental (Instants chavirés), tout en mettant de l’avant la patrimonialisation du jazz. Roueff explique comment les intermédiaires de ces deux clubs emblématiques du jazz font perdurer la passion pour ce genre musical.
Roueff offre une vision globale du jazz en France, ce qui permet de mieux comprendre la situation sociale dans laquelle cette catégorie musicale a évolué. Bien que son ouvrage soit centré sur le phénomène du jazz et de ses intermédiaires, il amène le lecteur à comprendre les divers changements sociaux et culturels liés à l’origine de l’émergence et à la constitution de ce genre musical en France. Le choix d’étudier les intermédiaires du jazz est pertinent puisque ce sont eux qui ont des pouvoirs décisionnels majeurs concernant l’image professionnelle projetée. Si les citations abondantes et l’énumération de nombreux noms d’artistes alourdissent le texte, elles permettent au lecteur de bien situer les informations et les exemples apportés. Les données ethnographiques recueillies au cours de l’enquête permettent de bien cerner les enjeux. Bien que le rôle des femmes ait été brièvement abordé dans l’ouvrage, une description plus complète de leurs contributions à l’histoire du jazz aurait peut-être mérité une attention plus particulière. Cette publication contribue significativement à la compréhension de l’émergence du jazz en France. Si elle s’adresse principalement aux amateurs de ce style musical, les chercheurs et étudiants y trouveront de nombreuses ressources importantes sur le phénomène social du jazz.