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Dans cet ouvrage, issu d’une thèse soutenue en 2001, Corinne Gendron expose le lien qui pourrait exister entre capitalisme et développement durable. Dans une première partie, elle s’attache à une approche théorique, dans la seconde à une présentation des résultats d’une enquête menée au sein d’entreprises.
Le ton est donné d’entrée : « Depuis ses débuts, la pensée économique dominante nourrit une approche instrumentale de la nature […] » (p. 12), et, continue-t-elle : « L’économie s’est ainsi constituée comme sphère autonome non seulement par rapport au social et au politique, mais aussi par rapport à l’environnement qu’elle a démembré en “ressources naturelles” et dont elle a pu ignorer les principes et la dynamique de régulation » (p. 12). S’ensuit alors une critique argumentée de la théorie néoclassique suivie d’une analyse tout aussi rigoureuse des diverses approches économiques de la question environnementale, égratignant au passage l’économie écologique qui « fait l’impasse sur les déterminants sociaux de l’activité économique et sur la médiatisation sociale des problèmes environnementaux » (p. 49). Mais le projet de l’auteure n’est bien sûr pas de polémiquer sur tel ou tel aspect des théories, mais bien de dresser « une théorie socioéconomique inédite de la problématique environnementale permettant de saisir les dynamiques de transformation induite par la crise écologique » (p. 4).
Cette théorie inédite, Corinne Gendron va l’adosser à la théorie de la régulation. Occupant tout un long chapitre, l’auteure s’attarde à expliquer la théorie de la régulation dans ses moindres détails et à analyser son rapport à la problématique environnementale. Recourant à l’école québécoise de la régulation (Bélanger, Lévesque), dans laquelle l’auteure situe son approche, elle souhaite « mettre au jour la transformation ou l’émergence de nouveaux rapports sociaux induits par la problématique environnementale et envisager le type de compromis institutionnel susceptible de se former » (p. 93), avec une redéfinition des rapports Humain-Nature et d’un modèle de développement inédit.
C’est enfin par un détour du côté des théories de l’action sociale, et principalement des travaux d’Alain Touraine, signataire de la préface de l’ouvrage, et de Sklair que Corinne Gendron termine son tour d’horizon théorique. Elle entend montrer ainsi que l’environnement est devenu un « champ au sens tourainien du terme » (p. 146), enjeu de luttes autour duquel l’ensemble des acteurs sociaux prennent position avec, par exemple, l’émergence d’un compromis dans la société postindustrielle sur la question de l’adhésion au principe du développement durable.
Commence alors la seconde partie de l’ouvrage présentant les résultats d’une étude menée auprès de l’élite économique et débouchant sur l’esquisse d’un nouveau modèle de société. On ne pourra que regretter l’impasse totale faite sur les modalités de l’étude, le nombre et les caractéristiques des personnes interrogées, car cela enlève beaucoup à la démonstration.
L’étude montre une prise en compte par les dirigeants d’entreprise de la problématique environnementale et leur ouverture au développement durable pour autant que cela ne remette pas en cause la croissance économique ni la consommation, ce qui semble être en totale contradiction avec les mouvements écologistes volontiers anticonsuméristes. L’échelon national (gouvernement) mais plus certainement international est reconnu comme celui des régulations politico-économiques pertinent à l’aune de l’environnement. Les dirigeants accusent ainsi les pays du sud de menacer l’environnement, car ils sont surpeuplés, sans législation réelle, ils épuisent les ressources et sont donc pollueurs ; les gouvernements à cause de leur mauvaise gestion publique ou de leur déclin ; et les consommateurs qui, par leurs choix empêchent « l’entreprise de faire de l’environnement une qualité première de ces produits » (p. 181).
Ainsi Corinne Gendron voit dans les discours de l’élite économique des points de rupture avec le paradigme industriel fordiste. D’une part parce que le bien-être n’est plus seulement vu comme uniquement économique, mais aussi social en intégrant une dimension écologique. D’autre part, parce que les dirigeants deviennent peu ou prou perméables à la rhétorique environnementale et du développement durable – l’auteure distingue cinq profils type de dirigeants, des plus sensibles aux moins sensibles à l’environnement.
Elle en arrive alors à la description du « paradigme sociétal en émergence » (p. 239) avec le progrès s’incarnant non plus dans l’industrialisation mais dans « une économie hautement technologique peu intensive sur le plan écologique » (p. 239), avec une « dématérialisation de la consommation » et un « transfert de coûts écologiques vers le Sud » (p. 241).
En concluant sur ce point, Corinne Gendron nous laisse bien sûr sur notre faim et nous questionne sur cette nouvelle régulation capitaliste… mais cela devrait faire l’objet de bien d’autres thèses.