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Rédigé à partir d’une thèse de doctorat en communication, soutenue à L’Université de Montréal, le livre a pour objectif de « comprendre, expliquer et interpréter les raisons à l’origine de la situation problématique de la planification familiale au Burundi » (p. 9). Les sept chapitres reposent sur une recherche de terrain – les hautes terres de Bujumbura rural, village de Mugoyi, une centaine de kilomètres à l’est de la capitale. Effectuée de juin à août 1988 auprès d’une population analphabète pratiquant d’une manière traditionnelle des activités agricoles et pastorales, la recherche prend en considération le Programme de la santé reproductive et planification familiale, instaurée en 1983 au Burundi.
Mettant en évidence « l’opposition entre la culture locale d’une population analphabète du monde rural et le discours de contrôle des naissances véhiculé par les différents projets prônant la limitation des naissances» (p. 71), Hakizimana démontre « clairement la dualité entre la tradition et la planification à propos des naissances au Burundi » (p. 20).
Débutant en 1982, le programme de planification familiale est interrompu par la guerre civile qui décime la population entre 1993 et 2000. Il doit subir un virage important pour intégrer la santé reproductive dans la santé primaire. Malgré cet effort, l’utilisation de la contraception moderne après 14 ans d’investissement, selon le rapport du Bureau de coordination du programme national de planification familiale de 1998, a atteint seulement 3,3 % de la population. Deux discours se heurtent et s’entrechoquent : celui des acteurs du Programme (« Une famille heureuse, ce n’est pas une famille nombreuse ») et celui des croyances de la population (« Avoir un enfant, c’est accomplir la volonté de Imana [Dieu] ») (p. 59). « Se donner un enfant dépasse les compétences et les performances humaines et relève des secrets et des mystères réservés exclusivement à Imana » (p. 142). Dans l’idéalisation de la maternité, une mère « umuvyeyi » représente l’humanité et une femme stérile « ingumba » l’animalité (p. 158).
Résumant les attitudes à l’égard de la politique de santé reproductive, la planification familiale et les méthodes contraceptives, l’auteur constate que ces dernières sont perçues comme une source de stérilisation des femmes. Une panoplie de représentations négatives des contraceptifs modernes, disponibles gratuitement, est illustrée par de nombreux exemples : la pilule rend stérile ; le stérilet fait très mal à l’homme pendant les rapports sexuels, peut se perdre dans le ventre et l’enfant le ramène alors autour de son cou ; le condom, obstacle au plaisir sexuel, n’est pas fiable, peut se perdre dans le vagin et entraîner la mort de la femme. La seule méthode moderne appréciée et même préférée par les habitants analphabètes ou peu scolarisés sont les injectables – on les croit plus efficaces par analogie avec des injections contre la malaria. Mais une rumeur dit que « la personne ayant subi ce genre de traitement connaît un sort particulier : à sa mort, elle grossit d’une manière démesurée et éclate comme un ballon gonflé à fond » (p. 186).
La culture traditionnelle favorise l’espacement des naissances à 2 ans et plus. La pratique très valorisée à Mugoyi est la tradition d’espace de trois ans entre les naissances « pour que le plus grand puisse porter sur son dos le plus petit et jouer et encadrer ce petit d’un an » (p. 179). Par contre, la limitation des naissances, promue par le Programme, n’est pas du tout acceptée, car on ne compte pas les enfants, de peur de leur porter malheur et de les exposer à la mort. Si la mort ne connaissait pas leur existence, elle ne pourrait pas les emporter.
Pour sortir de cette impasse, Hakizimana propose la participation de la population elle-même à la construction du discours, privilégiant ainsi clairement l’approche participative de la communication. À cette fin, l’auteur introduit deux concepts, le cultudéveloppement, qui comprendrait « un développement humain et harmonieux [qui] intègre automatiquement la culture » (p. 13) et la communiculture, qui traduirait le rapport harmonieux entre la communication et la culture (p. 258). Étant donné que la procréation est un domaine intime et n’est jamais abordée publiquement, la proposition de l’auteur est que la communication de masse soit limitée à des thèmes généraux portant sur la santé et l’hygiène, sans aborder des sujets tabous. La communication interpersonnelle, qui utiliserait des sages-femmes et des guérisseurs, toucherait des sujets plus intimes – sexualité et utilisation des contraceptifs.
La contradiction entre communication et culture est donc à l’origine de la situation problématique dans un contexte du développement. Ce dernier n’est possible que lorsqu’il y a symbiose entre la communication, la culture et le développement. Les contraintes analysées dans l’ouvrage sont de nature culturelle, sociale, économique, communicationnelle, organisationnelle, épistémologique et conceptuelle. Les conclusions qui résultent de cette recherche qualitative ne prétendent pas, selon l’auteur, à une généralisation scientifique. Elles valent uniquement pour la colline de Mugoyi. Pourtant, certains éléments communs, notamment la recherche d’une progéniture nombreuse et la pratique d’espacement des naissances, pourraient être dégagés au niveau « du monde rural des pays en voie de développement en général et des pays africains en particulier » (p. 263).
Sans tomber dans l’essentialisme culturel, Hakizimana démontre à quel point la politique de planification familiale imposée par les autorités va contre les représentations traditionnelles et enracinées qui touchent la famille, la sexualité et les naissances. L’apport théorique de son analyse est dans la compréhension des relations entre communication, culture et développement. Son originalité consiste à mettre en valeur « la dimension ethnographique pour aborder des questions liées au développement » (p. 266). Finalement, l’intérêt pratique de la recherche est dans les nouvelles propositions qui privilégient la promotion de la santé familiale et non pas celle de la limitation des naissances.