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À l’origine de cette enquête ethnographique, se trouve le projet d’explorer un segment du monde de l’industrie du sexe : le travail des strip-teaseuses. L’étude sociologique des activités déviantes étant constamment renouvelée, c’est dans cette intention que Katherine Franck endosse le rôle de strip-teaseuse et s’engage dans une observation participante de longue durée (14 mois) dans 6 clubs différents d’une grande ville du sud des États-Unis. L’auteure se recentre rapidement sur la richesse des interactions strip-teaseuses-clients, et nous livre une recherche originale sur les clients réguliers des clubs : que viennent assidûment rechercher ces hommes, pour la plupart mariés? Comment rendre intelligible le désir mascu-lin? Reformulé dans la perspective d’une socio-anthropologie de la sexualité, la recherche s’est largement appuyée sur des données complémentaires : des entretiens approfondis (n = 33) et des centaines de conversations informelles.
L’ouvrage se divise en quatre grandes parties ponctuées de quelques excursus littéraires dont la fonction est de rendre compte, sous la forme d’une brève fiction, de l’expérience de terrain. La première partie présente la méthode, dégage les thèmes traversés (Féminisme, masculinité et sexualité, loisir, authenticité), situe le contexte et le cadre de la recherche. Les clubs de strip-tease offrent ainsi un type de service bien différent des autres secteurs de l’industrie du sexe (escort-girl, prostitution, peep-shows, films et revues pornographiques, etc.). On n’y consomme pas du sexe, on y attise son désir tout en y relâchant provisoirement le travail de maintien de la façade sociale. La plupart de ces hommes sont mariés et s’estiment satisfaits de leur sexualité. De ce fait, la deuxième partie, consacrée à la perception et au désir des habitués, présente les clubs comme des espaces de relation et d’évasion faisant rupture avec les cadres contraignants du travail et de la maison, un lieu de transgression et de fantasme. Ils y trouvent même une confirmation de leur masculinité sans avoir à le prouver (par l’acte sexuel). Or, les raisons et motivations confiées à Franck ne sauraient suffire en elles-mêmes. Le résultat peut paraître en effet décevant et peu spécifique. Et si elle reconnaît les difficultés inhérentes aux entretiens portant sur les fantasmes et le désir et tente de les prévenir en explicitant le type de relation entretenu avec les enquêtés (i.e. la transformation de la relation strip-teaseuse-clients en relation enquêteur-enquêtés), on a le sentiment que l’identification de l’intention narrative des entretiens et la reconstruction de la logique des acteurs n’a pas été menée jusqu’à son terme.
La troisième et la dernière partie se consacre entièrement à la question des signes et de la perception de l’authenticité. Car le désir des clients est galvanisé par un cadre fictionnel construit et maintenu par les danseuses. Les danseuses déploient en effet de multiples stratégies pour authentifier leurs interactions : le contact visuel appuyé, l’échange de propos, le désintérêt feint pour l’argent sont autant de façon de créer une expérience spécifique dans les limites d’une dénégation partielle. Le message est paradoxal : cette fiction (strip-teaseuse-clients) est authentique. Inversement, les clients demandent et repèrent ces signes à leur intention. On peut supposer que le paradoxe fait croître le désir. Aussi distinguent-ils parfaitement l’authenticité et le « professionnalisme » des danseuses comme la qualité des clubs qu’ils classent sur une échelle de valeur. Franck ne donne en revanche aucun exemple de « mé-cadrage » (prendre au sérieux ce qui relève en fait du jeu) des clients. Mais on ne peut que regretter ici l’absence assez surprenante d’une cadre-analyse des interactions strip-teaseuses-clients. Cette analyse aurait pu clarifier trois lignes de force qui traversent cette recherche : 1) la définition de cette catégorie d’organisation contextuelle spécifique où s’articulent déploiement de fantasmes (partie I) et recherche d’une expérience authentique (partie II) ; 2) les modes de transformation ou de modalisation d’un cadre social primaire, le rapport homme-femme et ses enjeux ; 3) contribuer enfin à une analyse des cadres ludiques de la sexualité.
Parties annexes
Référence
- Goffman E., 1991, Les cadres de l’expérience. Paris, Minuit.