Résumés
Résumé
Bien qu’un grand nombre de travaux ethnographiques novateurs aient été suscités par l’« espace interculturel » que se partagent Australiens autochtones et non autochtones, notamment dans le domaine des arts visuels, les chercheurs ont accordé moins d’attention aux représentations rituelles publiques auxquelles les Aborigènes ont donné un nouvel essor en tant qu’instruments politiques. On a encore moins écrit sur la (re)construction interne de l’identité sociale autochtone et sa projection dans la production de rituels publics sur la scène néocoloniale australienne contemporaine. Tout en effectuant une remise à jour des recherches précédentes sur la question, le présent article montre comment, au cours des dix dernières années, les leaders rituelles aînées d’une petite localité d’Australie centrale ont inauguré une phase entièrement nouvelle de représentations rituelles – une phase qui diffère substantiellement des formes antérieures d’expérience cérémonielle, qui étaient étroitement liées à la négociation et à l’échange des matériaux rituels.
Mots-clés:
- Dussart,
- Aborigènes,
- femmes,
- identité,
- rituel,
- Warlpiri,
- Australie
Abstract
Whereas much path-breaking ethnography has been generated on the “intercultural space” shared by indigenous and non-native Australians, particularly in the visual performance domain, less attention has been paid to public ritual representations Aborigines have deployed as political tools. Less still has been written on the internal (re)construction and projection of indigenous social identity in public rituals performed in the contemporary Australian neocolonial space. This paper updates earlier research and argues that, over the last ten years, senior female ritual performers from a Central Australian settlement have entered an entirely new phase of ritual representation–one that substantively differs from earlier forms of ceremonial experience, which were intricately linked to the negotiation and exchange of ritual material.
Key words:
- Dussart,
- Aborigines,
- women,
- identity,
- ritual,
- Warlpiri,
- Australia
Resumen
Aunque un buen número de trabajos etnográficos innovadores han sido inspirados por el “espacio intercultural” que comparten los australianos autóctonos y no autóctonos, sobre todo en el campo de las artes visuales, los investigadores han dedicado menos atención a las representaciones rituales públicas a las cuales los Aborígenes han dado un nuevo aliento en tanto que instrumentos políticos. Se ha escrito aun menos sobre la (re)construcción interna de la identidad social autóctona y de su proyección en la producción de rituales públicos sobre la escena neocolonial australiana contemporánea. Al mismo tiempo que realizamos una reactualización de las investigaciones precedentes sobre dicha cuestión, el presente artículo demuestra como, a lo largo de los últimos diez años, los líderes rituales mayores de una pequeña localidad del centro de Australia han inaugurado una fase completamente inédita de representaciones rituales – una fase que difiere sustancialmente de las formas anteriores de la experiencia ceremonial, las cuales estaban estrechamente ligadas a la negociación y al intercambio de materiales rituales.
Palabras clave:
- Dussart,
- Aborígenes,
- mujeres,
- identidad,
- ritual,
- Warlpiri,
- Australia
Corps de l’article
Pour M. Nampijinpa L.
Depuis que l’anthropologie « a découvert » la religion australienne – à partir du milieu du XIXe siècle avec les ouvrages de Spencer et Gillen dont les travaux de terrain ont alimenté les recherches de Durkheim, ethnologue en chambre, et de ses héritiers – on s’est beaucoup intéressé aux manifestations rituelles de la cosmologie aborigène connue sous le nom de « Dreaming », c’est-à-dire « Rêve » ou « Récit du Rêve »[2]. Et bien que la fréquence de ce type de représentations cérémonielles ait diminué chez les Aborigènes, cette diminution quantitative n’affecte en rien les résultats analytiques issus de l’étude des usages contemporains du champ rituel. De fait, les modifications fonctionnelles apportées aux cérémonies aborigènes, en raison de l’évolution spectaculaire de leurs objectifs et de leur structure, offrent au chercheur une compréhension inédite de la construction dynamique de l’identité sociale autochtone dans un contexte où la pression coloniale perdure.
Chez les Aborigènes warlpiri de Yuendumu, localité située à 300 kilomètres au nord-ouest d’Alice Springs, les changements les plus significatifs touchant l’engagement rituel sont sans doute ceux qui relèvent du genre : ce sont les femmes qui dominent maintenant la vie rituelle publique de la communauté, elles détiennent le rôle de gardiennes de l’expression publique du savoir cérémoniel warlpiri. Et il est significatif que ce rôle de protection, non seulement se manifeste à l’intérieur de l’« espace interculturel » (Myers 2002 : 6) où se rencontrent les sociétés aborigène et blanche, mais s’étende aussi aux occasions d’échanges intraculturels – rencontres néocoloniales au cours desquelles les Aborigènes définissent « l’aboriginalité » et dont les Blancs sont exclus[3].
Il ne faut pas sous-estimer le sens de cette substitution des genres. Il est vrai que la fréquence et la prégnance des rituels ont diminué significativement depuis les années cinquante, époque où Meggitt et Munn furent les premiers à décrire le répertoire cérémoniel des hommes warlpiri (voir Meggitt 1966 et Munn 1973). Cela dit, la vie rituelle des Warlpiri, désormais sous l’oeil vigilant des femmes, enseigne néanmoins comment une société autochtone peut redéployer ses modes rituels d’engagement social de manière à compenser, et même par moments à diluer, les pressions qu’exerce la société dominante. Bref, les rituels publics, aussi peu nombreux soient-ils, sont importants quant à leur signification sociale. Ils constituent désormais l’un des liens de première importance où les Warlpiri de Yuendumu négocient leur identité politique en relation avec les autres groupes aborigènes et contre l’hégémonie postcoloniale non autochtone à l’arrière plan.
Les cérémonies publiques présentées maintenant à Yuendumu ressemblent, du moins superficiellement, à certaines cérémonies pratiquées avant la sédentarisation des années quarante. Comme ceux d’autrefois, les rituels contemporains sont des événements centrés sur la parenté (bien que la force des liens parentaux se soit érodée) ; ces rituels mettent en scène les mythes du Rêve qui lient les exécutants à leurs familles, à leurs territoires ancestraux et à leur passé. Mais la façon de concevoir et de justifier ces prestations rituelles a subi des changements significatifs – changements qui servent à mettre en lumière la réaction des Aborigènes à la domination non aborigène. C’est pourquoi une analyse des prestations rituelles publiques en tant qu’un « champ de rêves » peut permettre de mieux comprendre la nature contemporaine de l’engagement social aborigène.
J’ai analysé ailleurs presque un demi-siècle (1946-1990) de rituels publics chez les Warlpiri de la localité de Yuendumu, en me concentrant sur le déplacement progressif de l’importance relative des genres et de la parenté dans l’organisation et la présentation de tels rituels.
Cet article effectue une mise à jour de cette recherche précédente sur les femmes warlpiri de Yuendumu, et en particulier sur les leaders, aussi connues sous le nom de yamparru, qui s’assurent de la prépondérance des rituels publics proclamant la richesse de la cosmologie warlpiri devant un public plus large. Cet article soutient que, depuis les dix dernières années, les leaders rituelles ont incité les autres participantes au rituel à entrer dans une phase entièrement nouvelle de représentation rituelle – une phase qui diffère considérablement des formes antérieures d’expérience cérémonielle, ces dernières étant étroitement liées à la négociation et à l’échange de matériaux rituels[4]. De fait, la notion même de « négociation et échange de matériaux rituels » – si fondamentale pour définir les activités cérémonielles des hommes, comme les purlapa, et les célébrations féminines, comme les yawulyu warrajanya-yirni – n’occupe plus dans les prestations publiques des Warlpiri la place prépondérante qu’elle occupait autrefois[5]. Plus précisément, cet article étudie les moments clés qui ont marqué pendant une décennie le réalignement des mises en scène façonnant le rituel public. Les représentations publiques peuvent sembler les mêmes, mais leur valeur et leur place au sein de la localité ont subi des transformations substantielles. Au cours des prestations récentes, rares sont les matériaux rituels qui font l’objet d’échange et il arrive qu’il n’y en ait aucun. Je veux dire par là que l’on tend désormais à proclamer ou à montrer le rituel d’une manière qui ne suit pas la voie « traditionnelle » de l’engagement, lequel nécessitait généralement le transfert, de l’exécutant au spectateur, des droits d’exécution de la reproduction rituelle, ce qui se produisait à la suite (et en conclusion) d’une série complexe de négociations à l’intérieur du groupe parental.
En laissant de côté les aspects « traditionnels » du rituel, fondés sur l’échange et basés sur les négociations qui précédaient et concluaient le cérémonial, les leaders rituelles, qui guident une grande partie de la vie rituelle publique à Yuendumu, ont modifié les objectifs de ces représentations. Cela confirme une fois de plus la « constance du changement », qui est partie inhérente de la vie cérémonielle contemporaine au sein de la population décroissante d’exécutantes rituelles à Yuendumu (voir Dussart 2000a : 221). Au cours des cérémonies qui eurent lieu dans les villes de Bagot (1990) et de Derby (1991), et ensuite lors des rencontres annuelles organisées par les Women’s Law and Culture Meetings (de 1993 à nos jours), les exécutantes rituelles warlpiri de Yuendumu se sont de plus en plus servies des rituels publics comme d’un véhicule d’expression politique ; cela établit dorénavant un lien avec d’autres leaders provenant de villes régionales et de localités situées dans ce que Hughes-d’Aeth appelle « les frontières de l’espace colonial » (1999). De nombreux aspects de l’organisation de ces cérémonies contemporaines – la nature des matériaux échangés avec les diverses restrictions qui s’attachent à leur diffusion, les motifs qui président à la représentation, le changement continuel du site géographique de ces présentations, la langue utilisée au cours des manifestations – révèlent la façon dont les interprètes rituelles de Yuendumu ont été contraintes de redéployer et de réévaluer le déroulement des rites. Ces éléments montrent aussi comment, ce faisant, elles se sont adaptées aux pressions qui s’exerçaient sur leur existence depuis la sédentarisation, alors que de moins en moins de femmes participent au renouvellement de la cosmologie warlpiri en mettant en scène des cérémonies considérées comme plus « traditionnelles ».
Les rituels publics : de la communauté aux tribunaux et des tribunaux aux vernissages
Pour illustrer la nature des modifications apportées aux rituels publics, il est important de remonter à l’origine de ce mouvement à partir des premiers jours de la sédentarisation des Warlpiri de Yuendumu (1946) jusqu’à l’adoption du Native Title Act (1993), loi clé qui accorde une importante reconnaissance aux droits aborigènes[6]. Comme je l’ai déjà montré en détail dans certaines de mes publications antérieures qui s’appuient sur deux décennies de travail de terrain, on peut diviser ces quarante premières années de rituel public à Yuendumu en trois périodes distinctes, qui se chevauchent néanmoins en partie.
La première période d’activités rituelles – qui dura quelque trente années jusqu’à l’adoption, en 1976, de la loi dite Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act – avait un caractère essentiellement aborigène quant aux buts visés et à ses effets. Pendant cette période, les rituels publics de Yuendumu étaient surtout présentés par les hommes, lors de cérémonies locales appelées purlapa, et devant une assistance exclusivement aborigène et sédentarisée[7]. Avec l’adoption de la Loi de 1976 mentionnée plus haut, qui inaugura la seconde période d’activités rituelles et la marqua de son influence, les rituels publics s’ouvrirent aux prestations féminines ainsi qu’à un public plus vaste comprenant des kardiya c’est-à-dire des spectateurs non aborigènes[8]. Pendant cette deuxième phase, la réalisation des rituels par les femmes et les hommes – souvent (mais non exclusivement) motivée par les nouvelles pressions juridiques et sociétales associées à l’adoption de la Loi – faisait appel à des liens complexes de parenté mettant ainsi en évidence l’extension donnée aux moyens de représentation rituelle interne[9]. Auparavant, les impératifs essentiellement aborigènes entraînaient moins de conséquences durant les prestations rituelles publiques suscitées par la législation gouvernementale des droits à la terre. Les rituels publics se déplacèrent des petites localités vers les tribunaux de revendications territoriales. Ces manifestations à caractère politique suscitées de l’extérieur entraînèrent des forums et des formes aborigènes de représentation de soi qui s’exprimaient dans un nouveau contexte, interculturel, et elles se constituèrent en plaidoyers pour la cause autochtone. Avec cette réorientation des objectifs, un profond changement se produisit quant au genre des acteurs : les hommes cédèrent dans les faits les forums publics (et, encore une fois, les formes) de représentations cérémonielles à leurs homologues féminines. On peut dire en simplifiant que les cérémonies masculines purlapa laissèrent la place au yawulyu warrajanyayirni des femmes.
La question des revendications territoriales ayant perdu de son intensité dans cette partie de l’Australie, un nouveau phénomène interculturel apparut dans la vie de ces petites localités qui instaura des représentations publiques du Rêve destinées à une clientèle non aborigène. En effet, le mouvement apparu autour de l’art pictural à l’acrylique suscita la mise en scène de cérémonies publiques lors des vernissages des expositions de peintures à points [“dot” paintings] réalisées par des artistes du Désert central. La nouvelle demande de représentations publiques démarra sérieusement au cours des années quatre-vingt. Elle transporta les représentations rituelles du Rêve – ou Jukurrpa en warlpiri – bien au-delà des lieux d’habitation et des territoires des Ancêtres warlpiri, puisqu’elles accompagnaient désormais des vernissages qui, après avoir débuté à Sydney en 1982, se tinrent partout à travers le monde (voir Dussart 2000a, chapitre 6). Peu après, la présentation de rituels publics se trouva davantage stimulée par les commandes de toiles que par les exigences des tribunaux. Le fait que ces représentations se soient données dans des lieux étrangers suscita de longues discussions à propos de leurs effets possibles, négatifs ou positifs, sur le ngurra ou demeure du Rêve et à propos de la force relative des éventuels exécutants et de leur susceptibilité au yirrarru jarrimi ou mal du pays, un mal capable de menacer d’autres parents. Malgré cela, on organisa ces représentations, particulièrement au début de cette troisième période, en suivant strictement l’autorité des liens de parenté résidentielle. De fait, les rituels publics devinrent une scène où s’exprimèrent de nombreuses dissensions résidentielles. Les droits de prestation furent étroitement négociés avant chaque représentation et minutieusement compensés par la suite. De plus, ces représentations étaient précédées de longues répétitions (piljipiljijarrimi) afin d’assurer l’exactitude de la prestation publique.
Bien sûr, cette tripartition des rituels publics n’est pas aussi nette et claire que veut bien le laisser entendre ma schématisation. Par exemple, il y a eu d’autres mises en scène des Rêves warlpiri lors des vernissages d’expositions bien après la date mentionnée. Il est néanmoins utile de poser ces jalons pour montrer combien diverses ont été les raisons qui ont motivé la production de rituels publics pendant les quelque quarante premières années de sédentarité à Yuendumu. Au cours de ces trois périodes, les rituels publics, qu’ils aient été réalisés par des hommes ou des femmes ou (comme ce fut le cas au cours de la seconde période) par des hommes et des femmes ensemble, ont toujours servi à l’entretien et à la reproduction du Jukurrpa. Cela se trouva accompli dans une large mesure par la circulation obligatoire du savoir rituel, processus abondamment décrit dans d’autres ouvrages (voir Dussart 1999, 2000a et b). Même lorsque le matériel présenté comportait peu d’éléments secrets, les rituels publics nécessitaient toujours qu’on procède à des échanges préliminaires et conclusifs obéissant aux mêmes règles que celles des rituels secrets – ces négociations de matériaux rituels consolidèrent et vivifièrent progressivement le prestige de certains réseaux de groupes résidentiels apparentés de Yuendumu ainsi que les Êtres ancestraux qui leur correspondaient. Bref, la troisième phase du rituel public fournissait une tribune de compétition rituelle analogue à celle des cérémonies secrètes qui passaient inaperçues aux yeux des non-initiés. Il fallait absolument passer par la négociation, et par le contrôle, entre groupes de parents connus comme propriétaires (ou Kirda) et gérants (ou Kurdungurlu) dont les liens sont au coeur même de l’expression rituelle warlpiri[10].
Toutefois, tout cela commença à changer au début des années quatre-vingt-dix lorsque s’affaiblirent les processus de surveillance mutuelle – éléments clés de toute représentation rituelle. Progressivement, les interprètes du rituel s’autorisèrent individuellement à prendre davantage de responsabilité dans la mise en scène des Rêves dont ils étaient propriétaires, modification qui reflétait la diminution du rôle de la surveillance résidentielle. Suspendre la nécessité de l’échange et du contrôle à l’occasion des représentations publiques du Rêve (Jukurrpa) ne niait en rien l’efficacité rituelle de la cérémonie nouvellement modifiée. Selon les interprètes, les danses et les chants demeurèrent toujours wiri, c’est-à-dire puissants. Toutefois, comme elles résultaient d’une initiative par nature indépendante du groupe, ces prestations entreprises de façon unilatérale contribuèrent à affaiblir le type de liens rituels qui existaient au sein du groupe résidentiel de parents. Plus simplement, disons qu’en écartant les responsabilités « traditionnelles » envers le territoire et les groupes parentaux, les actrices du rituel qui, sous la gouverne de leurs leaders, mirent en scène leur Rêve au cours de cérémonies qui se célébraient entre Aborigènes, commencèrent à repenser ce qui les unissait dans les rituels. Elles déplacèrent le centre de leur affirmation vers des leaders féminins et des exécutantes appartenant à d’autres localités et, ce faisant, privilégièrent une forme de prestige personnel basé sur leur capacité à entretenir le Jukurrpa, prestige qui était moins apparent dans les célébrations publiques antérieures.
J’ai noté dans un autre ouvrage que, chez les interprètes actives du rituel, les motifs qui justifiaient les représentations publiques comprenaient : « l’éducation, la rémunération, la négociation, la protestation, l’association et l’identification » (Dussart 2000a : 227-228). J’écrivais à propos du dernier motif de cette énumération : « The last rationale [identification] was one pegged more to camp-specific kin group pride than to broader Aboriginal declarations of self »[11].
Cette observation est moins vraie maintenant qu’elle ne l’était dans les années quatre-vingt, comme l’indique l’observation attentive des dix dernières années de rituels publics. Chronologiquement, la phase la plus récente de présentations de rituels publics peut se subdiviser dans ses grandes lignes en deux sous-périodes : une période de transition, échelonnée sur trois ans (1990-1993), au cours de laquelle les représentations rituelles furent fréquentes, bien que diffuses. Elle fut suivie d’une période de consolidation cérémonielle et de régularité relative liée aux « Women’s Law and Culture Meetings » : il s’agit d’un rassemblement organisé annuellement dans différents centres aborigènes du Territoire du Nord.
Les rituels publics : 1990-1993
Au début des années quatre-vingt-dix, un mouvement d’opposition apparut chez les hommes et les femmes yamparru de Yuendumu, contre le fait d’organiser des rituels publics pour les Blancs. Désillusionnés et déçus par les réactions des Blancs qui restèrent insensibles à leurs revendications et à la puissance des représentations du Rêve, les yamparru de Yuendumu maintinrent cependant leur engagement à poursuivre l’expression publique du Jukurrpa. Ils réitéraient régulièrement leur mécontentement en disant « Wala-nyinaja kularnalujana, lawa! », qu’on peut rendre par « Nous [les Warlpiri] sommes incapables de compter [sur eux]! » – le « eux » désignant l’assistance non aborigène. Le mécontentement et la tension s’accrurent à un point tel qu’on se mit finalement à qualifier les représentations interculturelles du Jukurrpa de jatujatu, c’est-à-dire de « vraie fumisterie »[12]. Comme l’expliqua une femme à propos des spectateurs blancs : « Tout ce qu’ils désirent c’est parler. Ils ne comprennent pas que le Rêve est là lorsque nous dansons. Ils ne comprennent pas que nous devons danser et chanter pour notre territoire. Ce jacassement me donne vraiment mal à la tête. Les Blancs parlent trop, comme les oiseaux! ».
Ces interruptions verbales blessent profondément de nombreuses participantes rituelles. Elles perçoivent l’intrusion des spectateurs comme punku, c’est-à-dire « manquant de valeurs, mauvaise, indigne ». De plus, dans leur esprit, les questions que posent les Blancs sur les représentations diminuent l’impact de la puissance du Rêve ancestral sur eux-mêmes comme sur les spectateurs. Apprendre c’est une affaire d’observation, non de questions.
Ce sentiment d’aliénation n’est en aucune façon circonscrit à la sphère rituelle. De fait, les travaux illustrant les frustrations qui sévissent sur la scène interculturelle sont abondants et diversifiés. Francesca Merlan a recueilli des données sur un semblable sentiment d’aliénation des Aborigènes dans son analyse de la dynamique des relations Blancs-Aborigènes au cours de revendications territoriales. En effet, parmi les doléances qu’elle a recueillies sur le terrain – doléances sur le calendrier d’activités imposé par les Occidentaux et sur l’irruption du « bavardage » qui dilue la puissance des rituels – un grand nombre reflète les commentaires des interprètes rituelles de Yuendumu[13].
Ayant reconnu que les rituels publics ne produisaient qu’un effet limité sur les spectateurs, les Warlpiri réduisirent le nombre des représentations qui leur étaient destinées et s’investirent davantage dans les cérémonies attirant un grand nombre d’Aborigènes et qui les mettaient en contact avec des groupes provenant d’autres communautés régionales[14]. Les leaders rituels warlpiri de Yuendumu participant aux représentations publiques de rituels (ce sont presque exclusivement des femmes) en vinrent lentement à adapter différentes initiatives non aborigènes que des organisations diverses avaient proposées à des fins cérémonielles (par exemple, les « Land Councils », organismes « quasi gouvernementaux gérés au niveau fédéral »[15], les organisations politiques locales ainsi que les associations locales, nationales et non gouvernementales de femmes et d’artistes). Au cours de ce type de rassemblements pan-aborigènes, les interprètes de Yuendumu commencèrent petit à petit à mettre de côté leurs obligations régies par des liens résidentiels et par la gestion locale pour s’intéresser plutôt aux collaborations entre actrices rituelles participant aux réunions intergroupales. La propriété inter-parentèle kirda des droits sur les rituels et les protocoles de gestion kurdungurlu qui accompagnaient les anciennes représentations publiques tombèrent peu à peu en désuétude. Les interprètes warlpiri du rituel leur substituèrent les liens qu’elles établissaient avec d’autres femmes participant aux rituels et provenant de localités et de petites villes avec lesquelles elles n’avaient jusque-là aucune association. Comme je l’ai dit, la renaissance des rituels publics apparut à Yuendumu au début des années quatre-vingt-dix, pendant cette période de turbulence rhétorique et politique qui a mené à l’adoption du Native Title Act de 1993. Ce fut un moment clé dans l’histoire de la vie rituelle des Warlpiri, pendant lequel le désir de se présenter devant des assistances non aborigènes fut supplanté par le souci d’affirmer avec le rituel une vitalité totalement aborigène[16].
Le moment le plus significatif des représentations rituelles intergroupales de cette période transitoire se situe vraisemblablement en 1990 et 1991, à l’occasion de deux événements cérémoniaux, le premier qui se tint dans la communauté de Bagot, située à la périphérie de Darwin, et le second dans la ville de Derby. Ces deux événements illustrent le réagencement significatif des priorités rituelles déterminées par les femmes yamparru. Le premier de ces événements, commandité par le National Aborigines’ and Torres Strait Islanders’ Day Observance Committee (NAIDOC), mit en contact les yamparru de Yuendumu avec des leaders rituelles appartenant à des groupes des déserts central et occidental. Contrairement à de nombreux événements précédents financés en totalité par des organismes externes, il fallait, pour participer au rassemblement de Bagot, que les Aborigènes s’engagent à fournir les fonds nécessaires au voyage. Vingt-deux interprètes rituelles warlpiri, représentant une bonne moitié des interprètes actives de la communauté, ont fait ce voyage de 1800 kilomètres. Les femmes qui se sont rendues à Bagot se rappellent avec fierté qu’elles avaient réussi à trouver suffisamment d’argent pour atteindre leur destination et assurer leur subsistance. L’une des personnes interviewées expliqua clairement que ce voyage n’avait été possible que grâce au groupe des parents qui, même chez les plus jeunes, ont continué à soutenir leurs aînées dans leurs engagements rituels. Comme le remarqua Rosy Nangala Fleming : « Depuis Bagot, nous nous rendons à ces grands rassemblements de femmes et nous y dansons ; c’est important pour nous et pour le Dreaming. Nous n’y amenons pas les enfants, ce sont des affaires[17] sérieuses pour les femmes âgées qui connaissent le Dreaming, elles ne le sont pas pour les jeunes enfants ou pour les gens non initiés »[18].
Au début du rassemblement de Bagot, déchargées de leurs responsabilités familiales quotidiennes et fières de l’appui financier que leur avait apporté leur groupe parental, les femmes de Yuendumu observèrent d’abord les mises en scène des autres groupes aborigènes. Comme l’expliquèrent ensuite un certain nombre de femmes, elles se rendirent à Bagot nyanjaku « pour observer » et (wirntijalpalu karntapatuju lawa) « les femmes ne se rendirent pas pour danser ». Toutefois, par la suite, les femmes yamparru de Yuendumu organisèrent et présentèrent un répertoire considérable, mais non secret, de yawulyuwarrajanyayirni (représentations publiques de femmes seulement) qui invoquèrent les Rêves Émeu, Iguane, Carotte de brousse et Eau, pour n’en nommer que quelques-uns. Comme l’expliqua plus tard Dolly Nampijinpa Daniels à propos du rassemblement de Bagot :
Pour commencer, nous ne voulions pas danser. Nous ne connaissions pas ces femmes qui venaient d’autres endroits. Nous ne connaissions pas leurs territoires. Mais comme elles dansèrent, alors nous avons dansé aussi. Nous leurs avons montré que nous étions de puissantes femmes warlpiri de la terre du « spinifex » [Désert de Tanami]. Nous leur avons montré nos Rêves. Nous avons dansé tous les jours pendant une semaine. Nous nous sommes fait beaucoup d’amies de partout.
Les remarques de Dolly contiennent de nombreuses informations clés qui demandent à être approfondies. Les questions concernant la réticence, la compétence, la connaissance du répertoire des représentations ainsi que les forces concomitantes, physiques et spirituelles nécessaires à sa mise en scène – bref, toutes ces aptitudes et ces questions qui imprègnent les négociations précédant les cérémonies plus « traditionnelles » et « secrètes » – étaient présentes dans l’hésitation initiale des interprètes rituelles de Yuendumu. Dolly « ne voulait pas danser, au début » parce qu’elle s’inquiétait de ce qu’elle-même ainsi que ses parentes présentes au regroupement de Bagot n’avaient pas reçu l’autorisation des membres du groupe parental avec qui elles partageaient les droits et les devoirs rattachés aux récits du Rêve. Elle craignait de ne pas être habilitée à exécuter certains récits du Rêve qui étaient exigés au cours du rassemblement, parce qu’elle n’avait pas l’autorisation des autres kirda (propriétaires) et kurdungurlu (gérants) responsables de ces Rêves-là. Elle s’inquiétait aussi des conséquences d’une représentation qui aurait lieu dans un site géographique et cosmologique qui ne leur était pas familier (« Nous ne connaissions pas leur territoire »). De plus, l’absence de liens déjà formellement établis avec les leaders rituelles avec qui et pour qui elles donneraient leur représentation allait à l’encontre du processus « traditionnel » de collaboration cérémonielle. Toutefois, ces différentes inquiétudes furent compensées (sinon éliminées) par un plus grand nombre de spectatrices aborigènes aux célébrations wiri et kanunju, c’est-à-dire « très puissantes » et « internes »[19]. En l’absence de l’habituelle majorité de spectateurs non aborigènes, les yamparru warlpiri eurent envie d’affirmer la richesse de leurs « Rêves » et des sites qui leur sont associés devant les leaders rituelles qui pouvaient apprécier les nuances du jeu et la vitalité spirituelle de leur représentation. Ainsi, la résistance initiale s’affaiblit et les aînées mirent en scène des Rêves dans les cérémonies yawulyu pendant les six dernières journées de leur séjour.
Lorsqu’on leur demanda pourquoi le rassemblement de Bagot occupait une place particulière dans la mémoire de l’héritage rituel de Yuendumu, les interviewées remarquèrent que malgré l’habitude de donner des représentations pendant plusieurs semaines au cours des cycles rituels « traditionnels », il était rare que les interprètes rituelles de Yuendumu aient l’occasion de danser avec un si grand nombre de groupes de femmes aborigènes à la fois, ce qui rendait cette célébration rituelle nouvelle ou différente (jinta-karri jinta-karri).
Les yamparru expliquèrent en quoi consistait la nouveauté d’une telle célébration. Elles indiquèrent que d’autres groupes aborigènes présents avaient donné des représentations contenant des savoirs secrets (wiri) et que pourtant elles ne s’étaient pas senties obligées d’enseigner leurs Rêves ni de mémoriser ceux des autres groupes. Cela soulève une question fondamentale : pourquoi les interprètes rituelles de Yuendumu se sont-elles senties à l’aise en donnant une représentation où faisait défaut l’habituelle négociation visant l’échange des droits de représentations sur les récits de Rêves? L’essentiel de la réponse se trouve dans la dernière phrase de la brève évaluation de Dolly : « Nous nous sommes fait beaucoup d’amies de partout ». Le terme warlpiri que Dolly a utilisé pour désigner les amies – marlpa – spécifie la nature des liens formés à Bagot : ce sont des liens entre gens non apparentés. La nature des liens marlpa diffère des liens de parenté auxquels on se réfère « traditionnellement » et qui trouvent leur expression dans le terme warlalja[20]. Cette notion d’amitié marlpa doit être distinguée des liens warlalja en ce qu’elle exprime dorénavant, dans sa conception la plus large, cette solidarité panaborigène établie entre les leaders rituelles qui pare à l’obligation de réciprocité rituelle formalisée dans les échanges intergroupes en vigueur à Yuendumu. Pour l’essentiel, les liens marlpa ne comprennent pas aujourd’hui la négociation des savoirs rituels entre parents en vue des représentations rituelles. Les entrevues faites avec les leaders rituelles sur la signification de la manifestation de Bagot ont à nouveau évoqué cette notion d’« amitié » panaborigène qui a pris une résonance nouvelle et qui constitue un dividende rarement produit (ou apprécié) dans le contexte des cérémonies « traditionnelles ». Il est aussi important de noter l’absence de la notion de compétition ou du fait de « gagner » pourtant bien présente autrefois dans le discours, phénomène qui a été traité ailleurs (voir Dussart 2000a : 91-95, 137-138). De fait, les seuls matériaux rituels échangés à cette manifestation et aux manifestations subséquentes furent des yilpinji, chansons d’amour que les Warlpiri de Yuendumu situent à l’extérieur du répertoire des cérémonies qui rendent hommage à leurs ancêtres, à leurs terres et à leur Rêve[21].
Les cérémonies renouvelées créèrent des liens entre des aînées spécialistes des savoirs rituels auxquelles manquaient des liens plus formels basés sur le territoire. Et bien que les chants et les danses fussent présentés sans échange des droits de représentation, ils créaient néanmoins un nouveau sens de solidarité entre ces femmes porteuses de savoirs qui y participaient. Les liens marlpa établis à Bagot furent renforcés l’année suivante dans la ville de Derby où les aînées de Yuendumu, après avoir réuni suffisamment d’argent pour leur voyage et leur subsistance, se réunirent à nouveau à l’occasion d’une autre manifestation majoritairement aborigène, commanditée par la North West Women’s Association. À nouveau, les cérémonies publiques – surtout celles des Rêves de l’Émeu et du Feu – donnèrent l’occasion aux interprètes rituelles de Yuendumu de rencontrer celles qui occupaient les mêmes fonctions dans les autres communautés aborigènes. Et une fois de plus, on mit en scène les rituels en omettant les négociations harassantes qui précèdent, accompagnent et suivent habituellement les représentations rituelles publiques. Les aspects relatifs à la reproduction cosmologique qui ne touchent pas la prestation proprement dite, par exemple, les négociations préalables au rituel, furent assujettis aux impératifs culturels qui procédaient de l’événement lui-même. Les femmes dansèrent pour affirmer leur facilité d’expression et le savoir qu’elle implique, et elles le firent sans s’encombrer des devoirs parentaux accompagnant ces manifestations. Ces représentations montraient implicitement que les danses étaient l’expression de la compétence rituelle des interprètes, mais les histoires de Rêves dansées ne pouvaient pas être adoptées par les spectatrices dans leurs mises en scène futures. Aucune permission d’incorporation n’a été donnée, comme cela avait été le cas dans le passé. Pour l’essentiel, on les présentait sans les proférer, on les montrait sans les « partager », du moins au sens « traditionnel ». Les spectatrices n’étaient pas autorisées à intégrer les détails de la mise en scène dans leurs danses, ils ne pouvaient que témoigner [bear witness] – ce terme anglo-aborigène quasi juridique dont se servaient les exécutantes est sans doute un héritage de leur familiarisation avec les procédures judiciaires depuis leur sédentarisation – de la vitalité des interprètes et de sa perpétuation. Les danseuses de Yuendumu se montrèrent cohérentes puisqu’elles n’assimilèrent dans leur propre répertoire aucun des matériaux qu’elles avaient vu présenter par d’autres groupes au cours des assemblées de femmes auxquelles elles ont participé.
Tout comme à Bagot, l’assemblée de Derby fut marquée par une résistance initiale suivie de représentations rituelles animées qui durèrent deux jours. Les interprètes rituelles de Yuendumu se rendirent progressivement compte qu’elles pouvaient « se faire des amies » (à nouveau on utilisa le mot marlpa) parmi les femmes présentes et se produire pour elles sans violer les obligations de parenté de ceux qui n’étaient pas présents. Le rassemblement de Derby fit ressortir clairement la différence entre les cérémonies « traditionnelles » et les nouvelles. Les célébrations organisées dans un contexte élargi panaborigène créèrent un exutoire pour l’expression rituelle qui n’aurait pas pu se produire autrement. Même les leaders rituelles des communautés warlpiri voisines – par exemple, Yuendumu et Nyirrpi – pouvaient créer des liens de « rapprochement » rituels et spirituels décontractés, ce qui n’aurait pas été possible au cours des célébrations locales limitées aux parents proches. Absente également à Derby, la notion « traditionnelle » de « victoire », démarche inhérente des rassemblements antérieurs ; elle fut supplantée par un éthos élargi et non compétitif Yapa (aborigène en warlpiri) ou panaborigène, que la citation suivante exprime implicitement : « Toutes les femmes ont dansé correctement. Toutes les femmes se sont montrées fortes ». Ces descripteurs de force, de correction, de communion indiquent combien la mise en scène du Rêve demeure importante pour les participantes et combien les danseuses de Yuendumu construisent une pratique de l’« aboriginalité » fondée sur le genre et basée d’abord sur les liens d’amitié plutôt que sur les relations de parenté.
Les célébrations de Bagot et Derby entrèrent immédiatement dans l’histoire rituelle des yamparru de Yuendumu et des autres participantes. Cela mérite d’être noté puisque ces lieux géographiques n’évoquaient pour les yamparru de Yuendumu aucune signification concernant directement la réalisation de leurs rites. Aucun des deux endroits ne s’inscrivait dans les itinéraires Jukurrpa des interprètes. Et malgré l’absence d’échanges rituels formalisés, le fait que certaines femmes aient participé aux réunions de Bagot et Derby leur permit de voir augmenter leur prestige de leader dans les contextes cérémoniaux et autres une fois qu’elles furent revenues à Yuendumu. Il en résulta que Bagot et Derby s’intégrèrent à la topologie de l’aboriginalité qui privilégiait ainsi de nouvelles formes de politique identitaire. Sans rivaliser avec des expressions plus « traditionnelles » d’autorité rituelle, ces nouvelles formes coïncident avec des expressions d’autorité que l’on trouve dans les représentations secrètes du répertoire Jukurrpa et réservées à une assistance plus restreinte[22].
Rituels publics : 1993-2000
À la suite des rassemblements de Bagot et Derby, on organisa une série de célébrations entre groupes à intervalles rapprochés. Au début des années quatre-vingt-dix, des événements rassemblèrent les yamparru de Yuendumu partout à travers le Territoire du Nord et l’Australie occidentale – à Docker River, Utopia, Balgo, Alice Springs, Tennant Creek, Bililuna, Darwin – et souvent jusqu’à quatre fois par année[23]. Pour chacun de ces rassemblements, les femmes de Yuendumu recueillirent suffisamment d’argent en vue du voyage et comptèrent sur leurs parents et amis, de même que de façon minimale sur les Land Councils, pour les aider à participer à ces rencontres qui avaient lieu dans des endroits souvent fort éloignés. D’après les femmes interviewées à cette époque et par la suite, ce rythme effréné de représentations rituelles engendra beaucoup de tensions. Mais on considérait que ce stress en valait la peine puisque le réseau de liens qui unissait les interprètes ou les actrices rituelles de Yuendumu et celles des autres localités et villes s’élargissait et s’approfondissait. Les mises en scène de cérémonies warlpiri et autres se multiplièrent, car personne n’avait besoin d’établir d’échanges obligatoires de ses savoirs cérémoniels. Vers 1993, le calendrier des représentations publiques de rituel commença à ne s’intéresser qu’à un seul événement annuel – événement qui a acquis depuis une signification et une envergure croissantes et qu’on appelle le Women’s Law and Culture Meeting. Cette rencontre annuelle, qui eut en 1993 pour hôtesses les femmes alyawarra d’Utopia et qui fut d’abord commanditée par le Central Land Council (CLC), réunissait (et continue de réunir) les interprètes rituelles Aborigènes dans le but de réaliser des démonstrations rituelles comportant peu ou pas d’obligations pour les spectatrices[24]. Le premier rassemblement de 1993 compta 200 danseuses originaires d’environ 12 communautés[25]. En 1995, l’assistance augmenta et la rencontre qui se tint à Docker River réunit 500 femmes. Et en 1999, plus de 800 femmes assistèrent au regroupement qui eut lieu cette fois à Kintore (voir Cox et McCarthy 1999 : 18)[26].
Malgré leur croissance, les Women’s Law and Culture Meetings des premières années ressemblèrent à celles de Bagot et Derby en ce qu’on y évita certaines des mises en scène rituelles du Jukurrpa que l’on considérait comme « secrètes ». Toutefois, à partir de 1996 environ, les yamparru Warlpiri augmentèrent leur répertoire de représentations en y incluant certaines versions féminines de récits Jukurrpa non publiques (secrètes) et réservées aux femmes, versions qu’elles présentèrent devant des assistances de femmes aborigènes initiées. À nouveau, il faut souligner qu’il n’y eut pas de droits de représentation octroyés aux spectatrices de ces Rêves comme cela aurait été le cas très probablement si ces représentations avaient été négociées selon les termes des « affaires traditionnelles ». Pourtant, celles qui y avaient assisté reconnurent que la représentation de segments non publics tranchait radicalement avec les contenus habituels des représentations publiques antérieures. Il y avait eu des précédents : on avait donné des représentations de contenus secrets devant des non-Warlpiri, mais celles-ci avaient toujours été accompagnées d’importantes négociations et elles pouvaient se rattacher d’une façon ou d’une autre à des questions d’initiation et à d’autres cérémonies « traditionnelles ». En 1997, on effectua des versions réservées de récits du Rêve qui appartenaient aux personnes sur place et on les présenta avec peu de négociations concernant l’échange des droits[27]. Lorsqu’on leur demanda pourquoi de telles mises en scène avaient reçu l’autorisation ou le consentement tacite de parents qui n’étaient pas présents aux représentations, les leaders firent remarquer qu’on n’avait octroyé aux spectatrices aucun droit sur l’orchestration des récits de Rêves warlpiri. Cela ne veut pas dire que le sens du rituel se trouve diminué par l’absence d’échange. Selon les participantes, les danses rendent toujours hommage au Jukurrpa. Elles remarquèrent à plusieurs reprises que ces rassemblements intergroupes rendaient leurs « ventres heureux », signe de santé du corps et de l’esprit nourris par le partage avec toutes celles qui sont présentes, avec des amies.
Conclusion
Voici réitérée une observation précédente : les représentations rituelles publiques à Yuendumu constituent un espace où la société warlpiri se construit et se projette. Avec l’érosion des obligations de parenté au cours des cérémonies publiques et la diminution du nombre de représentations destinées à des assistances non aborigènes, les leaders rituelles warlpiri ont reconfiguré les fonctions sociales de ces cérémonies. Elles les organisent maintenant comme un moyen d’établir un réseau de liens solides (et collectifs) avec les interprètes aînées des rituels d’autres localités. Cette reconfiguration répond à la diminution des demandes de rituel liées à des motifs traditionnels provenant de l’intérieur de la localité et aux frustrations que les rituels publics ont engendrées dans le contexte interculturel. Mais une question reste à étudier : quel est l’impact des Women’s Law and Culture Meetings sur le processus d’aboriginalisation? Comment de telles rencontres changent-elles la façon dont les participantes aborigènes se considèrent les unes les autres, se perçoivent dans leurs relations avec l’État et l’ensemble de la société australienne?
À la suite de l’étude pionnière de Jeremy Beckett en 1985 sur la construction de l’aboriginalité, on peut concevoir les rassemblements étudiés dans cet article comme des forums dans lesquels les interprètes et leurs leaders expriment leurs liens aux autres interprètes, et au cours desquels se construisent les diverses notions relatives à l’« aboriginalité ». La dimension compétitive des rituels publics ne s’y exprime plus régulièrement. Ce changement expose, encore une fois, la nature dynamique d’une société prétendument sédentaire et montre la fluidité de la déclaration du rituel en tant qu’agent de représentation sociale. Dit succinctement, le rituel célébré entre Aborigènes projette la réalité d’une population d’interprètes rituelles vieillissantes, qui trouvent réconfort et rendent hommage à leur cosmologie en célébrant avec d’autres interprètes, formées de façon similaire, des amies. Et si les interprètes rituelles de Yuendumu présentent maintenant des matériaux secrets dans un contexte où elles n’ont pas à échanger de savoirs rituels, elles le font en tant qu’acte de repli générationnel. Les interprètes rituelles encore actives et aujourd’hui âgées notent régulièrement que bien peu de leurs jeunes parentes désirent embrasser la rigueur des obligations rituelles. Pour combattre cette érosion des représentations, les interprètes actives sur le plan rituel ont élargi les contextes dans lesquels il est possible de faire revivre la mythologie « traditionnelle ». Dans leurs remarques teintées de tristesse, de fierté, de bonne humeur et de vulnérabilité, les yamparru, pour la première fois, affirment la fragilité des gardiennes du Jukurrpa et la nécessité de l’entretenir dans un contexte aborigène plus général. Et bien que les représentations des Women’s Law and Culture Meetings qui se tiennent à l’extérieur de la localité ne puissent revitaliser directement la vie rituelle de Yuendumu, elles contribuent néanmoins à rendre les interprètes plus fortes à une époque où la force du rituel semble moins abondante. De la sorte, les interprètes rituelles aînées warlpiri de Yuendumu établissent, avec d’autres interprètes non warlpiri qui partagent leurs soucis, un nouveau sentiment de solidarité autochtone. Elles dansent pour elles-mêmes, pour les autres femmes et pour le Jukurrpa qui les réunit. En résumé, les Women’s Law and Culture Meetings accordent aux interprètes rituelles vieillissantes un nouvel espace dans lequel elles peuvent affirmer leur prestige, montrer leurs savoir-faire et perpétuer la cosmologie qui en est la cause première. Et voilà pourquoi ces rencontres constituent un nouvel exemple de la manière dont le rituel et ses interprètes se sont adaptés à la « constance du changement » qui a constitué une partie essentielle de la vie cérémonielle des Warlpiri pendant le demi-siècle dernier.
Parties annexes
Notes
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[1]
Je désire remercier en particulier Rosy Nangala Fleming et Dolly Nampijinpa Daniels ainsi que Nancy Munn, David Nash, Nicolas Peterson, Peter Sutton, Sylvie Poirier de même que deux lecteurs anonymes pour leurs commentaires perspicaces. Je souhaite aussi remercier particulièrement David Nash et Carolyn Schwarz qui ont partagé avec moi leurs références à un moment crucial. Les expressions malheureuses ou les erreurs demeurent toutefois miennes.
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[2]
Les Warlpiri croient qu’au Temps du Rêve, des êtres semblables aux humains, des animaux – comme les kangourous, les émeus – ainsi que des êtres végétaux ont émergé de la terre. Ces ancêtres légendaires ont façonné le paysage et ont enseigné aux premiers humains comment vivre. Chaque endroit qu’ils ont visité devint un site sacré. Tout au long de leurs itinéraires, ces êtres mythiques ont accompli des prodiges que les rituels mettent en scène depuis.
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[3]
Voir aussi les intéressants ouvrages de Langton (1993), Morphy (1998) et Pearson (2000).
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[4]
Voir par exemple Kolig (1981), Meggitt (1966), Dussart (2000a), Peterson (2000), Poirier (1996).
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[5]
Dans le livre de Dussart (2000a), une erreur s’est malencontreusement glissée : on trouve partout yawulyu warrajanyani, alors qu’il faudrait lire yawulyu warrajanyayirni.
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[6]
Le jugement Mabo prononcé par la High Court en 1992, déclara que l’Australie n’était pas terra nullius (littéralement « la terre de personne », donc sans propriétaire) au moment de la colonisation, et reconnut l’existence des titres aborigènes lorsque aucune loi légitime de la Couronne ne les avait éteints. L’année suivante, le Native Title Act fut adopté pour faciliter la mise en oeuvre de la reconnaissance des titres aborigènes ; voir aussi Sharp (1996), Peterson et Sanders (1998), Sutton (1998).
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[7]
Les purlapa, que l’on désigne souvent par l’appellation générique de « cérémonies publiques des hommes », ressemblent aux yawulyuwarrajanyayirni, ou représentations publiques des femmes, à la fois par le type d’exécution et par ses fonctions sociales. On ne les présente plus que rarement de nos jours. Dans le contexte élargi et beaucoup plus ouvert des premières années de la sédentarisation, ces mises en scènes publiques permettaient aux leaders rituels de manifester leurs droits sur les récits mythiques et les sites sacrés ainsi que sur les ressources qui y sont associées, devant d’autres groupes, principalement Warlpiri, qui se trouvaient également forcés de se sédentariser à Yuendumu.
-
[8]
En Warlpiri, kardiya désigne « les gens à la peau claire ».
-
[9]
Dans le sillage du mouvement des revendications territoriales, un autre type de représen-tations rituelles apparut à Yuendumu sous la conduite des missionnaires. On les appela d’abord « Church corroboree » (les corroboree d’église) et plus tard « Church Purlapa » (les Purlapa d’église). Ces activités créolisées, associant des éléments du récit chrétien (surtout baptiste) aux rythmes des rituels warlpiri, étaient effectuées en public par les hommes et les femmes âgés. Ces Purlapa d’église, dont l’origine remonte aux effets d’une activité missionnaire de longue date, ne furent constitués officiellement qu’après 1977 et leur direction ainsi que leur exécution ne relevait presque exclusivement que des membres de deux groupes résidentiels apparentés. Contrairement aux rituels réalisés en fonction des Land Claims, et plus tard à l’occasion d’autres événements politiques, on ne mentionna que rarement les Purlapa d’église parmi les événements importants ayant eu lieu entre 1983 et 1992. Il est difficile de saisir comment le fait d’avoir participé à ce type d’activités a pu jouer sur la nouvelle orientation que les interprètes aînés du rituel de Yuendumu ont donnée aux prestations publiques, car c’est à peine si ces derniers les mentionnent dans leurs explications du changement. Aujourd’hui, on présente rarement les Purlapa d’église, et les jeunes Warlpiri qui se disent chrétiens leur substituent la création de groupes de musique et de chants. Tout récemment, certains membres de ces groupes musicaux ont participé aux assemblées d’église dans les villes et cités des environs et y ont rencontré divers groupes aborigènes provenant de toute l’Australie. Ce type de participation a fini par « remplacer » les cérémonies qu’exécutaient des acteurs rituels plus âgés dans les assemblées et les festivals chrétiens ; voir, par exemple, Bos (1981), Magowan (1996, 2001), MacDonald (2002).
-
[10]
Hommes et femmes détiennent l’un et l’autre des droits paternels en tant que propriétaires (kirda) et des droits maternels en tant que gérants (kurdungurlu) des territoires et de leurs Rêves correspondants. Les enfants d’une même famille, qu’ils soient garçon ou fille, héritent habituellement leurs droits de propriétaires ou de gérants suivant leurs lignages patrilinéaire et matrilinéaire. Les propriétaires ou kirda possèdent le droit et la responsabilité d’acquérir le savoir sacré, de le transmettre, de célébrer les rituels qui font revivre les récits du Rêve dont ils ont hérité ainsi que de pratiquer la chasse et la cueillette sur leurs terres. Les gérants ou kurdungurlu doivent s’assurer que les propriétaires remplissent tous leurs devoirs « correctement ». De la sorte, pour quelque site sacré et Rêve que ce soit, il existe un groupe de parents interreliés qui sont kirda et kurdungurlu. En théorie, cette relation de parenté est réciproque.
-
[11]
D’autres ont noté la tension qui existe entre l’intérêt personnel et l’intérêt du groupe de parents. Voir en particulier le dernier article fort pertinent d’Austin-Broos (2003).
-
[12]
On trouvera dans Dussart (1999) et Myers (2001a et b, 2002 : 268) une réflexion sur les tensions ressenties par les groupes aborigènes du Désert central lors de la création d’art aborigène quand elle a lieu dans des endroits non autochtones.
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[13]
Dans son analyse de 1995 à propos des représentations que les procédures des revendications territoriales suscitaient dans les différentes circonscriptions, Merlan note la douloureuse expérience des Aborigènes qui, pour revendiquer la propriété de leur territoire originel, étaient confrontés au rythme frénétique des procédures judiciaires occidentales.
-
[14]
Bien que les leaders de Yuendumu préfèrent limiter le nombre des représentations destinées aux assistances non aborigènes, ils considèrent que les peintures acryliques sur toile représentant les récits du Rêve sont suffisamment puissantes pour créer des liens à distance entre créateurs et acheteurs, conservateurs, collectionneurs, visiteurs dans les musées, et ainsi de suite. Comment les Warlpiri évaluent-ils l’efficacité de ce type de relations à distance pour l’établissement de liens chaleureux et réciproques? Disons simplement que lorsqu’ils reçoivent de nouvelles demandes de toiles, qu’elles proviennent de lieux, d’institutions ou d’individus, cela constitue pour eux le signe qu’on continue de se préoccuper de leur territoire, d’apprécier leur savoir culturel. Lorsqu’ils ne reçoivent plus de nouvelles demandes, ils considèrent que les institutions et les gens sont sans coeur ou sans valeurs, c’est-à-dire « punku » en warlpiri. Voir dans le livre novateur de Myers (2002), son étude détaillée sur les toiles acryliques en tant qu’objets interculturels.
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[15]
Voir Merlan (1995 : 69).
-
[16]
L’adoption de cette loi a eu une influence directe sur l’accès des Warlpiri à la terre ; toutefois, les Warlpiri avaient réussi à reprendre avant 1993 plus de la moitié de leurs terres, puisque ces terres étaient considérées comme des terres de la Couronne inoccupées [Vacant Crown Land] et pouvaient être revendiquées en vertu de la NT Land Rights Act de 1976. Cela n’est évidemment pas le cas pour la plupart des autres groupes aborigènes d’Australie.
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[17]
Le terme anglo-aborigène « business » désigne les activités rituelles en général.
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[18]
Cette priorité paraît différente de celle des autres groupes qui participent à ces rassemblements. De fait, certaines conçoivent ces événements comme une occasion propice à la transmission de leur savoir aux jeunes filles. Voir le Central Land Council Report (1992-1993 : 37).
-
[19]
Le mot kanunju renvoie au savoir ou à une cérémonie rituelle secrète. Les informatrices se servaient des mots kanunju et wiri pour parler du rassemblement et elles ajoutaient que c’était un rassemblement secret puisque certains groupes aborigènes y exposaient des savoirs secrets.
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[20]
« Warlalja, ce mot que les Warlpiri emploient pour désigner la “famille” », ne se restreint pas aux parents effectifs d’ego, mais s’étend, comme l’ensemble d’ailleurs de la vie rituelle, aux parents résidentiels » (Dussart 2002 : 44).
-
[21]
Il importe de noter que si les « chansons d’amour » ont une signification rituelle et cosmologique profonde pour de nombreuses femmes aborigènes, y compris pour des Warlpiri d’autres localités, les femmes de Yuendumu ne considèrent pas que les yilpinji véhiculent beaucoup de puissance. On trouvera une analyse plus détaillée de la valeur relative des « chansons d’amour » selon chaque localité dans Dussart (2000a), Bell (1983), Berndt (1950, 1965) et Poirier (1996).
-
[22]
David Nash, commentant une version précédente de cet article, me rappela que, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des hommes et des femmes aborigènes s’étaient rendus dans quelques-unes de ces villes et petites localités pour travailler à l’installation de clôtures ou à la construction du fameux Stuart Highway. On peut présumer sans risque de se tromper que les gens de Yuendumu y rencontrèrent des Aborigènes d’autres localités, qu’ils ont discuté avec eux et échangé des matériaux rituels, ouvrant en un sens la voie au redéploiement rituel contemporain dont je parle ici. Toutefois, aucune des femmes que j’ai interviewées n’a mentionné de liens préexistants avec ces endroits. Cela s’explique sans doute en partie du fait que je n’ai tout simplement pas posé de question à ce sujet.
-
[23]
Ann Mosey, communication personnelle (1993).
-
[24]
Deux rassemblements célébrant les « affaires des femmes » furent commandités presque dos à dos en 1993 dans deux États différents, l’Australie occidentale et le Territoire du Nord. Le premier de ces deux événements se tint en Australie occidentale dans la localité de Balgo et le second à Utopia dans le Territoire du Nord. La rencontre des femmes de Balgo fut commanditée par la Western Australia Cultural Foundation et l’ATSIC, tandis que le Central Land Council commandita celle d’Utopia. Vingt-cinq aînées de Yuendumu assistèrent à la cérémonie de Balgo, mais seulement quinze se rendirent à Utopia. Toutefois, ces aînées fondirent dans leurs discours ces deux événements en un seul récit, celui d’un grand moment de célébrations des « affaires des femmes » par plus de 15 groupes de femmes aborigènes provenant du Territoire du Nord et de l’Australie occidentale. L’initiative d’aide financière du CLC a subsisté tandis que celle de la Western Australia Cultural Foundation ne l’a pas fait. L’ATSIC, toutefois, est aujourd’hui l’autre commanditaire important des rencontres du Women’s Law and Culture avec le CLC et d’autres ONG.
-
[25]
Dans le rapport annuel du Central Land Council de 1992-1993, on mentionne que 700 femmes ont assisté à la première rencontre. Cela semble probable si je me réfère à mes entrevues, mais la plupart des interviewées soutinrent qu’il n’y eut pas plus de 200 femmes qui participèrent directement aux mises en scène rituelles.
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[26]
D’après les entrevues que j’ai faites, il est difficile de savoir combien de femmes dansèrent parmi les 800 de l’assistance.
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[27]
La mise en scène de récits du Rêve dans des versions réservées à des audiences d’initiées a coïncidé avec des décisions prises par les aînées et ensuite formellement rédigées en avant-projet par des représentants du Central Land Council et des aînées participant au Women’s Law and Culture Meetings. On y stipule un certain nombre de règles qui visent la participation aux Women’s Law and Culture Meetings, énumérant par exemple : qui peut participer, les vêtements que les interprètes doivent porter, les rôles que les Blancs peuvent ou ne peuvent pas y jouer, et ce qui peut être ou ne doit pas être communiqué publiquement. Les 18 femmes de Yuendumu que j’ai interviewées entre 1993 et 2000, avant leur participation aux rassemblements annuels des Women’s Law and Culture et à leur retour, désiraient raconter la vitalité de ces représentations et accordèrent leur consentement à l’analyse de cette vitalité sans toutefois divulguer le contenu d’aucune représentation donnée au cours de ces rencontres. Elles ne commentèrent pas les présentations des autres femmes aborigènes puisqu’elles ne détenaient pas les droits de le faire.
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