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Issu d’un mémoire de maîtrise, l’ouvrage présente le point de vue des Anglo-Montréalais sur leur ville. Il s’agit de certains Anglo-Montréalais : l’échantillon est en effet composé de personnes de langue maternelle anglaise, d’origine anglo-celtique, nées à Montréal ou y ayant emménagé avant l’âge de 10 ans et « de classe moyenne au sens britannique du terme » (p. 23). Sont exclus les leaders et ceux qui ne sont pas plus ou moins chrétiens (protestants et catholiques). Ce critère religieux surprend, car on peut penser que le critère « anglo-celtique » éliminait d’office la majorité des juifs et des orthodoxes (exclus de la chrétienté?!) que l’auteure dit avoir souhaité exclure (p. 24). Aucune donnée démographique n’est fournie permettant de savoir quelle proportion des Anglo-Montréalais n’est pas « plus ou moins chrétien » (notamment athée), ni dans quelle mesure ce critère restreint son échantillon. Notons que la chercheuse semble correspondre à tous ces critères sauf celui de l’ancienneté comme Montréalaise.
Après une disqualification radicale de l’approche sémiotique et du constructivisme qui sont quelque peu caricaturés (la sémiotique culturelle ne se résume pas aux analogies linguistiques ni le constructiviste à une approche désincarnée), l’auteure expose son option pour la théorie de l’engagement, adoptée essentiellement a posteriori et choisie pour des motifs pragmatiques. Pour elle, l’approche théorique n’est pas guidée par la nature de la connaissance, ne détermine pas le choix d’une méthode, ni ne sert à tester des liens de causalité entre les fait, mais constitue plutôt un support pour justifier l’importance de thèmes et organiser conséquemment la présentation de ses données.
D’où un certain flottement épistémologique : « la principale difficulté avec le paradigme constructiviste [...] c’est que la réalité est relative et locale » (p. 12) affirme l’auteure, justifiant ainsi le rejet de ce paradigme. Un peu plus loin, elle semble épouser une vision radicalement réaliste, critiquant le fait qu’en poussant à bout la logique du constructivisme la réalité devient inaccessible (p. 13). Pourtant, elle démontre çà et là des positions relativistes ou subjectivistes absolument anti-réalistes, et rien dans ses données ou dans sa conclusion ne nie le fait que la réalité soit relative et locale. Peut-être ne faut-il pas cependant accorder ici une importance démesurée aux considérations épistémologiques, fréquemment peu élaborées dans le cadre d’un mémoire de maîtrise.
La proximité culturelle entre la chercheuse et ses informateurs ne l’aura pas incitée à se documenter systématiquement a priori sur la culture anglo-saxonne. La recension des écrits sur le groupe se restreint essentiellement à l’histoire des Anglo-Montréalais à partir de la conquête.
L’auteure, à travers des entrevues semi-dirigées et une séance de discussion, fait l’ethnographie qualitative des lieux de la vie quotidienne et des significations qui leur sont attribuées. Elle interroge ses informateurs sur leurs parcours résidentiels et sur ce pourquoi ils ont choisi de rester à Montréal tandis que bon nombre de leurs amis ont choisi d’en partir. Elle montre l’importance pour les Anglo-Montréalais des lieux où ils se sentent à l’aise à Montréal, du fait qu’ils trouvent la ville agréable, en apprécient la diversité et la tolérance et sont attachés à leurs institutions.
En ressort un portrait d’Anglo-Montréalais qui ne se sentent plus une majorité, mais affirment appartenir à une ville qu’ils ne veulent pas quitter malgré les inquiétudes politiques de plusieurs.
Nous avons souligné plusieurs limites à cette étude. La plus importante réside dans le fait que l’auteure, partageant largement la culture du groupe étudié, n’a pas adopté a priori de stratégies pour parvenir à une distanciation critique et analytique qui lui permette de se détacher suffisamment du sens commun explicite et conscient de ses informateurs. Néanmoins cet ouvrage fait oeuvre utile, les Anglo-Montréalais n’ayant pratiquement pas fait l’objet de recherche ethnographique, et à travers la richesse de ses données, exposées de manière très intelligible, il nous apprend non seulement des choses sur l’identité du groupe étudié, mais aussi sur les spécificités de Montréal comme contexte de socialisation et d’intégration. En cela, il mérite des éloges.
La traduction assurée par l’auteure est généralement satisfaisante à l’exception de quelques passages concentrés dans la conclusion et dans l’exposition du cadre théorique, où l’on décèle de nombreux anglicismes, des erreurs de genre, de préposition, etc. Curieusement, les passages plus lyriques semblent avoir été révisés avec plus de soin. Le passage le plus intéressant se trouve dans la conclusion, où exceptionnellement l’auteure cite des données ethnologiques sur la comparaison interculturelle entre Anglo-Celtiques et autres groupes en matière de confort et qui établissent des liens éclairants entre cette particularité culturelle du groupe étudié et le contexte socio-politique de Montréal.