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Les modes de prise en charge de l’institution psychiatrique française font l’objet, depuis ces trente dernières années, d’une série de transformations et d’extensions considérables. Curieusement, il semble que les sociologues, dont les analyses pourraient se situer dans le sillage de Robert Castel, négligent les déploiements de cette fonction dans le champ plus général et social de la santé mentale et de sa promotion. Il en est ainsi des deux dossiers spéciaux que consacre la revue à la question des rapports entre Psy(chanalyse) et société (clinique du social) et en particulier sur la présence des psy dans la cité (les champs sociaux de la clinique).
Tout d’abord, il y a lieu de se demander si l’angle retenu, qui est de convoquer les agents de soin eux-mêmes — psychiatres, psychologues, psychanalystes, ordinairement confondus dans la fonction psy — est un choix heureux. Il peut en effet paraître étrange que les vecteurs mêmes de diffusion de la « psychologisation » du monde ne fassent pas l’objet de ces dossiers singulièrement partiels. Car si chacun de ces professionnels constate les problèmes sociaux — précarité, exclusion, immigration — et leur lien à la « souffrance psychique »[1], ils ne cessent d’en rendre compte partialement dans les termes d’un discours psy qui semble aller de soi, l’enjeu étant alors d’introduire ce discours, surtout psychanalytique, dans les sciences sociales : pour une clinique du social.
Ainsi les uns tentent de renouer psychanalyse et sciences sociales sur des objets tiers (Michèle Betrand et Bernard Doray) ; les autres tentent de dénouer leurs liens classiques et ordinaires, contre l’ethnopsychiatrie notamment (Olivier Douville). Lorsque Richard Rechtman, qui fait ici figure d’exception, dégage la mission de prévention et de gestion des formes de violence du champ de la santé mentale, et se dégage de son idéologie professionnelle, il montre avec justesse que la reconnaissance du caractère violent (maltraitance, abus sexuels, violences familiales, etc.) relève en dernière instance d’une construction politique et sociale. Il s’agit d’une description qui va d’ailleurs à l’encontre de l’interprétation analytique de la violence (Eugène Enriquez et Jean-Pierre Lebrun).
Le second dossier qui donne des illustrations précises des domaines d’intervention des psy (les SDF, Sylvie Quesemand-Zucca ; les migrants aux Pays-bas, Jack Le Roy ; les migrants âgés du Maghreb, Atmane Aggoun) ne permet pas de décider s’ils se réduisent ou non à une psychiatrisation de l’inégalité et de l’injustice. On ne s’étonnera guère de ne rien trouver sur la soudaine visibilité et l’introduction massive de psychologues cliniciens sur ce marché devenu depuis les vingt dernières années hautement concurrentiel. On lira cependant avec intérêt la contribution de l’ARPP[2] sur la transformation et formation de la pratique du psychosociologue par l’effet d’une cure. La cure est en effet décrite, au cours de divers entretiens, comme un élément d’un cursus qui conditionne l’acquisition d’une compétence spécifique, un savoir-faire et un savoir-être particulier et donc un élément de distinction entre professionnels.
Parties annexes
Notes
Référence
- Fassin D., 1996, « Les usages des la souffrance physique » : 67-74, in F. De Rivoyre (dir.) Souffrance psychique, une souffrance ordinaire. Paris, L’Harmattan.