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À l’aube des 40 ans de l’adoption de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, chapitre A-2.1), la journaliste Marie-Ève Martel expose plusieurs cas de figures représentant l’état actuel de l’accès à l’information dans son essai Privé de sens : plaidoyer pour un meilleur accès à l’information au Québec, paru à l’automne 2021 aux éditions Somme toute. L’ouvrage insiste sur l’importance toujours grandissante de l’information au XXIe siècle (utilisée entre autres comme monnaie d’échange par les entreprises) et qui reste au coeur des prises de décisions. L’auteure déploie son argument en sept chapitres.
La première partie définit l’information comme un bien public et explique qu’il s’agit, par conséquent, d’un fondement du droit d’accès à l’information pour le bon fonctionnement de la démocratie. Comme l’auteure le précise, c’est une chose pour le citoyen de savoir qu’une décision a été prise sur un sujet donné mais c’en est une toute autre de connaître l’information qui a mené à cette décision et d’y avoir accès. Elle tente aussi de baliser ce qui peut être qualifié d’information d’intérêt public, car la ligne est parfois mince avec la vie privée.
La seconde partie, qui fait près du quart de l’ouvrage, présente la Loi et son application. L’auteure démontre la dualité constante entre la protection des renseignements personnels ou de la confidentialité versus l’accès à l’information. Bien que l’intention initiale de la Loi était de tendre vers un État transparent, le manque de neutralité, les exceptions trop vagues, l’excès de prudence ainsi que le flou dans l’interprétation des restrictions auront nui à l’atteinte de cet objectif avec le temps. L’ouvrage présente quelques exemples démontrant l’hétérogénéité des réponses reçues pour une même information demandée. D’autres occurrences évoquent les motifs du demandeur et la méfiance des organismes à trop en dévoiler, les demandes considérées comme abusives ou encore la peur de l’interprétation qui pourrait être faite des documents transmis. Sont également mentionnés les cas de caviardage d’informations pourtant publiques, les frais de traitement élevés, ainsi que le recours aux dix jours de délai supplémentaire, tantôt sans justification, sinon en invoquant les articles de la Loi sur l’accès au sens très large ou de manière vague et incomplète. À cela s’ajoutent les cas où des responsables attendent à la dernière minute pour répondre, parfois dans le but de retarder les reportages de journalistes. L’auteure dresse également un portrait où certains responsables de l’accès dans les organismes publics manquent soit de ressources, soit de formation spécialisée (ou les deux à la fois) et donc de compétences. Elle propose d’ailleurs de nommer plus d’un responsable des demandes d’accès au sein d’un organisme pour éviter les décisions arbitraires ou les possibles conflits d’intérêts.
La troisième partie porte sur le besoin d’une véritable refonte en profondeur de la Loi, demandée depuis longtemps par la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI), afin de renverser la tendance des recours aux exceptions pour, par exemple, justifier un refus. On y aborde les récents projets de Loi 64 sur la modernisation de la loi relativement à la protection des renseignements personnels et de Loi 78 pour une plus grande transparence des entreprises. On observe que certaines lois sectorielles ajoutent des freins à l’accès à l’information par leurs restrictions et parfois même par leur préséance à la Loi sur l’accès. Marie-Ève Martel nous démontre que maintes propositions de solutions existent déjà, que ce soit dans le dernier rapport quinquennal de la CAI (2016) ou dans le rapport d’un groupe de travail du Barreau (2019). Elle nous propose aussi quelques suggestions personnelles, par exemple l’embauche d’un gestionnaire unique, responsable de l’application de la Loi sur l’accès à l’information pour plusieurs organismes. Malgré plusieurs promesses de refonte législative, elle constate que les procédures stagnent et que le processus doit recommencer après chaque élection. On dit vouloir être plus transparent, or on tarde à réellement enclencher le changement.
La quatrième partie, quant à elle, nous informe principalement sur les lanceurs d’alerte qui se retrouvent parfois déchirés entre le devoir de loyauté envers leur employeur (par la rétention d’informations qui pourraient ternir la réputation de l’organisme public qui les emploie) et celui qu’ils ont envers la population (leur clientèle). Après avoir soulevé une problématique à l’interne sans résultat, ces employés deviennent alors dénonciateurs et sources souvent anonymes des journalistes pour rendre compte de l’information auprès des citoyens.
L’accès aux documents dans les municipalités est ensuite abordé dans la cinquième partie de l’ouvrage, qui rapporte des niveaux de détails très variables dans l’information partagée, en raison de l’absence de standards, et selon le bon vouloir des élus et des fonctionnaires en poste. Par exemple, certains responsables vont se contenter de transmettre l’information minimum légale, ce qui peut mener à un désintéressement des citoyens qui sentent qu’on ne leur dit pas tout. Le cas présenté est celui de décisions prises lors de débats à huis clos, une tendance que plusieurs élus municipaux commencent à dénoncer, car nuisant à la démocratie.
L’auteure nous présente enfin quelques cas plus positifs de transparence dans la sixième partie portant principalement sur les données ouvertes et sur la divulgation proactive, dont celui du portail Données Québec. Elle mentionne que cette plus grande ouverture permettrait de diminuer le nombre de demandes d’accès et éviterait que les exceptions deviennent la règle, comme c’est souvent le cas actuellement. Tout partager de prime abord (sauf ce qui est de nature confidentielle, bien sûr) serait plus en accord avec l’esprit de la Loi, selon la CAI.
Enfin, la septième partie nous rappelle que l’accès à l’information n’est pas tout puisqu’il faut aussi être en mesure de comprendre les documents ou données obtenus pour pouvoir bien les interpréter. L’auteure nous fait remarquer que la population démontre une méconnaissance des lois ainsi que de son droit d’accès à l’information et est mal informée sur les ressources disponibles pour l’aider. Selon Marie-Ève Martel, un cours d’éducation citoyenne pourrait s’avérer une solution.
L’ouvrage présente de nombreux exemples concrets de situations liées à l’accès à l’information, permettant ainsi de bien cerner la situation. En rapportant les propos de Me Diane Poitras, actuelle présidente de la CAI, ainsi que les maints témoignages de journalistes et d’intervenants en relations publiques, Marie-Ève Martel vient renforcer son discours. L’auteure apporte de nombreux faits et chiffres pour rendre compte de manière concrète de l’ampleur de la problématique liée au droit d’accès aux documents des organismes publics et des quelques solutions qui voient progressivement le jour depuis ces dernières années. Mais malgré la mention de rapports portant sur le sujet et surtout de mémoires et d’opinions de la CAI, l’auteure semble cependant nous présenter qu’un seul côté de la médaille, soit celui des demandeurs. Connaître l’avis de ceux qui doivent mettre en pratique la Loi aurait certainement été pertinent pour mieux comprendre les défis auxquels ils font face.
En tant que gestionnaires de l’information, il nous sera difficile de ne pas laisser aller quelques soupirs de découragement en lisant certains des cas présentés. Impossible de rester indifférents face à ces situations qui démontrent à l’occasion un manque de volonté de la part des responsables de l’accès dans divers organismes publics. Il faut bien évidemment aussi mentionner le manque de ressources et de temps. L’ouvrage nous amène finalement à réfléchir sur le rôle de l’archiviste, ou de tout autre intervenant du milieu peu importe son titre d’emploi, dans le cadre des demandes d’accès à l’information. Comment pouvons-nous nous intégrer au processus ? En tant que novice dans le domaine de l’archivistique, j’y vois surtout un autre malheureux exemple du manque de valorisation (et surtout de reconnaissance) de nos compétences en gestion de l’information. Aucune mention n’est d’ailleurs faite dans l’ouvrage de Mme Martel du Mémoire de l’AAQ sur le rapport quinquennal 2016 de la Commission d’accès à l’information, « Rétablir l’équilibre », publié en juin 2017, qui soulève pourtant certaines nuances face à l’opinion de la CAI.
Maintenant que la Loi a atteint la quarantaine, espérons que ce livre saura inciter d’autres milieux professionnels à unir leurs voix à celles des archivistes afin de conscientiser la population, mais surtout les élus, sur l’importance d’une réforme de la Loi sur l’accès pour enfin permettre un meilleur partage de l’information détenue par les organismes publics.
Parties annexes
Bibliographie
- ASSOCIATION DES ARCHIVISTES DU QUÉBEC. (2017, juin). Mémoire de l’AAQ sur le rapport quinquennal 2016 de la Commission d’accès à l’information, « Rétablir l’équilibre ». Repéré à https://archivistes.qc.ca/wp-content/uploads/2016/09/Memoire_Rapport_quinquennal_CAI.pdf