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Les auteurs sont Michael Moss, professeur en archivistique, Barbara Endicott-Popovsky, professeure en cybersécurité et Marc J. Dupuis, chercheur en cybersécurité. Le premier travaille à l’Université de Northumbria en Angleterre et les deux autres à l’Université de Washington où ils sont notamment directeurs du Center for Information Assurance and Cybersecurity. Ils dirigent ici un ouvrage collectif composé de neuf chapitres rédigés par treize auteurs aux horizons variés. Les contributeurs proviennent autant du Royaume-Uni, des États-Unis que de l’Australie. Ils sont professeurs dans diverses universités, chercheurs ou archivistes oeuvrant dans des universités ou aux Archives nationales de Grande-Bretagne. L’objectif du livre est de présenter les principaux enjeux du passage de l’analogique au numérique. Il souhaite globalement démontrer comment la société d’aujourd’hui est porteuse de nouvelles façons de penser, de dangers et d’opportunités pour les professionnels.
Les neuf articles se veulent des introductions à différents aspects de l’univers numérique. Le premier chapitre sert à présenter les autres textes du livre, mais est également une réflexion générale sur les similitudes et différences entre l’analogique et le numérique. L’auteur explique qu’il y a plus de ressemblances que de disparités entre les deux mondes. Le numérique est peut-être seulement plus rapide. Il mène souvent à une perte du contexte. Il apporte des outils qui obligent à repenser notamment l’accès à l’information et son organisation.
Les huit autres chapitres ne suivent pas d’ordre particulier et ne sont liés les uns aux autres que par le thème du livre. On peut tout de même les regrouper dans différentes catégories. Plusieurs traitent de consommation et d’accessibilité à l’information. Le deuxième chapitre résume des études sur les comportements informationnels de la population. Un individu moyen privilégie des recherches simples et s’attend à tout trouver sur Internet. Il passe peu de temps à lire les renseignements dénichés et n’évalue généralement pas la fiabilité des sources consultées. Les moteurs de recherche tendent à marginaliser les bibliothèques qui ne forment plus le point d’entrée vers la connaissance. Le chapitre six présente une réponse de praticiens à ces bouleversements. Les auteurs tentent de démontrer comment les Archives nationales du Royaume-Uni ont cherché à créer un catalogue adapté aux façons actuelles de consommer l’information. L’approche adoptée fait état des nouvelles attentes des utilisateurs, mais considère aussi comme essentielle la prise en compte du contexte. S’il n’est plus nécessaire de passer du général au particulier pour trouver une information précise, la hiérarchie archivistique est fondamentale pour ne pas se perdre. Le catalogue introduit le concept de ressources d’information (information assets) où toute description présente clairement une hiérarchie navigable.
La mise en ligne de documents et d’information implique aussi de s’intéresser à la gestion des droits et des restrictions. C’est le sujet du huitième chapitre. Si plusieurs citoyens s’attendent à ce que tout fasse partie du domaine public, les archivistes gèrent souvent du matériel qui n’a pas été créé pour être vu. Tout ne peut pas être mis sur Internet, notamment parce que plusieurs documents contiennent des renseignements personnels. L’archiviste doit demeurer un guide, un facilitateur, un explicateur et un négociateur de l’accès aux archives. Il y aurait toutefois peut-être lieu de revoir la confiance que le professionnel accorde aux utilisateurs. Le Web pourrait impliquer de les responsabiliser davantage. Si le numérique oblige à repenser les catalogues et l’accessibilité, il est aussi porteur d’évolution dans la recherche universitaire. Le chapitre neuf décrit ces changements. Le numérique implique une explosion de la quantité et de la diversité de l’information. L’offre est cependant souvent payante, ce qui a des impacts financiers sur plusieurs institutions d’enseignement qui deviennent peu à peu des collections spécialisées. Le travail de l’historien n’est peut-être pas foncièrement transformé, mais l’informatique offre des outils qui accélèrent la recherche. Les applications analytiques permettent des comparaisons inédites, alors que les données massives (big data) ouvrent la voie à des études de grande envergure dans des sources diverses.
Le livre est aussi composé d’articles cherchant davantage à expliquer des concepts que des réalités. Le chapitre trois offre une présentation générale du Web sémantique. Dans la première version de l’Internet, le sens n’est connu que de l’humain. Le Web sémantique permet aux machines d’interpréter la connaissance en bonne partie grâce à la norme RDF (Resource Description Framework) et aux ontologies, lesquelles sont longuement décrites. Si le Web sémantique en est encore à ses débuts, il est la base des données liées.
Is Digital Different contient également un texte sur l’externalisation ouverte (crowdsourcing). Le chapitre quatre explique qu’elle permet notamment de transcrire, décrire ou corriger un grand nombre de documents ou de métadonnées et même de collecter des archives. Les étapes pour mener à bien des projets d’externalisation sont décrites. Ces projets impliquent toujours un effort financier et humain et ne sont pas des solutions au manque de personnel. L’ouvrage s’attarde autrement à la fiabilité des systèmes dans son cinquième chapitre. Les systèmes doivent être vus comme des entités sociotechniques pour lesquelles il est nécessaire de prendre en compte les interactions entre l’humain et la machine. Pour qu’on les considère fiables, il faut qu’il y ait des normes, des mesures et des mécanismes de rétroactions. Ces notions se traduisent souvent dans les organisations par un cadre de confiance qui est un document de gouvernance fondateur. Des enjeux connexes à la fiabilité sont la gestion des risques et la sécurité en ligne. Le septième chapitre développe une solution à ces défis. Plutôt que de réagir uniquement aux cyberattaques, il est aussi utile d’analyser les faiblesses d’un système. Il faut connaître autant la valeur du matériel conservé que les menaces et ses propres vulnérabilités. S’il y a des agressions, c’est aussi parce qu’il y a peu de conséquences pour les pirates informatiques. Augmenter les répliques devrait donc faire partie d’une bonne défense.
Les différents textes du livre forment de bonnes introductions aux différents thèmes abordés. Chacun permet de saisir succinctement les sujets étudiés. Ils offrent une première approche des réalités qui peuvent, de prime abord, sembler complexes. La norme RDF est par exemple décrite de façon à ce qu’elle soit comprise par tous. Les articles offrent dans l’ensemble un bon mélange d’observations sociales, d’expériences pratiques et de réflexions conceptuelles. Les défis de l’univers numérique sont traités sous plusieurs angles et de manière interdisciplinaire. Ce sont les perspectives d’experts dans des domaines variés qui sont mis de l’avant. Chacun des textes ne s’étend pas nécessairement sur les différences entre l’analogique et le numérique, mais tous étudient des enjeux propres au monde d’aujourd’hui. Plusieurs phénomènes apparus peu avant la décennie 2010 sont dans tous les cas analysés.
Certaines absences sont regrettables dans cet ouvrage collectif. Le titre même du livre annonce qu’il sera question de création et de préservation, alors que ces deux thèmes sont peu étudiés. Un article sur un de ces sujets aurait été bienvenu. La contribution de projets canadiens comme InterPARES, reconnu mondialement pour ses travaux sur les documents numériques, aurait sans doute apporté un éclairage intéressant. On peut toutefois pardonner aux éditeurs de ne pas avoir inclus de textes sur des sujets qui sont largement discutés dans la littérature professionnelle. En fait, ce qui manque réellement dans cet ouvrage est le point de vue d’un gestionnaire de documents. Cela aurait été d’autant plus intéressant que le chapitre introductif affirme au détour d’une phrase que les systèmes de gestion électronique des documents sont un échec (p. 8). Une étude sur le sujet aurait été appréciée. Si la gestion électronique des documents fonctionne moins bien quand elle implique un trop grand effort des employés, est-il possible qu’elle soit efficace quand ils n’ont pas à s’en préoccuper ? Comment les entreprises qui permettent la pratique « apportez vos propres appareils » gèrent-ils leurs informations ? Est-ce que les solutions pour traiter les données massives affectent la gestion des documents dans les organisations ? Voilà autant de questions qui auraient pu être explorées.
Malgré quelques petites lacunes, Is Digital Different est un excellent ouvrage d’introduction aux plus récents enjeux posés par le numérique. Il peut servir de base à une réflexion face à notre investissement dans la société d’aujourd’hui. Pour demeurer pertinents, les archivistes doivent connaître l’univers qui les entoure. Ce livre est un très bon outil pour le faire. Il aide effectivement à déterminer si le numérique est bien différent. Si plusieurs adaptations sont sans doute nécessaires, on retiendra la conclusion d’un des auteurs selon lequel il y a plus de similitudes que de disparités entre l’analogique et le nouveau monde. Une trop grande instance sur les différences du numérique est souvent due à des technologues qui ne cherchent pas à comprendre les archivistes et les bibliothécaires (p. 15).