Corps de l’article

1. Introduction

Les classes de langue seconde/additionnelle ciblent souvent le développement des habiletés langagières (compréhension et production orales et écrites) et/ou les composantes langagières (prononciation dans son sens large, lexique, grammaire, variations sociolinguistiques, etc.). Avant l’ère communicative, les composantes langagières, surtout la grammaire, étaient centralisées par l’intermédiaire de curriculums structurels enseignant une notion grammaticale à apprendre à chaque leçon. De nos jours, les approches d’enseignement préconisées en recherche, comme l’enseignement basé sur les tâches, et dans les classes de langue additionnelle, comme celles utilisant les différents programmes de langues au Québec (PEQ, s. d.), prônent une centration sur le sens (au lieu de sur la forme), autrement dit, l’utilisation de la langue à des fins communicatives. Toutefois, depuis 30 ans déjà, l’importance de complémenter ce type d’enseignement avec un enseignement formel est bien connue et soutenue par des recherches (Loewen, 2020). Ce complément à l’enseignement centré sur le sens est aujourd’hui reconnu sous l’appellation form-focused instruction (enseignement de la forme), ou même enseignement de la grammaire, lexique (voir la conversation). Dans cette édition spéciale, ce thème est abordé selon différentes perspectives en commençant par une conversation très enrichissante avec Roy Lyster, professeur émérite de l’université McGill, qui a fait de l’enseignement de la forme en classe de langue additionnelle une pierre angulaire de ses recherches menées depuis les années 1980. Les autres articles seront introduits après notre conversation. Nous espérons que tout le monde trouvera son compte dans cette riche discussion. Bonne lecture !

1.1. Sur la définition de la forme

PKB : Quelle serait ta définition du mot « forme » dans des recherches en didactique des langues secondes/additionnelles et dans tes recherches ?

RL : En général, j’essaie d’éviter le mot « forme »; je préfère le mot « langue ». Dans mes écrits, souvent, je parle de traits linguistiques (language features). Pour moi, « trait langagier » englobe tant la forme que la fonction et c’est la raison pour laquelle j’évite le mot « forme », car il renvoie à la représentation concrète et si on apprend la forme, c’est bien, mais il faut comprendre la fonction. Par exemple, une terminaison d’un temps de verbe est la forme, mais ça ne nous dit rien à propos de son sens, sa fonction. Si je dis « je courais », -ais indique une forme à l’imparfait, mais la fonction est d’exprimer une action inachevée dans le passé. Souvent, on va enseigner la forme de différents verbes, mais les élèves ne connaissent pas la fonction. En général, ce qui est important, c’est la forme et la fonction, donc je parle des traits linguistiques. C’est pour ça qu’en grammaire, au lieu de parler des règles et de leur mémorisation, je parle plutôt de la perception des régularités (pattern detection).

PKB : Cette distinction se réfère à l’enseignement et l’apprentissage d’une régularité grammaticale : on doit parler de sa forme et de sa fonction. Avant les années 60-70, les approches générales d’enseignement des langues additionnelles/secondes étaient largement basées sur la structure langagière. De nos jours, on veut que les personnes étudiantes apprennent la langue en l’utilisant. Toutefois, lors de cette utilisation, certains aspects langagiers ne se développeront pas pour différentes raisons. On a aussi besoin de focaliser l’attention des apprenants sur la forme, les régularités linguistiques de nature plus lexicale, phonologique, grammaticale, etc. Cet enseignement est souvent appelé « enseignement de la forme » (form-focused instruction). Quelle est donc ta définition de ce terme ?

RL : J’aime bien ce terme, mais c’est un peu ambigu selon ce que je viens de dire. Le problème est qu’il y a beaucoup de profs de langue qui pensent qu’ils utilisent le form-focused instruction (FFI), car ils enseignent la grammaire d’une façon traditionnelle et décontextualisée. Mais ceci n’est pas du FFI. Le FFI, c’est attirer l’attention des élèves sur la langue lors d’une activité communicative. J’aime bien le terme simplement parce qu’on peut l’opposer à un enseignement Focus on form qui, selon Michael Long, devrait toujours être non planifié et en réponse aux propos des élèves. On peut aussi opposer FFI à un enseignement traditionnel décontextualisé. La meilleure définition est celle de la chercheure Nina Spada (1997, 2023) qui propose que le FFI soit implicite ou explicite, mais l’important est qu’il soit intégré dans un contexte communicatif. En fin de compte, c’est une notion qui découle de la recherche, et non pas de la pratique enseignante.

1.2. Sur les contextes d’enseignement

PKB : Au Québec, on a des contextes variés d’enseignement et d’apprentissage de FLS– immersion au primaire, classe d’accueil, francisation… Est-ce que ces contextes font en sorte que l’enseignement de la langue, incluant sa forme, doit être fait d’une façon différente ?

RL : Oui, dans la mesure où l’enseignement et les recherches sur l’enseignement dépendent toujours du contexte. Ce qui marche dans un contexte ne marche pas nécessairement dans un autre. Ce que je prône pour l’immersion – par exemple, travailler sur la langue quand on travaille sur la matière scolaire – serait bien aussi en classe d’accueil. Mais souvent, la structure administrative ne se prête pas à une telle intégration. Quand j’étais prof à McGill, j’avais compris (peut-être que ça a changé) que dans les classes d’accueil, les enseignants étaient chargés de travailler sur la langue sans aller chercher des textes sur lesquels on travaille dans le cours d’histoire ou d’univers social. Alors que ça devrait être le cas. Au lieu de créer ou de trouver des textes pour la classe de français, ça serait tellement facile d’aller chercher des textes qu’on utilise dans d’autres matières. C’est pour ça que dans mon livre Vers une approche intégrée en immersion (2016), je parle toujours des textes qu’on utilise dans d’autres matières scolaires au lieu de travailler sur des textes qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils voient dans leurs cours disciplinaires.

PKB : Donc, peu importe le contexte, on doit essayer d’utiliser une approche intégrée ?

RL : À mon avis. Est-ce que cette approche diffère selon le niveau ? Oui, c’est plus facile au primaire, car l’enseignant titulaire enseigne le français et les autres matières (non enseignées par les spécialistes), donc l’intégration peut se faire plus facilement, d’autant plus que le programme d’enseignement primaire se veut intégré de toute façon. Cette intégration est très difficile, car tout est compartimenté. Le prof de français n’est pas forcément le prof de maths, mais on pourrait encourager davantage la collaboration. La collaboration, c’est le mot clé pour avoir de l’intégration à tous les niveaux, classe d’accueil ou immersion.

PKB : Dans nos recherches en anglais intensif, quand on peut soutenir les enseignants à travailler ensemble, c’est très enrichissant pour les élèves. Ils peuvent utiliser leur langue dominante comme soutien à l’apprentissage de l’anglais. Donc les traits linguistiques qui sont plus difficiles en partie à cause du français peuvent être travaillés d’une façon plus intégrée. C’est gagnant-gagnant pour les enseignants et les élèves.

RL : Tout à fait. Aussi en immersion. On a fait des études sur l’intégration entre les classes d’anglais et les classes de français. Les élèves avaient tellement apprécié de faire ces liens-là et ils étaient super motivés de voir les profs d’anglais et de français travailler ensemble.

PKB : Quels sont les défis des personnes enseignantes d’immersion en lien avec l’enseignement de la forme, des traits linguistiques, en français langue seconde ?

RL : Probablement l’intégration de la langue et le contenu, car ce n’est pas vraiment dans les pratiques. On a tendance à isoler la langue pour l’enseigner, car cela semble plus facile que de l’intégrer. De plus, quand on travaille sur la matière scolaire, on dit que la langue n’a rien à voir, alors que c’est faux. La langue est tellement présente dans les sciences, dans les mathématiques, mais le défi est de savoir comment l’intégrer. C’est une question de temps aussi. Les enseignants croient qu’ils n’ont pas le temps de travailler la langue dans leur cours d’univers social, mais en réalité, c’est une pierre deux coups. On économise beaucoup de temps. J’ai travaillé avec des enseignants dans une commission scolaire de langue anglaise en Estrie qui n’offrait pas d’immersion. Dans ces écoles, on demandait aussi aux profs de français langue seconde d’enseigner aussi l’univers social en français. Et pourtant, ces enseignants ne faisaient pas de lien entre le cours de français et le cours d’univers social; ils croyaient même qu’il fallait enseigner ces deux cours séparément. Grâce à une formation continue sur l’approche intégrée, cela a changé. Au lieu d’enseigner les temps du passé, par exemple, seulement dans un cours de français, on intégrait les notions dans le cours d’histoire tout en traitant des faits historiques tels que l’exploration et les Premières Nations. Le résultat était enrichissant pour tout le monde. Les enseignants avaient besoin d’appui, d’où l’importance du livre sur l’approche intégrée, et ils avaient besoin de travailler ensemble pour le faire. Donc le défi, c’est l’intégration. Ce n’est pas facile, mais ça peut être très enrichissant pour les enseignants et les élèves. De plus, on peut économiser du temps si on parvient à instaurer une approche intégrée de manière efficace.

PKB : En parlant d’une question plus linguistique, quels sont les plus grands défis des élèves d’immersion en lien avec la forme en français ?

RL : D’abord, il faut toujours commencer par dire ce qu’ils font bien. C’est sûr qu’ils apprennent beaucoup de français grâce à l’immersion. Par exemple, ils développent une bonne capacité de compréhension et des compétences discursives et stratégiques élevées, ainsi que des niveaux de communication et de confiance en français supérieurs à ceux des élèves du programme régulier. Les traits caractéristiques du français qui semblent être facilement acquis par les apprenants en contexte d’immersion comprennent des modèles structurels similaires à l’anglais, un vocabulaire à haute fréquence et des éléments phonologiquement saillants. Cependant, les habiletés de production semblent moins développées sur les plans de l’exactitude grammaticale, la variété lexicale et la pertinence sociolinguistique. En ce qui concerne la grammaire, on remarque beaucoup de faiblesse en morphosyntaxe (p. ex., la conjugaison des verbes et de multiples accords), qui est plus complexe par rapport à l’anglais puisqu’elle est moins saillante et plus redondante en français. Il y a des gens qui demandent si la précision grammaticale est importante en L2, surtout pour des éléments linguistiques qui peuvent être compris avec erreur (p. ex., mauvais emploi de pronoms clitiques dans *j’ai donné le à toi). Je dis oui, c’est important, parce que plus on comprend le fonctionnement de la langue, plus on a des connaissances linguistiques et donc, plus on peut examiner en profondeur la matière scolaire. Afin de progresser à l’école, les élèves ont besoin d’une langue de plus en plus complexe et la morphosyntaxe contribue à cette complexification. Alors que la matière scolaire devient de plus en plus complexe, on a besoin d’une langue plus complexe. Il faut donc travailler la morphosyntaxe pour mieux traiter les nuances linguistiques qui influencent les contenus disciplinaires et les habilités en littératie.

PKB : Certaines notions peuvent être enseignées avec des activités qui demandent l’utilisation de la grammaire cible en compréhension et/ou en production sans la nécessité pour les élèves de créer une information à propos de la langue (enseignement implicite), mais pour d’autres notions, ce type d’enseignement ne semble pas suffisant, par exemple, comme tu as mentionné, si le trait linguistique n’est pas saillant. Le mot « intégration » est peut-être parfois mal compris. Ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas enseigner certaines choses explicitement.

RL : Avec d’autres collègues, on a développé une séquence d’enseignement qui représente un enseignement proactif (planifié) que nous avons appelé la séquence CAPA, car il y a quatre étapes : la contextualisation, l’attention, la pratique et l’autonomie, qui étaient respectivement nommées à travers les termes : perception, conscientisation, pratique guidée et pratique autonome, dans mon livre de 2016. À l’étape de la contextualisation, on voit la forme en contexte et on travaille sur un texte qui contient la forme, mais le texte est traité pour son sens. Après, on passe à l’étape de l’attention (awareness), où les élèves sont invités à accorder de l’attention au texte de manière à prendre conscience des régularités, des traits linguistiques ciblés. Ensuite, c’est la phase de la pratique où une activité de production guidée provoque l’emploi des traits linguistiques cibles et offre un moment propice à la rétroaction corrective. Dans la dernière étape, l’autonomie, la boucle se ferme en revenant au contenu disciplinaire ou thématique qui sert de contexte pour l’utilisation autonome des traits linguistiques. Les élèves puisent dans les connaissances qu’ils ont développées au cours des étapes précédentes pour les mettre en pratique en contexte avec moins de contraintes. L'important dans cette séquence est de commencer par un contexte pour ensuite se focaliser sur la langue et enfin, revenir sur le contexte. Le contexte ici est en lien avec la discipline scolaire. Donc ce n’est pas toujours intégré, dans le sens que les 2e et 3e étapes focalisent plus sur la langue, mais différent de l’enseignement traditionnel grâce à la contextualisation qui encadre la séquence.

PKB : Idéalement, quand on veut enseigner quelque chose, on veut que nos élèves soient prêts. Si on enseigne le passé composé au début de leur scolarité, ils n’ont pas assez de connaissances du français pour l’apprendre.

RL : Dans le cas de l’immersion, c’est un peu différent, car dès le début, ils sont exposés à toutes les matières scolaires. Ils ont déjà été exposés aux textes avec le passé composé, car il est utilisé dans le contenu étudié dans les matières scolaires. Par conséquent, dans la séquence CAPA, ce n’est pas dans l’étape de la contextualisation que les élèves verraient pour la toute première fois les traits linguistiques cibles. Ce qui est important, c’est d’avoir un texte qui utilise de manière fréquente et saillante le trait langagier à enseigner. Donc ils peuvent déjà lire et comprendre le texte même s’ils ne comprennent pas toutes les formes et les fonctions de l’élément linguistique cible. On commence le texte pour son sens (pour enseigner la matière scolaire), puis on focalise l’attention sur « c’est quoi ce temps de verbe ? », « comment est-ce que c’est formé ? », « selon vous qu’est-ce que ça veut dire, selon ce texte qu’on vient de lire ? ». Après cette étape (de l’attention), on fait une pratique où ils doivent utiliser ce temps verbal, puis on revient au point de départ avec l’étape finale dont le sens est relié au texte vu au début. En immersion, on n’a pas toujours à attendre qu’ils sachent déjà comment l’utiliser, car ils sont déjà exposés à tout. Ils apprennent beaucoup implicitement, mais éventuellement, il faut rendre explicite le fonctionnement de certains traits afin d’améliorer la précision.

1.3. Sur la rétroaction corrective

PKB : Un de tes domaines d’expertise est la rétroaction corrective (RC). Peux-tu nous parler de tes recherches en lien avec la RC en commençant par une courte explication quant à l’importance de la RC pour le développement langagier ?

RL : Pendant des années, on disait que la RC à l’oral n’était pas nécessaire. Dans les années 80, j’étais enseignant, puis très influencé par les écrits de (Stephen) Krashen qui disait que ça ne crée que de l’angoisse chez les élèves. Je n’y croyais pas vraiment. Je me souviens quand j’ai fait mon doctorat à Toronto, j’observais un professeur de français qui était vraiment bon pour donner de la RC. Il posait une question pour savoir la différence entre une lettre et une note, donc une lettre est plus soutenue et une note plus informelle, et l’élève a dit « la chose en bas ». Pas bête, mais… Le prof a dit « la chose en bas ? », et l’élève a dit « la salutation finale ». C’était chouette : elle connaissait le bon terme, mais elle ne l’a pas utilisé, et il insistait. C’était un genre d’incitation (prompt) et c’est intéressant, car il ne voulait pas faire le travail pour l’élève; il voulait faire travailler l’élève. Je me suis beaucoup intéressé à la RC notamment pour cette raison. Depuis 25 ans dans les recherches, à la différence de ce que Krashen a dit, on voit que c’est plus efficace de donner de la RC que de ne pas en donner. Il y a eu des méta-analyses sur ces recherches-là. Il y a un autre aspect de cette recherche-là, c’est l’attitude des enseignants par rapport aux élèves. Souvent, les enseignants disaient « je sais que la rétroaction est efficace », mais n’en donnaient pas, car leurs élèves n’aimaient pas ça. Ces mêmes recherches demandent aux élèves ce qu’ils pensent de la rétroaction, et ils en veulent. Je pense qu’il faut que les enseignants essaient de conscientiser leurs élèves à la RC. Il faut savoir que c’est bien de faire des erreurs, car ça démontre un certain progrès, sauf si le trait linguistique se fossilise (son développement a stagné). Normalement, ça démontre qu’ils mettent à l’épreuve leurs hypothèses à propos de la langue. On ne veut pas décourager les élèves, mais il faut quand même avoir une certaine RC, aussi appelée évidence négative, sinon, les élèves ne feront pas de progrès. Ça, on le sait maintenant. Donc, dans nos recherches, on a réussi à donner différents types de RC. On a vu que normalement, on fait des reformulations (recasts). C’était très fréquent : plus de la moitié de la rétroaction dans des classes d’immersion. Mais on ne savait pas si les élèves percevaient (noticed) cette rétroaction. On a vu aussi que certains profs poussaient les élèves à se corriger : c’est ce qu’on appelle les incitations (prompts). D’un côté, on a des incitations (RC indirecte, sans que l’enseignant donne la bonne forme), et de l’autre côté, on a des reformulations (RC directe, avec la bonne forme fournie). On a fait des recherches, et on peut dire que tout type de RC est bon, mais il y a quand même une certaine supériorité limitée pour les incitations où on pousse les élèves à s’autocorriger. J’encourage donc les enseignants à le faire. Je leur dis toujours de ne pas faire le travail à la place de l’élève si celui-ci peut se corriger. Je pense au cas de cette jeune élève et la salutation finale. Pousse l’élève pour qu’il se corrige, car il a besoin de pratiquer, de parler, et il deviendra de plus en plus compétent.

PKB – Au lieu de donner la réponse, si on utilise une incitation, peut-être que l’élève va prendre quelques secondes pour réfléchir à la langue et c’est très aidant.

RL : C’est justement ça l’objectif de la RC : augmenter la conscience métalinguistique des élèves pour qu’ils réfléchissent à ce qu’ils disent.

PKB : Un mot intéressant, ce qu’ils « disent ». Quand on parle de la RC, est-ce que c’est juste à l’oral ?

RL : Bonne question. J’ai travaillé presque exclusivement sur la RC à l’oral un peu parce que les enseignants se sentaient mal à l’aise avec cela. Ils ne savaient pas s’ils devaient en donner, comment le faire, alors qu’à l’écrit, ils étaient plus à l’aise. Je pense que les deux RC sont aussi importantes l’une que l’autre. On écrit souvent un peu comme on parle, donc si on ne se fait jamais corriger à l’oral, on va écrire comme ça. Il commence à y avoir beaucoup de recherches sur la RC à l’écrit. Pendant quelque temps, il y avait des gens qui pensaient que ça ne fonctionnait pas. Parfois, on écrit quelque chose et on reçoit la correction une semaine plus tard. Ce qu’il faut faire, comme à l’oral, c’est donner des incitations. Il faut faire travailler l’élève pour qu’il devienne plus conscient de ses erreurs. Si on donne une copie à l’élève avec toutes les bonnes formes, il n’a pas besoin de traiter ses erreurs. Cependant, on ne sait pas avec certitude quel type de rétroaction à l’écrit serait meilleure que les autres. On en parle un peu dans ce livre (Scaffolding Language Development in Immersion and Dual Language Classrooms par Teddick and Lyster, 2020). Ça va plus loin que dans l’autre livre (Vers une approche intégrée en immersion, 2016).

PKB : Comme les enseignants passent souvent beaucoup de temps à évaluer les travaux, est-ce qu’on peut leur dire que la RC à l’écrit est très importante pour aider les élèves à devenir plus compétents, mais que pour que cette RC soit efficace, il faut prévoir une étape à la fin pour que les élèves fassent quelque chose avec la RC.

RL : C’est ça. Pas la peine de corriger la forme s’il n’y a pas d’étape pour permettre aux élèves de corriger les fautes dépistées. Pour gagner un peu de temps, on peut faire une correction ou rétroaction sélective, c’est-à-dire corriger uniquement certains aspects. En fonction des objectifs du programme d’études, ça pourrait être seulement les verbes. On peut aussi faire ça à l’oral.

PKB : Dans des cours de langues additionnelles, il peut exister une certaine incohérence entre la quête de la normativité et la façon d’utiliser la langue, surtout à l’oral. En tant qu’enseignant de langue additionnelle, qu’est-ce qu’on doit faire avec cette division ?

RL : On doit enseigner les deux. C’est encore du travail, mais c’est une question d’éveil aux langues (language awareness). Il faut que les élèves soient conscients du fait qu’il y a différents niveaux de langue. Il faut que ça fasse partie du programme d’études. À mon avis, ou en immersion en tout cas, il faut quand même enseigner un français soigné, simplement parce que ces élèves-là apprennent la littératie, c’est-à-dire une langue standard. Il faut apprendre à l’école la langue standard, ou normative, mais il faut que les élèves sachent que la langue parlée est différente de la langue écrite.

PKB : J’ai une copine qui a appris le français à l’école, puis elle a pris des cours privés à l’âge adulte où elle a appris qu’à l’oral, on utilise « on » pour « nous ». Elle était époustouflée.

RL : C’est un bon exemple : il faut enseigner comment la langue est réellement utilisée. Il y a de bons livres sur le français québécois. Je pense que la chose la plus importante est de faire prendre conscience aux élèves des variétés qu’on peut entendre dans la rue, et cela sans jugement, tout en favorisant la langue normative pour l’écrit.

1.4. Sur l’enseignement du genre grammatical

PKB : Souvent, on entend que les locuteurs non natifs du français ont du mal avec le genre grammatical, et je sais que c’est peut-être ton trait linguistique préféré. Tu as publié plusieurs articles sur son enseignement et son apprentissage. Pourquoi cette notion est si complexe pour les apprenants ? Comment l’enseigner ?

RL : C’est sûr que c’est très complexe pour les anglophones, car la notion de genre grammatical n’existe pas.

PKB : On peut aussi parler d’autres langues. On sait que les hispanophones la trouvent plus facile; est-ce que pour les anglophones ou les sinophones, ça crée une difficulté d’apprentissage ?

RL : Ce n’est pas toujours plus facile pour les hispanophones. Certains mots n’ont pas le même genre en français et en espagnol, comme la mer au féminin, mais el mar au masculin. Mais les hispanophones connaissent la notion.

Le problème est que dans le cas de l’immersion et des classes communicatives en général, on met l’emphase sur le sens, et dans le cas du genre grammatical − le genre des objets inanimés − il n’y a aucun sens. Beaucoup de francophones ne connaissent pas les règles par rapport à la terminaison d’un nom. On va dire que si ça se termine en -e, c’est féminin, mais c’est…

PKB : C’est aussi enseigné en français langue d’enseignement.

RL : …c’est vraiment trompeur, mais il y a beaucoup de terminaisons, pas juste une lettre, comme les mots se terminant en -ette, c’est féminin, les mots se terminant en -eau, c’est masculin. C’est important d'enseigner ça. On l’a fait dans des études expérimentales et on a vu que les élèves font beaucoup de progrès, et ils étaient contents de connaitre ces règles‑là. Il faut trouver ces terminaisons prometteuses. On peut les trouver en ligne et il y a beaucoup d’informations dans le livre Vers une approche intégrée en immersion (2016). C’est très simple : il faut faire un peu de recherche pour trouver les terminaisons qui sont fiables, qui sont vraiment des indices du genre grammatical, puis les mettre en valeur. Aussi, on peut toujours accentuer le déterminant, sinon, on n’entend pas bien le genre grammatical. Au lieu de dire « c’est un livre », je peux dire « c’est UN livre ».

PKB : Donc on peut mettre l’accent sur le déterminant.

RL : Oui, à l’oral, mais aussi sur les terminaisons fiables : « j’écris sur LE tablEAU »). Ce n’est pas comme ça que les francophones apprennent le genre, car ils l’apprennent implicitement très jeunes. Pour les anglophones, ce n’est pas implicite. Il nous faut quelques règles, car nous n’avons pas assez d’occasions d’utiliser (production et compréhension) la langue et comme ce trait n’existe pas dans notre langue maternelle, nous n’avons pas appris à porter attention ni au déterminant ni à la terminaison pour traiter le genre grammatical (learned attention).

PKB : Je pense qu’on peut aussi viser les adjectifs où on entend la différence, par exemple, maison blanche au lieu de maison rouge pour augmenter la fréquence à laquelle les élèves sont exposés aux indices de genre grammatical.

RL : Tout à fait. Et c’est pour ça qu’on n’arrive pas à l’apprendre implicitement, car les indices ne sont pas clairs.

1.5. Le mot de la fin

PKB : Est-ce que tu aimerais clore avec un message pour les enseignants de français langue additionnelle ?

RL : Oui, j’allais dire simplement que dans la mesure du possible, il faut essayer d’attirer l’attention de l’élève sur la langue en contexte d’utilisation plus souvent que de travailler sur la langue de manière décontextualisée. Quand j’étais enseignant de français dans les années 80, j’adorais enseigner la grammaire, mais les élèves faisaient tellement d’exercices à trous. J’ai vu que ça n’avait aucun impact. Ils arrivaient à bien répondre sur les examens, mais jamais à l’oral ou spontanément. Il faut vraiment qu’ils voient ça en contexte signifiant et il faut primer la communication. La précision est aussi importante, surtout si on a des attentes élevées et qu’on enseigne la littératie en français. Il ne faut pas oublier que les élèves ne sont pas des éponges qui absorbent simplement la langue quand ils y sont exposés. Il faut la manipuler.

PKB : Ils absorbent beaucoup, mais il y a aussi beaucoup de choses qu’il faut enseigner.

RL : …et malheureusement, c’est souvent la morphosyntaxe. Il faut travailler là-dessus, mais en contexte. On peut parler d'une façon un peu exagérée pour mettre en valeur ces terminaisons, le genre grammatical, etc.

PKB : Ça revient à ta réponse à la première question : travailler en contexte avec des indices explicites, ça aide dans l’apprentissage de la fonction. Quand on travaille la grammaire avec des exercices traditionnels, on est trop focalisé sur comment formuler le trait linguistique. Donc « je SUIS allé », « j’AI mangé », mais les élèves ont aussi besoin de savoir quand utiliser « je suis allé » et « j’allais ». Et travailler en contexte, ça nous permet d’enseigner le défi linguistique.

RL : Et aussi, dans un contexte signifiant, les élèves sont plus motivés à porter une attention à la langue. Si l’on dit « hier dans le cours d’histoire, vous vous êtes trompés sur vos verbes, donc maintenant on va travailler les verbes », ce n’est pas motivant. « Tu m’as compris hier, donc qu’est-ce qui change aujourd’hui ? »

PKB : Merci énormément.

2. Introduction aux autres articles dans cette édition spéciale

Dans cette édition, vous trouverez trois articles présentant des recherches empiriques et trois articles présentant des pratiques enseignantes de la forme.

Dans la première recherche, Michaud et Demay explorent l’enseignement du passé composé selon une approche basée sur les concepts. Ce type d’enseignement ne cible pas la mémorisation des règles, mais le développement d’une compréhension profonde des liens entre la réalisation formelle d’une notion linguistique et ses concepts sémantiques ou fonctionnels. Dans cette étude, un enseignement de l’aspect verbal a eu lieu pour aider les personnes apprenantes à mieux distinguer les différences sémantiques entre le passé composé et l’imparfait. Les résultats démontrent que ce type d’enseignement semble aider toutes les personnes apprenantes à mieux comprendre l’aspect verbal, mais la transposition vers des exercices à trou n’a été faite que par les personnes étant de niveau un peu plus avancé.

Dans la deuxième recherche, Lira-Gonzales, Nassaji et Chao explorent une question cognitive en lien avec la rétroaction corrective à l’écrit. La rétroaction corrective (orale et écrite) est connue comme une façon importante d’aider les personnes apprenantes à atteindre une meilleure précision, ce qui se fait au moyen d’un traitement cognitif de la rétroaction fournie. Sans ce traitement, la rétroaction ne serait pas prise en compte par les personnes apprenantes. Cette étude explore les facteurs qui influencent la profondeur du traitement de la rétroaction écrite pour comprendre si le type de rétroaction fourni ou le type d’erreurs visé impacte ce traitement. Les résultats démontrent que seulement le type d’erreur joue un rôle dans le traitement.

La troisième recherche n’explore pas l’enseignement et l’apprentissage directement. Elle s’intéresse plutôt à la formation des futures personnes enseignantes pour comprendre la façon dont la formation initiale affecte leurs croyances sur l’enseignement de la grammaire. En sondant de futures personnes enseignantes de chaque année du baccalauréat sur leurs croyances sur quatre thèmes importants dans les recherches en didactique de la grammaire, Wlodarski et Bell constatent que la formation n’impacte que très peu les croyances. Même à la fin des études, il y a une préférence pour l’enseignement traditionnel de la grammaire. Le seul élément qui semble évoluer est en lien avec la possibilité d’utiliser des activités grammaticales plus axées sur le sens plutôt que sur la forme.

Deux des trois articles à visée pédagogique sont ancrés dans une perspective d’approches plurilingues en classe de langue additionnelle. Dans le premier article, le 4e dans cette édition, Paquet et Woll proposent un modèle pour enseigner des notions grammaticales en tenant compte du répertoire linguistique (entier) des personnes apprenantes. En se basant sur le savoir théorique et empirique, l’étude présente un modèle à quatre étapes suivant les principes de l’enseignement basé sur/soutenu par les tâches.

Dans le 5e article, Quevillon-Lacasse présente un dispositif d’enseignement de la syntaxe. Nombre de défis syntaxiques à l’écrit sont connus dans différents contextes. Dans ce contexte, c’est-à-dire en apprentissage du français langue seconde dans des écoles secondaires anglophones au Québec, la syntaxe, surtout celle de phrases plus complexes, peut poser problème. La nécessité d’avoir une certaine compétence à l’écrit pour la suite des études ou la vie professionnelle rend cet enseignement des plus indispensable. L’autrice présente un dispositif didactique, c’est-à-dire la combinaison des phrases libre (Saddler, 2019), pour aider dans le développement de la syntaxe. Grâce à notre savoir actuel sur les relations dynamiques et complexes entre les langues connues, l’autrice a ajouté à son dispositif d’enseignement une question invitant les élèves à réfléchir à la syntaxe en anglais, leur langue dominante.

Dans le dernier article, le seul concevant la forme dans son sens large, et non pas un synonyme du mot « grammaire », Duchemin et Reid présentent une analyse des manuels pédagogiques et des pistes pour les évaluer en ce qui concerne l’enseignement des variétés linguistiques lexicales. En effet, il semble qu’en dépit d’une place plus importante accordée au français québécois dans les manuels, ou des outils qui pourraient être utilisés par des personnes enseignantes voulant transmettre notre réalité linguistique, les informations partagées ne représentent que très rarement une vraie utilisation de la langue. Les pistes proposées aideront sûrement les personnes enseignantes voulant mieux préparer leurs personnes apprenantes à notre riche paysage linguistique.

En tant que rédactrice invitée de cette édition spéciale sur la forme, j’ai le plaisir de vous présenter ces articles qui peuvent vous inspirer dans vos pratiques enseignantes.

Bonne lecture,

Philippa