Résumés
Résumé
L’aisance à l’oral en langue cible est une habileté essentielle pour permettre aux personnes immigrantes de participer à des conversations dans différents contextes de la vie courante (Derwing, 2017). Cependant, cette habileté est peu exploitée en salle de classe et le matériel conçu pour le faire n’est pas toujours optimal (Rossiter et coll., 2010). Cela ne fait pas exception dans les cours offerts aux personnes immigrantes en apprentissage de la langue cible et de la littératie au Québec (Fillion, 2021). C’est pourquoi nous avons décidé de proposer deux prototypes d’activités ayant pour but de travailler l’aisance avec cette clientèle, et ce, sans qu’ils et elles n’aient à utiliser l’écrit ni à analyser la langue. Nous suggérons d’abord une adaptation de la technique 4/3/2 reconnue pour aider les élèves scolarisés à gagner en aisance. Par la suite, nous présentons la technique « intonaisance », que nous avons développée à partir des recherches ayant montré l’importance d’enseigner les formules et l’intonation, puis nous donnons un exemple d’activité à réaliser en classe.
Mots-clés :
- développement de l’aisance,
- personnes immigrantes adultes,
- cours d’alphafrancisation,
- compréhensibilité,
- activités pédagogiques
Abstract
Oral fluency in the target language is an essential skill for newcomers to participate in conversations in a variety of real-life target language contexts (Derwing, 2017). However, this skill is underutilized in the classroom and the materials designed to do so are not always optimal (Rossiter et al., 2010). This is no exception in the French language and literacy courses offered to newcomers in Quebec (Fillion, 2021). In light of these needs, we propose two prototypical oral fluency development activities for that do not require the written modality nor metalinguistic analyses. First, we propose an adaptation of the 4/3/2 technique, which has been shown to help learners develop fluency. Then, we present the "intonaisance" technique, which we developed based on research showing the importance of teaching formulaic sequences and intonation, and we offer an example of a classroom activity using this technique.
Keywords:
- fluency development,
- adult immigrants,
- alphafrancisation courses,
- comprehensibility,
- pedagogical activities
Corps de l’article
1. Introduction
Il est bien établi que le développement des habiletés orales est très important pour l’intégration réussie des adultes immigrants dans une communauté dont ils ne parlent pas la langue (Derwing, 2017; Rossiter et coll., 2010). Ces habiletés sont essentielles puisque les personnes immigrantes en ont besoin pour pouvoir communiquer dans plusieurs situations de la vie courante, que ce soit dans des contextes scolaires, professionnels ou sociaux (Vinogradov et Bigelow, 2010).
Dans cet article, nous nous concentrerons plus spécifiquement sur le développement de l’aisance à l’oral chez des personnes adultes immigrantes en apprentissage de la langue et de la littératie (PAIALeL) en classe de langue, pour qui peu de matériel pédagogique adapté à leurs besoins existe (Bédard, 2021). Notre objectif est de présenter des prototypes d’activités permettant de travailler l’aisance avec ces élèves. D’abord, nous définirons brièvement ce qu’est l’aisance et présenterons des études qui montrent que cette habileté est généralement peu travaillée en salle de classe. Ensuite, nous aborderons les façons d’apprendre des PAIALeL, sur lesquelles nous nous sommes basées pour concevoir des activités pédagogiques. Finalement, nous proposerons deux prototypes d’activités favorisant le développement de l’aisance adaptés aux PAIALeL que les enseignantes et les enseignants pourront utiliser en classe d’alphafrancisation ou de français pour immigrants peu alphabétisés (FIPA). La première est une adaptation de la technique 4/3/2, consistant en une répétition d’un discours avec une contrainte de temps, et la deuxième est basée sur l’utilisation de formules et sur des recherches sur l’intonation.
2. L’aisance à l’oral
Nous avons choisi de traiter du développement de l’oral en nous concentrant sur l’aisance à l’oral, c’est-à-dire sur les caractéristiques qui indiquent qu’une apprenante ou un apprenant utilise efficacement les processus cognitifs pour planifier et construire un énoncé dans le but de produire un discours répondant à une intention de communication (Segalowitz, 2016). Cela inclut donc la vitesse et l’efficacité avec laquelle l’élève trouve les mots, structure son énoncé et l’articule, et ce, sans que les pauses et les hésitations entravent l’énonciation (Segalowitz, 2016). Nous avons choisi de mettre l’accent sur cet aspect de la performance dans nos suggestions d’activité puisque l’aisance est cruciale pour permettre aux élèves de prendre part à des conversations (Rossiter et coll., 2010). En effet, un manque d’aisance risque de nuire à la compréhension de l’interlocuteur, ce qui peut dissuader des élèves de s’engager dans des échanges prolongés (Suzuki et Kormos, 2020).
En contexte d’enseignement d’une langue cible[1] (Lx), l’aisance devrait idéalement être développée à travers des activités communicatives dont la charge cognitive est relativement comparable à celles des situations où l’élève devra mettre en pratique ses compétences orales à l’extérieur de la classe (Segalowitz, 2016). Plus concrètement, Rossiter et coll. (2010) soulignent que, pour que des élèves développent de l’aisance, il ne s’agit pas seulement de leur donner des occasions de s’exprimer librement en salle de classe. Selon les chercheuses et le chercheur, d’autres types d'activités pourraient être utilisés pour accompagner les élèves dans le développement de l’aisance, telles des activités favorisant la répétition d’énoncés et d’autres promouvant l’utilisation de formules toutes faites[2] (p. ex. : « je (ne) sais pas » ou « fais attention »). En effet, la répétition d’énoncés permet d'améliorer le passage entre les processus cognitifs permettant la parole spontanée (c’est-à-dire, conceptualiser, formuler et articuler (Levelt et coll., 1999)), puis l’utilisation de formules fait en sorte que les élèves peuvent énoncer une plus grande quantité de mots sans pause ou hésitation. D’ailleurs, le lien entre les formules et leur intonation a été étudié. Aijmer (1997) a observé plusieurs intonations possibles pour la séquence thank you en anglais qui sont regroupées en deux intentions de communication : par exemple, remercier un chauffeur ou une chauffeuse d’autobus comparativement à remercier la personne qui nous donne un cadeau d’une grande valeur. Ainsi, l’intonation des formules ne peut pas varier librement, puisqu’elle a été ritualisée au sein de la communauté linguistique, et donc, figée. D’ailleurs, Lin (2012) suggère que les personnes apprenant une Lx soient exposées à de l’oral spontané pour qu’elles puissent avoir accès à la ou les intonations associées à une formule.
Malgré ces recommandations, des chercheuses et des chercheurs s’étant intéressés à l’enseignement de l’oral en Lx ont observé que l’aisance est souvent peu ou mal abordée en salle de classe. Par exemple, Rossiter et coll. (2010) soulignent que le matériel pédagogique conçu pour enseigner l’aisance à l’oral en anglais Lx n’est pas approprié. Ils ont analysé 28 manuels ou cahiers et 14 ressources didactiques destinées aux enseignantes et aux enseignants, puis ils ont remarqué que les activités les plus communes étaient des tâches de production libre, alors que les activités favorisant les répétitions et l’utilisation de formules étaient beaucoup moins présentes. À la lumière des résultats de cette étude, nous pouvons penser que l’aisance n’est pas enseignée de manière appropriée si le matériel didactique et les ressources conçues pour les enseignantes et les enseignants ne proposent pas d’activités optimales pour développer cette habileté.
Bien que cette étude ait été menée sur l’anglais Lx, on peut penser que l’aisance est également peu travaillée en classe de français Lx. D’un côté, dans les classes de français, on semble accorder une importance particulière au code linguistique (Thibeault et Quevillon-Lacasse, 2019). De l’autre côté, Zuniga et Simard (2016), en analysant des enregistrements vidéo de classes de français et d’anglais Lx de la 2e à la 5e secondaire à Montréal, ont trouvé que, dans la majorité des groupes de français étudiés, il y avait peu d’interaction et que l’enseignement était plutôt fait de manière unilatérale de l’enseignant ou de l’enseignante vers les élèves comparativement aux classes d’anglais. L’aisance à l’oral semble donc peu abordée dans ces classes, où les activités communicatives de manière générale se font plus rares.
Fillion (2021) a observé des tendances similaires quant aux activités orales proposées en classes de français composées de PAIALeL. L’étude avait pour but d’identifier des pratiques d’enseignement de l’oral privilégiées en alphafrancisation en faisant des entrevues individuelles avec dix enseignantes. Les enseignantes ont généralement rapporté utiliser des pratiques d’enseignement plus traditionnelles. Plusieurs organisaient des activités orales axées sur le développement de la grammaire ou de la structure des phrases. D’autres proposaient aux élèves de pratiquer des énoncés appris ou des mots de vocabulaire, mais relier ces activités directement à des interactions de la vie courante représente un défi. Bien que les connaissances concernant le code linguistique soient essentielles pour réussir une prise de parole à l’oral (Diepenbroek et Derwing, 2013), les conditions gagnantes pour développer spécifiquement l’aisance des élèves ne semblaient donc pas être régulièrement mises en place. Les résultats de Fillion (2021) sont comparables à ceux d’études s’étant concentrées sur l’enseignement d’autres Lx que le français à des PAIALeL en Suède (Colliander et coll., 2018), en Australie (Ollerhead, 2012) et aux Pays-Bas (Strube et coll., 2013).
3. Les façons d’apprendre des PAIALeL
Des chercheuses et des chercheurs s’étant intéressés à l’enseignement des Lx aux PAIALeL recommandent de minimiser la place que prend l’écrit et d’éviter de faire l’analyse de la langue de manière décontextualisée en salle de classe (Condelli et Wrigley, 2006; Keller, 2017). Moore (1999), qui a étudié les façons d’apprendre utilisées par des personnes n’ayant pas fréquenté l’école et n’ayant pas fait leur entrée dans l’écrit en contexte formel d’apprentissage du français Lx, a vu qu’elles semblaient préférer observer et écouter des locuteurs experts et tenter de les imiter. Elle a aussi observé que ces personnes ont davantage l’habitude d’apprendre une Lx en utilisant des formules et en répétant des énoncés qu’en analysant la structure d’énoncés, ce qui correspond d’ailleurs aux recommandations de Rossiter et coll. (2010). Bref, il semblerait que les PAIALeL aient déjà de bonnes stratégies associées au développement de l’aisance.
Une étude menée par Lenz et Barras (2017) semble indiquer que baser une intervention en salle de classe en misant sur les façons d’apprendre des PAIALeL serait gagnant. En effet, le chercheur et la chercheuse avaient pour objectif de tester une approche didactique où des formules orales étaient enseignées comme unités en comparant cette méthode à l’enseignement plus traditionnel des règles de grammaire qui régissent la formation de ces formules. Cette étude a été menée en Suisse auprès de 12 groupes d’adultes apprenant l’allemand majoritairement, mais pas uniquement, composés de PAIALeL. Six groupes ont essayé l’approche de l’apprentissage par formule et six groupes témoins ont reçu un enseignement explicite de la grammaire. En comparant les résultats d’un prétest et d’un posttest réalisés par les 12 groupes, le chercheur et la chercheuse ont conclu que l’intervention a permis aux élèves de développer davantage l’aisance en production orale que ceux et celles qui avaient appris des notions grammaticales de manière traditionnelle. Cette conclusion concorde avec les façons d’apprendre privilégiées par les PAIALeL.
En somme, la littérature scientifique préconise que les activités axées sur l’oral proposées aux PAIALeL ne reposent ni sur l’écrit ni sur l’analyse métalinguistique. À la place, elles devraient plutôt être basées sur l’observation de locuteurs experts et sur l’imitation. Des activités où la répétition et l’utilisation de formules sont mises de l’avant seraient aussi à privilégier.
À partir de ces recommandations et en nous basant sur des approches ayant fait leurs preuves pour développer l’aisance d’élèves scolarisés, nous avons conçu deux prototypes d’activités. Bien que nous n’ayons pas encore testé empiriquement l’efficacité de nos activités, nous avons de bonnes raisons de croire que ces approches seraient bénéfiques pour les PAIALeL, puisqu’elles ne reposent ni sur l’écrit ni sur l’analyse de la langue et qu’elles intègrent la répétition de formules. Par ailleurs, nous les avons présentées à une conseillère pédagogique travaillant dans un centre qui accueille un grand nombre de PAIALeL chaque année. Cette dernière était enthousiaste à l’idée d’essayer ces approches en salle de classe. Selon elle, nos propositions répondaient bien aux besoins des élèves et avaient l’avantage de pouvoir être adaptées à différents niveaux.
Dans les lignes qui suivent, nous présenterons les deux prototypes d’activités que nous proposons pour travailler l’aisance à l’oral des PAIALeL en classe. Nos prototypes sont destinés à des élèves débutants, mais pourraient être adaptés pour des élèves de niveau plus avancé en variant notamment les intentions de communication ciblées. D’abord, nous détaillerons notre adaptation de la technique 4/3/2 et nous exposerons ensuite notre deuxième prototype d’activité basé sur l’utilisation de formules et sur des recherches sur l’intonation.
4. La technique 4/3/2
Notre première activité s’inspire d’une technique ayant déjà fait ses preuves relativement au développement de l’aisance en Lx (voir entre autres Nation, Newton et Newton, 2009), soit la technique 4/3/2. Cette technique, initialement décrite par Maurice (1983), consiste en une activité de production orale où l’élève répète le même discours spontané en se voyant imposer des contraintes de temps pour le faire. Elle se déroule en quatre étapes distinctes :
Comme indiqué par Nation et Newton (2009), il est important de respecter trois principes importants pour la mise en pratique de cette technique. Tout d’abord, il est nécessaire que l’élève parle toujours à une nouvelle personne afin de s’assurer que son attention porte essentiellement sur la communication du message plutôt que sur la forme ou sur l’ajout de nouveaux éléments. Ensuite, l’élève doit donner les mêmes informations chaque fois, ce qui lui permet de gagner en confiance ainsi que de faciliter l’articulation des processus cognitifs mis en oeuvre lors de l’énonciation de son discours et, par le fait même, l’accès aux éléments linguistiques dont il ou elle a besoin. Enfin, le temps doit être réduit entre chaque répétition, ce qui permet entre autres de ne pas avoir à ajouter de nouvelles informations pour respecter le temps.
L’application de ces principes engendre des gains importants sur le plan de l’aisance à l’oral (voir notamment Thai et Boers, 2016). Ces gains se manifestent entre autres par l’augmentation du nombre de mots produits par minute ainsi que par la réduction du nombre de répétitions, de pauses et d’hésitations.
Activité 1
Notre première activité est une adaptation de la technique précédemment décrite. Elle a pour objectif de faire la description d’une pièce de la maison. Pour ce faire, les connaissances préalables suivantes sont nécessaires : vocabulaire (noms et adjectifs) associé aux pièces de la maison ainsi qu’aux meubles et aux électroménagers et phrases à présentatif, comme « il y a » et « c’est ». Il serait aussi possible d’intégrer des prépositions de lieu. L’activité, à réaliser individuellement et en équipe de trois élèves, est d’une durée approximative de 20 minutes et requiert une feuille sur laquelle se trouvent des images représentant chacune des six pièces suivantes : une salle à manger, une chambre, une salle de bain, une cuisine, un bureau et un salon (voir Image 1). Il est possible de projeter le matériel au tableau ou encore d’en distribuer une copie à chaque élève, et ce, dès le début de l’activité.
L’activité comprend cinq étapes, dont la première se fait individuellement. Pour ce qui est des étapes subséquentes, elles se déroulent en équipe de trois, et les équipes changent à chaque étape.
Individuellement, les élèves choisissent secrètement l’une des six pièces présentées et préparent mentalement leur description. Ils et elles doivent décrire cette même pièce aux étapes 2 à 4;
En équipe de 3, à tour de rôle, chaque élève décrit la photo de la pièce choisie en 60 secondes. Pendant qu’un ou une élève parle, les autres l’écoutent et tentent de deviner de quelle pièce il s’agit;
De nouvelles équipes de trois sont formées par l’enseignante ou l’enseignant. Chaque élève doit à nouveau décrire la pièce choisie à ses nouveaux partenaires, mais cette fois-ci en 45 secondes. Les élèves qui écoutent tentent de deviner de quelle pièce il s’agit;
L’enseignante ou l’enseignant forme de nouvelles équipes de trois élèves en s’assurant que chaque élève est jumelé avec de nouvelles personnes. Chaque élève doit décrire la pièce choisie à ses partenaires, mais en 30 secondes. Comme pour les étapes précédentes, les élèves qui écoutent tentent de deviner de quelle pièce il s’agit;
La dernière étape, optionnelle, sert à consolider. L’enseignante ou l’enseignant demande aux volontaires de décrire la pièce choisie à l’étape 1 devant la classe. Les élèves disposent de 30 secondes ou moins.
Cette activité est facilement adaptable à de nombreuses intentions de communication pour des niveaux plus avancés telles que décrire une personne ou un visage, des endroits géographiques, des loisirs ou même des métiers, ou encore raconter une histoire à partir d’une photo.
5. La technique intonaisance
Nous avons conçu la prochaine activité à partir de diverses recommandations de la littérature scientifique (Aijmer, 1997; Lin, 2012; Saito, 2015) et de conversations que nous avons eues quant aux éléments à intégrer pour développer l’aisance. L'idée de base est de travailler l'aisance à partir de formules employées dans des situations de communication précises et qui ont une intonation particulière. Pour produire une intonation, il faut prononcer plusieurs syllabes sans interruption. Ainsi, en prononçant une formule avec une intonation usuelle, les élèves produisent des énoncés comportant moins de pauses et d’hésitations, caractéristiques reconnues pour nuire à l’aisance (Saito et coll., 2015; Suzuki et Kormos, 2020).
En français, l’intonation sert notamment à structurer les phrases et le contenu des énoncés (Martin, 2009; Vaissière, 1993). Il y a fondamentalement deux courbes intonatives : une intonation montante, pour marquer une frontière entre deux groupes intonatifs ou la fin d’une phrase interrogative; et une intonation descendante, pour marquer la fin d’une phrase déclarative. Ces deux courbes intonatives constituent la base de l’intonation du français.
Martin (2009) donne un exemple de cas où l’intonation suit un patron très régulier. Il s’agit de celui où l’on donne un numéro de téléphone. En effet, bien que les numéros de téléphone ne soient qu’une série de chiffres, du point de vue de l’intonation, ils sont structurés d’une façon très précise. Martin (2009) remarque que, au Québec, pour donner un numéro de téléphone, on regroupe les numéros en trois ensembles séparés par une courte pause (voir l’image 2) : 418, 398 et 4059. On prononce chaque chiffre séparément sauf pour le dernier groupe, où l’on peut regrouper les chiffres en deux dizaines. La dernière syllabe de chaque ensemble est accentuée et porte une intonation précise. Pour les deux premiers groupes de trois chiffres, l’intonation est montante sur huit, alors que pour le dernier groupe de quatre chiffres, l’intonation est montante pour les deux premiers chiffres (40) et descendante pour le dernier chiffre (59). L’accentuation et la courbe intonative servent à marquer la frontière entre les groupes de chiffres qui sont graphiquement séparés, ce qui permet de faciliter la transmission de l’information.
Activité 2
Nous proposons une activité dont l’objectif est d’arriver à donner une information sur soi de façon fluide en utilisant la formule appropriée avec une intonation usuelle dans la communauté linguistique locale. Pour ce faire, l’élève devra être en mesure d’utiliser des formules de salutation, de donner son numéro de téléphone et de demander une information en utilisant les patrons intonatifs usuels. L’activité, à réaliser en équipe de deux, est d’une durée approximative de 40 minutes et requiert des images à projeter au tableau qui serviront d’aide-mémoire pour que les élèves se rappellent les informations à demander à leur partenaire (voir l’image 3). En plus de ce matériel, nous avons créé des enregistrements de locuteurs natifs du français québécois qui prononcent des formules de salutation à écouter avant l’activité, pour que les élèves imitent les patrons intonatifs usuels associés à chacune des formules.
L’activité comprend deux étapes. La première est « le speed-dating de l’intonation en contexte ». L’enseignante ou l’enseignant place la classe de façon à former deux rangées de bureaux se faisant face. Il ou elle projette les images aide-mémoire au tableau (voir l’image 3) et circule pour s’assurer du bon déroulement de l’activité.
La deuxième étape permet aux élèves de répéter le patron intonatif usuel et de tester leur niveau de compréhensibilité à l’oral. Cette étape est inspirée de l’étude de Moussali et Cardoso (2019), qui a démontré que les outils de reconnaissance vocale, comme Alexa de Google, peuvent comprendre le discours d’élèves de différentes langues premières parlant l’anglais comme Lx.
L’enseignante ou l’enseignant installe un outil de reconnaissance vocale sur son ordinateur (ouvrir une page Word ou un Google Docs et cliquer sur la fonction « dicter »);
Il ou elle invite les élèves à tour de rôle à dire leur numéro de téléphone à l’outil de reconnaissance vocale;
L’outil écrit les chiffres ou les lettres du mot ou du numéro en question en majuscule sur la page.
Il existe aussi des patrons intonatifs précis comme pour les numéros de téléphone pour épeler un nom et donner une adresse ou un code postal. Comme on doit souvent fournir ce genre d’informations quotidiennement, il pourrait être utile de modifier l’objet de l’activité pour travailler les formules associées à ces différentes informations. Il serait aussi possible d’adapter facilement l’activité aux différents niveaux des élèves : par exemple, en ajustant le temps de préparation, en diversifiant le matériel audio ou encore en faisant plus de modélisation.
6. Conclusion
Enfin, comme le suggèrent Fortier et coll. (2021), les enseignantes et les enseignants doivent faire du développement de l’oral et de l’aisance un élément central de leur enseignement tout en évitant de s'appuyer sur des supports écrits, qui peuvent être davantage une nuisance qu’un outil chez les PAIALeL. Aussi, l’un des nombreux bienfaits de travailler l’aisance est son impact sur la compréhensibilité, c’est-à-dire la perception de la facilité ou de la difficulté à comprendre un énoncé (Derwing et Munro, 2009). Plusieurs études (notamment Saito et al., 2015, 2016; Suzuki et Kormos, 2020) ont dévoilé des liens importants entre l’aisance et la compréhensibilité. Ainsi, travailler l’aisance est une valeur sûre pour améliorer les succès communicatifs de nos élèves lors de leurs interactions au quotidien dans leur Lx, ce qui peut également contribuer à développer leur confiance en soi. Aussi tenons-nous à insister sur le fait que les enseignantes et les enseignants ainsi que leurs élèvent doivent plutôt viser l’atteinte d’une parole compréhensible plutôt que d’une parole dépourvue d’accent étranger, ce qui est pratiquement inatteignable pour la plupart des adultes apprenant une Lx et qui n’est pas nécessairement souhaitable tant que le discours est intelligible (Derwing et Munro, 2009). Ainsi, en travaillant l’aisance à travers des activités d’apprentissage alignées avec leur façon d’apprendre (modes variés d’apprentissage, répétitions, etc.), les PAIALeL tireront davantage profit de leur temps en classe tout en améliorant leur compréhensibilité, ce qui les aidera lors de leurs prises de parole dans leur Lx au quotidien.
Parties annexes
Annexe
Sources des images pour le matériel des activités
Image 1
Bureau [image]. (2016). Pixabay. https://pixabay.com/photos/office-office-desk-laptop-desk-1081807/
Chambre [image]. (2019). Pixabay. https://pixabay.com/photos/bedroom-interior-design-bed-room-5664221/
Cuisine [image]. (2017). Pixabay. https://pixabay.com/photos/kitchen-home-interior-modern-room-2165756/
Salle à manger [image]. (2015). Pixabay. https://pixabay.com/photos/luggage-decoration-table-930800/
Salle de bain. [image]. (2018). Pixabay. https://pixabay.com/photos/modern-minimalist-bathroom-bath-3115450/
Salon [image]. (2017). Pixabay, https://pixabay.com/photos/living-room-couch-interior-room-2732939/
Image 3
Lettres de l’alphabet [image]. (2015). Pixabay. https://pixabay.com/fr/illustrations/lettres-de-l-alphabet-alphabet-909040/
Numéros colorés Polka [image]. (2015). Pixabay. https://pixabay.com/fr/illustrations/num%C3%A9ros-color%C3%A9-polka-dots-points-937587/
Point d’interrogation [Création WordArt]. (2021, 9 avril). WordArt. https://wordart.com/edit/bq5avpg365v6
Saluer les gens dans différentes langues [image]. (2020). Freepik. https://fr.freepik.com/vecteurs-libre/saluer-gens-dans-differentes-langues_6344520.htm#page=1&query=Saluer&position=33
Notes
-
[1]
Le terme langue cible et son sigle Lx sont utilisés dans cet article afin de désigner le français sans s’attarder à l’ordre d’acquisition, les élèves parlant possiblement plus d’une langue (voir entre autres Dewaele, 2006). Par conséquent, ces termes ne s’opposent pas au terme langue seconde et à son sigle L2 (Bejarano et Duchemin, 2020)
-
[2]
Une grande proportion de la langue est dite formulaïque, c’est-à-dire constituée de formules préfabriquées. Ces dernières font référence à une série de mots qui est stockée et récupérée comme un tout dans la mémoire (Wray, 2002). Le langage formulaïque joue un rôle important dans l’acquisition et la production d’une Lx (Wood, 2002).
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