Résumés
Résumé
Cet article propose un parcours à travers les différentes productions du Teatro del Suono (1996-2006), notamment les premiers succès Rap (1996) et Sonetto (1997). Son fondateur Andrea Liberovici privilégiait une écoute approfondie de la musicalité intrinsèque d’un texte afin d’en tirer de nouvelles interprétations et de nouvelles utilisations, d’exploiter toutes les possibilités communicatives du son, de dépasser les barrières imposées à la composante acoustique du théâtre, de sortir des carcans interprétatifs, de sensibiliser le spectateur par les sens, bref, comme le disait Liberovici lui-même, de le « prendre à l’hameçon par la tranquillité monotone et connue d’un fragment déclaré de sens, puis [de] l’emporter à travers un langage musical symbolique et stratifié ».
Abstract
The works of Teatro del Suono (1996-2006) are presented here with particular emphasis on Rap (1996) and Sonetto (1997), two of their original groundbreaking productions. By listening closely to the inherent musicality of a script, founder Andrea Liberovici sought to uncover new interpretations and applications; to call into play the full range of communicative possibilities offered by sound; to go beyond the limitations that govern theatre’s acoustic component; to step outside theatrical conventions; to enhance audience receptivity by appealing to the senses; to “hook [the audience] using the familiar, monotonous tranquility of a declared fragment of meaning, and then draw them through a symbolic and multilayered musical language”.
Corps de l’article
Maledetto sia il muto maccheronico, iconico intraironico & ipotonico maledetto il mentulico meccanico, usufrutto di unghiatico & di uranico[1]
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 9
Tout a commencé par un questionnement autour du recitar cantando ou de la variété et de l’embellissement des modulations par lesquels les musiciens cherchaient à animer le récitatif opératique dès la fin du XVIe siècle. Progressivement, la réflexion s’est étendue à la possibilité de reproduire, par la musique et le son, la pensée dans sa formulation et son expression. En partant d’abord d’une manière rinascimentale (propre à la période de la Renaissance) d’organiser un discours selon des modèles poétiques et passionnels, un glissement semble ensuite s’être opéré vers une idée corpusculaire du langage : catégorie des plus difficiles à saisir, mais située « à la limite entre la pensée pensée et la pensée exprimée » (« la zona di confine fra il pensiero pensato e il pensiero espresso », Vinay, 2006 : 80), et incarnant « il momento in cui l’immagine si stacca dal tronco dell’archetipo e l’espressione si individualizza[2] » (Vinay, 2006 : 80).
Tenter de saisir l’instant de l’échange avec l’inconscient et de la formation des associations d’idées bien plus que travailler avec les mécanismes du discours formalisé et des fluctuations émotives : voilà que le Teatro del Suono naissait. Aux commandes, Andrea Liberovici, enfant ballotté par les compositions paternelles de Sergio et par les chansons maternelles de Margot, sa mère, auteure-interprète. En 1995, le poète Edoardo Sanguineti, séduit par ces élucubrations musico-théâtro-sonores, rejoignait Liberovici. Cela faisait déjà trente ans que le poète collaborait avec des compositeurs, des metteurs en scène, lui, l’acolyte de toutes les expérimentations, comme éternellement revigoré par la créativité offerte par la mise en scène et, lorsque celle-ci implique l’intervention de la musique, par les textes poétiques[3].
Le Teatro del Suono est « un théâtre qui place sa recherche exactement au centre, si l’on peut dire, entre le théâtre de prose et le théâtre musical, en essayant d’utiliser[,] à partir de ces deux formes théâtrales, le sens comme appât et le son comme signifiant dans un rapport dialectique continuel » (« un teatro che colloca la sua ricerca, esattamente al centro – se così si può dire – fra il teatro di prosa e quello musicale provando a utilizzare da queste due forme teatrali, il senso, come esca e il suono como significante in continuo rapporto dialettico fra di loro », Liberovici, 2012b; souligné dans le texte). Par cette voie, Liberovici entend réactiver la communication par une utilisation primordiale et principale du son « entendu dans sa totalité, du bruit organisé à l’orchestre symphonique » (« inteso nella sua totalità dal rumore organizzato all’orchestra sinfonica », Liberovici, 2012b), son qu’il considère comme l’élément le plus à même de « revitaliser l’attention et l’émotion » (« rivitalizzare l’attenzione e l’emozione », Liberovici, 2012b).
Les méthodes semblent mystérieuses. Essayons donc de repartir du commencement des commencements. Dans « Il mio amore è come una febbre e m.a.n.i.f.e.s.t.o. », court essai paru en annexe des textes des deux premiers spectacles que nous aurons l’occasion de parcourir, le metteur en scène propose une explicitation de son esthétique sonore en affublant les neuf lettres du substantif déclaratif de pensées techniques, politiques et poétiques.
M : manifesto, musica, montaggio, musomusica[4], mosaico |
(M : manifeste, musique, montage, musico-musique, mosaïque) |
Liberovici et Sanguineti, 1998a : 51E io sento
questo insetto questo buco riflesso,
inflesso,
che mi tocca
diafano e mi tocca
accento[5]
De fait, le Teatro del Suono est une expérience, une lubie, une affirmation : « Prendere all’amo lo spettatore con la tranquillità monotona e consueta di un frammento dichiarato di senso, e trascinarlo attraverso un linguaggio simbolico e a strati della musica[6] » (Liberovici, 1998 : 82-83). Comment? Tout d’abord, en construisant une sceneggiatura-partitura (mise-en-scène-partition), expression déjà plus courante, dans laquelle musique, parole, geste, lumière, texte ainsi que public – les blocs constitutifs du théâtre selon Liberovici – formeraient « un tout à monter créativement [en les combinant] les uns après les autres, les uns sur les autres, l’un puis l’autre » (« un tutto da montare creativamente uno dopo l’altro, uno sull’altro, uno pausa altro », Liberovici, 1998 : 81). Et Liberovici d’ajouter de manière plus concrète :
Le possibilità d’ingrandire, con lo zoom microfonico, il primo piano sonoro. Inquadrare il fuori campo non diventa così un fatto puramente estetico, ma l’amplificazione e la messa a fuoco dell’emotività e del sottotesto dei personaggi. Il microfono come orecchio meccanico e le tecnologie come memoria e possibilità di rielaborazione del materiale drammaturgico, l’attore con la sua vocalità e con il suo lavoro creativo sul personaggio, ovviamente al centro[7]
Liberovici, 2012b; souligné dans le texte
Le Teatro del Suono, c’est donc, d’une part, un théâtre de montage plurimédial non exclusivement sonore, car faisant intervenir plusieurs moyens d’expression et, d’autre part, un théâtre qui emprunte des systèmes de structuration à la musique. C’est également un théâtre de la voix et de l’orchestre qui utilise des moyens techniques de captation, de traitement et d’amplification des sons. Un théâtre, en cela, sonore.
A : attore, ascolto |
(A : acteur, écoute) |
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 8sarò la porta aperta che si perde (nel giro
della
bocca che
si becca) : (e che
ti tocca) : faro di vena vera (e vera sfera
che spera) :
e favo.
(e fiato soffiato
fragolato) : la culla della colla della cellula
(che
dondola) :
tuo velo (e cielo) :
sarò il tuo piatto catafratto (affatto
contraffatto) :
casa è
cosa, nel caso : (utero d’uso) : (corno
d’ariete,
lancia) : (e
plancia) : (e pancia) :
sarò il tuo dente incontinente (il tuo sogno,
il tuo
segno) :
(e sarò un seno) (il tuo sogno, il tuo segno)
(e sarò
un seno)[8]
Et les acteurs dans tout ça, qui sont-ils, qu’en reste-t-il, attendu qu’il n’y a pas de mise en scène de personnages incarnés et définis (en tout cas, pas au départ de l’aventure)? Ce sont des comédiens-chanteurs (Andrea Liberovici et Ottavia Fusco) prêts à se laisser galvaniser par une écoute, à se mettre en jeu, en résonance, en péril. Les vrais protagonistes, les moteurs, les catalyseurs artistiques de ces créations sont avant tout les fils d’une écoute reliant les oreilles de la scène et celles du public, des fils engendrés par l’expression de ces fameux sous-entendus sonores qui deviennent des més-entendus, des ré-entendus, des non-entendus, des ab-entendus (ou entendus à côté, de biais, transversalement).
Liberovici structure d’ailleurs les sous-entendus sonores dramaturgiques de départ en trois catégories : les sous-entendus sonores primaires (didascalies – reproductions brutes d’éléments notés dans le texte), secondaires (extraction des potentialités sonores d’un texte par son interprétation, son étude, son analyse) et tertiaires (création ou improvisation, ajouts). L’artiste agence ces derniers selon « une utilisation créative du chaos » (« una sorta d’utilizzo creativo del “caos” », Becheri, 2006 : 33). Cette mise à profit du chaos consisterait, d’une part, à utiliser une sélection de matériaux sonores rencontrés fortuitement (ou expressément) lors du travail préparatoire aux spectacles, en les manipulant éventuellement en vue d’une nouvelle proposition au cours des représentations et, d’autre part, à prendre en compte et à développer le côté aléatoire des représentations – on sent ici la signature de Sanguineti, partisan d’une écriture aléatoire, le polymorphe écrivain étant, entre autres, l’auteur du roman au titre évocateur Il gioco dell’oca (Le jeu de l’oie) – en considérant les réactions du public et en créant, pour et pendant chaque spectacle, une partie considérable de nouveaux éléments sonores (en d’autres mots, créer en temps réel tant au niveau actorial que musical).
Concrètement, dans Rap (1996), la première création teatrosonore, Sanguineti et Liberovici se sont inspirés d’un texte onirique imaginé par le poète, lui-même guidé par le hasard : un texte rythmé et mélodieux dans une langue faisant appel à la fois aux domaines du rêve et du destin[9]. La poésie, mêlant régulièrement registre parlé et vers libres, est poussée aux limites de l’intelligibilité sans tomber toutefois dans un hermétisme érudit. À partir du texte, Liberovici a agencé plusieurs niveaux de compréhension / conceptualisation sonore des éléments poétiques qu’il a préalablement enregistrés et manipulés, interprétés sur scène, retranscrits musicalement et adaptés vocalement.
Au final, Rap se présente comme un hymne à la poésie sonore intrinsèque des mots qui ne sont pas encore des mots (mots-images, mots-symboles, mots-sonorités), un hymne qui se traduit sur le plateau en une exploration des différents modes de recitar cantando en rimes, rock, rap, pop, balbutiements vocaux, improvisations musicales, et où l’intuition et l’immédiateté interprétatives et perceptives font écho à la liberté d’idées contenues dans la Smorfia napoletana – sans ordre ni loi, si ce n’est celle de l’intuition d’une destinée ou d’une fatalité chiffrée.
N : natura |
(N : nature) |
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 8dove finisce il mio io,
non lo so io
non lo so i io
non lo so io […]
Tu, se non sei tu,
non ci sei più[10]
La part belle laissée à l’improvisation et à la pluralité des langages sonores / musicaux n’est alors qu’une manière de répondre au besoin d’atteindre et de retrouver une certaine idée de « naturel » et, de fait, une efficacité dans le langage scénique. Cultivant l’improvisation poétique et l’incongruité des relations sémantiques, vues comme les seules possibilités de tendre vers une liberté de la communication, un oubli de soi et un évitement de clichés langagiers, metteur en scène et poète se sont entendus sur un anti-naturalisme anti-narratif. Conséquemment, dans les deux premiers spectacles, conçus pour deux voix et une bande-son, l’objectif était de :
-
Premièrement : attaquer la sémantique et déconstruire le système de concaténation des mots, cette alta catena ottenebrante (longue chaîne ténébreuse) par laquelle nous nous laissons che ci scorta (guider aveuglement). Système par défaut, système maudit, qui n’est pas suffisant. Système de la prédominance du mot figé à questionner. C’est ce que propose Rap (1996) – centré sur le rêve poétique d’un monde sonore guidé par le hasard.
-
Deuxièmement : mettre en exergue le moment de la formation de la pensée en tant qu’acte communicationnel originalement fait de sonorités – moment incarné par le benedetto buco biconvesso (le trou biconvexe béni), antre créateur sexuel ou communicationnel. Célébrer, donc, la pensée non encore exprimée qui conjuguerait une part d’inconscient et une part de poésie intrinsèque sonore. C’est le propos de Sonetto : un travestimento shakespeariano[11] (1997), spectacle ciblant, quant à lui, à travers un travail sur les sonnets de Shakespeare, la matérialité sonore de l’inspiration langagière amenant à l’activité de l’écriture.
Pour cela, la narration est, de fait, délaissée en faveur d’un agencement spontané, immédiat, non filtré, progressant par sauts extra-logiques, poétiques, oniriques, érotiques et sensitifs.
En résumé, le Teatro del Suono originel se voulait une exploration du son par une explosion du sens, proposition d’un nouveau cadre aux mots en vue d’une déconstruction des modalités du mettre-les-mots-ensemble. Autrement dit, le Teatro del Suono désirait monter des spectacles réfléchis sur les plans musical et sonore, et dé-monter l’idée de langage pour en dégager le suc sonore de la pensée, nouvellement libérée de son enveloppe alphabétique.
I : ingrandimento, inizio, identità, istante |
(I : agrandissement, début, identité, instant) |
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 8Che mi mina,
che mi mima,
c’è la rima[12]
Dans cette optique, la voix reçoit un traitement tout particulier. Par l’expulsion des mots, par l’utilisation des micros, elle est malmenée, auscultée, dépecée. Tantôt dépouillée de ses raclures consonantiques, puis de ses mouillures vocaliques, secouée par la déflagration des mines rimiques, reprise tantôt par des outils de traitement et de déformation, puis par des instruments, mise en doute par la moindre modification, la voix perd son état pur, sa détermination.
Dans la lignée des expérimentations de Carmelo Bene, idéateur de la voix-orchestre[13], l’utilisation du microphone devient un expédient dramaturgique puissant et assumé. En parallèle, le jeu sur les perspectives, les profondeurs, les reliefs – visuels et sonores –, le hors-champ comme sous-texte des comédiens en scène, se multiplient, poussant le spectateur à perdre de vue le centre sensé, mais un peu téléphoné, d’un spectacle ourdi par l’ouïe et en partie pour l’ouïe. L’identité des interlocuteurs finit par se dilater. Puisque non déclarés, non prononcés, non nommés, les êtres scéniques, les êtres parlant et pensant le son, disparaissent au profit de leurs avatars mâchés, chantés, dispersés dans l’espace.
F : furto |
(F : vol) |
Liberovici et Sanguineti, 1998a : 37Me, me, your, your
I, I, you, you
Io, tu, io
Tu, io, io, tu
il tuo,
mio[14]
Les mots, ces hameçons, ces âmes-sons, sont extirpés de leur enveloppe traditionnelle. Sur scène et sur la bande-son, ils sont diminués, minés, nués, pétaradés (ppttrrdd), mélopés (éééoooééé), rythmés sur une portée (hum! inspirés hum!), mais aussi saccadés, étouffés (...t...ff), réverbérés, rimés et répétés. L’échantillonnage, le travestissement (en tant que traduction réinvestie et interprétation – concept cher à Sanguineti[15]), la boucle sur les voix, mais aussi l’imprévu sont employés ensemble en vue d’opérer une composition – musicale mais non classique – globale du spectacle. Par ailleurs, le traitement et la création électroniques de sons, technique utilisée largement et de manière assez virtuose par Liberovici – aussi bien en studio qu’en direct –, devient, par conséquent, un entrepôt merveilleux de mouvements, de gestes et de scénographies sonores potentielles qu’il s’applique à réagencer et à structurer jusqu’au moment de la représentation.
E : elettronico, essere E non essere |
(E : électronique, être ET ne pas être) |
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 19-20tu non vedevi niente, intanto, perché
tu non vedevi niente, intanto,
tu non vedevi niente, intanto perché
tu, guardavi verso il niente[16]
Par cette écriture de l’hameçon rêvé, du sens désaxé, du son révélé, du signifiant dérivé, Liberovici et Sanguineti travaillent à l’exploitation sensitive des potentialités sonores du texte et de l’espace afin de revivifier constamment l’attention du spectateur. L’utilisation plurielle des outils électroniques permet justement à Liberovici d’activer et d’inscrire le son dans une matérialité non matérielle qu’il nomme « le baroque invisible[17] ».
S : suono |
(S : son) |
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 33-34sognato è il senso, ma sensato è il derma
Sfumato è il grumo in granuli di sperma :
ogni sfera si scioglie e vibra e sfibra
si scioglie e vibra e sfibra
si scioglie e vibra e sfibra[18]
Liberovici et Sanguineti, 1998a : 48tu allora che
illumini le ombre, ombra
illumini le ombre, ombra,
sogno, sogno, sogno[19]
Le son constituerait l’« immatière première » (« immateria prima », Liberovici, 2012a; souligné dans le texte) du théâtre. Tempéré – à savoir cadré par des codes langagiers – ou stemperato (dé-tempéré), « avec sa mémoire, sa langue, sa narration » (« con la sua memoria, lingua, narrazione », Liberovici, 2012a), il serait à la fois le signe, l’écrin et le vecteur d’un rapport différentiel au temps. Il serait, dans le cadre d’un théâtre qui ferait intervenir un tant soit (trop) peu l’auditif – non pas aux dépens mais en amont et aux côtés d’autres sens, notamment du visuel –, primordial pour que chaque image et, plus largement, chaque sensation susceptible d’invoquer un vécu temporel, une communication, une expression et, par extension, un récit puissent être activées. Inversement, le moment théâtral, l’expérience du plateau, constituerait l’outil privilégié, le scalpel rêvé permettant de dépouiller un bloc sensitif sonore figé (dans le langage par exemple) en vue de libérer un rapport dialectique, actif, communicationnel au temps.
T : teatro, dopo il rock’n’roll teatro è musica |
(T : théâtre, après le rock’n’roll, le théâtre est musique) |
Liberovici, 2012aQuando qualcuno mi chiede : fai teatro?
Rispondo : no faccio il compositore.
Quando qualcuno mi chiede fai il
compositore?
Rispondo : sì, faccio teatro[20]
Le théâtre de Liberovici n’est pas vraiment un théâtre musical à proprement parler, mais ce n’est pas non plus uniquement un théâtre du son bruité ou chanté. C’est un théâtre dans le son, pour le son. En ce sens, les approches artistiques ont été multipliées. À la suite des premiers feux Rap et Sonetto,
[una] sfida [che] non era quella di aderire a un percorso estetico preesistente, ma di confrontarsi dialetticamente, dal punto di vista del teatro e quindi dell’attore, con il presente, [scaturi un] percorso necessario. Un tentativo di percorso teatrale che mi piacerebbe chiamare : teatro di evoluzione[21]
Liberovici et Viganò, 2006 : 122
O : osare |
(O : oser) |
Liberovici et Sanguineti, 1998b : 7Rotta è l’alta catena ottenebrante
turbante di sirena lancinante
furfante che ci esorta
E che ci scorta,
lì alla porta, a mano morta,
di matrici punitrici
grassatrici da appendici :
nane mamme mammellate,
marmellate le gomme di gonne,
martellate le donne cannoni castrate,
in soldoni di bottoni di calzoni[22]
La mosaïque in progress des applications du son à la création théâtrale au sens large, dans son acception liberovico-sanguinetienne, s’est interrompue après une quinzaine d’essais. Cette aventure a traversé les genres proches du concert théâtralisé (Rap, Sonetto), du théâtre musical électroacoustique (Macbeth Remix) ou radiophonique (Electronic Frankenstein, Intégral), de l’exposition acoustique (portraits sonores des Ritratti acustici), du théâtre classique travesti par l’électro (Sei personaggi.com[23], I quaderni di Serafino Gubbio operatore, Urfaust), du soap opera (Candido : soap opera musical[24]), de l’oratorio aléatoire pour acousmonium et voix (64), du clip vidéo et du court métrage musical (From Ivry, L’ultimo viaggio di Cunégonde en Irak, Cinquecentomila leoni). Le décès de Sanguineti en 2010 a certainement influé sur la conclusion d’une première phase de travail de la compagnie tant l’écriture du poète et l’imagination sonore, musicale et scénique du metteur en scène étaient associées. Aujourd’hui, Liberovici continue ses explorations scéniques et sonores multiples en collaborant au sein de divers projets théâtraux, musicaux et vidéo –, notamment en collaboration avec le Nouvel ensemble moderne de Montréal.
À travers ce bref parcours jonché de lettres – aucunement mortifiées, sonorement alphabétisées –, centré sur l’essence même de l’intuition créatrice du Teatro del Suono, nous avons pu donner un aperçu des intentions générales de ce groupe. Comme en hommage à la Smorfia napoletana, dont l’ordre alphabétique ne constitue qu’une structure apparente, les aspirations du Teatro del Suono cachaient / cachent en réalité une volonté de tendre vers la spontanéité dans laquelle toutes sortes de signes / sens renvoient de façon anarchique à de mystérieux chiffres / sons qui se veulent tour à tour porteurs de chance et symboles d’un narquois destin. Le masque, à la fois rieur et grimaçant, n’est-il pas d’ailleurs le symbole du théâtre par excellence, d’une part, et du double, de l’autre, cette intuition d’une réalité impalpable et fugitive comme l’est ce son qui voulait / voudrait détrôner / seconder le roi de la scène : le tangible mot souverain? Le Teatro del Suono a su aborder, voire approfondir, certaines questions liées aux relations entre son, texte et musique. Par l’aléatoire et le musical, Liberovici et Sanguineti ont contribué à la recherche de modalités d’exploitation de l’inconscient et d’une force émotionnelle cachée, en des termes théâtraux guidés par le filtre sonore au sens large, contribuant ainsi à la (re)découverte d’une possible et nouvelle catharsis.
Parties annexes
Note biographique
Après des études en mathématiques, Stéphane Resche a suivi une formation littéraire, musicale et théâtrale (universités, ENS, conservatoires) entre la France (Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Paris), l’Italie (Florence, Rome, Pise, Bologne, Reggio de Calabre) et l’Allemagne (Berlin, Sarrebruck). Agrégé d’italien (2008) et titulaire d’un doctorat en théâtre italien (2013), il a été chargé de cours à l’université et enseignant au lycée. Il partage son temps entre la pratique artistique (assistanat, mise en scène, jeu, dramaturgie, traduction, comité de lecture, audiodescription) et la recherche scientifique (histoire et pratique du théâtre, théâtre contemporain, opéra, rapports son / texte / scène / image, acoustique musicale).
Notes
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[1]
« Maudit soit le muet macaronique, / iconique intraironique & hypotonique / maudit le mentulique mécanique, / usufruit d’onguentique & d’uranique. » Notre traduction.
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[2]
« [L]e moment où l’image se détache du tronc de l’archétype et où l’expression s’individualise ». Notre traduction.
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[3]
Nous renvoyons à la partie annexe « Note per un catalogo delle opere musicali scritte su testi (o ispirate a testi) di Sanguineti » (Iovino, 2011). Parmi les collaborateurs de Sanguineti sont cités les compositeurs, interprètes et personnalités du monde musical suivants : Mauro Bonifacio, Azio Corghi, Adriano Guarnieri, Giovanna Marini, Gabrio Taglietti, Luca Francesconi, Michelangelo Lupone, Andrea Basevi Gambarana, Andrea Nicoli, Claudio Ambrosini, Luciano Berio, Mauro Bortolotti, Aureliano Cattaneo, Massimiliano Damerini, Riccardo Dapelo, Federico Ermirio, Stefano Gervasoni, Vinko Globokar, Lucio Gregoretti, Andrea Liberovici, Sergio Liberovici, Luca Lombardi, Giacomo Manzoni, Fernando Mencherini, Ennio Morricone, Massimo Pastorelli, Fausto Razzi, Stefano Scodanibbio, Paolo Silvestri, Tonino Tesei, Martino Traversa. Sur le travail théâtral d’Edoardo Sanguineti, voir Valzoler, 2009.
-
[4]
Ce terme a été proposé par Marzio Pieri pour identifier la technique de composition du spectacle Rap (L iberovici, 1998 : 81).
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[5]
« Et moi je sens / cet insecte ce trou réfléchi, infléchi, / qui me touche / diaphane et me touche / accent. » Notre traduction.
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[6]
« Prendre le spectateur à l’hameçon par la tranquillité monotone et connue d’un fragment déclaré de sens, puis l’emporter à travers un langage musical symbolique et stratifié. » Notre traduction.
-
[7]
« Élargir, avec le zoom microphonique, le premier plan sonore. Ainsi, encadrer le hors-champ ne devient plus un fait purement esthétique, mais une amplification et une mise au point de l’émotivité et du sous-texte des personnages. Le microphone comme oreille mécanique et les technologies comme mémoire et possibilité de ré-élaboration du matériel dramaturgique, le comédien avec sa vocalité et son travail créatif […] rest[e]nt évidemment au centre. » Notre traduction.
-
[8]
« [J]e serai la porte ouverte qui se perd (dans le tour de la / bouche que / l’on picore) : (et qui / te touche) : phare de veine vraie (et vraie sphère qui espère) / et favus / (et souffle soufflé / fraisé) : le berceau de la colle de la cellule (qui / bascule) : / ton voile (et ciel) : / je serai ton plat catafracté (aucunement contrefait) / maison, c’est / chose, au cas où : (utérus d’us) : (corne de bélier, / lance) : (et / planche) : (et ventre) : / je serai ta dent incontinente (ton rêve ton / signe) : / (et je serai un sein) (ton rêve, ton signe) (et je serai / un sein) ». Notre traduction.
-
[9]
La Smorfia napoletana, manuel d’interprétation des rêves au sein duquel chaque image ou symbole renvoie à un nombre utilisé par la suite pour jouer au loto, a été utilisée comme texte originel de travail.
-
[10]
« [O]ù finit mon moi, / je ne le sais pas, moi / je ne le sais pas, m moi / je ne le sais pas, moi. […] / Toi, si tu n’es pas toi, / tu n’y es plus ». Notre traduction.
-
[11]
Pour plus d’informations, voir Baiardo et De Lucis, 1998.
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[12]
« Qui me mine, / qui me mime, / il y a la rime. » Notre traduction.
-
[13]
Artaud, Cage et Bene constituent trois piliers de référence pour Liberovici.
-
[14]
« Me, me, your, your / I, I, you, you / Moi, toi, moi, / toi, moi, moi, toi, / le tien, / mien. » Notre traduction.
-
[15]
« Ovunque si abbia “travestimento” si ha necessariamente “teatro”, per aurorale e germinale che ne sia la condizione. Ma travestimento e categoria che incide, e questo adesso importa soprattutto, ove intervenga un materiale verbale, nella trasformazione che subisce il testo, facendosi voce e gesto corporeo, straniandosi in azione. Il teatro di parola è travestimento di parola » (Sanguineti, 1989 : 97-98). « Dès qu’il y a “travestisseme\de paroles est travestissement de paroles. » Notre traduction.
-
[16]
« [T]u ne voyais rien, en attendant, parce que / tu ne voyais rien, en attendant, / tu ne voyais rien, en attendant, parce que / tu regardais vers le rien. » Notre traduction.
-
[17]
« Il linguaggio della parola, come quello della luce e del corpo, hanno già una lunga tradizione nel teatro occidentale : quello del suono va certamente ancora approfondito e questa ricerca rappresenta una componente specifica del moi modo di pensare e di fare teatro. Mi piacerebbe che questa idea di teatro, il “teatro del suono”, fosse descritta c n questo sostanziale ossimoro : barocco invisibile » (Liberovici et Viganò, 2006 : 127). « Le langage de la parole comme ceux de la lumière et du corps ont déjà une longue tradition dans le théâtre occidental : celui du son doit certainement être encore approfondi et cette recherche représente une composante spécifique de ma manière de penser et de faire du théâtre. J’aimerais que cette idée de théâtre, le “théâtre du son”, soit décrite avec cet oxymore substantiel : le baroque invisible. » Notre traduction.
-
[18]
« [L]e sens est rêvé, mais le derme est sensé / le grumeau s’est évaporé en granules de sperme / chaque sphère fond et vibre et se défibre / fond et vibre et se défibre / fond et vibre et se défibre. » Notre traduction.
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[19]
« [T]oi alors qui / illumines les ombres, ombre / illumines les ombres, ombre / rêve, rêve, rêve. » Notre.
-
[20]
« Lorsqu’on me demande : vous faites du théâtre? Je réponds : non, je suis compositeur. Lorsqu’on me demande : vous êtes compositeur? Je réponds : oui, je fais du théâtre. » Notre traduction.
-
[21]
À la suite des premiers feux Rap et Sonetto, un « défi [qui] ne consist[ait] pas en une adhésion à un parcours esthétique préexistant, mais justement en une confrontation dialectique, du point de vue du théâtre et donc de l’acteur avec le présent, [émergea] un parcours nécessaire. Une tentative de parcours théâtral que [Liberovici aimait à nommer] : un théâtre d’évolution qui s’est traduit par l’exploration de plusieurs genres de spectacles. » Notre traduction.
-
[22]
« Rompue est la grande chaîne enténébrée / troublante de sirène lancinante / coquine qui nous exhorte / et nous escorte / là à la porte, d’une main morte, / des punitives matrices / graisseuses d’appendices : / naines mamans mamellantes, / marmeladées les pneus de jupes, / martelées les femmes canons castrées, / à gros sous de boutons de caleçons. » Notre traduction.
-
[23]
Voir Liberovici et Sanguineti, 2001.
-
[24]
Voir Liberovici et Nove, 2004.
Bibliographie
- BAIARDO, Enrico et Fulvio DE LUCIS (1998), Shakespeare e il rap : i Sonetti secondo Liberovici e Sanguineti, Gênes, De Ferrari.
- BECHERI, Gabriele (2006), Officina Liberovici : il suono diventa teatro, Venise, Marsilio Editori.
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