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La dernière chronique de la « Revue des revues de langue française » se terminait avec la mention de deux hommages à des hommes de théâtre récemment décédés : Roger Planchon et André Benedetto. Peut-être faudrait-il, pour rester dans le ton, débuter la présente chronique, ne serait-ce par respect envers les presque nombreux disparus du milieu artistique d’ici et de l’étranger, en faisant état des hommages qu’il a été donné à lire dans les numéros récents de revues théâtrales. Dans Jeu seulement, on a salué, depuis la fin de 2009, Merce Cunningham, Pina Bausch, Micheline Legendre, Jean Dalmain, André G. Bourassa et Anne Ubersfeld, autant de praticiens et de chercheurs qui ont marqué leur sphère respective. Dans tous les cas, sans surprise, il est question d’héritage, sujet central de plusieurs dossiers qui seront ici recensés et dont les recoupements sont nombreux.
Concernant Jeu, il faudra se dépêcher d’indiquer à quel point la revue, depuis les deux dernières années, a cru bon de revenir sur des sujets déjà – et parfois souvent – traités en ses pages.
En ce sens, le dossier « Voies / Voix de la traduction théâtrale » dirigé par Raymond Bertin, dans le numéro 133, est sans doute le plus éloquent, notamment parce que la traduction est foncièrement tributaire du contexte socioculturel dans lequel elle s’inscrit. Dès son 9e numéro, en effet, la revue s’était intéressée à la question. On se souviendra qu’à l’époque, la traduction passait nécessairement par l’adaptation afin de complètement s’approprier l’oeuvre pour en faire disparaître toute part d’étrangeté. Esquissant rapidement l’engouement de cette préoccupation de la part de Jeu, Bertin rappelle indirectement aux lecteurs que la surconscience linguistique des Québécois s’exprime aussi – et surtout – au théâtre. Le point de départ de ce dossier se trouve d’ailleurs dans la tenue à Montréal, en septembre 2009, du 4e Séminaire international de traduction du CEAD, agent principal du théâtre en traduction. Évidemment, une large part de la parole est laissée aux praticiens – notamment Michel Garneau, Maryse Warda, René Gingras et Gilbert Turp. La traduction interroge notre rapport à l’autre, ce qui pousse Johanne Bénard à se pencher sur le théâtre présenté en version originale, réalité laissant le public sans (ou avec peu de) repères linguistiques. Cela semble aller de soi avec certains festivals alors que l’on sait que certains théâtres institutionnels, pour leur part, s’attirent les foudres de leurs abonnés en présentant à l’occasion des oeuvres en langue étrangère dans leur version originale.
Dans son dossier « À la scène comme à l’écran » (numéro 134), Christian Saint-Pierre indique quant à lui qu’il y avait douze ans que Jeu ne s’était pas penchée sur les « rapports soutenus » qu’entretiennent théâtre et cinéma, évoquant que « les échanges entre la scène et l’écran (au sens large) sont plus riches qu’ils ne l’ont jamais été, plus fertiles que sclérosants, plus vivifiants qu’incestueux, parce que les deux arts ont cessé de s’exclure, de s’opposer et / ou de se contredire dans l’esprit de plusieurs créateurs et spectateurs, critiques et théoriciens ». Ce dossier est divisé en quatre axes qui illustrent l’influence bidirectionnelle du propos ici à l’examen : les films adaptés au théâtre, les pièces portées au grand écran, les codes cinématographiques débusqués sur scène, et les conventions théâtrales employées au cinéma. De plus, comme dans le numéro précédent, on s’intéresse à plusieurs festivals, dont le 1er Festival international de théâtre yiddish de Montréal.
Catherine Cyr, dans son dossier sur la subversion (numéro 135), prend comme point de départ le « calendrier promotionnel malicieusement subversif » du Centre national des Arts dont le slogan, pour la saison 2010-2011, était « Le kitsch nous mange ». Elle se demande, alors que « toutes les révolutions scéniques semblent avoir déjà eu lieu », qu’est-ce qui peut encore renverser les habitudes théâtrales, notamment dans une carte blanche à Olivier Choinière et Olivier Kemeid.
Le dossier piloté par Marie-Andrée Brault, intitulé « L’oeuvre en chantier » (numéro 136), ausculte le « mouvement incessant qui fera surgir quelque chose là où il n’y avait rien ». Là encore on rappelle que la revue avait déjà publié quelques articles sur la question, mais le dossier vise particulièrement ce qui se passe en salle de répétitions, « en amont de la représentation », dans le but de « donner un aperçu des tâtonnements et des recommencements, du découragement et de l’éblouissement qui préludent au spectacle, et ainsi toucher un peu à la part intime du théâtre » ; il s’inscrit, on le devine, dans la tendance actuelle qui vise à s’intéresser beaucoup plus à la démarche ayant mené à la création qu’au résultat lui-même. Et s’y trouvent des articles tirés de travail sur le terrain, chez Marleau et Lemieux/Pilon, notamment.
C’est un fait, l’heure est aux états généraux. Après le théâtre, la danse et combien d’autres pratiques artistiques, la Ligue nationale d’improvisation (LNI) organisait les États généraux de l’improvisation au printemps 2010, ce qui donnait l’impulsion du dossier dirigé par Michel Vaïs (« Impro », numéro 137) pour prolonger les considérations amorcées lors de ce colloque. Cela donne lieu à des réflexions contradictoires, notamment sur le rôle de l’improvisation dans la (dé)formation théâtrale et, bien entendu, dans le processus créateur, notamment chez Robert Lepage.
Le numéro suivant, « Mission et transmission » (138), a comme point de départ la controverse entourant les célébrations du trentième anniversaire d’Espace GO. Une question se pose : quand naît vraiment une compagnie, quand cesse-t-elle d’être vraiment ce qu’elle était auparavant ? Pol Pelletier, on s’en souviendra, s’était offusquée de cette célébration. Cela a permis à Alexandre Cadieux de produire un dossier qui se penche sur « les mandats artistiques de nos compagnies et de nos institutions théâtrales ainsi que sur la pérennité et le renouvellement de leur orientation ». Ici le rapport entre culture et histoire est central, et au Québec ce lien est problématique. Prolongement d’une table ronde animée par Michel Vaïs (« Le dauphin : espèce en péril ? »), cet examen de la transmission au sens large pose la question de l’héritage non seulement de la pratique mais de la survivance des mémoires alors que le CQT et le CEAD s’interrogent justement sur les institutions et le répertoire.
Enfin, dans « Jouer dans la cité » (numéro 139), Étienne Bourdages qui dit constater que « le plus souvent, à la fin de la représentation, chacun rentre chez soi », admet parfois, écrit-il, qu’une brèche se produit dans le quatrième mur. Ce dossier s’interroge sur la nature que le théâtre devrait entretenir avec les questions de société. On traite également d’engagement, et on se demande quel rôle le théâtre peut-il encore jouer dans la société. Il y a dix ans (numéro 94), on s’était arrêté sur l’engagement chez la nouvelle garde, et la revue se propose maintenant de « repenser l’état des lieux en ouvrant la réflexion à l’histoire, aux générations et aux pratiques ».
L’année 2009 se clôt, pour la Revue d’histoire du théâtre, sur les « Métamorphoses animales dans les arts de la scène ». Ce petit dossier vient surtout rappeler que l’animalité est un sujet récurrent dans les recherches théâtrales. Cette inspiration presque kafkaïenne vise autant les oeuvres de Circé et de Rostand, où la question de la métamorphose est peut-être plus subtile, que les écritures africaines contemporaines qui s’inspirent largement, apprend-on, d’un riche bestiaire oral.
Le temps d’un numéro double (2010.1-2), Ariane Ferry et Florence Naugrette ont rassemblé des articles sur « Le Texte de théâtre et ses publics ». En guise d’introduction, Didier Plassard identifie deux directions au texte de théâtre : l’événement et le monument. Quatre axes constituent ce dossier : « Les supports et publics de l’édition théâtrale » ; « L’auteur et “ son “ texte » ; « Des livres qui font voir » ; « Classicisations : donner à relire, trouver à redire ». Il s’agit bel et bien de passage, celui de l’inscription de l’oeuvre théâtrale dans un espace qui dépasse son immédiateté, en d’autres mots la survivance de la représentation.
Les numéros 3 et 4 de 2010 ne sont pas constitués en dossier alors que les textes traitent tantôt d’Anouilh, de Genet et du Caligula de Camus, tantôt de Sophocle, des Shakespeare de la Comédie-Française et de Gordon Craig.
Le dossier « Manuscrits du théâtre et de l’opéra » (2011.1) présenté par Béatrice Didier fait certes une place aux fonds de matériel de scène du XIXe siècle à la Bibliothèque nationale de France, mais on traite surtout des carnets de mise en scène de Beckett, des archives de Jean-Louis Barrault ainsi que du journal de Novarina. Le corpus couvre également les notes de Copeau, Jouvet, Baty et Barsacq, pour ne nommer que ceux-là. Ici, l’histoire est assez récente.
Dans son dossier au titre très poétique (« Théâtre, fabrique d’Europe », numéro 46) d’Études théâtrales, Emmanuel Wallon a réuni les textes d’une vingtaine de chercheurs s’étant au départ exprimés lors d’un colloque tenu en décembre 2008 et intitulé « Théâtre européen : la scène du doute ? ». Ce riche numéro, divisé en quatre parties (« Scène publique. Le théâtre constitue-t-il un espace de représentation commune pour les Européens ? » ; « Lieu de pensée. Le théâtre permet-il d’affronter les crises de la raison ? » ; « Genre spectaculaire. Le théâtre conserve-t-il une spécificité dans l’univers du spectacle ? » ; « Pratique et politique. Le théâtre peut-il devenir un enjeu des politiques européennes ? »), vise à comprendre, de l’affirmation de son directeur, « ce que le théâtre, avec ses moyens très spécifiques, peut dire et montrer d’un état du monde dont la confusion appelle la pensée ou, du moins, un certain degré de lucidité partagée ». Ces interrogations, qui ne sont pas sans rappeler celles au centre du dossier « Jouer dans la cité » de Jeu mentionné plus haut, s’appuie au départ sur l’Europe comme « continent de raison » dont le concept d’art dramatique est indissociable.
Le « Croisement moderne et contemporain » du théâtre et de la danse alimentent les numéros 47-48 et 49 d’Études théâtrales. Dans un premier temps, Philippe Ivernel, Anne Longuet Marx et leurs collaborateurs ont interrogé les « Filiations historiques et positions actuelles » au centre des propositions artistiques qui s’observent en Allemagne, en Belgique et en France. Un des points de départ de cette réflexion est le Tanztheatre de la regrettée Pina Bausch, « référence obligée » des phénomènes actuels d’hybridation. On parlera volontiers de « polémique interne » lorsqu’il est temps de nommer cette forme d’art que d’aucuns nommeront théâtre-danse, d’autres danse-théâtre, alors que seront convoquées, pour l’exercice, autant les manifestations helléniques que les analyses de Walter Benjamin. Le second volume, intitulé « Paroles de créateurs et regards extérieurs », contient presque une quarantaine de textes constitués de parcours et de paroles de créateurs, puis de « regards extérieurs » passant par le costume, la peinture, la caméra, le mouvement, etc. Ici encore, il s’agit d’éluder la question, mais cette fois moins grâce à un examen historique et analytique qu’à une série d’entretiens sur la « dialectique profonde entre théâtre et danse » et un ensemble de regards visant à « ouvrir de nouvelles perspectives à explorer, à travers un entrelacs de convergences et de divergences ».
Enfin, les « Usages du “ document “ » du numéro 50 d’Études théâtrales se trouvent jouxtés à une réflexion sur les « écritures théâtrales entre réel et fiction » dirigée par Jean-Marie Piemme et Véronique Lemaire. Occasion de souligner le succès de la revue fondée en 1992, cette parution analyse les éléments « référentiels » du matériau théâtral. Qu’il s’agisse d’individus jouant leur propre rôle, d’évocation d’événements survenus, de citations ou de tout autre élément, chaque document permet d’interroger la part réelle et fictionnelle de la représentation. Divisé en trois parties (« Le document en question, approches ponctuelles » ; « L’auteur et le document » ; « Écrits de metteurs en scène »), le dossier donne la parole à une vingtaine d’intervenants dont le dessein est de cibler « un des questionnements spécifiques de la théâtralité contemporaine ».