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Introduction

Face à l’augmentation croissante du nombre de catastrophes au niveau planétaire, à un niveau jamais observé auparavant (Jennings, 2011), les recherches démontrent un lien entre les changements climatiques, les évènements climatiques d’amplitude extrême et le risque de catastrophe (USGCRP, 2014). Les observations démontrent en effet l’augmentation récente du nombre de catastrophes liées aux changements climatiques, telles que les ouragans, typhons, sécheresse, inondations (Quevauviller, 2015). Parallèlement, les coûts humains et financiers qui en résultent sont multipliés[1] (UNISDR, 2015a).

Les impacts négatifs des crises humanitaires sont ressentis de façon particulièrement aigue par certaines populations exposées disproportionnellement aux risques. Un groupe présentant une exposition particulièrement élevée aux risques de catastrophe est celui des personnes handicapées (Stough & Kang, 2015). Les conséquences des catastrophes affectent plus particulièrement ce segment de la population. Il a été démontré par exemple que le taux de mortalité des personnes handicapées lors du tsunami de 2011 au Japon fut de deux à quatre fois supérieur à celui de la population (Fujii, 2012).

Pour réduire cet impact différentiel, les stratégies de réduction des risques sont préconisées comme l’une des voies d’action (Twigg, 2015). Bien sûr, les impacts ne se limitent pas à la mortalité. Ils peuvent affecter la capacité des personnes en situation de handicap à utiliser les abris d’urgence, maintenir leurs moyens de subsistance, avoir accès aux mesures d’urgence, etc. (Twigg, 2015; Kett et al, 2018).

Il nous manque cependant beaucoup d’information sur la façon dont les stratégies d’intervention utilisées dans le continuum de gestion des crises humanitaires sont perçues et vécues par les personnes handicapées elles-mêmes, ainsi que sur les cadres contextuels permettant de situer ces impacts différentiels. En effet, les études portant sur ces groupes soumis à des risques disproportionnés, ainsi que sur les interactions entre les divers facteurs d’exposition au risque et la façon de réduire les impacts potentiels de catastrophe sur ces populations sont encore trop rares. Bien que plusieurs groupes puissent se trouver en situation de vulnérabilité, cet article s’intéresse tout particulièrement à la situation des personnes handicapées (Stough & Kang, 2015).

Parallèlement à ces questions de situations de vulnérabilité et d’exposition aux risques, le début du 21ème siècle a été marqué par un ensemble de politiques internationales portant une attention accrue à la question du handicap dans le contexte de crises humanitaires. Ceci est mis en évidence par divers traités et conventions au niveau international. La Convention relative aux droits des personnes handicapées a ouvert le bal (UN, 2006, art. 11), suivie par le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (UNISDR, 2015b) et les Objectifs de développement durable, en particulier les objectifs 11 et 17 (UNDESA, 2015). Ces règles normatives internationales s’accompagnent d’un ensemble de lignes directrices visant à faciliter l’inclusion des personnes handicapées dans le continuum de gestion de crises humanitaires.

Cet article présente dans une première partie, le cadre conceptuel cernant la notion de continuum de gestion des crises humanitaires. La deuxième partie décrit les impacts des crises humanitaires, en portant une attention particulière à la notion d’impact différentiel affectant les personnes en situation de handicap. La troisième partie présente quelques-unes des barrières spécifiques que rencontrent les personnes en situation de handicap en contexte de catastrophe. La quatrième partie, consacrée aux cadres normatifs internationaux, présente les principaux textes de référence internationaux visant l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le continuum de gestion des crises humanitaires. Cette section met l’accent sur les stratégies de réduction des risques, sur les liens existant avec d’autres stratégies et propose des voies à explorer pour favoriser une utilisation harmonieuse et complémentaire de ces stratégies. La cinquième et dernière partie ouvre sur une programmatique de recherches propres à éclairer la mise en place de meilleures pratiques basées sur des données probantes (Mitra, 2018).

1. Continuum de gestion des crises humanitaires

Je propose de définir ici le concept de continuum de gestion des crises humanitaires comme étant l’ensemble des stratégies d’action visant à réduire la vulnérabilité des individus, communautés et organisations aux impacts des crises humanitaires. Cette proposition de définition conceptuelle se situe en accord avec les travaux de Tergovitch (2014), précédant le Sommet mondial sur l’action humanitaire de 2016. Elle est également en accord avec les travaux de Gómez et Kawaguchi (2016) qui suivent le Sommet mondial sur l’action humanitaire, et tentent d’explorer l’arrimage entre la variété des domaines de pratiques présents lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire. Ces stratégies se divisent en deux phases : avant qu’une catastrophe ne survienne, ce sont les stratégies relatives au développement durable (incluant les stratégies de développement inclusif à base communautaire), l’adaptation aux changements climatiques et à la réduction des risques de catastrophe. Après la survenue d’une catastrophe, les stratégies comprennent l’aide humanitaire, le rétablissement et la reconstruction.

Le principe de continuum de gestion des crises humanitaires permet d’aligner plusieurs secteurs souvent divisés sur une fausse dichotomie : développement vs. réponse aux urgences humanitaires (Hanatani, Gómez & Kawaguchi, 2019). Cette approche prend en compte les situations environnementales et sociales précédant les catastrophes, tels les facteurs de vulnérabilités populationnelles et les changements climatiques. Sont également considérés les moyens mis en oeuvre afin de réduire les vulnérabilités et l’impact potentiel des changements climatiques, via les programmes de développement et de réduction des risques. La prise en compte du continuum permet également d’incorporer les composantes de la réponse humanitaire en cas de catastrophe « naturelle » ou de conflits armés, ainsi que la période nécessaire de récupération suite à l’évènement et de la reconstruction.

Cette perspective de continuum de gestion des crises humanitaires permet de dépasser la distinction souvent faite par les acteurs humanitaires entre les facteurs causaux des catastrophes dites « naturelles », telles que les conditions sociales, politiques et technologiques conduisant à la création de situations de vulnérabilité, et les stratégies d’intervention mises en oeuvre pour en réduire l’impact ou y répondre. Cette compréhension se réclame ainsi en ligne droite des travaux révolutionnaires de O’Keefe, Wesgate et Wisnerdès 1976, réclamant de retirer la notion de « naturel » des catastrophes, car ce sont les facteurs socio-économiques qui sous-tendent les vulnérabilités et l’exposition au risque en découlant. Cette notion est explorée en profondeur dans plusieurs de leurs travaux subséquents (Blaikie et al, 1994; Wisner et al, 2004). Cet article se réclame de l’héritage de cette vision originelle, en l’adaptant à la complexité du continuum de gestion des crises humanitaires.

Afin de mieux expliciter ces notions, nous proposons ici des définitions opérationnelles de ces concepts[2] dans la présente section.

1.1. Crise humanitaire

La définition opérationnelle des crises humanitaires est indissociable de celle d’urgence humanitaire. Cette dernière est généralement comprise comme « un événement, ou une série d'événements, qui constitue une menace sérieuse à la santé, la sécurité ou le bien-être d'une communauté ou d'un groupe de personnes, sur une zone étendue. » (Coalition Humanitaire, 2021).

Les causes humaines sont également incluses dans la classification des crises humanitaires, telles que les situations de conflits armés, de désastres technologiques ou de crises politiques.

Les crises humanitaires complexes sont caractérisées par l’occurrence de pressions environnementales ou catastrophe naturelle dans un environnement politique instable (Donnelly, 1993).

1.2. Changements climatiques

Les changements climatiques représentent l’un des facteurs à l’origine de nombreuses crises humanitaires. Cette notion signifie une modification du climat qui est attribuable, directement ou indirectement, à l’activité humaine. Cette modification altère la composition de l’atmosphère au niveau mondial. Elle s’ajoute aux variabilités naturelles du climat observées sur une période comparable (United Nations Framework Convention on Climate Change, 1992, Art. 1.2). La notion de changement climatique ne nie donc en rien la composante naturelle des variations climatiques, mais se concentre sur les variations secondaires à l’activité humaine. Les données de recherche permettent d’établir un lien entre les changements climatiques, les évènements extrêmes et l’augmentation phénoménale des catastrophes météorologiques qui en découlent (USGCRP, 2014), tels que les ouragans, typhons, sécheresses et inondations. Ceux-ci augmentent à la fois en fréquence ainsi qu’en intensité (Jennings, 2011; Quevauviller, 2015).

Certains de ces changements incluent les modifications climatologiques, la hausse des températures, la montée des eaux et l’augmentation des inondations et autres phénomènes géologiques à l’échelle de la planète qui constituent une menace pour les systèmes biologiques, les écosystèmes et les systèmes humains (IPCC, 2014).

Les travaux scientifiques faisant état de changements climatiques secondaires aux causes anthropogéniques sont largement documentés, se basant sur un vaste ensemble de données. Ils traitent également de façon croissante des vulnérabilités spécifiques à certains groupes ainsi que de la nécessité de s’adapter en fonction des changements à venir (IPCC, 2014).

1.3. Catastrophes dites « naturelles »

Il est impossible de discuter des changements climatiques sans aborder leur corolaire, les catastrophes. Historiquement, les études portant sur les catastrophes ont mis l’accent sur les composantes géophysiques des catastrophes. Elles cherchaient par exemple à déterminer les risques de séisme et l’impact potentiel du séisme en fonction des données géophysiques, en analysant uniquement le niveau atteint sur l’échelle de Richter et la profondeur du séisme.

Les catastrophes dites de cause « naturelle » peuvent être subdivisées en plusieurs catégories : les catastrophes d’ordre géophysique (ex : tremblements de terre, glissements de terrain, tsunamis et activités volcaniques), hydrologique (ex : avalanches et inondations), climatologique (ex. températures extrêmes, sécheresse et feux de forêt), météorologique (ex. : cyclones et tempêtes tropicales), biologique (ex. : épidémies, pandémies ou infestations d’insectes) (Physiopedia, 2020).

Quelles que soient les causes d’une crise humanitaire, il demeure primordial de considérer les vulnérabilités préexistantes, qui influencent la résilience des populations ou groupes affectés. Ces notions fondamentales permettent d’éclairer l’analyse de la situation des personnes en situation de handicap en contexte de crise humanitaire.

1.4. Vulnérabilité

La tendance prédominante à l’heure actuelle est de s’éloigner d’une définition de la vulnérabilité basée seulement sur l’appartenance à certains groupes en position de marginalité. L’approche préconisée propose une analyse de l’environnement qui examine les individus et les populations fortement exposés aux risques et présentant une plus grande probabilité d’être affectés par les impacts négatifs des catastrophes et des changements climatiques. Des facteurs de risques tels que « l’environnement physique, socio-économique et les facteurs environnementaux » sont donc à considérer (Thywissen, 2006; Rogers, Mackenzie & Dodds, 2012; Twigg, 2015). Ceci est corroboré par Hurst (2008), qui définit de telles situations de vulnérabilité par la probabilité d’être victime d’injustice ou d’être affecté négativement par une pression externe.

Afin de mieux comprendre la notion de vulnérabilité, il importe donc de considérer les caractéristiques individuelles et de groupe en combinaison avec les conditions externes (sociales, environnementales, politiques et économiques). C’est la somme de ces facteurs qui est susceptible d’influencer le niveau de vulnérabilité à des chocs externes. En lien avec les travaux disponibles dans le champ des études humanitaires, la littérature sur la vulnérabilité en contexte de changements climatiques reconnaît que certains groupes dans une société donnée sont à risque d’impacts différentiels lors d’évènements extrêmes liés aux changements climatiques. Ceci peut être secondaire à leur niveau d’exposition au risque, leur accès limité aux ressources matérielles et financières, ou faute de pouvoir assurer pleinement la défense de leurs droits dans ces situations (Twigg, 2015).

1.5. Résilience

La résilience est un concept fort complexe. Celui-ci est utilisé dans un grand nombre de champs disciplinaires, passant de la géophysique à la psychologie, expliquant les diverses interprétations dont il fait l’objet. Dans le cadre de cet article, la résilience est définie comme étant les attributs d’un individu ou d’une communauté pour s’adapter et être capable de répondre à des perturbations de leur environnement. C’est par conséquent un concept fondamental dans le contexte des crises humanitaires. Afin de l’opérationnaliser, nous proposons ici la définition de John Twigg (traduction libre, 2009:8), comme la capacité de :

  • « Anticiper, minimiser et absorber les éléments potentiellement destructeurs ou provoquant un stress indu en résistant ou en démontrant une forme d’adaptation;

  • Être capable d’avoir une gestion de la situation ou en maintenant certaines fonctions et structures fonctionnelles lors de catastrophes;

  • Être capable de récupérer ou “rebondir” après un évènement ».

La capacité de résilience est essentielle afin que les personnes en situation de handicap et leurs communautés puissent surmonter les impacts différentiels des catastrophes, changements climatiques et déplacements forcés présentés dans la prochaine section. Le renforcement de la résilience est également essentiel afin de diminuer les risques de mortalité, morbidité et impacts négatifs associés à ces évènements (Twigg, 2015).

2. Impacts différentiels et handicap

Les crises humanitaires affectent de façon différente diverses populations et sous-populations. Nous illustrons ici certains de ces impacts différentiels éprouvés par les personnes en situation de handicap.

2.1. Un taux de mortalité plus élevé

Une étude réalisée à Bandah Aceh après le tsunami indien de 2004 démontre que la mortalité des personnes en situation de handicap s’est révélée deux fois supérieure à celle de la population générale (IDRM, 2005). Ce nombre est basé sur les données inscrites au registre national avant la catastrophe, ce qui impose donc certaines limites, ces données dépendant des catégorisations nationales. On peut donc voir les difficultés inhérentes à ces catégorisations, ce taux variant largement entre les pays selon les classifications utilisées.

Une étude plus récente, rapportée par Fujii (2012), démontre que lors du tsunami au Japon qui a suivi le tremblement de terre de Tohoku, le taux de mortalité des personnes en situation de handicap était deux à quatre fois supérieur à celui de la population générale. Encore une fois, ces données sont largement basées sur une classification médicale du handicap, ce qui peut possiblement sous-estimer les impacts réels.

Ce phénomène affecte aussi d’autres populations. Lors de l’ouragan Katrina aux États-Unis en 2005, les personnes de plus de 60 ans ne constituaient que 15 % de la population, mais comptaient pour 74 % des victimes (Weston & Tokesky, 2005). Les études démontrant une prévalence de limitations fonctionnelles allant jusqu’à 80 % dans cette population (Aldrich & Benson, 2008), il est possible d’estimer un impact disproportionné chez les personnes âgées ayant été exposées à l’ouragan et aux inondations qui ont suivi.

Nous voyons émerger ici une tendance constante, marquée par un impact différentiel important, concernant la mortalité des personnes en situation de handicap dans un contexte de catastrophe. Cet impact différentiel apparait aussi bien dans les pays à bas et haut indices de développement. Il semble donc que, malgré un nombre total de victimes généralement plus bas dans les pays riches (Wisneret et al., 2004), des disparités importantes demeurent entre les personnes en situation de handicap et la population générale, quelle que soit la zone géographique.

Le peu de recherches sur ce sujet se concentre à ce jour sur la mortalité, mais il serait également pertinent de se pencher sur les impacts différentiels des crises humanitaires en termes de morbidité, ainsi que d’examiner plus en profondeur les changements provoqués par la catastrophe au niveau sociétal (Hunt et al., 2015).

2.2. Une exposition accrue aux risques de catastrophe 

En attendant plus de données au niveau de la morbidité, il est déjà possible d’examiner l’exposition aux risques et certaines barrières potentielles. Quelques exemples de ces barrières spécifiques sont fournis dans la section 3. Tel que mentionné, les personnes en situation de handicap présentent plus de risques d’être affectées négativement dans les situations de catastrophe (Abbott & Porter, 2013; Hemingway & Priestley, 2014). Cette exposition peut varier selon les types de déficiences et barrières rencontrées, ainsi que selon les capacités existantes avant la catastrophe (Wisner et al., 2004; Twigg, 2015). Lors d’une catastrophe soudaine, telles que tremblements de terre, glissements de terrain, inondations ou ouragans, ces personnes rencontrent plus de difficultés à se déplacer ou à assurer leurs besoins de base que la population « générale ». Ces difficultés sont partagées avec d’autres groupes, tels que les enfants, les personnes âgées ou les femmes enceintes (Wisner et al., 2004). Les difficultés peuvent être liées à la perte d’aides à la mobilité, la destruction de l’environnement (naturel ou artificiel), la séparation d’avec les membres de leur famille ou de leurs aidants naturels et parfois même d’être abandonnées lors du processus d’évacuation. Les personnes en situation de handicap ont également plus de difficultés à gagner les abris temporaires, à accéder aux services dont elles ont besoin, ou à être incorporées dans les registres des personnes affectées par les crises humanitaires. Elles sont également davantage à risque d’être victimes d’abus, de violence ou d’exploitation (Hemingway & Priestley, 2014; Stough & Kang, 2015).

Les personnes en situation de handicap font également face à des barrières spécifiques pour bénéficier pleinement des programmes de rétablissement et de reconstruction suite aux crises humanitaires, tels que les programmes d’aides financières (Stough et al., 2016; Stough, Ducy, & Holt, 2017). Les identités intersectionnelles des personnes en situation de handicap influencent également leur vécu lors de catastrophes. Le concept d’intersectionnalité, initialement théorisé par Kimberlé Crenshaw (1989), permet d’examiner l’intersection des identités diverses et la marginalisation sociétale en résultant, affectant divers groupes sociaux. Originellement développé en lien avec l’expérience des femmes racisées, ce concept a depuis été appliqué pour expliquer la situation d’autres groupes marginalisés, tels que les femmes en situation de handicap (Naples, Mauldin, & Connaway, 2019). Des exemples d’intersectionnalité de marginalisation peuvent inclure, mais sans y être limités, les femmes, les enfants, les personnes âgées ou les membres de minorités visibles ayant un handicap. Ces personnes font conséquemment face à des barrières multiples en raison de l’intersection de leurs identités (Peek & Stough, 2010; Degener, 2017).

2.3. Une exposition accrue aux risques liés aux changements climatiques

Les impacts des changements climatiques surviennent généralement sur une plus longue période, mais ont le potentiel d’affecter certains groupes de façon disproportionnelle. Il est d’ores et déjà possible d’affirmer que les personnes en situation de handicap, comme d’autres groupes en situation de vulnérabilité, vont être particulièrement affectées par les impacts des changements climatiques (Twigg, 2015). Les personnes en situation de handicap sont exposées à des risques significatifs pour leur sécurité, leur bien-être et disposent de moins de moyens que la moyenne de la population non-handicapée pour faire face à ces situations (Stough & Kang, 2015; Llewellyn et al., 2016).

Un exemple est le taux disproportionné de personnes présentant des problèmes de santé sous-jacents, décédées lors de la vague de chaleur survenue à Montréal en 2010. Ces personnes représentaient 106 des 304 morts rapportées lors de cet évènement, avec une forte majorité de personnes affectées par des maladies cardiovasculaires ou vivant avec des troubles de santé mentale. Nous pouvons donc penser qu’une forte proportion de ces personnes était en situation de handicap (Price, Perron & King, 2013).

Une autre illustration des impacts des changements climatiques est relevée par Kett et Cole (2018), qui démontrent que les sécheresses récurrentes au Kenya affectent les femmes vivant en milieu rural, et particulièrement celles en situation de handicap, de façon disproportionnée. Les femmes n’ayant traditionnellement pas la propriété de la terre, elles utilisent des parcelles délaissées par les hommes pour subvenir aux besoins de leurs familles. Le problème est que dès que la pression augmente sur l’utilisation des terres pour l’agriculture en raison de la plus faible productivité secondaire aux changements climatiques, ces femmes se voient confisquer ces parcelles de terres. Conséquemment, elles se retrouvent forcées d’aller de plus en plus loin pour trouver des zones à cultiver qui demeurent libres, augmentant leur charge de travail, sans compter une exposition accrue aux risques de violences sexuelles. Le même problème est identifié pour la cueillette du bois qui est utilisé pour cuisiner les aliments. Cette problématique se révèle encore plus marquée pour les femmes handicapées. Les défis rapportés par les femmes ayant des problèmes de mobilité ou ayant des enfants en situation de handicap à leur charge sont particulièrement saillants, autant au niveau des déplacements qu’au niveau des risque accrus pour leur sécurité. Ces expériences illustrent pleinement le concept d’inter-sectionnalité, où le cumul des facteurs identitaires peut augmenter la situation de vulnérabilité vécue.

2.4. Une probabilité plus élevée de déplacements forcés

Les crises humanitaires contemporaines du 21ème siècle sont également marquées par des migrations forcées massives. Au cours de la dernière décennie, les coûts matériels et humains des crises humanitaires, incluant les conflits armés, ont causé le déplacement (estimé) de 79,5 millions de personnes selon l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR, 2020). Ce nombre inclut 26 millions de réfugiés, une situation à laquelle le monde n’a pas été confronté depuis la Seconde Guerre mondiale.

Considérant la vulnérabilité encore plus importante des réfugiés en situation de handicap (Crock et al., 2017) et le manque de données probantes les concernant, il devient primordial d’étendre nos connaissances sur ce sujet. Ce manque d’information est partagé par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les personnes réfugiées. Le rapport annuel (2020, p. 35) de cette agence onusienne souligne en effet que le manque de données dont elle dispose sur les personnes en situation de handicap, restreint sa capacité à mieux comprendre les risques auxquels elles sont exposées. Cet exemple souligne l’importance pour l’ensemble des acteurs humanitaires (UNISDR, 2015b), d’avoir des données désagrégées, au minimum selon le handicap, le sexe et l’âge. Cela est d’autant plus important que le peu de données disponibles nous laisse entrevoir un taux de handicap encore plus élevé dans des pays exposés à des crises humanitaires. Par exemple, le taux de personnes en situation de handicap en Syrie est estimé à 25 % de la population générale (Global Protection Cluster, 2020); un taux significativement plus élevé que la moyenne de 15 % estimée au niveau mondial (WHO/WB, 2011).

Il est important de souligner qu’il existe peu d’études sur les impacts différentiels, et ceux-ci devraient être analysés plus en détails et en profondeur, qu’ils concernent les personnes en situation de handicap, ou d’autres groupes particulièrement exposés aux situations de risque. L’interaction des relations entre les divers facteurs de risque est aussi un domaine qui doit être davantage exploré (par exemple, l’interaction des facteurs d’exposition pour les personnes âgées en situation de handicap).

3. Exemples de barrières spécifiques aux personnes en situation de handicap

Nous présentons ici quelques exemples de barrières spécifiques rencontrées par les personnes en situation de handicap en contexte de crise humanitaire. La présentation en sera divisée en fonction des barrières environnementales, institutionnelles et attitudinales. Ce survol ne prétend pas être exhaustif.

L’existence de barrières est une réalité pour les personnes en situation de handicap, affectant par exemple leurs capacités à subvenir à leurs besoins dans le contexte d’une catastrophe ou à récupérer rapidement de ses effets négatifs. Les catastrophes elles-mêmes créent des barrières (Alexander, 2016). Ces barrières surgissent de l’environnement et interagissent avec les incapacités et déficiences pour créer des situations de handicap.

Exemple de barrière environnementale : 

  • Les personnes qui présentent une limitation de mobilité sont souvent parmi les dernières à quitter leur domicile, car elles doivent avoir accès à leurs aides techniques et moyens pour pallier leur handicap. Elles sont donc plus réticentes à quitter le domicile, mais s’exposent ainsi à un niveau de risque plus élevé dans l’éventualité d’une catastrophe (Clive et al., 2010; Belser, 2015).

Exemples de barrières institutionnelles :

  • Les personnes vivant avec une déficience communicationnelle sont exposées à des risques spécifiques. Par exemple, lors de feux de forêts en Californie, les avertissements d’évacuation diffusés à la télévision n’ayant pas été sous-titrés, cela a causé des difficultés majeures pour les personnes présentant une déficience auditive (Wisner et al., 2004). Un autre exemple concret est fourni lors du tremblement de terre d’Haïti en 2010. Les sirènes d’avertissement n’étant que sonores, les personnes sourdes n’ont pas pu réagir à l’alerte en place (Hunt et al., 2015). Il importe donc que les messages éducationnels et d’avertissement soient disponibles en formats accessibles (Sullivan & Hakkinen, 2011). La négligence institutionnelle de fournir de tels moyens de pallier le handicap est un manquement aux obligations des États au vu des obligations nationales et internationales.

Exemples de barrières attitudinales :

  • Les personnes ayant des difficultés d’apprentissage ou affectées par des troubles d’ordre psychosocial sont souvent victimes d’exclusion, et peuvent donc être plus exposées aux risques. Cependant, des recherches montrent que leurs capacités de mise en oeuvre et de résilience peuvent être développées par leur inclusion dans des programmes de formation adaptée (Sullivan & Hakkinen (2010), notamment).

  • Les barrières attitudinales se retrouvent aussi bien au niveau individuel qu’au plan institutionnel. Les normes sociales et culturelles ont le pouvoir de définir la perception (positive ou négative) des individus handicapés par la société. C’est pourquoi il est si important d’imposer un changement culturel, dans l’objectif de créer une culture de tolérance et d’inclusion. Celle-ci formera les bases nécessaires à l’établissement de plans de préparation et de réponse aux catastrophes, qui répondent aux besoins des personnes en situation de handicap, en lien avec les communautés dont elles font partie intégrante (Alexander, 2016).

Au vu des barrières démontrées ici, il demeure essentiel de poursuivre les collectes et la diffusion d’information à ce sujet, afin de comprendre les défis auxquels nous faisons face et d’identifier des stratégies pour mieux les résoudre.

4. Cadres normatifs internationaux et lignes directrices : une voie de solution

À ce point, nous avons pu présenter le principe du continuum de gestion des crises humanitaires, examiner les impacts différentiels pour les personnes en situation de handicap qui en découlent, et présenter certaines des barrières spécifiques aux personnes en situation de handicap. Cependant, qu’en est-il des solutions proposées afin de résoudre ces problématiques? Cette section s’attache donc à présenter certaines des lignes directrices et cadres normatifs, développés afin de répondre aux défis vécus par les personnes en situation de handicap sur le terrain.

4.1 Cadres normatifs internationaux

La première convention des Nations unies adoptée au 21ème siècle est la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH, UN, 2006). Fruit de négociations entre représentants gouvernementaux et représentants d’organisations de personnes en situation de handicap, elle constitue une première dans l’histoire des Nations unies au vu de ce processus collaboratif de rédaction. Cette participation active au processus d’élaboration de la Convention a permis une plus grande représentativité, et la production d’un texte final à la fois avant-gardiste et proche des réalités vécues par les personnes en situation de handicap. C’est également un texte se positionnant clairement dans un modèle de droits humains, lui-même issu du modèle social du handicap, par opposition au modèle purement médical (Lang; 2006, 2011).

La Convention a permis d’établir les balises internationales en matière de protection de droits humains pour les personnes en situation de handicap. L’ensemble de la Convention s’applique aux situations de développement, établissant ainsi un cadre normatif propre à réduire les inégalités. Ce faisant, elle contribue à mettre en place les conditions de base pour réaliser une approche équitable au niveau des droits et de l’accès aux ressources pour les personnes en situation de handicap. Si l’on se réfère au continuum de gestion des crises humanitaires, la Convention constitue donc un précieux outil pour favoriser un développement juste et équitable. Ces conditions de base auront à leur tour le potentiel de réduire les vulnérabilités préexistantes, contribuant à réduire l’impact de crises potentielles.

Un article particulièrement important de la CDPH pour l’objet qui nous intéresse ici est l’article 11 : « Situations de risque et situations d’urgence humanitaire », qui stipule :

« Les États parties prennent, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, toutes mesures nécessaires pour garantir la protection et la sécurité des personnes handicapées dans les situations de risques, y compris les situations de conflits armés, les urgences humanitaires et les catastrophes naturelles »

UN, 2006

Un organe indépendant de surveillance de ce traité, le Comité des droits des personnes handicapées, a également émis des recommandations, affirmant que l’article 11 s’applique tant aux stratégies de réduction des risques de catastrophe qu’aux changements climatiques (Committee on the Rights of Persons with Disabilities, 2015; OHCHR, 2019). Cette prise de position reflète la progression au niveau des connaissances, ainsi que de la reconnaissance accrue de l’importance de ces phénomènes, depuis la rédaction originelle de la Convention en 2006. Cet article réaffirme donc l’importance de l’inclusion des personnes en situation de handicap à toutes les étapes du continuum de gestion des crises humanitaires.

Les Objectifs de développement durable (UNDESA, 2015) portent une attention significative à la question du handicap. C’est là un changement bienvenu, cette question ayant été absente des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD, UN, 2000). L’une des critiques au regard des OMD étant justement l’incapacité d’atteindre certains des objectifs visés, en raison du manque d’inclusion des populations marginalisées. Il est en effet difficile de concevoir l’atteinte d’objectifs universels, sans l’inclusion des personnes en situation de handicap, qui constituent 15 % de la population mondiale (WHO/WB, 2011).

Les Objectifs de développement durable s’appliquent à l’ensemble de la population mondiale. On y observe cependant une approche différenciée au niveau des objectifs 4, 8, 11, 13 et 17, qui font expressément mention des personnes en situation de handicap. L’objectif 11 en particulier traite des villes et communautés durables, sous-tendant les questions d’inclusion et de résilience et renforçant la place des stratégies de réduction des risques. L’objectif 13 traite des changements climatiques et de l’importance de les mitiger (prévenir ou minimiser les impacts négatifs), tout en assurant une préparation aux conséquences possibles de ces changements. Enfin, l’objectif 17 traite de l’importance de fournir des données sur l’évaluation et le suivi des Objectifs de développement durable en fournissant des données désagrégées selon l’âge, le genre et le handicap (UNDESA, 2015).

4.2. Stratégies de réduction des risques de catastrophes

Au vu de l’augmentation constante du nombre de catastrophes (Jennings, 2011), en plus des stratégies de développement, il importe de mettre en place des plans d’action visant à réduire l’impact potentiel de ces catastrophes sur les populations exposées. Ces catastrophes constituant une conséquence des hasards géophysiques et de leur interaction avec les vulnérabilités sociales, il importe de mettre en place à l’échelle locale, nationale et régionale, des stratégies de réduction des risques afin de diminuer l’impact des catastrophes sur les populations. Conséquemment, les efforts doivent être dirigés en amont, pour mitiger les effets des hasards, et en aval, pour mettre en place des mesures de réduction des risques afin de réduire les vulnérabilités et d’optimiser la résilience (Twigg, 2004).

Les stratégies de réduction des risques peuvent être définies comme :

« Le cadre de référence des éléments considérés comme ayant la capacité de minimiser les vulnérabilités et les risques associés aux catastrophes pour l’ensemble de la société, pour éviter (prévention) ou limiter (mitigation et réduction des risques) les impacts négatifs des hasards, dans le contexte élargi du développement durable ».

traduction libre, UNISDR, 2005

Ces stratégies de réduction des risques font l’objet d’une promotion accrue, car la réponse humanitaire n’est plus considérée comme étant suffisante en soi pour assurer la protection des personnes en situation de handicap. Si l’accent est mis sur le renforcement de la résilience des communautés, l’impact des catastrophes sur les populations sera moindre, réduisant d’autant le besoin d’investir dans la réponse et la reconstruction (Twigg, 2009).

Le succès de ces stratégies dépend de l’implication des personnes en situation de handicap à toutes les étapes de la gestion des risques et de la mise en oeuvre de mesures visant leur inclusion. Lorsque réalisé aux stades initiaux de planification, cela engendre des coûts moindres et profite à l’ensemble de la population (Handicap International, 2005; Kett & Twigg, 2007).

Du point de vue des coûts, la mise en place de stratégies de réduction des risques s’avère aussi très efficiente. Une revue de onze études portant sur les stratégies de réduction des risques, réalisée par Venton (2009), démontre un ratio de retour sur investissement de 2.2 à 52[3]. C’est l’une des raisons pour laquelle ce type de stratégie est promu par les bailleurs internationaux, tels que la Banque Mondiale (World Bank, 2010).

Le Cadre d'action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015 – 2030 (UNISDR, 2015b) est la source de référence principale dans ce domaine. Il marque un changement fondamental avec le Cadre d’action de Hyogo pour 2005-2015 : Pour des nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes (UNISDR, 2005). En effet, le Cadre d’action de Sendai (2015-2030) s’éloigne d’une perspective de risques géophysiques, afin de prendre en compte les vulnérabilités provoquées par l’environnement social et culturel. Ce changement est marqué par l’établissement d’objectifs nationaux comportant l’inclusion des personnes en situation de handicap, ainsi que d’autres groupes marginalisés (UNDESA, 2015b).

Le Cadre d’action de Sendai fait mention à plusieurs reprises de l’importance d’inclure les populations à risque dans l’ensemble du processus. Parmi ces populations à risque, les personnes en situation de handicap sont mentionnées comme étant un groupe cible particulièrement important, en raison de leur exposition spécifique aux risques de catastrophe. Le Cadre d’action de Sendai prend également soin de mentionner les capacités des organisations représentatives de personnes en situation de handicap à réduire ces risques, et le rôle majeur que peut jouer leur représentation auprès des autorités compétentes afin d’atteindre les objectifs et indicateurs visés par le cadre de référence de Sendai (UNISDR, 2015b). La référence aux personnes en situation de handicap figure dans les principes directeurs (art.19 d), dans l’objectif 4 (p. 21) et très explicitement dans l’objectif 5 sur le rôle des parties prenantes (p. 23) :

1. Art. 36 (iii) : « Les personnes handicapées et leurs organisations ont un rôle critique à jouer dans l’évaluation des risques de catastrophe et dans l’élaboration et l’application de plans spécialement conçus pour tenir compte de leurs besoins, compte tenu, notamment, des principes de la conception universelle ».

4.3. Coopération internationale et renforcement des capacités : l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le continuum de gestion des crises humanitaires

Parallèlement aux cadres de référence internationaux, les chercheurs et les organisations sur le terrain s’intéressent aux stratégies susceptibles de mieux répondre aux besoins des personnes en situation de handicap, et de faciliter leur inclusion dans la préparation et la réponse aux crises humanitaires (Stough & Kang, 2015; Pertiwi, Llewellyn & Villeneuve, 2019). Plusieurs initiatives ont été mises en oeuvre dans l’objectif de développer des lignes directrices de pratiques et de promouvoir des approches en situation de crise, tout en s’appuyant sur l’expérience de personnes en situation de handicap.

Si la réussite de tout programme repose sur l’implication des personnes en situation de handicap et de leurs organisations représentatives à toutes les étapes du processus, elle dépend aussi de l’implication de leurs proches, des fournisseurs de services (santé et services sociaux en particulier) et des services d’urgence pour assurer une stratégie de réduction des risques et une réponse inclusive en cas de catastrophe (Alexander, 2016).

Aussi, l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la préparation et la réponse aux urgences humanitaires fait-elle l’objet d’une attention croissante de la communauté internationale, et un consensus autour de cette question se dessine grâce à la participation active des organisations représentatives et de leurs alliés, tels l’International Disability Alliance, Disabled Peoples’ International, Disability inclusive Disaster Risk Reduction network et Rehabilitation International.

Si l’importance de la coopération internationale est soulignée dans les textes globaux, tels que la Convention relative aux droits des personnes handicapées (UN, 2006), sa mise en oeuvre au niveau local est détaillée dans les documents plus techniques tels que le Cadre d’action de Sendai et les lignes directrices émises par diverses ONG (Handicap International, 2009; Christian Blind Mission, 2014). Cette liste n’est pas exhaustive, présentant ici quelques exemples importants, mais reconnaissant qu’il existe davantage de documents cadres et lignes directrices, certains d’application plus générale et d’autres visant une application dans un contexte géographique et culturel spécifique.

Nous ne pouvons passer sous silence la Charte pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire (2016). Celle-ci est le fruit d’un travail collaboratif entre États, agences des Nations unies, membres de la société civile, ainsi que d’organisations représentatives de personnes ayant des incapacités. C’est l’un des premiers documents cadres à affirmer de façon transversale l’importance de l’inclusion des personnes ayant des incapacités dans divers domaines de pratiques de l’action humanitaire.

Un autre élément fort dans l’établissement de ces directives est la production par le Comité permanent interorganisations des Nations unies (2019) des Directives sur l’intégration des personnes handicapées dans l’action humanitaire. Ces directives formulent des recommandations pratiques, applicables sur le terrain, et basées sur l’expertise de nombreux acteurs humanitaires. Ce fut l’aboutissement d’un long travail de préparation, auquel l’auteur de cet article a eu l’opportunité de participer. Les lignes directrices se veulent donc à la fois un guide et un document, visant un processus continu de collecte de « bonnes pratiques » par les organisations appliquant ces recommandations en pratique.

Il est toutefois important de souligner que malgré l’existence de ces recommandations de haut niveau, la mise en oeuvre des pratiques de gestion de crises humanitaires se révèle souvent inadaptée pour répondre aux multiples besoins, et reconnait trop rarement les capacités et la volonté des personnes handicapées (Phillips, 2015). Plusieurs études ont montré les défis et les barrières rencontrées pour la mise en oeuvre de stratégies de préparation et de réponse aux crises humanitaires qui soient inclusives des personnes handicapées (Stough et al., 2016). Une littérature émergente démontre également des barrières similaires au regard de l’adaptation aux changements climatiques (Smith et al., 2017; Kett et al., 2018).

Il est nécessaire de mettre en place une programmatique d’interventions et de recherche propre à identifier les facteurs qui peuvent influencer positivement la capacité des personnes en situation de handicap, des membres de leurs communautés et de leurs représentants à mieux répondre et récupérer lors des situations de crises humanitaires. Cela est d’autant plus important dans un contexte de changement climatique, qui provoque une augmentation de la fréquence et de la sévérité d’évènements climatiques extrêmes (Gaskin et al., 2017; Kett & Cole, 2018).

Les zones qui restent à explorer au niveau de la recherche résident dans l’identification des processus permettant de rendre le continuum de gestion de crises humanitaires plus inclusive des personnes en situation de handicap. Plus particulièrement, il y a très peu de données disponibles permettant d’appréhender de quelle façon ces personnes sont impliquées (ou non) et perçoivent ces programmes. Il reste également à analyser de quelle manière et à quel point ces programmes réussissent à potentialiser les capacités et augmenter la résilience des personnes en situation de handicap dans ces contextes (Mitra, 2018; Pertiwi, Llewellyn & Villeneuve, 2019).

5. Propositions prospectives pour optimiser les pratiques

Nous avons présenté ici un aperçu du continuum de gestion de crises humanitaires, ainsi que de plusieurs concepts fondamentaux, afin de mettre en évidence les facteurs qui rendent compte de l’importance d’améliorer la situation des personnes en situation de handicap dans les contextes de crise humanitaire. Pour ce faire, l’implication de l’ensemble des acteurs est fondamentale. Il est nécessaire d’assurer l’implication des personnes en situation de handicap elles-mêmes, ainsi que celle de leurs organisations représentatives. L’implication des décideurs politiques, des organisations non-gouvernementales et gouvernementales est également essentielle. Afin de mieux armer les pratiques, une implication des communautés de recherche en lien avec les acteurs sur le terrain demeure un impératif. Bien que la littérature sur la question soit en augmentation constante et projette de nouveaux éclairages, de trop nombreuses zones d’ombre restent encore à explorer. Quatre champs prioritaires pourraient être suggérés pour ce faire : l’utilisation de cadres conceptuels d’analyse, le développement d’outils appliqués pour mesurer l’impact des changements mis en oeuvre (mesurant les barrières et facilitateurs à modifier), l’évaluation de suivi et de mise en oeuvre de ces programmes sur le terrain et finalement une double approche (« twin-track approach ») (DFID, 2010).

Tout d’abord, l’utilisation de cadres conceptuels pour mener des études sur le terrain. Les approches qualitatives ont, à ce niveau, beaucoup à apporter pour rendre compte de la perception qu’ont les personnes des programmes humanitaires dans lesquels elles sont impliquées, ou qui leur sont destinés (Mitra, 2018). Les cadres conceptuels peuvent servir à orienter et faciliter l’analyse de données riches, partagées par les personnes en situation de handicap, leurs organisations représentatives et leurs alliés. Cela favoriserait l’expression des personnes sur le terrain, tout en facilitant l’évaluation et le suivi de programmes et politiques se voulant inclusifs. Des exemples positifs de cette application pratique est la mise en application de l’approche en vulnérabilités structurelles de santé dans le contexte de catastrophes naturelles par Chung et Hunt (2012), ou de l’application du cadre d’analyse de capacités adaptives par Cinner et al., en 2018.

Il est également primordial de faciliter le développement et la mise en application d’outils permettant de mesurer les barrières et facilitateurs dans un contexte donné. Il faut pour ce faire bien maîtriser l’environnement social et culturel, en se basant sur les connaissances des populations locales. Plusieurs guides existent afin de faciliter de telles évaluations (Christian Blind Mission, 2014; Gutnik & Roth, 2018; Center for Disease Control, 2020). Les classifications internationales permettent la collecte et la désagrégation de données (Processus de production du handicap (PPH), RIPPH, 1998 et Modèle de Développement Humain - Processus de production du handicap (MDH-PPH), RIPPH, 2018; Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé(CIF), OMS, 2001; Washington Group on Disability Statistics, 2018).

Poursuivons avec l’utilisation de ces outils de mesure lors des processus de crises humanitaires, qui pourra orienter les stratégies d’intervention, et permettra des évaluations plus fines au niveau qualitatif et quantitatif. Ceci, dans l’objectif de mieux mesurer l’efficacité ainsi que l’efficience des programmes destinés à diminuer la vulnérabilité, ainsi qu’à augmenter la résilience des populations surexposées aux crises humanitaires. Concernant le développement de méthodes d’évaluation et de suivi, l’émergence des études de perception est encore sous-développée dans le domaine de la recherche. Les études de perception portent sur l’évaluation des projets et programmes réalisés par les organisations sur le terrain. Elles utilisent les indicateurs issus des interventions réalisées et offrent des perspectives prometteuses pour formaliser les évaluations de programme et partager les leçons apprises (Nouvet et al., 2016). Le suivi continu des objectifs et indicateurs promus par les traités internationaux à l’échelle de chacune des nations se révèle aussi primordial.

Finalement, l’approche « twin-track » (Department for International Development of the United Kingdom, 2010), ou « double approche ». Celle-ci consiste, d’une part, à offrir une programmation d’aides spécifiques propres à répondre aux besoins des personnes en situation de handicap. Par exemple, la fourniture de fauteuils roulants et d’aides à la marche pour les personnes à mobilité réduite après un ouragan. Elle consiste, d’autre part, de s’assurer de l’inclusion pleine et entière des personnes en situation de handicap dans les programmes généraux, tel que la distribution de denrées alimentaires, par un processus d’accessibilité universelle prévoyant des méthodes adaptées de distribution pour les personnes à mobilité réduite. Cette approche est recommandée dans le développement et la mise en oeuvre de politiques nationales et internationales (Kett & Cole, 2018).

Atteindre ces objectifs constitue un programme ambitieux. La question des disparités entre les moyens mis en oeuvre selon les zones géographiques demeure, de même que peut varier l’importance accordée à cette question en fonction d’intérêts géopolitiques. En revanche des alliances se forgent, par exemple sur les liens entre les approches communautaires déjà utilisées en développement inclusif à base communautaire, en réduction des risques de catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques (Gutnik & Roth, 2018). Ces synergies permettent d’entrevoir des collaborations fructueuses entre diverses organisations. Cette perspective de collaboration est d’autant plus importante en raison des restrictions au financement à l’aide internationale, faisant en sorte que les organisations se retrouvent avec des ressources financières, humaines et matérielles limitées (Maghsoudi & Pazirandeh, 2016).

Conclusion

Cet article a permis de mettre en évidence une exposition au risque différentiel pour les personnes en situation de handicap. Ce niveau d’exposition au risque, plus élevé que pour la population non-handicapée, s’explique en raison de l’interaction des facteurs personnels et des barrières environnementales, institutionnelles et attitudinales présentes à plusieurs niveaux. Les cadres contextuels et conceptuels fournissent des outils d’analyse à mettre en oeuvre dans les programmes de recherche à venir. Une analyse approfondie de ces barrières peut nous permettre de déterminer les facilitateurs, afin de fournir des pistes de pratiques en matière de stratégies de réduction des risques qui soient inclusives pour tous. Des opportunités existent déjà dans les domaines des cadres de références et de bonnes pratiques, ainsi qu’au niveau des politiques internationales. Ces opportunités existent également au niveau de la coopération et du renforcement des capacités des personnes en situation de handicap, des organisations qui les représentent, des fournisseurs de services ainsi que de la protection civile.

Afin de promouvoir les connaissances et les meilleures pratiques dans ce domaine, il serait pertinent de développer davantage le processus d’investigation académique. Ce processus devrait mettre en lumière autant les capacités, que les défis rencontrés. Cette approche permettrait de construire, avec les personnes concernées, des pistes de solutions concrètes pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les contextes de crises humanitaires. La question de l’analyse des données et l’établissement de lignes directrices pour leur mise en oeuvre, ainsi que le soutien des organisations non-gouvernementales et gouvernementales pour faciliter le suivi et l’évaluation des projets dans ce domaine, sera à faciliter dans un processus de collaborations transdisciplinaires.

Finalement, l’intersectionnalité existant entre plusieurs des facteurs d’exposition au risque, ainsi que l’identification des orientations permettant de renforcer la résilience de chacun des groupes exposés de façon différentielle aux risques, doivent être davantage explorées. Les adaptations requises pour faciliter l’inclussion des personnes en situation de handicap peuvent aider d’autres groupes, et vice-versa. Les particularités propres à chaque groupe ainsi que les caractéristiques qui leur sont communes afin de faciliter une inclusion réellement universelle restent à spécifier, mais portent en elles beaucoup de promesses.

Pour conclure, on ne peut qu’insister sur l’importance de tisser des liens et de favoriser l’interconnexion entre les domaines de pratique touchant au continuum de gestion des risques de handicap. Ces domaines, considérés sur une ligne du temps pré-catastrophe, sont le développement humain durable, l’adaptation aux changements climatiques, la réduction des risques de catastrophe. Suite à la catastrophe, nous avons l’intervention humanitaire ainsi que les stratégies de rétablissement et de reconstruction. Cette présentation linéaire ne fait en rien abstraction du cycle des catastrophes, qui est circulaire dans l’histoire, et qui nous permets d’apprendre d’un évènement à un autre. D’où l’importance de s’assurer de l’inclusion des personnes en situation de handicap à chaque étape de ce cycle, afin que celui-ci se transforme alors en cercle vertueux. C’est en appliquant ces principes respectueux des droits humains, que nous verrons émerger un monde ou l’ensemble des populations, communautés et organisations, démontrent un niveau de résilience suffisant pour affronter les risques et défis à venir…