Corps de l’article

Introduction

En 2012, un débat sur les universités a fait rage au Québec. Ce débat a principalement porté sur la qualité des formations, leur financement, les frais de scolarité.

Un aspect fort sensible de ce débat sur les universités concerne les frais de scolarité. Certains proposent de les hausser significativement alors que d’autres prônent le gel ou l’indexation, ou même la gratuité scolaire. Il est parfois difficile de bien cadrer les discussions et de s’y retrouver.

Notre analyse adopte une approche positive qui se base sur les études scientifiques sur le sujet. Notre analyse débouchera sur une proposition de structure pour les frais de scolarité basée sur le principe de la modulation. Cette proposition sera formulée pour l’année académique 2011-2012. (On note qu’il serait facile de la mettre à jour avec des données plus récentes.)

Nous croyons que toute argumentation doit s’appuyer sur les résultats trouvés dans la littérature scientifique. Nous produisons une revue de la littérature sur les rendements privés de l’éducation, c’est-à-dire, les rendements de l’investissement en capital humain (l’éducation) appropriés par l’étudiant; sur la valeur sociale de l’éducation qui nous donne une mesure des rendements sociaux de l’éducation; et enfin sur l’accessibilité aux études supérieures et le rôle joué par les contraintes financières.

Des résultats établis dans cette littérature, il nous est possible de quantifier la part des coûts directs de l’éducation qui devrait être assumée par les étudiants sur la base du principe de l’efficacité. Selon ce principe, l’étudiant doit supporter la part des couts de formation équivalente à la part des rendements totaux qu’il s’appropriera.

Un corollaire de cette littérature est que, puisque la part de l’étudiant est établie en fonction des coûts directs de formation et que ces coûts varient par discipline, les frais de scolarité doivent être modulés en fonction des disciplines. Une telle modulation permet d’éliminer les iniquités issues du système actuel de frais uniformes où des étudiants de certaines disciplines paient une forte proportion du coût de leur formation alors que d’autres en paient une faible proportion, ce qui implique que des étudiants sont subventionnés plus généreusement que d’autres. Typiquement, les étudiants dans des disciplines à coûts élevés jouissent d’une subvention significativement plus importante que celle dont jouissent les étudiants des disciplines à faibles coûts.

À partir de la part efficace assumée par les étudiants et du coût relatif des différentes disciplines, il est possible de produire une grille de frais de scolarité modulés pour les 1er et 2e cycles. (Pour des raisons évoquées dans le texte, nous omettons le 3e cycle.)

En utilisant le tableau 1, nous tirons que

  • en 2011-2012, les frais de scolarité (avant frais afférents) sont de 2 168 $ pour toutes les disciplines. Ainsi, tous les étudiants de sciences humaines et sociales sauf géographie, administration et lettres ne subiraient pratiquement aucune hausse; ces étudiants représentent 45 % de tous les étudiants de 1er cycle;

  • un montant supplémentaire de près de 200 M $ serait injecté dans le réseau universitaire sans effort supplémentaire du gouvernement, résultant ainsi dans un accroissement de la qualité des formations;

  • un montant supplémentaire de plus de 85 M $ serait consacré à des bourses pour favoriser l’accessibilité.

Dans la prochaine section, nous présentons les principaux arguments invoqués dans le débat sur les frais de scolarité et nous les analysons de façon rigoureuse. Ensuite, nous présentons une revue de la littérature scientifique sur les rendements privés de l’éducation, la valeur sociale de l’éducation et l’accessibilité aux études supérieures. Enfin, à partir de ces résultats, nous estimons la part efficace des étudiants dans les frais de scolarité pour en arriver à produire une grille de modulation des frais.

Tableau 1

Grille de frais de scolarités modulés pour les 1er et 2e cycles (pour 2011-2012)

Grille de frais de scolarités modulés pour les 1er et 2e cycles (pour 2011-2012)

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1. Valeur privée de l’éducation

Investir en éducation rapporte de forts rendements pour les étudiants, des rendements qui sont parmi les plus élevés de tout type d’investissement. De plus, le rendement de l’éducation a augmenté significativement lors des dernières décennies, ce qui fait que l’éducation, plus particulièrement l’éducation supérieure, est devenue un investissement extrêmement profitable pour une grande partie des individus de notre société.

L’éducation est un investissement dans le sens où il entraine des coûts, qui sont assumés tôt dans la vie d’un individu, et des bénéfices qui arrivent plus tard, lorsque les individus commencent à travailler. Les principaux coûts sont, d’une part, les coûts directs de s’éduquer tels les frais de scolarité, les frais de logement, les livres, et d’autre part, les coûts indirects tels le coût d’opportunité du temps consacré à l’étude, c’est-à-dire, le salaire qu’un étudiant pourrait obtenir s’il était allé sur le marché du travail au lieu d’étudier.

Les bénéfices privés liés à l’éducation, c’est-à-dire les bénéfices pour lesquels les individus reçoivent une compensation de la société, sont nombreux. Ces bénéfices sont principalement associés avec des meilleurs salaires espérés sur le marché du travail : un revenu à vie plus élevé, une probabilité plus élevée d’être embauché, de meilleures opportunités d’emploi. Les bénéfices privés additionnels sont une meilleure santé et un sentiment d’accomplissement de soi.

Il existe une vaste littérature en sciences économiques qui tente de mesurer les bénéfices privés de l’éducation associés au marché du travail. La méthodologie de base consiste à assembler un échantillon représentatif d’individus et de mesurer les écarts de revenu des individus en relation avec leur niveau d’éducation.

Plus précisément, les chercheurs comparent les revenus moyens à vie des travailleurs ayant atteint un certain niveau d’éducation avec les revenus moyens d’un groupe de référence, typiquement des individus qui ont un diplôme d’études secondaires. Le ratio des deux niveaux de revenus est une mesure typique du rendement privé de l’éducation. Nous notons que c’est une mesure du rendement brut puisque la mesure fait abstraction des coûts directs et indirects de l’éducation.

Puisque nous sommes intéressés par les diplômes universitaires, nous allons nous concentrer sur le rendement du diplôme de baccalauréat et du diplôme de cycle supérieur (maitrise, doctorat et diplôme professionnel), relativement au rendement du diplôme d’études secondaires.

L’approche la plus simple consiste à comparer les revenus à vie moyens (en pratique, on utilise le revenu moyen hebdomadaire réel) pour des groupes de travailleurs possédant des niveaux d’éducation différents en prenant en compte certaines caractéristiques démographiques tel le sexe. Malheureusement, cette approche est soumise à des biais potentiels, tant positifs que négatifs. Par exemple, au Canada, les jeunes cohortes de travailleurs sont typiquement plus éduquées que les cohortes précédentes, ce qui implique qu’il y a beaucoup de travailleurs âgés parmi les moins éduqués, et ceux-ci gagnent des revenus plus élevés principalement à cause de leur plus grande expérience de travail. Si cet effet n’est pas pris en compte, le rendement de l’éducation sera sous-estimé.

D’un autre côté, il y a de l’hétérogénéité parmi les individus au niveau des aptitudes personnelles telle la capacité d’apprendre et de travailler. Il est donc possible que les individus ayant une plus grande capacité d’apprendre étudient plus longtemps. Si c’est le cas, les revenus d’emploi des travailleurs les plus éduqués sont plus élevés, mais pas nécessairement parce que ces travailleurs sont mieux éduqués, mais plutôt parce qu’ils ont de meilleures aptitudes personnelles. Si cet effet n’est pas pris en compte, le rendement de l’éducation sera surestimé.

Les chercheurs sont normalement prudents lorsqu’ils contrôlent pour ces biais potentiels afin d’obtenir les meilleures mesures du rendement de l’éducation universitaire.

L’étude la plus récente pour le Canada qui suit la méthodologie décrite ci-dessus est Bourdabat, Lemieux et Riddell (2010). Ils basent leur étude sur les données du recensement. Ces auteurs estiment l’évolution du rendement d’un diplôme universitaire séparément pour les hommes et les femmes de 1980 jusqu’à 2005. Leur conclusion générale est que le rendement d’un diplôme universitaire est très élevé et que celui-ci a augmenté de façon continue depuis 25 ans.

Les hommes qui détenaient un baccalauréat en 1980 gagnaient un salaire hebdomadaire plus élevé de 32 % que les hommes qui avaient un diplôme d’études secondaires. Il y a eu une progression constante de ce rendement depuis 1980, et plus particulièrement depuis 1995. En 2005, ce rendement était de 40 %, c’est-à-dire, une augmentation de 25 % relativement au niveau de 1980. Les femmes ont un rendement encore plus élevé, passant de 45 % en 1980 jusqu’à 51 % en 2005, avec la plus grande part des gains apparaissant plus récemment, soit depuis 2000.

Le rendement d’un diplôme de troisième cycle (par rapport au diplôme d’études secondaires) est évidemment plus élevé, augmentant de 40 % à 50 % sur la période de 25 ans pour les hommes, et de 59 % à 63 % pour les femmes. Les rendements des femmes sont encore une fois plus élevés, mais aussi plus stables.

Bourdabat, Lemieux et Riddell (2010) estiment également les rendements de l’éducation en utilisant les revenus annuels plutôt que les revenus hebdomadaires. La différence peut être significative puisque les revenus annuels peuvent être affectés par des épisodes de chômage ou de travail à temps partiel. Les rendements mesurés à partir des revenus annuels ne prennent pas seulement en compte la prime salariale mentionnée plus tôt, mais également le fait qu’un niveau d’éducation plus élevé peut augmenter la probabilité d’avoir un emploi. En comparant 1980 avec 2005, le rendement d’un baccalauréat (basé sur les revenus annuels) augmente de 47 % à 53 % pour les hommes, et de 62 % à 70 % pour les femmes. On peut conclure que cet ajustement a un effet significatif, principalement sur les niveaux de rendements qui ont augmenté de 15 à 20 points de pourcentage. Donc, en plus de la prime salariale (telle que mesurée sur le salaire hebdomadaire), il y subsiste une prime majeure de l’éducation universitaire qui peut être associée à une plus grande stabilité des revenus d’emploi (telle que mesurée sur le salaire annuel).

Pour comparer ces estimés de rendement avec ceux que nous rapportons plus bas sur la valeur sociale de l’éducation, nous pouvons calculer ce qu’ils impliquent en termes de pourcentage d’augmentation du revenu annuel par année de scolarité supplémentaire. Les rendements cités plus haut représentent le ratio du salaire du travailleur éduqué sur le salaire du travailleur détenant un diplôme d’études secondaires. En prenant le logarithme de ce ratio et divisant par le nombre d’années d’éducation on obtient le rendement annuel par année d’éducation. Pour les hommes, un diplôme de premier cycle donne un rendement entre 10 % (log(1.47)/4) et 11 % (log(1.53)/4), et de 12 % (log(1.62)/4) à 13 % (log(1.70)/4) pour les femmes. Plus tard, nous utiliserons un rendement moyen pour les hommes et les femmes de 11 %, soit la moyenne de ces rendements (en prenant en compte qu’il y a plus d’hommes que de femmes sur le marché du travail).

On trouve également une vaste littérature en sciences économiques qui essaie de comprendre les facteurs expliquant l’augmentation soutenue du rendement de l’éducation depuis 30 ans, une littérature qui a été résumée dans Goldin et Katz (2008). Il s’en dégage un consensus voulant que les développements technologiques qui ont affecté le milieu de travail depuis la fin des années soixante-dix, principalement associés à l’introduction des ordinateurs et des nouvelles technologies de l’information, étaient les principaux facteurs explicatifs de la hausse des rendements de l’éducation. Ces développements technologiques bénéficient généralement plus aux travailleurs plus éduqués. Leur productivité s’en trouve donc accrue et par conséquent, leur salaire augmente. Les effets de ces changements technologiques ne semblent pas s’estomper, et on prévoit que la croissance observée des rendements de l’éducation se poursuivra.

Nous avons démontré que les travailleurs obtiennent des rendements importants de leur éducation. Ces rendements sont dits privés, c’est-à-dire, qu’ils appartiennent au travailleur éduqué. Mais l’éducation peut également comporter des bénéfices dits sociaux, c’est-à-dire, des bénéfices supplémentaires qui n’appartiennent pas au travailleur éduqué, mais à d’autres membres de la société. Ces bénéfices sociaux doivent être considérés lors de l’analyse des rendements globaux de l’éducation. La prochaine section porte son attention sur les rendements sociaux de l’éducation.

2. Valeur sociale de l’éducation

On invoque parfois la valeur sociale de l’éducation pour justifier des frais de scolarité faibles voire nuls. Le principal argument mis de l’avant est que l’éducation procure des bénéfices importants pour la société au-delà de ceux apportés à l’étudiant. Conséquemment, il importe de subventionner l’éducation pour la rendre accessible au plus grand nombre possible d’étudiants. Ainsi, l’efficacité de l’investissement en éducation sera atteinte.

Selon cet argument, la proportion des frais de scolarité payée par l’étudiant devrait être fonction de la proportion des rendements dits privés, c’est-à-dire des rendements ou des bénéfices réalisés par l’étudiant. Autrement dit, l’implication de l’État doit être à la hauteur des bénéfices sociaux que l’éducation confère. (On définit ici les bénéfices sociaux comme étant la part des bénéfices qui ne sont pas privés.)

La détermination de la contribution efficace de l’étudiant devient donc une question empirique. Quelle est l’ampleur des bénéfices sociaux de l’éducation?

On retrouve deux grands courants de la littérature sur les rendements sociaux de l’éducation. Un premier courant se concentre sur le rôle de l’éducation et du capital humain sur la croissance économique. Un deuxième courant analyse les externalités sociales (non économiques) de l’éducation. Nous allons tout d’abord présenter l’impact de l’éducation sur la croissance économique. La littérature empirique sur cette question est relativement vaste puisqu’elle porte sur des variables facilement mesurables pour lesquelles il existe des données de bonne qualité.

2.1 Éducation et externalités sur la croissance économique

Les théories modernes de la croissance mettent l’éducation et le capital humain au centre de la dynamique de la croissance d’une économie. Le capital humain d’un travailleur comprend non seulement son éducation, mais ses habiletés innées ou acquises, son expérience de travail, etc. Les besoins de l’étude dictent que nous nous concentrions sur l’éducation formelle d’un individu.

Des travailleurs hautement éduqués augmentent la productivité des autres travailleurs avec lesquels ils interagissent, permettant ainsi d’augmenter la productivité d’une économie. L’accumulation de capital humain (ou l’éducation) permet à une économie de croître plus rapidement, apportant alors des bénéfices à toute la société. Selon cette théorie de la croissance, l’éducation génère des externalités importantes qui se manifestent par une productivité accrue et une croissance économique plus forte.

Les externalités de l’éducation ou du capital humain d’un individu doivent se manifester par une augmentation de la productivité d’autres agents dans l’économie. Par exemple, si le niveau d’éducation d’un travailleur permet à d’autres travailleurs de son environnement ou de son agglomération d’être plus productifs, alors on dit qu’il y a externalité. Si tel est le cas, il est fort probable que le travailleur ne prend pas en compte cette externalité positive lors de son investissement en éducation. Une intervention étatique est alors justifiée. Par contre, si cet accroissement de la productivité des autres agents est reflété dans le salaire du travailleur qui a causé cet accroissement, alors ce dernier prend en compte ces externalités (internalisées dans son salaire) lors de sa décision d’investissement en capital humain ou d’éducation. Un exemple de ce phénomène se produit si l’éducation d’un travailleur accroît la productivité de ses collègues de travail. Si tel est le cas, le salaire du travailleur reflète alors son impact sur la productivité de ses collègues. Une intervention étatique n’est alors pas justifiée.

La détermination de l’externalité devient un problème de mesure et d’estimation. Il existe peu d’études qui ont regardé cette question. Notre argumentation se basera sur l’article de Lange et Topel (2006). Cette étude récente a le double avantage de présenter un survol critique d’autres articles qui ont étudié la même problématique et également de présenter de nouveaux résultats. Elle constitue donc une référence de choix.

Deux approches ont été poursuivies pour mesurer les impacts du capital humain (c.-à-d., du niveau d’éducation) sur la croissance économique. Une première approche macroéconomique tente de mesurer l’apport du capital humain sur la croissance économique d’un pays. La méthodologie consiste à prendre en compte tous les facteurs de production tels que capital, main-d’oeuvre, capital humain et de permettre que le progrès technique soit influencé par le niveau de capital humain. On mesure ensuite économétriquement l’impact de tous ces facteurs sur la croissance économique. Cette analyse permet ainsi de mesurer le rendement social du capital humain au niveau macroéconomique.

Il n’est pas facile d’isoler l’effet du capital humain sur la croissance avec des données macroéconomiques. La variable de capital humain peut capter l’influence d’autres facteurs non mesurés avec lesquels elle est corrélée, conduisant ainsi à une surévaluation de l’apport du capital humain sur la croissance. Les auteurs tentent de tenir compte de ces corrélations en introduisant des variables de contrôle.

Cette analyse est produite pour un échantillon de 111 pays entre 1960 et 1990. Les résultats économétriques les plus probants donnent un rendement annuel du capital humain se situant entre 9 et 10 %. Ce chiffre correspond à la somme du rendement privé et du rendement social de l’éducation. On peut comparer ce rendement aux mesures du rendement privé de l’éducation calculé sur des données microéconomiques. Pour des périodes comparables, les estimés du rendement annuel privé de l’éducation se situent généralement entre 6 et 9 %. Le rendement social de l’éducation est la différence entre le rendement global (entre 9 et 10 %) et le rendement privé (entre 6 et 9 %). L’évidence empirique tirée des données macroéconomiques donne un rendement social de l’éducation relativement faible, soit environ 0 à 4 %. (Notons que le rendement privé de l’éducation tel qu’estimé sur des données microéconomiques a été estimé à 11 % pour le Canada.)

Ces études macroéconomiques soulèvent la critique qu’elles s’appuient sur des données imparfaites et souvent de mesure incohérente entre les pays. D’autres études ont donc tenté de mesurer le rendement social de l’éducation en utilisant des données microéconomiques. Ces études se concentrent sur la détermination des salaires individuels au niveau d’une agglomération urbaine.

La spécification économétrique standard qui vise à expliquer le salaire d’un travailleur inclut des variables socioéconomiques, des caractéristiques de l’emploi et le niveau d’éducation du travailleur. On peut alors mesurer le rendement privé de l’éducation par le coefficient du niveau d’éducation dans l’équation qui détermine le salaire.

Pour mesurer le rendement social de l’éducation, on ajoute à l’équation une variable qui mesure le niveau moyen d’éducation dans l’agglomération où oeuvre le travailleur. Si l’éducation génère des externalités, le niveau moyen d’éducation des travailleurs d’une agglomération affecte positivement la productivité d’un travailleur. Conséquemment, le salaire de ce travailleur devrait être plus élevé que s’il n’y avait pas d’externalité. Dans cette équation de détermination du salaire d’un travailleur, le coefficient de la variable explicative mesurant le niveau moyen de l’éducation donne donc une mesure du rendement social de l’éducation. Un coefficient positif et significatif indiquerait la présence d’externalités de l’éducation sur la productivité de tous les travailleurs.

Une mise en garde est toutefois de mise. Une relation positive entre le salaire des travailleurs et le niveau moyen d’éducation peut refléter d’autres facteurs que la présence d’externalités de l’éducation. Par exemple, si les travailleurs qualifiés sont plus productifs dans une agglomération que dans une autre, cette agglomération attirera plus de ces travailleurs qualifiés. Leur salaire sera plus élevé parce qu’ils sont plus productifs, mais en même temps, puisqu’ils sont plus nombreux (et plus éduqués), le niveau moyen d’éducation dans cette agglomération sera plus élevé. Il y aura donc une relation positive entre le niveau moyen d’éducation et les salaires, mais cette relation ne sera pas causale.

Un autre exemple serait si les travailleurs qualifiés ont des habiletés générales plus élevées que celles des travailleurs non qualifiés. Il est vraisemblable de croire que les employeurs qui demandent des travailleurs qualifiés valorisent également ces habiletés générales supérieures. Une agglomération où il y a une forte demande pour les travailleurs qualifiés et où on retrouve donc une forte proportion de travailleurs qualifiés offre des salaires plus élevés non seulement parce que les travailleurs sont plus qualifiés ou éduqués, mais également parce que ces travailleurs ont des habiletés plus élevées. Si ces habiletés supérieures ne sont pas observables dans les données, l’analyse économétrique donnera une relation positive entre salaire et niveau moyen d’éducation. Dans ce cas-ci également, la relation n’est pas causale.

L’analyse économétrique doit prendre en compte les corrélations entre le niveau moyen d’éducation et des variables non observables qui peuvent influencer le salaire. Les diverses études sur le sujet proposent différentes façons de prendre en compte ces corrélations en introduisant des variables instrumentales destinées à capter les effets des variables non observables. Le choix de variables instrumentales adéquates est un art en soi. Nous ne rapporterons pas le détail des diverses études, mais nous présenterons plutôt une synthèse des résultats les plus probants. Nous renvoyons le lecteur à l’article de Lange et Topel (2006) pour l’analyse détaillée.

Lange et Topel (2006) citent trois études sur la question : Rauch (1993), Acemoglu et Angrist (2000) et Moretti (2004). Les estimés des bénéfices sociaux de l’éducation varient considérablement dans ces trois études. Rauch (1993) trouve un rendement social modeste et positif; Acemoglu et Angrist (2000) estiment un rendement social nul; Moretti (2004) trouve un rendement social positif et important. Chacune de ces études comporte des problèmes quant à leur stratégie d’identification et leur choix de variables instrumentales. Lange et Topel (2006) concluent qu’il n’y a que peu d’évidence empirique supportant des rendements sociaux importants de l’éducation.

Lange et Topel (2006) proposent alors une nouvelle étude basée sur des données des États américains pour la période 1940-2000. Les auteurs sont également confrontés au problème des variables non observables corrélées avec le niveau moyen d’éducation. Ils doutent de l’existence d’un instrument valide pour les variables non observables. Ils tentent donc plutôt de mesurer directement les variables non observables. Ils se concentrent sur une variable importante : la qualité de la main-d’oeuvre.

Les auteurs ont des données sur l’État où le travailleur a étudié, qui est souvent différent de l’État où il travaille. En comparant le salaire de travailleurs d’un même État qui ont étudié dans différents États, on peut construire un indice de la qualité des travailleurs ayant étudié dans un État donné. À partir de ces indices (par État), on peut construire un indice de qualité de la main-d’oeuvre des travailleurs d’un État donné à partir de la composition de la main-d’oeuvre en termes de l’État où chaque travailleur a étudié.

L’indice de qualité de la main-d’oeuvre ainsi calculé est inclus dans l’analyse économétrique. Les auteurs montrent que l’inclusion de cet indice réduit la taille des externalités mesurées de l’éducation d’environ 75 % par rapport à celui mesuré lorsque cet indice de qualité n’est pas inclus. Les auteurs avancent que les données ne donnent que très peu d’évidence à savoir que l’éducation génère des rendements sociaux élevés.

Eu égard les études macroéconomiques et microéconomiques sur les rendements sociaux de l’éducation, on peut conclure que les externalités de l’éducation sur la croissance économique et la productivité sont relativement faibles. Nous nous tournons maintenant vers les externalités sociales de nature non économique.

2.2 Éducation et externalités sociales

Plusieurs intervenants considèrent que l’éducation comporte des bénéfices sociaux qui ne sont pas de nature économique, mais qui sont tout de même non négligeables. Par exemple, certaines théories avancent qu’une société plus éduquée présente un taux de criminalité plus faible, ou encore une participation plus active dans les institutions démocratiques. On avance également le fait qu’une éducation plus poussée augmente le niveau de civisme des citoyens. Une société plus éduquée et civilisée est moins violente, moins sujette à la criminalité; des citoyens plus éduqués peuvent mieux contribuer aux institutions démocratiques, résultant de meilleures décisions publiques. Ces arguments ont été invoqués pour justifier un financement public important de l’éducation. Tout investissement public dans l’éducation devrait être à la mesure de l’impact social de l’éducation. La détermination de l’apport public devient donc un problème empirique.

Bien qu’il soit difficile de mesurer non seulement ces impacts, mais également leur valeur sociale, certaines études ont tenté de le faire.

On retrouve quelques articles qui étudient le lien entre éducation et criminalité. Plusieurs de ces études sont présentées dans l’article synthèse de Lochner (2007). La plupart des articles étudient le lien entre criminalité et éducation au niveau secondaire. Si on trouve une relation inverse entre éducation et diverses mesures de criminalité, le lien causal n’en demeure pas moins difficile à établir. Un individu verse-t-il dans le crime parce qu’il n’étudie pas? Où décide-t-il de ne pas étudier parce qu’il préfère poursuivre des activités criminelles? Encore une fois, la stratégie économétrique d’identification est cruciale. Il s’agit de trouver un instrument qui affecte le niveau d’éducation, mais qui n’est pas corrélé avec les facteurs sous-jacents à la décision de poursuivre des activités violentes ou criminelles. Plusieurs auteurs exploitent le fait que les lois sur l’âge minimal auquel un étudiant peut quitter l’école secondaire aient changé dans le temps. Ces lois affectent le niveau d’éducation d’un individu de façon exogène et ne sont donc pas directement corrélées avec la décision d’entreprendre des activités illicites. Il s’agit alors d’un excellent instrument. (Le lecteur intéressé à plus de détails pourra se référer à l’article de Lochner, 2007). Si cet instrument a l’avantage de bien capter l’effet de l’éducation sur les activités illégales, il ne nous renseigne que sur son effet au niveau secondaire. Il est difficile d’inférer de ces résultats ce qu’est l’impact de l’éducation universitaire. Nous mentionnons tout de même que, sur des données américaines, une augmentation du niveau d’éducation secondaire réduit l’incidence de crimes violents (Lochner et Moretti, 2004). Par contre, Lochner (2004) ne trouve pas d’effet de l’éducation sur l’incidence de crimes non violents telles fraude, contrefaçon, etc.

Le résultat le plus pertinent pour notre argumentaire a été produit par Lochner et Moretti (2004). Ils montrent que c’est l’éducation de niveau secondaire (high school) qui a le plus d’impact sur l’incidence de crimes violents. Plus précisément, c’est la complétion de la 12e année qui réduit le plus la criminalité. Les auteurs ne trouvent pas d’effet des années d’éducation ultérieures sur la criminalité. C’est donc dire que, sur des données américaines, l’éducation de niveau universitaire ne génère pas d’externalité en termes de réduction de la criminalité violente. Ce résultat tient probablement aussi au Québec si on considère que les étudiants arrivent à l’université un an plus tard qu’aux États-Unis parce qu’ils doivent compléter leur cégep. On peut donc conclure que l’éducation universitaire n’a pas d’incidence mesurée sur la criminalité.

Des chercheurs ont étudié la relation entre le niveau d’éducation et la participation aux institutions démocratiques. Milligan, Moretti et Oreopoulos (2003) ont des données américaines, anglaises et canadiennes qui permettent d’analyser ces questions. Spécifiquement, les auteurs estiment l’effet de l’éducation sur la probabilité d’aller voter aux élections, sur la participation à différentes instances démocratiques (discussions, réunions, conférences, comités, etc.) et sur l’information qu’ils détiennent sur les différents candidats. Encore une fois, le problème d’endogénéité entre les décisions de participation aux instances démocratiques et la décision de s’éduquer force les auteurs à utiliser des variables instrumentales. Les auteurs utilisent également les changements dans les lois sur l’âge de la fréquentation scolaire obligatoire. Le lecteur trouvera le détail dans l’article original.

Les principaux résultats de cet article sont que l’éducation influence légèrement la participation aux institutions démocratiques aux États-Unis et en Angleterre. La plupart des différences entre les deux pays peuvent être expliquées par des procédures différentes d’inscription sur les listes électorales. Lorsqu’on prend en compte ces différences, les résultats des deux pays sont très semblables. Les estimés canadiens montrent que les individus qui ont étudié au-delà de l’école secondaire votent avec une probabilité de 86 % alors que les diplômés universitaires votent avec une probabilité de 90 %. La différence entre les deux probabilités de voter est faible. Il est raisonnable de penser que le taux de participation légèrement supérieur pour les diplômés universitaires n’a probablement que peu d’impact sur le fonctionnement des institutions démocratiques.

La probabilité de voter est une mesure quantitative de la participation aux institutions démocratiques. On peut penser que la qualité de la participation est importante et est influencée par le niveau d’éducation. Les auteurs ont des données sur l’implication des citoyens dans le processus démocratique. Les individus devaient répondre à des questions leur demandant s’ils avaient suivi la campagne électorale, s’ils regardaient les nouvelles à la télé, s’ils participaient à des réunions politiques, s’ils donnaient du temps pour des activités communautaires. Les résultats montrent que l’éducation secondaire a un effet positif sur la qualité de l’implication politique aux États-Unis et en Angleterre. Par exemple, aux États-Unis, quatre années d’étude supplémentaires augmentent la probabilité de regarder les informations de 3 %. En Angleterre, une année supplémentaire au secondaire augmente la probabilité de 7 % d’avoir des discussions à saveur politique avec son entourage. Les données ne permettent pas de voir l’effet de l’éducation supérieure sur la qualité de la participation aux institutions démocratiques. Malheureusement, aucune donnée ne permet de reproduire l’étude pour le Canada.

Que pouvons-nous conclure de cette littérature qui tente de mesurer le rendement social de l’éducation? Les rendements sociaux estimés sur la croissance économique sont relativement faibles. Nous avons vu qu’ils sont de l’ordre de 0 à 4 %. L’éducation supérieure ne semble pas avoir d’impact sur les activités criminelles. L’impact se situe principalement au niveau de l’éducation secondaire. L’éducation influe sur la qualité des institutions démocratiques et le civisme des citoyens. De meilleures institutions démocratiques rendent l’État plus efficace, ce qui génère des effets économiques et non économiques. Les effets économiques sont pris en compte par les effets mesurés sur la croissance. Les effets de nature non économique sont difficilement mesurables. L’éducation supérieure ne semble pas générer de bénéfices sociaux importants au-delà de ceux de l’éducation secondaire. C’est d’autant plus vrai au Québec où l’université commence un an plus tard qu’aux États-Unis ou dans le reste du Canada.

Riddell (2008) présente une synthèse de ces résultats. Il estime le rendement des bénéfices sociaux de nature non économique à 3 ou 4 %, ce qui semble un peu exagéré si on prend en compte les études récentes mentionnées ici.

La somme des rendements sociaux de natures économique et non économique est de l’ordre d’environ 3 à 8 %. Le rendement social de l’éducation est inférieur à son rendement privé estimé qui est de l’ordre de 11 % au Canada. L’éducation supérieure donne donc un rendement total d’environ 14 à 19 %, dont plus de 60 % de ce rendement représente le rendement privé de l’étudiant. Plus tard, nous calculons la contribution efficace des étudiants dans les frais de scolarité en considérant que l’étudiant obtient 60 % des gains totaux de l’éducation, ce qui représente à nos yeux un estimé conservateur de la part des rendements privés.

3. Accessibilité

La question de l’accessibilité est au coeur du débat sur les frais de scolarité. Si les frais de scolarité augmentent significativement, plusieurs craignent que des étudiants provenant de milieux défavorisés n’aient pas les ressources financières pour continuer à étudier. L’université deviendrait alors un frein à la mobilité sociale puisqu’elle serait réservée aux étudiants provenant des milieux relativement plus favorisés. Il est clair que cet argument est non seulement porteur, mais doit être pris en considération. Pour le faire de façon rigoureuse, il importe d’analyser de façon empirique les effets des contraintes financières sur l’accessibilité aux études supérieures. Heureusement, plusieurs études s’intéressent à cette problématique tant au Canada qu’aux États-Unis. Nous allons résumer ici les principales études qui sont pertinentes pour le Québec.

Depuis les années quatre-vingt, la plupart des articles étudiant le lien entre contraintes financières et accessibilité ont clairement établi une corrélation positive et significative entre le revenu des parents et la participation aux études postsecondaires. Si cette corrélation est clairement établie, elle n’est pas nécessairement causale. Il existe possiblement d’autres facteurs corrélés avec le revenu familial qui influent sur la participation aux études supérieures. Par exemple, les étudiants provenant de familles plus aisées peuvent avoir eu une meilleure éducation au secondaire, peuvent avoir bénéficié d’un meilleur encadrement ou environnement propice aux études, peuvent avoir des habiletés supérieures. Dans tous ces cas, si ces variables ne sont pas incluses dans l’analyse, leur influence est captée par la variable de revenu familial. Ainsi, le chercheur observe une corrélation positive entre revenu familial et participation aux études supérieures, mais cette corrélation pourrait refléter en totalité ou en partie l’effet des variables non observées qui sont corrélées avec le revenu.

Les études récentes que nous présentons ici incluent dans l’analyse des variables approximant les habiletés des étudiants et leur performance au secondaire. En incluant ces variables, on peut alors isoler l’effet du revenu familial et des contraintes financières sur la participation aux études postsecondaires.

Un article de Corak, Lipps et Zhao (2003) nous donne une perspective historique de la relation entre le revenu familial et la participation aux études postsecondaires au Canada. Cette étude se concentre sur les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Sur cette période, l’écart entre le taux de participation aux études universitaires des étudiants issus de familles à plus haut revenu et celui de ceux issus des familles les plus pauvres a diminué légèrement. En fait, la corrélation entre revenu parental et participation à l’université a augmenté jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, mais a diminué à la fin de ces mêmes années. Par exemple, une augmentation de 10 % du revenu parental était associée à une augmentation de 2,7 % du taux de participation à l’université dans les années quatre-vingt, à une augmentation de 4,3 % en 1994, puis à une augmentation de 2,5 % en 2000. Les auteurs attribuent cette diminution de la corrélation en 2000 à la bonification des programmes de prêts et bourses qui ont été mis en place suite aux hausses de frais des années quatre-vingt-dix.

L’article de Christofides, Cirello et Hoy (2001) montre qu’en 1975, au Canada, le taux de participation des enfants du quintile de revenu parental le plus élevé était trois fois plus élevé que ceux du dernier quintile. En 1993, ce ratio n’était plus que de 1,6. Cette étude ne faisait pas de distinction entre collèges et universités.

Ces deux études calculent la corrélation entre revenu parental et participation aux études postsecondaires. Cependant, tel qu’argumenté plus haut, cette corrélation n’est pas nécessairement causale. D’autres facteurs non mesurés liés au revenu parental pourraient expliquer la corrélation. Il est important de bien identifier ces facteurs si on veut bien comprendre le rôle des contraintes financières pour ultimement viser à accroître la mobilité sociale. Toute intervention sera ainsi mieux ciblée et par conséquent plus efficace. Deux études récentes analysent les facteurs déterminants de la participation universitaire au Canada. Nous présentons ces deux études.

3.1 Étude de Frenette (2007)

Frenette (2007) vise à expliquer l’écart entre le taux de participation aux études supérieures des enfants issus du quartile supérieur de revenu et ceux issus du quartile inférieur. Pour ce faire, il inclut dans l’analyse diverses mesures d’habiletés des étudiants ainsi que des données socioéconomiques sur les parents des étudiants.

L’échantillon comprend des étudiants canadiens nés en 1984 et qui étaient dans une institution scolaire au 31 décembre 1999 (à l’âge de 15 ans). Ces étudiants ont été interviewés au printemps 2000, puis au printemps 2002 et enfin au printemps 2004. L’auteur s’intéresse à la participation à une institution d’enseignement supérieur au 31 décembre 2003, soit à l’âge de 19 ans. L’auteur peut compter sur des mesures d’habiletés académiques : résultats de tests standardisés en lecture, en mathématiques et en sciences ainsi que les notes au secondaire.

La base de données inclut également des mesures d’estime de soi; des mesures sur le réseau social d’un étudiant, notamment combien de ses amis fréquenteront une institution postsecondaire; des mesures sur la perception des étudiants quant à savoir si un bon emploi plus tard dépend de leurs succès scolaires actuels; de l’information sur le sexe et la province de résidence. Les entrevues permettent de déterminer le rôle des contraintes financières dans la participation aux études postsecondaires. Les étudiants considérés contraints financièrement sont ceux qui ne sont pas allés aux études postsecondaires malgré le fait qu’ils disaient qu’ils auraient aimé y aller et qui spécifiaient que c’était à cause de contraintes financières.

Les parents ont aussi répondu à un questionnaire. L’auteur a de l’information sur les revenus totaux du ménage pondérés pour sa taille; sur la présence des parents à la maison, la composition de la famille; sur le niveau d’éducation des parents; sur les attentes des parents quant au niveau d’éducation que leur enfant devrait atteindre.

À l’aide de ces données, l’auteur classe les étudiants par quartile de revenus familiaux pondérés par la taille de la famille. L’auteur construit également un index de qualité de l’école secondaire qui se base sur le taux de participation de ses étudiants aux études postsecondaires.

L’étude vise à expliquer l’écart dans les taux de participation d’étudiants de différents quartiles de revenus. On utilise une méthode de décomposition de la variation dans les taux de participation prenant en compte tous les facteurs énumérés ci-dessus. Dans une première étape, les données sont traitées pour chaque quartile de revenus familiaux. Pour chaque quartile de revenus, on régresse une variable dichotomique de participation aux études postsecondaires sur l’ensemble des variables tirées de l’échantillon. On obtient alors un estimé du taux de participation par quartile de revenu. Cet estimé dépend des variables explicatives. Comme ces variables explicatives varient également selon le quartile de revenus, l’écart dans les taux de participation entre deux quartiles dépend des variations dans ces variables. L’analyse principale vise à expliquer la différence entre les taux de participation estimés pour le quartile de revenus les plus élevés et celui de revenus les plus faibles. La variation de chaque variable explicative entre ces deux quartiles explique une partie de l’écart dans les taux de participation. On relate ainsi l’écart de participation entre les deux quartiles de revenus aux écarts entre les différentes variables explicatives pour chacun des quartiles. Ainsi, chaque variable explicative peut expliquer un pourcentage de la variance dans les taux de participation.

Avant de donner les principaux résultats, nous donnons une brève description des principales variables de l’échantillon.

Les étudiants contraints financièrement représentent une proportion de 13,4 % des étudiants du quartile des revenus les plus faibles, 10,9 % du prochain quartile, 7,9 % du suivant, et enfin 5,9 % du quartile des revenus les plus élevés. Au total, 9,5 % des étudiants disent être contraints financièrement. La présence de contraintes financières diminue avec le niveau de revenus des parents.

Une proportion de 2,9 % des étudiants du quartile des revenus les plus faibles a une excellente note en lecture (dans le quintile le plus élevé). La proportion des trois autres quartiles est 4,2 %, 6,4 % et 7,2 % respectivement. Les habiletés en lecture sont corrélées avec le niveau de revenus des parents. On observe une progression similaire pour la moyenne académique des notes au secondaire.

L’éducation des parents est également corrélée avec le niveau de revenus. Une proportion de 16,3 % des familles du quartile des revenus les plus faibles inclut au moins un parent avec un diplôme universitaire. Cette proportion passe de 20,7 % pour le deuxième quartile à 36,9 % pour le troisième et enfin à 50,6 % pour le quartile des revenus les plus élevés.

La participation à l’université varie par quartile, passant de 31 % pour le quartile des revenus les plus faibles, à 33,5 % pour le deuxième quartile, à 43,4 % pour le troisième quartile et à 50,2 % pour le quartile des revenus les plus élevés. L’écart entre le premier et le dernier quartile est donné par le ratio des taux de participation, soit 50,2/31 = 1,62. Cet écart ne prend pas en compte les variations dans les variables explicatives. On note que si on restreint l’échantillon aux étudiants non contraints financièrement, l’écart entre le premier et le dernier quartile de revenus diminue à 1,49. Cet écart diminue de 50 % si on classe les étudiants en fonction du niveau d’éducation des parents, et ce, pour tous les niveaux d’éducation. Enfin, on remarque que, de toutes les provinces, l’écart est le plus grand pour le Québec, s’élevant à 2,29. Une partie de cet écart s’explique probablement par la structure scolaire spécifique du Québec avec ses cégeps. En quittant le secondaire, les étudiants québécois vont au cégep. Certains ne poursuivent ensuite pas à l’université. Ils bénéficient quand même d’une étude postsecondaire. Comme les cégeps n’existent pas ailleurs au Canada, il est difficile de comparer l’écart dans les taux de participation d’une province à l’autre.

Passons aux résultats. Dans un premier temps, l’auteur estime par régression linéaire l’impact des différentes variables sur le taux de participation pour chacun des quartiles. L’analyse économétrique démontre que la participation universitaire est principalement corrélée aux variables suivantes :

  • une moyenne académique au secondaire supérieure à 80 % accroît le taux de participation de 48 points de pourcentage (quartile des revenus les plus faibles) à 56 points (quartile des revenus les plus élevés);

  • un niveau d’éducation des parents au-delà du secondaire accroît le taux de participation de 32 points de pourcentage (quartile des revenus les plus faibles) à 43 points (quartile des revenus les plus élevés);

  • le taux de participation des femmes est plus élevé de 5 points de pourcentage (quartile des revenus les plus faibles) à 9 points (quartile des revenus les plus élevés) que celui des hommes;

  • la présence de contraintes financières réduit le taux de participation de 30 points de pourcentage (quartile des revenus les plus faibles) à 35 points (quartile des revenus les plus élevés).

Il faut savoir bien interpréter ces résultats. Ce sont des résultats donnant l’effet marginal d’une variable sur le taux de participation, maintenant tous les autres facteurs fixes. Par exemple, si on compare un homme et une femme type, tous deux ayant les mêmes profils académiques et socioéconomiques, la femme aura un taux (ou une probabilité) de participation de 5 à 9 % plus élevé que celui de l’homme.

Les contraintes financières ont un impact significatif sur le taux de participation universitaire, et ce, pour tous les quartiles de revenus. Le taux de participation universitaire diminue d’environ 33 points de pourcentage lorsque l’étudiant subit des contraintes financières. Ce résultat ne nous renseigne cependant pas ni sur l’ampleur des contraintes financières au niveau agrégé ni sur l’écart dans les taux de participation des quartiles des revenus familiaux les plus faibles et les plus élevés. Ce résultat ne peut également pas expliquer l’importance relative des contraintes financières par rapport aux autres facteurs.

L’auteur utilise les résultats des régressions par quartile pour calculer l’apport de chacune des variables explicatives à l’écart entre le taux de participation du quartile des revenus les plus élevés et celui du quartile des revenus les plus faibles. Il s’agit de décomposer la variation pour voir la contribution de chacun des facteurs à l’effet global. La variation totale du taux de participation est de 19,2 %, soit la différence entre le taux du quartile des revenus les plus élevés, 50,2 %, et celui du quartile des revenus les plus faibles, 31,0 %.

Les variables de l’échantillon peuvent expliquer près de 94 % de l’écart mesuré. La différence dans le niveau d’éducation des parents du premier quartile (revenus les plus faibles) vis-à-vis du dernier quartile (revenus les plus élevés) explique 30 % de l’écart des taux de participation. La différence dans les habiletés de l’étudiant mesurées par la moyenne académique au secondaire et les notes du test standardisé de lecture explique 34 % de l’écart. Les parents du dernier quartile de revenus ont des attentes supérieures quant au cheminement académique de leurs enfants par rapport aux parents du premier quartile de revenus. Cette différence dans les attentes explique 12 % de l’écart. Les enfants du dernier quartile étudient dans de meilleures écoles secondaires en moyenne. Cette différence de qualité explique 6 % de l’écart. Enfin, les contraintes financières expliquent 12 % de l’écart dans le taux de participation des enfants issus du premier quartile de revenus et celui des enfants issus du dernier quartile de revenus.

Toutes les variables sauf celle sur les contraintes financières expliquent 82 % de l’écart mesuré. Ces variables captent l’effet des habiletés de l’étudiant et de son environnement familial et social. Les contraintes financières ne peuvent expliquer que 12 % de l’écart. C’est donc dire que la présence des contraintes financières n’explique qu’une différence de 2,3 % (= 12 %*19,2 %) dans les taux de participation des quartiles des revenus les plus faibles et des revenus les plus élevés, alors que les autres variables expliquent une différence de 15,7 % (= 82 %*19,2 %). On note que ce résultat est conditionnel à l’existence et au maintien des programmes de prêts et bourses en place.

Ces résultats indiquent que les contraintes financières ne sont pas le principal obstacle à l’accessibilité aux études universitaires. D’autres facteurs socioéconomiques jouent un rôle beaucoup plus important. L’avantage de l’analyse décrite ici est que l’impact de chacun des facteurs peut être évalué de façon indépendante. Comment se fait-il que les contraintes financières n’expliquent qu’une faible partie de l’écart dans les taux de participation entre les premier et dernier quartiles et que la corrélation entre les revenus familiaux et le taux de participation soit élevée? La réponse se situe dans la corrélation entre les revenus et les autres variables explicatives. Par conséquent, lorsqu’on prend en compte ces autres variables, l’impact du revenu en est d’autant réduit. La participation à l’université dépend des habiletés intellectuelles de l’étudiant et de la qualité de ses environnements familial et social. Comme ces variables sont positivement corrélées avec le revenu des parents, on a souvent tendance à surestimer l’impact du revenu familial sur la participation à l’université.

3.2 Étude de Belley, Frenette et Lochner (2011)

Nous présentons maintenant l’étude récente de Belley, Frenette et Lochner (2011) qui compare l’impact du revenu des parents sur l’accessibilité aux études postsecondaires au Canada et aux États-Unis. Aux fins de notre recherche, nous nous concentrerons surtout sur leurs résultats pour le Québec et le Canada. Les auteurs utilisent une base de données canadiennes regroupant des jeunes de 15 ans en 2000. À l’instar de Frenette (2007), cette base de données inclut une variable cognitive sur les résultats à un test standardisé de mathématiques et de lecture. Cette variable vise à approximer l’habileté de l’étudiant. Les auteurs ont également accès à plusieurs variables socioéconomiques sur les parents tels revenu familial, le niveau d’éducation de la mère, la structure familiale (nombre d’enfants plus jeunes que 18 ans), la citoyenneté de l’étudiant (est-il immigrant?), le lieu de résidence (région métropolitaine ou non), l’âge de la mère à la naissance de l’étudiant, le sexe de l’étudiant ainsi que sa race. Toutes ces variables donnent un profil familial et socioéconomique relativement précis de l’étudiant à l’âge de 15 ans.

Comme dans les autres études, on remarque que les habiletés de l’étudiant et le revenu familial sont fortement corrélés; 30 % des étudiants appartiennent au même quartile d’habiletés et de revenu.

La variable d’intérêt est la participation à une institution postsecondaire à l’âge de 21 ans. Une institution postsecondaire peut être un collège offrant des cursus de deux ans, une université offrant un cursus de quatre ans ou encore un cégep (au Québec). On remarque que les taux de participation à une institution postsecondaire sont 8 % plus élevés au Canada qu’aux États-Unis. Si on se restreint aux universités, le taux de participation dans les deux pays est de 42 %. Au Canada, la différence dans le taux de participation d’un étudiant issu du dernier quartile de revenus (revenu le plus élevé) et celui d’un étudiant issu du premier quartile de revenus est de 20 %. Ces taux de participation sont les taux moyens sans égard aux habiletés de l’étudiant ou autres variables socioéconomiques. Le but de l’étude est précisément d’estimer l’effet de ces variables sur la participation.

Il est intéressant de classer les étudiants par quartile d’habiletés en utilisant les résultats au test standardisé de mathématiques et de lecture. On remarque que pour le quartile inférieur d’habileté, les étudiants issus du dernier quartile de revenu familial (le plus élevé) ont un taux de participation supérieur de 20 % à ceux issus du premier quartile. Pour les autres quartiles d’habileté, la différence de taux de participation est plus faible et se situe autour de 8 à 12 %. On remarque que pour un même niveau d’habiletés académiques (mesurées par le résultat du test standardisé), il subsiste des différences entre le taux de participation des étudiants issus de familles plus fortunées et celui des étudiants issus des familles moins fortunées. Cette différence peut dépendre d’autres facteurs socioéconomiques, d’autres dimensions d’habiletés non mesurées par le test standardisé ou encore de contraintes financières. Afin de tenter de discerner parmi ces différents facteurs, les auteurs estiment un modèle économétrique qui inclut des variables destinées à capter l’effet des facteurs pertinents. La variable dépendante est le taux de participation à l’université. (Nous ne commentons pas les résultats sur la participation à une institution postsecondaire puisqu’ils sont moins pertinents pour le Québec qui présente une structure institutionnelle différente avec les cégeps.)

L’analyse économétrique révèle que la différence dans le taux de participation à l’université du dernier quartile de revenus avec celui du premier quartile est de 8 % au Canada. Ce taux estimé prend en compte les facteurs cognitifs et socioéconomiques et il est significativement plus faible que la différence inconditionnelle du taux de 20 %. Il témoigne tout de même de l’existence de certaines contraintes financières. Les habiletés sont un facteur déterminant de la participation universitaire. Les étudiants du meilleur quartile d’habiletés ont un taux de participation plus élevé de 52 % que celui des étudiants du quartile inférieur.

Deux remarques sont de mise sur ces résultats. Premièrement, les auteurs notent que les résultats au test standardisé sont imparfaits pour capter l’effet des habiletés. Si les dimensions non observées des habiletés sont corrélées avec le revenu familial, alors l’impact mesuré du revenu surestime légèrement son véritable impact. Deuxièmement, les auteurs ont également estimé l’impact des contraintes financières sur la participation universitaire conditionnelle à la participation à une institution postsecondaire. Cette régression est très pertinente pour le Québec puisque les étudiants doivent passer par le cégep avant d’accéder à l’université. Les auteurs rapportent que les habiletés de l’étudiant ont un impact important sur la participation alors que le revenu familial a un faible effet. On peut interpréter ce résultat de la façon suivante. Si un étudiant québécois décide d’aller au cégep après son secondaire, sa décision ultérieure de fréquenter l’université dépend plus de ses habiletés académiques que du revenu de ses parents.

Les auteurs estiment ensuite le même modèle économétrique de façon séparée pour chaque quartile d’habiletés. Pour chaque quartile, l’effet du revenu familial sur le taux de participation universitaire décroit avec les habiletés. Pour le quartile des habiletés les plus faibles, la différence de participation entre le dernier quartile de revenus et le premier est de 9,6 %. Cette différence passe à 5,7 % pour le quartile des meilleures habiletés.

Les estimations par région montrent que, au Québec, les contraintes financières semblent jouer un rôle plus important sur le taux de participation universitaire. La différence de participation entre le dernier quartile de revenus et le premier est de près de 10 %, prenant évidemment en compte les variables cognitives et socioéconomiques. Leur rôle est moins important sur le taux de participation à une institution postsecondaire (incluant le cégep). Ce dernier résultat s’explique par le fait que le cégep est pratiquement gratuit et est un débouché normal pour un grand nombre d’étudiants québécois. Il aurait été intéressant d’estimer l’effet sur la participation universitaire conditionnelle à avoir fréquenté un cégep pour voir l’effet des contraintes financières au niveau universitaire.

Un dernier résultat d’intérêt démontre que la proximité d’une institution postsecondaire à l’âge de 15 ans n’a pas d’impact significatif sur le taux de participation, encore une fois prenant en compte tous les autres facteurs.

Les auteurs se livrent ensuite à une étude détaillée des frais de scolarité et des programmes de prêts et bourses pour les différents États américains et les différentes provinces canadiennes pour l’année académique 2003-2004. Nous ne discuterons pas plus en détail ces analyses parce que les données datent de près de 10 ans. Par contre, certaines caractéristiques nous semblent pertinentes et nous les présentons ici.

Les auteurs donnent les frais de scolarité nets des bourses gouvernementales en fonction du revenu des parents. Pour les étudiants québécois qui vivent avec leurs parents, ces frais sont relativement faibles et ne dépendent que très peu du revenu familial. Pour les étudiants québécois ne vivant pas avec leurs parents, les frais nets sont négatifs pour de revenus familiaux inférieurs à 50 000 $ et plafonnent à environ 1 300 $ pour des revenus supérieurs. Si on compare ces frais avec ceux payés par les étudiants américains, on obtient des résultats très semblables pour les revenus faibles. Par contre, pour les revenus élevés, les frais nets payés sont significativement plus élevés. Il semble que, dans les universités américaines, une redistribution des étudiants de familles plus fortunées vers ceux des familles moins fortunées peut s’opérer par le biais des frais de scolarité plus élevés et des bourses plus généreuses pour les étudiants dans le besoin. Cet effet serait amplifié si les auteurs avaient eu accès aux données des bourses offertes par les universités elles-mêmes. Celles-ci sont plus généreuses que celles consenties par les universités québécoises.

Les auteurs estiment également l’impact sur les taux de participation des programmes gouvernementaux de bourses. Si ces derniers étaient éliminés, les taux de participation des étudiants moins fortunés baisseraient de 5 % à 15 %. Ceci démontre que ces programmes sont nécessaires pour favoriser une accessibilité à l’université. On note que ces calculs sont faits pour des institutions postsecondaires. Pour le Québec, il aurait été plus pertinent de se concentrer sur les universités pour les étudiants qui ont déjà un diplôme du cégep. Les résultats précédents nous laissent croire que l’impact aurait sans doute été plus petit.

4. Sommaire

Qu’avons-nous appris de la littérature scientifique sur l’éducation supérieure? Plusieurs leçons peuvent être tirées des études citées.

  1. Les rendements privés de l’éducation supérieure sont importants, de l’ordre de 11 % par année.

  2. Les bénéfices sociaux de l’éducation, excluant les rendements privés, ont été estimés dans l’intervalle de 3 à 8 %.

  3. L’étudiant retire plus de 60 % des bénéfices totaux de l’éducation; la société en retire moins de 40 %.

  4. Les contraintes financières des étudiants ne sont pas le principal frein à l’accessibilité aux études supérieures.

  5. Les habiletés de l’étudiant au secondaire, ses environnements familial et social, le niveau d’éducation de ses parents constituent des obstacles importants à l’accessibilité.

Il faut réaliser que ces résultats sont des estimés d’analyses économétriques et sont, par conséquent, imprécis. Ils constituent néanmoins les meilleures estimations que l’on puisse trouver. C’est donc sur la base de ces estimés que nous baserons la suite de notre argumentation.

Ces résultats peuvent dissiper plusieurs mythes qui sont véhiculés dans le débat entourant le financement des universités et les frais de scolarité.

On affirme souvent que l’université devrait être gratuite parce que l’éducation bénéficie largement à la société. La société devrait donc payer pour que les étudiants fréquentent l’université. Malheureusement, nous n’avons trouvé aucune étude scientifique qui appuierait un tel raisonnement. Un consensus se dégage de la littérature scientifique voulant que l’individu reçoive au moins 60 % des bénéfices totaux de l’éducation supérieure.

Les études scientifiques reconnaissent l’existence de contraintes financières pour certains groupes d’étudiants. Par contre, les études nous apprennent également que ces contraintes financières ne sont pas le principal frein à l’accessibilité aux études supérieures. Les habiletés démontrées de l’étudiant au niveau secondaire, son environnement familial, le niveau d’éducation de ses parents, son réseau social sont autant de facteurs qui constituent des obstacles significatifs et plus importants que les contraintes financières pour l’accessibilité aux études supérieures.

Ces résultats sont importants. Si l’objectif visé d’une politique d’éducation supérieure est une plus grande justice ou mobilité sociale, il importe de considérer tous les instruments de politique publique et de voir lequel ou lesquels sont les plus efficaces pour l’atteinte de cet objectif. Il vaut donc la peine de s’attarder ici sur les inégalités de revenus et de comprendre quelles sont les meilleures politiques pour réduire ces inégalités.

Il est pertinent de s’étendre quelque peu sur les notions d’équité et de justice sociale. On présente souvent l’éducation supérieure comme étant la clé pour réduire les inégalités et augmenter la mobilité sociale. Malheureusement, ce n’est pas ce que les études scientifiques nous démontrent. Examinons de façon rigoureuse les impacts du système d’éducation supérieure sur les inégalités. Pour ce faire, il est important de bien définir les assises de comparaison. Pour étudier l’impact du niveau d’éducation supérieure sur la distribution du revenu et sur les inégalités sociales, on doit considérer le revenu espéré d’un individu sur tout son horizon de vie. Sinon, on pourrait à tort classer un étudiant en médecine sur le point de terminer sa formation comme étant un individu pauvre, ce qui est évidemment faux.

Prenons la génération des individus entre les âges de 18 et 30 ans. Elle inclut la grande majorité des étudiants d’université. De cette génération d’individus, certains étudient à l’université, les autres travaillent ou sont inactifs. Il est clair que sur un horizon de vie, ceux qui vont à l’université sont parmi les plus privilégiés. En moyenne, ils auront un revenu annuel de 11 % supérieur à celui de ceux qui ne vont pas aller à l’université. L’université crée d’énormes inégalités sociales au sein de cette génération. Ces inégalités sont le produit d’une productivité accrue que le diplômé universitaire procure. De plus, toutes les études sur le sujet démontrent que les rendements à l’éducation ont augmenté considérablement depuis 30 ans, ce qui a contribué significativement à l’accroissement de l’inégalité.

Que l’université crée des inégalités sociales est un fait indéniable. La véritable question est de savoir si l’université permet d’augmenter la mobilité sociale, c’est-à-dire, est-ce que l’université permet à des individus de classes sociales plus défavorisées d’accéder à une classe sociale plus élevée? Les données semblent montrer que l’université ne contribue pas beaucoup à la mobilité sociale. On constate que la fréquentation universitaire est fortement corrélée avec le revenu familial. Il appert également que cette corrélation n’est pas causale, c’est-à-dire que le revenu familial n’affecte pas beaucoup le taux de fréquentation universitaire. Ainsi, des études démontrent que les contraintes financières ont un impact secondaire sur l’accessibilité à l’université. Les principaux facteurs d’accessibilité sont tous reliés aux habiletés développées en bas âge ainsi qu’aux environnements familial et social lors de la petite enfance et adolescence. Ceci tend à démontrer que les frais de scolarité n’ont pas un rôle important dans le taux de fréquentation universitaire. Si l’objectif visé est l’atteinte d’une plus grande justice sociale, il faut regarder ailleurs.

Une part significative des inégalités de revenus est associée aux inégalités des formations scolaires. Un diplômé universitaire aura des revenus nettement supérieurs à ceux d’un diplômé d’école secondaire. Par exemple, en utilisant des données américaines, Huggett, Ventura et Yaron (2011) estiment qu’à 23 ans, soit l’âge auquel la plupart des individus ont terminé leur scolarité, environ deux tiers des inégalités du revenu à vie sont dus à des facteurs présents dès cet âge. Le facteur plus important est définitivement le niveau d’éducation ou le stock de capital humain. Seulement un tiers des inégalités est causé par des évènements ultérieurs à cette période.

À cause de ces résultats, on avance souvent que le gouvernement devrait fournir une éducation gratuite pour tous afin de réduire les inégalités. Une telle politique assurerait que des individus qui viennent de différents milieux socioéconomiques puissent avoir accès à la même éducation, permettant ainsi une réduction des inégalités des revenus et favorisant ainsi une plus grande mobilité sociale. Du même souffle, on avance que la gratuité scolaire devrait obligatoirement s’étendre à l’éducation supérieure, étant donné son grand impact sur les revenus à vie (voir la section sur la valeur privée de l’éducation).

Afin de bien évaluer la pertinence de ces arguments, il faut se demander si, d’une part, la gratuité scolaire au niveau universitaire peut atteindre l’objectif d’une plus grande mobilité sociale et si, d’autre part, cette politique est la meilleure politique pour atteindre cet objectif.

Heckman (2008) présente des analyses qui montrent que la gratuité scolaire n’aurait pas d’impact significatif sur la mobilité sociale. Il montre que les facteurs présents à l’âge de 23 ans qui expliquent le revenu à vie sont également présents à l’âge de 18 ans, soit lorsque la plupart des individus décident d’aller ou de ne pas aller à l’université, ce qui signifie que les individus avec les facteurs les plus favorables à l’âge de 18 ans sont ceux qui s’inscrivent à l’université. Ces facteurs sont reliés aux aptitudes au sens large, à la fois cognitives (mesurables à l’aide du Q.I. et des tests de réussite scolaire en français ou mathématiques) et non cognitives telles la motivation, les aptitudes sociales, la maîtrise de soi, la santé, etc.

Il est possible de mesurer les aptitudes cognitives et non cognitives à un jeune âge. On constate que les écarts d’aptitude entre les individus apparaissent très tôt, autour de l’âge de 6 ans; et les écarts que nous observons dès l’âge de 6 ans persistent et sont les mêmes que nous observons à 18 ans. Ceci implique qu’une grande partie de la variation dans les revenus à vie est déterminée par des facteurs et aptitudes présentes dès l’âge de 6 ans! Il en découle que l’éducation formelle joue un rôle mineur dans la détermination de ces écarts d’aptitude, et cela est d’autant plus vrai pour les études supérieures.

Heureusement, des recherches récentes prétendent que les aptitudes ne sont pas entièrement déterminées génétiquement, mais sont au contraire influencées par l’environnement familial, en particulier la qualité de l’éducation que les parents donnent à leurs enfants. Selon Heckman (2008), les programmes d’interventions à un jeune âge visant à compenser pour une contribution parentale déficiente sont non seulement efficaces, mais ils sont également parmi les programmes les plus rentables socialement. De tels programmes peuvent augmenter non seulement la performance moyenne sur le marché du travail plus tard, mais également diminuer les inégalités de revenus.

Pourquoi des interventions en jeune âge fonctionnent-elles? L’investissement en éducation produit ce qu’on appelle des « complémentarités dynamiques ». De solides assises à un jeune âge sont déterminantes du succès scolaire ultérieur. Lorsque ces assises sont absentes, on observe de mauvaises performances au niveau des résultats scolaires et du marché du travail. Ceci a tendance à se produire dans les familles les moins favorisées pour des raisons qui ne dépendent pas du revenu familial. Les programmes d’intervention mis en place pour des enfants plus âgés, particulièrement après l’école secondaire, agissent comme un correctif et leur impact est beaucoup plus faible, et ce, à un coût très élevé. La gratuité scolaire à l’université est un bon exemple. Les études recensées ci-dessus montrent que les aptitudes développées à des niveaux d’éducation antérieurs à l’université sont déterminantes dans la décision de poursuivre des études avancées. Cette gratuité n’aurait que très peu d’impact sur la mobilité sociale et la réduction des inégalités de revenus.

Les études scientifiques citées ici sont représentatives de l’état des connaissances. Une conclusion de ces études est que l’étudiant doit contribuer significativement au coût de sa formation. Ces conclusions sont également motivées par des considérations d’équité et de justice sociale.

5. Une proposition

Nous présentons une proposition pour les frais de scolarité des universités québécoises. Cette proposition vise à donner une plus grande équité sociale à la politique des frais de scolarité. Notre proposition est formulée pour l’année académique 2011-2012, année pour laquelle les données étaient disponibles. Il est évident que cette proposition pourrait se transposer à des années ultérieures en apportant des ajustements mineurs.

En 2011-2012, les frais de scolarité sont établis à un montant fixe de 2 168 $ par année pour un étudiant à temps plein (10 cours ou 30 crédits). Ce montant exclut les frais afférents qui varient entre institutions et qui sont à la charge des étudiants. Les frais de scolarité sont indépendants du programme suivi ou de l’université fréquentée.

Puisque les étudiants paient un montant fixe, et ce, pour des formations dont les coûts diffèrent, certains étudiants paient un pourcentage élevé du coût de leur formation et d’autres paient un pourcentage plus faible. La structure de frais implique que les étudiants qui étudient dans des programmes à coûts élevés bénéficient d’une subvention implicite de la part des étudiants des programmes peu coûteux. Il n’y a aucune explication qui puisse justifier de tels transferts. L’iniquité ainsi créée est amplifiée du fait que les formations les plus coûteuses sont également celles qui mènent à des revenus plus élevés.

Nous croyons donc qu’il est impératif de corriger ces iniquités dans la structure de frais par l’établissement de frais de scolarité modulés en fonction de la discipline étudiée. La modulation des frais n’est pas une nouvelle idée et elle a été proposée dans plusieurs études (voir Lacroix et Trahan, 2007; Laberge, 2008, pour des références récentes). Notre contribution sera de proposer une grille précise de ces frais et de démontrer l’impact de cette nouvelle structure tarifaire sur les étudiants de différentes disciplines.

Si la modulation des frais semble une idée acquise, il faut se demander sur quelle base doit-on moduler les frais de scolarité. Certains proposent de les moduler selon le coût de formation, d’autres, selon les revenus espérés de la formation suivie. Par exemple, un futur vétérinaire pourrait payer des frais soit proportionnels au coût de sa formation, soit en fonction des revenus que sa formation espère lui donner, ou encore une combinaison des deux. Moduler en fonction des revenus futurs semble intuitif et raisonnable. Nous argumentons cependant qu’une modulation en fonction du coût de formation est socialement plus désirable.

Lorsqu’un étudiant choisit la discipline dans laquelle il veut étudier, il compare le coût de sa formation aux bénéfices économiques et non économiques que cette formation lui confère. Le coût d’étudier compte non seulement les frais de scolarité et toutes les dépenses reliées (frais afférents, livres, etc.), mais également le revenu auquel l’étudiant renonce en travaillant moins pendant qu’il est aux études. L’accroissement de salaire que le diplômé obtient représente un bénéfice économique évident. Les bénéfices non économiques incluent une plus grande satisfaction que le diplômé retire de son emploi par rapport à celui retiré de l’emploi qu’il aurait eu s’il n’avait pas étudié; ils peuvent inclure également une meilleure éducation, un meilleur environnement familial pour ses enfants, etc. Comme nous l’avons vu, un niveau d’éducation supérieur des parents influe positivement sur les succès scolaires des enfants. Finalement, certains bénéfices sociaux sont associés à l’éducation supérieure. L’étudiant choisit la discipline qui lui confère la plus grande satisfaction nette de ses coûts de formation.

Une décision socialement efficace se traduit par le choix d’une formation qui procure la plus grande satisfaction à l’étudiant bonifiée des bénéfices sociaux et réduite des véritables coûts de la formation. Les véritables coûts de formation incluent la valeur de toutes les ressources investies pour donner ladite formation, professeurs, locaux, auxiliaires d’enseignement, etc.

Le défi de la détermination d’un niveau efficace des frais de scolarité est de s’assurer que l’étudiant choisisse la formation qui est la plus bénéfique pour lui et pour la société. En d’autres mots, il faut s’assurer de choisir les frais de scolarité qui alignent les choix individuels des étudiants avec les objectifs d’efficacité sociale.

D’abord, nous avons vu que l’étudiant retire 60 % des bénéfices totaux de sa formation. Comme la société retire 40 %, l’étudiant doit être subventionné. La société doit supporter une partie des coûts de formation. Plus bas, nous présentons un calcul déterminant la contribution efficace des étudiants dans les coûts de sa formation. Ensuite, l’étudiant doit payer en fonction des véritables coûts de sa propre formation afin de prendre une décision socialement efficace. Comme les coûts varient d’une formation à l’autre, les frais doivent être modulés en fonction de ces formations.

5.1 Objections potentielles

Avant cela, nous aimerions relever certaines objections que cette proposition pourrait soulever.

Pourquoi ne pas moduler les frais de scolarité selon le revenu espéré de la formation choisie?

On propose souvent de moduler les frais de scolarité selon le revenu espéré afin que les étudiants dont la formation leur sera la plus bénéfique paient davantage pour leurs études. Si cette idée semble attrayante, elle génère toutefois des effets pervers. Pour certaines disciplines, le coût de formation est inversement relié au revenu espéré. Si on réduisait les frais de scolarité des disciplines dont le revenu espéré est faible, mais le coût de formation élevé, ces dernières deviendraient plus attrayantes qu’elles ne le devraient. Elles attireraient trop d’étudiants par rapport à d’autres disciplines et il en résulterait une inefficacité sociale. Trop de ressources seraient investies dans des disciplines où les rendements sont socialement faibles et pas suffisamment dans des disciplines où ces rendements sont élevés. Collectivement, nous serions perdants. Il faut également noter que l’impôt sur le revenu progressif permet déjà une redistribution des individus dont le revenu est élevé vers les individus moins fortunés. Ce n’est pas le rôle des frais de scolarité d’opérer pareille redistribution. Les frais de scolarité doivent guider les étudiants vers les formations les plus bénéfiques socialement.

Nous avons vu que ce qui guide la subvention publique à l’éducation supérieure est le ratio des bénéfices privés aux bénéfices totaux. Si ce ratio est constant pour toutes les disciplines ou formations, alors la contribution efficace des étudiants doit être la même pour toutes ces formations.

Pourquoi ne pas moduler les frais de scolarité en fonction du revenu effectivement obtenu?

Cette modulation est différente de la modulation en fonction du revenu espéré. Une modulation selon le revenu gagné aurait pour objectif de donner une assurance à l’étudiant pour le risque de revenu après la diplomation. Une diplômée qui obtient un emploi lucratif devrait payer plus qu’un diplômé qui décroche un emploi moins rémunérateur. Une telle modulation pourrait, par exemple, être implantée par des coûts de remboursement différenciés pour ceux qui empruntent pour financer leurs études. Pour des raisons énoncées ci-dessus, éloigner les frais de scolarité des véritables coûts de formation génère des inefficacités sociales. Encore une fois, l’impôt sur le revenu progressif donne une forme d’assurance aux diplômés. Cette assurance implicite dans le système de taxation est plus efficace qu’une modulation malavisée des frais. On pourrait également noter que la formation universitaire semble réduire le risque de revenu (Boudarbat, Lemieux et Riddell, 2010). Donc, les étudiants universitaires, en plus d’acquérir une formation donnant des revenus plus élevés, obtiennent une assurance implicite pour leurs revenus futurs.

L’impôt sur le revenu progressif n’est-il pas une façon indirecte de faire payer les étudiants pour leur formation?

On affirme parfois que l’impôt sur le revenu progressif permet indirectement aux diplômés universitaires de payer pour leur formation. Il n’est donc pas nécessaire de charger des frais de scolarité aux étudiants. Il faut être prudent avec cet argument. L’impôt progressif s’applique à tous les individus, non pas seulement aux diplômés universitaires. Même si les revenus sont fortement corrélés avec le niveau d’éducation, la corrélation n’est pas parfaite. Des individus avec peu de scolarité peuvent avoir des revenus très élevés. Prétendre alors que la progressivité de l’impôt sert à payer l’éducation supérieure revient à taxer injustement ces individus, ce qui nous semble inéquitable.

L’impôt progressif peut toutefois influencer les décisions d’éducation. Une éducation supérieure conduit à des revenus plus élevés. Un impôt progressif peut alors causer un sous-investissement en éducation par rapport à la situation optimale. La présence d’un impôt progressif pourrait alors justifier des frais de scolarité plus faibles pour contrer ce sous-investissement. Nous croyons qu’il est très difficile de tenir compte de la progressivité de l’impôt dans l’établissement d’une politique de tarification de l’éducation. L’impôt progressif a été instauré pour de multiples raisons indépendantes de l’éducation. Par exemple, des motifs de redistribution, d’équité sociale ou d’assurance sociale peuvent justifier la progressivité de l’impôt sur le revenu. Nous considérons que ces motivations sont externes à notre analyse et pour en tenir compte, nous devrions produire une analyse dans un cadre d’équilibre général de politiques publiques, ce qui est clairement au-delà des visées de cet article.

5.2 Modulation des frais de scolarité

Nous présentons maintenant notre proposition de grille des frais de scolarité. Comme nous l’avons argumenté, les frais de scolarité doivent être proportionnels au coût de la formation choisie. Notre démarche consiste d’abord à donner les coûts relatifs de formation par secteur, puis de calculer la contribution efficace des étudiants dans ces coûts de formation. Ensuite, nous traduisons cette contribution en montant pour les frais de scolarité.

Il n’est pas facile de calculer le coût d’une formation, mais ce calcul a été réalisé en 2005 par une équipe mise en place par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MÉLS) pour élaborer une grille de pondération sur la base des coûts observés des différentes formations. Les résultats se trouvent dans le Rapport du groupe de travail technique chargé de l’élaboration d’une grille de pondération sur la base des coûts observés (2005). La grille de pondération élaborée sert depuis 2006-2007 au calcul de la subvention de fonctionnement des universités. Nous croyons donc que cette grille a de solides assises.

Le Groupe de travail a présenté 23 secteurs universitaires différents dont il a calculé les coûts de formation pour les 3 cycles universitaires. Les coûts relatifs pour ces 23 secteurs et 3 cycles sont donnés dans le tableau 6 du Rapport, reproduit ici au tableau 2.

Tableau 2

Coûts relatifs par secteur et cycle

Coûts relatifs par secteur et cycle

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Ce tableau donne la grille de pondération pour les différents secteurs et cycles à partir de laquelle les subventions de fonctionnement des universités sont déterminées. On remarque que la discipline de base est « Lettres » au 1er cycle à partir de laquelle les coûts de formation des autres secteurs et cycles sont déterminés. Nous notons que cette grille est différente de celle reproduite dans les rapports annuels sur les règles budgétaires des universités du MÉLS. Cette dernière tient compte des frais de scolarité payés par les étudiants et est donc basée sur le coût de formation net des frais de scolarité. Il importe donc d’utiliser la grille ci-dessus qui représente les coûts bruts de formation.

Notre proposition portera principalement sur les 1er et 2e cycles. Les études de 3e cycle ont une forte composante recherche et les étudiants, pour diverses raisons, bénéficient la plupart du temps de bourses couvrant leurs frais de scolarité. C’est pourquoi nous jugeons plus pertinent de centrer notre analyse sur les 1er et 2e cycles.

La littérature scientifique présentée dans cette étude suggère que l’étudiant retire au moins 60 % des bénéfices totaux de sa formation. Nous allons utiliser ce pourcentage minimal afin de baser notre proposition sur les hypothèses les plus favorables à une implication gouvernementale. Puisque ce pourcentage provient d’estimations, et que ces estimations ont une variance, nous allons répliquer notre analyse pour des proportions retirées par l’étudiant de 40 % et 80 %.

Nous devons donc maintenant calculer comment cette part des bénéfices se traduit en part efficace des frais de scolarité assumée par l’étudiant. Ce calcul n’est pas évident parce que les frais de scolarité ne représentent qu’une partie des coûts totaux de l’éducation. Ces derniers incluent les frais afférents, l’achat de manuels scolaires et surtout le salaire auquel l’étudiant renonce pendant les études.

Dans l’annexe, nous montrons que la subvention publique des frais de scolarité doit être égale au ratio de la part du rendement social de l’éducation dans les rendements totaux (estimée ici à 40 %) et de la proportion des coûts directs de l’éducation dans les coûts totaux (incluant salaire perdu pendant les études, etc.). La proportion des coûts directs peut être facilement estimée à partir des calculs effectués dans Ebrahimi et Vaillancourt (2010). Nous considérons ici la formation de 1er cycle. Nos calculs démontrent que les résultats sont très semblables pour le 2e cycle.

Dans le tableau 5 de Ebrahimi et Vaillancourt (2010), on obtient, pour 2005-2006, les coûts directs de la formation, soit 55 449 $. Le coût total est la moyenne du coût total des hommes et celui des femmes, soit (98 584 $ + 89 262 $)/2 = 93 923 $. La part des coûts directs de formation dans le coût total est donc 55 449/93 923 = 59 %. Nous supposons que cette part est demeurée constante depuis 2005-2006. Nous en concluons donc que la subvention optimale des frais de scolarité est 40 %/59 % = 2/3. Il en découle que la part efficace des frais de scolarité devant être assumée par l’étudiant est 33 %.

Pour voir comment cette part se traduit en frais de scolarité, il faut voir quelle est la part maintenant assumée par les étudiants. Le Rapport 4.1 de l’ACPAU (2012) établit en 2009-2010 la part des étudiants à 21,9 % des coûts de fonctionnement général des universités québécoises. Cette part inclut les frais de scolarité et les frais afférents. Au cours des trois années précédentes, cette part a augmenté de 2,5 %, soit 0,8 % par année. Nous estimons donc que la part en 2011-12 est de 21,9 % + 2*0,8 % = 23,5 %. Cette augmentation découle en partie de l’augmentation des frais de scolarité de 100 $ par an sur la période visée.

Puisque les étudiants paient 23,5 % des coûts totaux et que notre proposition vise à porter ce montant à 33 %, les frais de scolarité doivent augmenter. Nous supposons qu’une portion de 30 % de l’augmentation est mise de côté pour des bourses pour les étudiants moins favorisés pour pallier la hausse des frais. Il en découle que 70 % de l’augmentation sera réinvestie dans les universités qui pourront ainsi augmenter la qualité de la formation par des embauches de professeurs, par des investissements dans les bibliothèques et les technologies, par la mise à niveau des locaux désuets, etc. L’ajout aux frais de scolarité X est donc ainsi calculé :

Les nouveaux coûts des universités sont majorés de 70 %*X. Les étudiants doivent donc maintenant payer 1/3 des nouveaux coûts. Leur part correspond à ce qu’ils paient maintenant majorée de X. On trouve X = 12,8 %. Les étudiants doivent donc collectivement augmenter leur contribution de 12,8 % des coûts actuels.

La part actuelle des étudiants est de 23,5 % des coûts totaux. En dollars, cette part correspond aux frais de scolarité, 2168 $, plus les frais afférents qui sont en moyenne 26,6 % des frais de scolarité (voir Rapport de l’ACPAU, 2012, Rapport 4.1). Donc, les étudiants paient en moyenne 2168*1,266 = 2745 $. Ce montant représente 23,5 % des coûts totaux. L’augmentation moyenne de 12,8 % des coûts totaux est donc de 1495 $, portant ainsi les frais de scolarité moyens (incluant frais afférents) à 2745 + 1495 = 4240 $. Pour obtenir les frais de scolarité avant frais afférents, nous déduisons les frais afférents que nous supposons constants : 4240 $–26,6 %*2168 $ = 3663 $. Ce montant représente les frais de scolarité payés en moyenne par les étudiants (avant frais afférents). Cependant, les frais doivent être modulés en fonction des secteurs et cycles.

Pour ce faire, nous devons déterminer les frais de scolarité payés par un étudiant en lettres, notre discipline de base. Nous utilisons le nombre d’étudiants financés en 2011-2012 par le MÉLS par secteur et par cycle. Ce nombre est établi sur une base historique et représente généralement le nombre d’étudiants de l’année 2009-2010. On dénombrait 164 800 étudiants équivalents temps complet au 1er cycle et 26 169 au 2e cycle (excluant les résidents en médecine qui ont une structure d’étude non standard), pour un total de 190 969. Collectivement, ces étudiants devraient payer suite à la hausse 190 969*3663 $ = 699,52 M $ en frais de scolarité.

Nous voulons moduler les frais de scolarité en fonction des secteurs et des cycles. On doit donc calculer le nombre d’étudiants pondérés auquel les 190 969 étudiants correspondent. En utilisant la ventilation du nombre d’étudiants par secteur et par cycle et la grille de pondération du tableau 2, on obtient 327 293 étudiants pondérés. Les frais de scolarité proposés (avant frais afférents) pour un étudiant en lettres sont alors 699,52 M $/327 293 = 2137 $, soit pratiquement le même montant que les frais actuels. Une fois les frais de scolarité des étudiants en lettres établis, nous pouvons utiliser la grille de pondération du tableau 2 pour calculer les frais de scolarité de tous les secteurs aux 1er et 2e cycles. (Voir tableau 3.)

Tableau 3

Frais de scolarité (excluant frais afférents) pour 2011-2012 (L’étudiant retire 60 % du rendement total de l’éducation)

Frais de scolarité (excluant frais afférents) pour 2011-2012 (L’étudiant retire 60 % du rendement total de l’éducation)

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Plusieurs remarques s’imposent ici.

  1. La détermination de cette grille relève d’une analyse scientifique que nous avons voulue rigoureuse de l’éducation supérieure tant au niveau de l’étudiant que de la société. Pour tous les arguments avancés plus haut, nous croyons que cette grille est non seulement celle qui permet les meilleurs choix par les étudiants, mais également celle qui est la plus efficace socialement. Elle représente pour chacune des disciplines la contribution efficace des étudiants telle que motivée par les études sur le sujet. Cette contribution représente la meilleure estimation disponible dans la littérature scientifique. On note toutefois que ces calculs sont basés sur des analyses économétriques et ils ne représentent donc qu’une estimation des paramètres d’intérêt. Nous croyons que ce caveat n’invalide pas notre proposition mais y donne plutôt des assises scientifiques. Plus bas, nous reproduisons notre analyse pour une proportion des rendements totaux à l’étudiant de 40 % et 80 %.

  2. Afin de maintenir la contribution efficace des étudiants à 33 %, les frais de scolarité devraient être indexés annuellement au même pourcentage que celui de l’augmentation des coûts de l’éducation.

  3. La grille proposée augmente les revenus des universités d’un montant significatif, soit 70 %*(190 969)*(3663 – 2168) = 199,8 M $. C’est un montant important qui doit être investi dans la qualité des formations. Il permet de partiellement combler l’écart avec les autres universités canadiennes. On remarque que les étudiants de ces universités paient tout près de 40 % des coûts de leur formation. Nous proposons ici un estimé très conservateur de la part des étudiants, soit 33 %.

  4. On pourrait s’opposer à cette grille sur la base de l’accessibilité. Comme nous l’avons démontré, l’accessibilité aux études universitaires n’est pas le principal frein à la mobilité sociale. Il est toutefois clair que la mise en place d’une telle grille nécessite un investissement accru dans les bourses offertes aux étudiants issus de milieux plus défavorisés. Nous avons comptabilisé un montant équivalent à 30 % de la hausse pour de telles bourses, soit un montant de 30 %*(190 969)*(3663 – 2168) = 85,6 M $. Ces montants devraient être alloués en priorité aux étudiants des secteurs à coûts élevés, qui sont également souvent les programmes contingentés. De façon générale, notre analyse dicte ce qu’il serait efficace de charger aux étudiants en termes de frais de scolarité pour leurs études. Notre analyse ne se prononce toutefois pas sur le moment où ces frais devraient être payés. Ainsi, un bon étudiant qui fait face à des contraintes financières devrait pouvoir bénéficier d’un prêt suffisant pour lui permettre d’entreprendre et terminer ses études. Il est important de découpler la notion de prix à payer et celle du moment où ce prix est payé.

  5. En comparant cette grille avec les frais actuels, on constate que les étudiants de Sciences humaines et sociales, Administration et Lettres paieraient des frais à peu près équivalents aux frais actuels. Ces étudiants représentent 45 % des étudiants de premier cycle. Il faut mettre ce chiffre en perspective. Avec la grille proposée, un montant supplémentaire de près de 200 M $ est injecté dans les universités, et ce, sans effort supplémentaire de la part du gouvernement. Ces étudiants voient donc leurs frais rester pratiquement inchangés, mais bénéficient d’une formation de meilleure qualité grâce à cette injection.

  6. Certaines disciplines semblent particulièrement dispendieuses eu égard les revenus espérés qu’elles promettent. Par exemple, les frais de médecine vétérinaire subissent une hausse substantielle, étant multipliés par un facteur de sept. D’une part, il faut réaliser que cette hausse reflète les coûts de formation d’un vétérinaire. Charger des frais élevés signale à l’étudiant que cette formation coûte cher et qu’en la choisissant il mobilisera d’importantes ressources sous forme de professeurs, laboratoires, installations, etc. D’autre part, en 2004, François Vaillancourt, dans un mémoire préparé pour la CRÉPUQ, a estimé que le diplôme de médecine vétérinaire rapportait un revenu supplémentaire après impôt actualisé de près de 500 000 $. En actualisant ce montant pour 2012, on arrive à près de 600 000 $. Des études en médecine vétérinaire seraient encore très rentables même avec la hausse proposée.

  7. Tout en préservant l’idée générale de cette grille, on pourrait moduler certaines entrées pour rendre ladite formation plus abordable. Il faut bien réaliser que ce faisant, cependant, on introduit une subvention implicite à cette formation de la part des autres secteurs de formation. Il serait alors important de bien la motiver.

  8. Il est intéressant de comparer la grille présentée ici avec la hausse proposée par le gouvernement Charest. Les frais de scolarité devaient augmenter de 75 % sur une période de cinq ans, pour passer à 3793 $. En comparant le montant de 3793 $ aux montants de la grille proposée, on constate que 80 % des étudiants de 1er cycle auraient des frais inférieurs avec cette grille que ceux avec la hausse proposée au printemps dernier.

6. Analyse de sensibilité

Nous présentons ici une analyse de sensibilité. Plus haut, nous avons déduit de la littérature scientifique que l’étudiant retirait 60 % des rendements totaux de l’éducation. Cet estimé nous a permis de produire la grille des frais de scolarité du tableau 2. Puisque cet estimé provient d’analyses économétriques et qu’il a par conséquent une variance, nous allons voir en quoi nos résultats sont modifiés si l’étudiant retire 40 % ou 80 % des rendements totaux.

Si l’étudiant retire seulement 40 % du rendement total, la société retire donc 60 % des bénéfices totaux de l’éducation. En ce cas, puisque la part des couts directs de formation est de 59 %, on obtient que la subvention optimale des frais de scolarité est 60 %/59 % = 1. Il en découle que la part efficace des frais de scolarité devant être assumée par l’étudiant est nulle. Ainsi, sous l’hypothèse que la société retire 60 % du rendement total de l’éducation, nous obtenons la gratuité scolaire. Ce scénario dépend d’une hypothèse très forte sur les externalités de l’enseignement universitaire, hypothèse qui n’est pas supportée par les études recensées.

Si l’étudiant retire 80 % du rendement total, la société retire donc 20 % des bénéfices totaux de l’éducation. En ce cas, puisque la part des couts directs de formation est de 59 %, on obtient que la subvention optimale des frais de scolarité est 20 %/59 % = 1/3. Il en découle que la part efficace des frais de scolarité devant être assumée par l’étudiant est 66 %. Si on reproduit nos calculs de la section précédente avec ce nouveau pourcentage, on obtient que les étudiants doivent donc collectivement augmenter leur contribution de 80,9 % des coûts actuels. Donc, on calcule que les frais de scolarité payés en moyenne par les étudiants (avant frais afférents) sont de 11 618 $. Cependant, les frais doivent être modulés en fonction des secteurs et cycles. Les frais de scolarité des étudiants en Lettres seraient de 6779 $, soit 3,17 fois plus élevé que les frais du tableau 3. Nous pouvons donc produire une nouvelle grille au tableau 4.

On se rend compte que les frais de scolarité sont significativement plus élevés sous cette hypothèse. Les étudiants paieraient 66 % des couts de formation, alors que la moyenne canadienne est de 40 %.

Par contre, cette nouvelle grille augmenterait les revenus des universités d’un montant significatif, soit 70 %*(190 969)*(11 618 – 2168) = 1 263,25 M $. Et un montant de 30 %*(190 969)*(11 618 – 2168) = 541,4 M $ serait dédié à l’aide financière aux étudiants.

La grille des frais de scolarité est sensible au choix du paramètre estimé du rendement privé de l’étudiant dans le rendement total de l’éducation. Nous croyons qu’une part de 60 % telle qu’établie dans notre analyse principale est le meilleur estimé que nous pouvons tirer de la littérature scientifique. Nous avons fait varier cette part de plus ou moins 1/3, ce qui est probablement une trop grande variation. L’exercice a tout de même démontré la sensibilité des frais de scolarité à ce paramètre.

Tableau 4

Frais de scolarité (excluant frais afférents) pour 2011-2012 (L’étudiant retire 80 % du rendement total de l’éducation)

Frais de scolarité (excluant frais afférents) pour 2011-2012 (L’étudiant retire 80 % du rendement total de l’éducation)

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Conclusion

Nous avons adopté une approche scientifique rigoureuse pour la détermination de la contribution efficace des étudiants dans les frais de scolarité. La littérature sur les rendements privés et sociaux de l’éducation suggère que les étudiants retirent au moins 60 % des rendements globaux de l’éducation. En prenant en compte les coûts directs et indirects de la formation, nous estimons que la part efficace des coûts directs de l’éducation assumés par les étudiants est d’au moins 33 %. Nous proposons ainsi de moduler les frais de scolarité aux véritables coûts de la formation. La modulation comporte de nombreux avantages :

  • la modulation permet d’éliminer les iniquités entre les différents secteurs et cycles de formation en éliminant les transferts implicites entre secteurs au sein des universités. Ainsi, chaque étudiant paie une proportion égale de ses propres coûts de formation;

  • la modulation permet également d’effectuer une redistribution entre les étudiants. Dans les disciplines à coûts élevés, les étudiants plus favorisés paieront plus et une partie de leur augmentation (soit 30 %) sera utilisée pour faciliter l’accessibilité des étudiants les moins favorisés à ces mêmes disciplines. De plus, tous les étudiants bénéficieront d’une formation de meilleure qualité financée par l’augmentation des frais moyens.

À partir de la part efficace calculée de 33 %, nous simulons une grille modulée des frais de scolarité pour 2011-2012. On peut faire les constats suivants :

  • près de 45 % des étudiants de 1er cycle ne subiraient aucune augmentation de frais par rapport à la situation actuelle;

  • un montant supplémentaire de près de 200 M $ serait injecté dans le réseau universitaire sans effort supplémentaire du gouvernement, résultant ainsi d’un accroissement de la qualité des formations;

  • un montant supplémentaire de plus de 85 M $ serait consacré à des bourses pour favoriser l’accessibilité.