Documents repérés
-
1.
-
6.Plus d’information
À travers quelques exemples de chansons de labeur ou de chansons de rogne empruntées à l'histoire de l'activité chansonnière française et québécoise, je montrerai comment la relation au travail sert de point d'appui théorique aux transformations relationnelles qui s'opèrent entre le chanteur et l'objet-chanson. Je montrerai d'abord la fonction symbolique et collective de la chanson : son rôle de vecteur, d'amplificateur des pulsions revendicatrices tout autant que son rôle cathartique. Avant l'avènement de la société industrielle et la société de consommation, c'est l'interprète-artisan (le « faiseur de chanson ») qui joue de sa chanson dans le cadre d'une pratique fonctionnelle et privée. Les bouleversements socio-économiques de la fin du XIXe siècle vont non seulement entraîner la disparition des métiers évoqués dans les chansons de tradition orale mais de surcroît la chanson se médiatise par le biais de salles de spectacles, puis par la radio, le microphone, etc. L'interprète-médiatisé participe à une médiatisation de la chanson, donc à une chanson sortie de son contexte de performance d'origine d'où l'usage péjoratif que nous avons fait du terme folklorique. Si l'on aborde le corpus chansonnier en considérant d'une part la chanson de tradition orale et d'autre part la chanson littéraire, c'est-à-dire à auteur et compositeur connus, et née dans un contexte éditorial, on remarque deux aspects qui les différencient : la nature de la pratique de l'interprète et la fonction du répertoire qu'il chante. Les interactions entre ces deux composantes se doublent d'une médiation évolutive du phénomène chansonnier. Ainsi, entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, la professionnalisation du métier de chanteur va de pair avec une disparition de la fonction première de la chanson de tradition orale. Si cette chanson, encore transmise oralement au XIXe siècle, accompagne les travaux des champs, les manoeuvres des marins, sa fonctionnalité première disparaîtra avec nombre de métiers. Elle fera place à une médiatisation de la tradition conjointe à une professionnalisation du métier de chanteur ce qui témoigne d'un passage de la sphère des métiers (privée) à la sphère publique et commerciale. Le travail n'est plus celui d'un interprète-artisan ‒ le marin ou le paysan qui transmet fidèlement le répertoire de la chanson de rogne de générations en générations ‒ mais d'un interprète médiatisé qui restitue la théâtralité du texte chansonnier sans pour autant participer du métier ou du travail qu'il décrit. On assiste ainsi à un changement de modi operandi des phénomènes chansonniers. Dans le présent travail, je m'attarderai à monter quelques exemples des phénomènes chansonniers caractéristiques des relations entre la tradition orale et le travail.