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Dès ses premières manifestations au pays, l’interprétation a une portée éminemment politique, qui fait passer au second plan sa dimension linguistique et communicationnelle. L’interprète, considéré normalement comme agent de rapprochement à la charnière de deux langues et de deux cultures, peut aussi se révéler, dans certaines circonstances, un agent de discorde et d’éloignement.

Delisle, 2019, p. 41

Introduction

L’interprétation est un acte de communication interlinguistique répondant à des besoins de compréhension mutuelle qui surgissent au sein d’une communauté, que ce soit au niveau national ou international. Elle s’inscrit dans différents contextes et situations où se déploie la vie des individus et donc de la société. En ce sens, elle est strictement liée à l’organisation et à la vie de la polis, de l’État, que ce soit au niveau interne ou externe dans les rapports avec les autres États.

D’ailleurs, c’est bien sur la scène politique internationale et grâce à un acte politique que naît officiellement l’interprétation de conférence. A l’issue de ce que l’on désigne comme la Battle of Languages – depuis la publication en 1922 du livre de R. S. Baker, porte-parole du président Wilson lors de la Conférence de la Paix de Paris (v. Baigorri Jalón, 2004, pp. 12-17) –, l’adoption de l’anglais à la Conférence fut un pas important vers la reconnaissance de cette langue comme langue du nouvel ordre géopolitique mondial et des organisations qui, à partir de ce moment-là, animeront la scène internationale, à commencer par la Société des Nations. De cette décision politique qui prévoit l’emploi de l’anglais à côté du français découlent les besoins de traduction et d’interprétation que nous connaissons encore aujourd’hui.

Au niveau national – et plus près de notre époque –, c’est toujours par des actes politiques/normatifs que la plupart des pays occidentaux, confrontés aux vagues migratoires de ces dernières décennies, ont répondu – sous des formes et de manières différentes – aux besoins de communication entre leurs institutions et les citoyens[1] issus de la migration dans différents domaines de la vie quotidienne, dont la santé, la justice, l’éducation, l’administration. C’est de ces exigences concrètes et pressantes que naît ce qu’on appelle aujourd’hui l’interprétation pour les services publics ou « community interpreting ». Et parmi ces domaines, la justice représente sans aucun doute le secteur où la présence de l’interprète a fait l’objet d’une codification normative poussée.

Des études centrées plus spécifiquement sur le positionnement politique et l’engagement de l’interprète face aux idéologies, ont stimulé une réflexion approfondie et une remise en cause de critères déontologiques généralement considérés comme impératifs et indiscutables tels que la neutralité et l’impartialité (v. Bahadir, 2017; Boéri, 2008, 2012; Gambier, 2007; Pöchhacker, 2006). Ces recherches montrent que l’interprète, qu’il le veuille ou non, est toujours impliqué du point de vue politique puisque travailler au sein d’une organisation internationale ou pour l’État, ou bien intégrer un réseau d’interprètes bénévoles, signifie se situer du côté de l’instance pour laquelle on travaille ou, du moins, être perçu comme étant aligné sur la position d’une des parties indépendamment des croyances, des convictions personnelles et des stratégies traductives adoptées pour transmettre ce que disent les interlocuteurs. Cela est d’autant plus vrai pour les interprètes qui opèrent en situation de guerre ou de conflits armés (v. Baker, 2010; Inghilleri, 2008a, 2008b, 2010; Kim, 2021).

Viennent s’ajouter ici, plus en général, les études centrées sur l’histoire de l’interprétation (v. Balliu, 2005; Baranyai, 2011; Bowen et Bowen, 1990; Delisle, 2019; Delisle et Woodsworth, 2012; Falbo et Riccardi, 2016; Takeda et Baigorri Jalón, 2016), qui montrent clairement que l’acte traductif oral a toujours accompagné les choix du pouvoir politique, se chargeant de cette manière du caractère politique qui marque les décisions, les actions et les événements qui en découlent : des campagnes de découverte et de conquête de nouveaux territoires aux guerres, en passant par les missions diplomatiques et les négociations entre États. Les interprètes participent ainsi pleinement à la construction de l’histoire de l’humanité, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils exercent un pouvoir d’orientation de l’action politique à travers leur entremise linguistique, même si personne ne peut l’exclure à priori. Pensons à des figures emblématiques telles que Malinche ou Paul Otto Schmidt ainsi qu’aux recherches et débats qui entourent leurs vies, leur engagement et la nature de leur travail d’interprète (v. Cambrézy, 1994; Spotorno, 2014; Valdeón, 2013; Schmidt, 1951, 1954; Gellately, 2008). Sans aucun doute, la participation des interprètes au dialogue entre responsables d’entités politiques parlant des langues différentes – toutes époques et tous contextes confondus, depuis l’ancienne Égypte jusqu’à nos jours – fait d’eux un élément qui facilite l’échange, voire un moyen indispensable, malgré l’oubli dont ils sont très souvent victimes (Torikai, 2009; Bahadir, 2017).

Le regard posé sur l’histoire de l’interprétation et son évolution la plus récente révèle donc un lien étroit entre politique et interprétation : l’interprétation s’inscrit dans la vie de la polis, dans le politique, et le politique imprègne l’acte d’interprétation jusqu’à impliquer l’individu qui l’accomplit.

Objectifs et méthodologie

Ce constat basé sur l’observation de l’interprète dans différents contextes et situations de communication ouvre la voie au questionnement portant sur les traits et les mécanismes qui, dans des contextes et situations divers, déterminent le caractère politique de l’acte d’interprétation, le niveau auquel il se situe, le degré d’implication de l’individu qui l’effectue et enfin les conséquences qu’il entraîne. Autant d’aspects que nous essayerons de mettre au jour, du moins en partie, en proposant l’étude de deux contextes capables de faire ressortir l’imbrication entre interprétation et politique, voire la dimension politique de l’acte d’interprétation.

Nous observons qu’au-delà du contexte national ou international dans lequel se situe l’acte d’interprétation, le caractère politique de l’interprétation se déploie sur deux niveaux interconnectés : un niveau supra-ordonné et un niveau subordonné. Le niveau supra-ordonné est le cadre historico-politique et spatio-temporel qui, tout en impliquant l’individu-interprète, ne dépend pas de la volonté de ce dernier, mais influence et oriente les services d’interprétation et donc la situation de vie des interprètes (et celle, bien entendu, de tout autre individu). Le niveau subordonné est le niveau de l’interprète, en tant qu’individu qui « choisit » quoi et pour qui traduire mais, là aussi, à l’intérieur d’une situation historico-politique donnée. Dans toute situation de communication, ces deux niveaux sont présents et à l’oeuvre; ce qui change, c’est le poids et l’influence du cadre supra-ordonné sur le cadre subordonné. Nous proposons de rendre compte de l’articulation entre les deux, en nous arrêtant sur l’interprétation dans le domaine judiciaire et l’interprétation en situation de conflits armés.

Plusieurs raisons nous ont amenée à sélectionner ces deux domaines. Le fait que, dans le domaine de la justice, le droit à l’interprétation soit généralement prévu et réglementé par la loi montre une volonté politique d’assurer la protection des droits de la personne allophone suspectée ou accusée. Il reste à expliciter comment ce droit est exercé et respecté. Cela est d’autant plus urgent au sein de l’Union européenne qui, depuis quelques décennies, s’engage pour la protection des droits des personnes allophones dans le domaine pénal grâce à l’adoption de nombreux actes normatifs dont le plus étudié au sein de la communauté des chercheurs en interprétation est la Directive 64/2010 sur le droit à l’interprétation et à la traduction. Nous nous concentrerons sur l’Italie, pays dont nous connaissons mieux la situation en ce domaine, dans l’espoir d’ajouter quelques connaissances au panorama décrit par différents auteurs et concernant différents pays (v. Berk-Seligson, 2002 [1990]; González et al., 1991; Hale, 2010 [2004]). Nous ne manquerons pas de réfléchir sur le positionnement personnel de l’interprète qui accepte de travailler dans le judiciaire, pour faire ressortir les implications du niveau supra-ordonné sur le subordonné.

Le cadre des conflits armés nous permet de pointer le niveau subordonné, à savoir le niveau où se situent les choix personnels et les conséquences qui en découlent à cause de conditions supra-ordonnées particulières. La fonction de « truchement » de l’interprète, dans un conflit donné et à une époque donnée, comporte forcément et implicitement qu’il choisisse de quel côté se placer; si la situation de conflit échappe au contrôle de l’individu, étant donné qu’elle dépend d’un choix politique en amont, l’acte d’interpréter pour une partie et non pas pour l’autre devient, en aval, un acte politique ou, de toute façon, est perçu comme tel.

Nous nous proposons donc d’analyser les aspects qui caractérisent ces deux contextes, afin de mettre en évidence les traits et le poids politiques de l’interprétation en tant que positionnement volontaire, voire volontariste, des pouvoirs publics ou de l’individu.

L’interprétation dans le domaine judiciaire pénal : un acte politique au niveau supra-ordonné

Le besoin de compréhension mutuelle entre sujets qui ne parlent pas la même langue s’exprime impérativement dans le domaine de la justice puisqu’il est la condition nécessaire pour le respect des droits fondamentaux de la personne, et notamment le principe de non-discrimination en raison de la langue[2]. Nous nous pencherons ici tout particulièrement sur le domaine judiciaire pénal, puisqu’il offre, au vu des dispositions normatives mises en place ces dernières années par l’Union européenne et ses États membres, un point d’observation privilégié des liens qui unissent de façon indissociable le politique, les dispositions de lois et les droits de la personne. En Italie, les décisions politiques prises au niveau national afin de rendre opérationnelles les normes européennes concernant l’assistance linguistique dans le domaine judiciaire peuvent être considérées comme une occasion manquée pour rendre efficace et effectif le droit à l’interprétation (et à la traduction).

Dans le domaine judiciaire pénal italien, le droit à l’interprétation et à la traduction est sanctionné par l’article 111 de la Constitution[3] et inscrit dans le code de procédure pénale[4] – en vigueur depuis 1989 – aux articles 143-147. Au niveau international, il est prévu dans des traités et conventions auxquels l’Italie a adhéré, comme par exemple la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales – élaborée par le Conseil de l’Europe, signée à Rome en 1950 et ratifiée par l’Italie en 1955 – et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – établi au sein de l’ONU, signé à New York en 1966 et ratifié par l’Italie en 1977. L’adoption, en 2010, de la Directive n. 64 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales des personnes allophones suspectées ou poursuivies, a été un pas politique très important de la part de l’Union européenne[5].

L’interprétation dans le domaine judiciaire n’est certainement pas une invention récente : là où un besoin de communication interlinguistique a surgi lors d’une procédure judiciaire, le recours aux interprètes a été la réponse, même en l’absence de dispositions codifiées telles que nous les connaissons aujourd’hui (Ballardini, 2012, 2013; Leahy, 2016). Ce qui est à remarquer ici, c’est que la Directive 64/2010/UE reconnait explicitement et au niveau européen non seulement le droit de la personne allophone d’être assistée d’un interprète, mais surtout de bénéficier d’un service de qualité. Pouvoir bénéficier d’une interprétation de qualité acquiert alors le statut de droit de la personne et contribue à l’exercice du droit de défense. Il s’agit bien d’un acte politique d’envergure sans précédent dans ce domaine d’autant plus que, étant donné la nature même de cet acte normatif, chaque État membre a été contraint de la transposer dans son droit national en respectant les délais établis.

L’Italie a transposé cette Directive dans son système législatif à travers l’adoption du décret-loi n. 32 du 4 mars 2014 et du décret-loi n. 129 du 23 juin 2016. Ces deux décrets-lois ont ainsi modifié les articles du code de procédure pénale et l’article 67 alinéa 2 des dispositions d’application du code de procédure pénale, conformément à ce qui est établi par la Directive 64/2010/UE. Si la transposition de cette Directive a introduit des améliorations en matière d’assistance linguistique pour les personnes qui ne parlent pas la langue de la procédure – dans notre cas l’italien – il n’empêche que, en Italie – contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays membres –, des questions centrales sont restées sans réponse, réduisant ainsi énormément l’impact souhaité par l’adoption de la Directive. Parmi les problèmes irrésolus figurent la détermination du niveau de connaissance de l’italien de la part de la personne allophone, le choix de la langue étrangère pour laquelle nommer un interprète, le statut de l’interprète et la qualité de l’interprétation[6].

L’article 2 par. 4 de la Directive 64/2010/UE établit que les « États membres veillent à la mise en place d’une procédure ou d’un mécanisme permettant de vérifier si les suspects ou les personnes poursuivies parlent et comprennent la langue de la procédure pénale et s’ils ont besoin de l’assistance d’un interprète ». Le législateur italien a transposé cette disposition en introduisant à l’article 143 paragraphe 4 du code de procédure pénale le principe selon lequel l’évaluation de la connaissance de la langue italienne est accomplie par l’autorité de poursuite. On passe ainsi d’un dispositif ou mécanisme de vérification qui se voudrait le plus objectif possible, à la pure subjectivité de l’autorité judiciaire. Il est vrai que, de plus en plus, en cas de doute ou tout simplement parce qu’il se fonde sur la nationalité de la personne suspectée ou poursuivie, le juge préfère nommer un interprète[7] et ne pas risquer de se trouver dans l’impasse d’une communication impossible. Mais se livrer à la simple présupposition que la personne allophone connaisse suffisamment l’italien est un risque toujours présent. Très souvent, les personnes étrangères qui vivent dans un pays d’accueil depuis quelques mois, voire quelques années, connaissent la langue du quotidien, celle qui leur permet de survivre et d’établir une communication minimale avec les personnes avec lesquelles elles interagissent. Cela ne signifie pas qu’elles soient à même de suivre une audience ou de s’exprimer de façon complète – ce qui est fondamental pour l’exercice des droits de défense – et compréhensible. À cet égard, l’objection qui est normalement formulée est que, très souvent, les citoyens du pays d’accueil non plus ne sont pas en mesure de comprendre la langue du droit. Nous croyons que les deux situations sont très différentes. Ne pas comprendre la langue du droit crée sans aucun doute un sentiment de dépaysement que la personne peut contrôler grâce à un contact direct avec l’avocat défenseur; ne pas comprendre ce qui est dit dans une salle d’audience au mot près ne provoque pas seulement un sentiment de dépaysement mais aussi un isolement total, puisque même communiquer avec l’avocat défenseur peut être un problème insurmontable sans l’assistance d’un interprète.

Apparemment, il est simple et facile de déterminer quelle est la langue de la personne allophone et donc de nommer un interprète qui parle cette langue. C’est en général la langue maternelle de la personne poursuivie qui devrait orienter le choix du juge. Face à des langues qualifiées de rares, comme par exemple le pashto, le farsi, le hindi, l’ourdou, il n’est pas toujours aisé de trouver des interprètes. Parfois, la seule solution possible envisagée par l’autorité judiciaire est d’avoir recours à une langue véhiculaire comme par exemple l’anglais. Cette possibilité se fonde sur la conviction que la personne allophone a une connaissance adéquate de la langue véhiculaire identifiée comme langue de communication dans la situation donnée. Or, très souvent, la connaissance d’une telle langue ne peut pas être considérée au même niveau que la connaissance d’une langue seconde, c’est-à-dire d’une langue apprise et/ou parlée en milieu naturel ou institutionnel. Très souvent, l’anglais est, pour les personnes étrangères issues de la migration, une « langue de survie » qu’elles utilisent pour une communication basique. Il n’est pas exclu que la maîtrise de la langue véhiculaire recoupe exactement celle de la langue de la procédure, ce qui, bien évidemment, ne résout pas le problème.

La thématique du statut[8] de l’interprète se lie avec celle de la qualité de l’interprétation, c’est-à-dire d’un service qui permette effectivement aux participants de comprendre et se faire comprendre. Selon Ballardini (2012, p. 175), parmi les experts auxquels l’autorité judiciaire peut s’adresser, l’interprète est la seule figure « non professionnelle ». En effet, en général, aucun critère concernant une formation spécifique ou l’expérience professionnelle ne doit être rempli pour qu’une personne puisse être nommée interprète; il suffit qu’elle déclare connaître l’italien et la langue étrangère demandée. Or, les tarifs dérisoires et les conditions de travail dans le judiciaire découragent la plupart des interprètes professionnels qui, à quelques exceptions près, préfèrent travailler dans d’autres domaines et pour d’autres clients. En outre, les langues requises n’étant pas, très souvent, des langues qui figurent dans les parcours de la formation universitaire en Italie, il est « normal » que l’autorité judiciaire confie la tâche d’interprète à de simples « connaisseurs » de la langue étrangère requise. A la lueur de tout cela, il est clair qu’il est impossible de garantir la qualité de l’interprétation. Ce qui est, au contraire, tout à fait possible, c’est de mesurer les conséquences du manque de professionnalisme sur les droits et la vie des personnes poursuivies (v. Falbo, 2019; Garwood, 2012; Garwood et Preziosi, 2013; Gialuz, 2014). Cette absence totale de contrôle sur la qualité des services d’interprétation, et surtout sur le processus de « sélection » des interprètes, constitue une divergence de poids à l’égard des dispositions de la Directive 64/2010/UE, où il est dit que « l’interprétation prévue [...] est d’une qualité suffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure, notamment en veillant à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient connaissance des faits qui leur sont reprochés et soient en mesure d’exercer leurs droits de défense » (article 2 alinéa 8).

Le tableau que nous avons dressé jusqu’ici serait incomplet si nous n’évoquions pas ce qui, conformément à l’esprit de la Directive, est censé assurer la qualité de l’interprétation. A cette fin, il est utile de citer les alinéas 1 et 2 de l’article 5 :

Qualité de l’interprétation et de la traduction[9]

  1. Les États membres prennent des mesures concrètes pour assurer que l’interprétation et la traduction fournies correspondent à la qualité exigée à l’article 2, paragraphe 8, et à l’article 3, paragraphe 9.

  2. Afin de disposer de services d’interprétation et de traduction adéquats et de faciliter un accès efficace à ceux-ci, les États membres s’efforcent de dresser un ou plusieurs registres de traducteurs et d’interprètes indépendants possédant les qualifications requises. Une fois établis, ces registres sont, le cas échéant, mis à la disposition des conseils juridiques et des autorités concernées.

L’alinéa 2 identifie le processus et les moyens pour assurer la qualité des services d’interprétation (et de traduction). Les mots-clés sont « registre » et la séquence « interprètes indépendants possédant les qualifications requises ». Par l’adoption du décret-loi n. 32 de 2014, le gouvernement italien a donné forme à ces dispositions en introduisant, à l’article 67 alinéa 2 des dispositions d’application du code de procédure pénale, à côté des différentes catégories d’experts, la catégorie relative à « Interpretariato e traduzione [Interprétariat et traduction] ». Le décret-loi n. 129 de 2016 (article 2 alinéa 2) établit que chaque tribunal transmettra par voie télématique au ministère de la Justice la liste des interprètes et des traducteurs inscrits dans le registre des experts judiciaires. C’est donc l’ensemble des listes des différents tribunaux qui va constituer le registre national dans lequel toute autorité judiciaire, y compris les avocats, pourront puiser. Si la forme témoigne de la capacité de l’Italie d’adhérer à la lettre de la Directive, il n’en est pas de même pour la substance. En effet, rien ne change dans la pratique suivie pour sélectionner et nommer les interprètes. Aucune formation en interprétation n’est requise, aucune procédure d’accréditation n’est prévue[10]. Si, face au premier pas de la transposition de la Directive 64/2010/UE accompli avec le décret-loi de 2014, Gialuz (2014, pp. 89-90) parlait de simple opération bureaucratique qui ne change rien sur le plan de la substance, après les modifications (insuffisantes) apportées par l’adoption du second décret-loi de 2016, il nous semble opportun de parler d’acte politique manqué.

Au vu de ce qui précède, le cadre législatif supra-ordonné détermine les conditions d’effectuation de l’interprétation et semble ne pas conditionner grandement le niveau subordonné. La présence de l’interprète est prévue pour assurer la compréhension mutuelle mais surtout et prioritairement pour garantir les droits de la personne allophone et non pas ceux des représentants de la justice. En effet, si en travaillant dans le domaine judiciaire, l’interprète se place dans le système de la justice, accepte les règles et les normes qui en établissent le fonctionnement comme tout un chacun, il n’est néanmoins pas conçu comme une figure au service de l’autorité judiciaire, mais plutôt comme un moyen indispensable pour que la personne allophone puisse participer activement à la procédure et par là exercer son droit de défense[11]. Cela devrait automatiquement faire pencher la balance du côté de ceux qui ne partagent pas la langue officielle de la procédure. Toutefois, cela n’empêche pas que, recruté par l’autorité judiciaire, l’interprète puisse être perçu comme s’alignant sur les positions des représentants de la justice et contre la personne allophone impliquée dans une procédure pénale. C’est ce qui ressort d’interviews (Falbo, 2014) avec des magistrats qui ont relaté que des interprètes avaient refusé de travailler dans le domaine judiciaire pour ne pas encourir les risques de vengeance de la part des membres de leur communauté ethnique d’appartenance. Apparemment l’imbrication entre justice, droits de la personne et figures professionnelles censées garantir un climat de confiance mutuelle ne s’avère pas être un espace neutre et implique, aux yeux d’autrui, le positionnement personnel, à des degrés différents, des acteurs qui l’habitent, y compris de l’interprète.

L’interprétation en temps de guerre : un « choix » politique au niveau subordonné

Parmi les différents effets de la politique menée au niveau international – mais aussi national –, la guerre est depuis toujours un terrain engendrant de nouveaux besoins de communication interlinguistique qui s’avère prioritaire pour les opérations militaires. En effet, depuis toujours, les parties belligérantes ont profité des services de personnes bilingues capables de les mettre en communication (v. Torikai, 2009; Bowen et Bowen, 1990; Delisle et Woodsworth, 2012). Depuis une dizaine d’années, la nécessité d’assurer la communication lors de conflits armés ainsi que l’attention aux conditions de travail et aux droits des personnes servant d’interprètes ont fait de l’interprétation pendant les guerres un sujet de recherche et de formation (v. Inghilleri, 2008a, 2010; Takeda, 2009; Baker, 2010; Inghilleri et Harding, 2010; Ruiz Rosendo, 2019, 2020; Ruiz Rosendo et Persaud, 2019).

Les études sur l’interprétation lors de conflits armés dans différentes régions de la planète révèlent la présence de caractéristiques communes qui toutefois s’articulent de manière différente surtout au vu des procédures de recrutement des interprètes, des motivations qui sous-tendent le choix personnel de travailler comme interprète, des conséquences que ce choix entraîne et qui dépendent de la façon dont les différentes parties présentes sur le terrain perçoivent les personnes assurant la communication interlinguistique.

Les conflits armés sur lesquels s’est penchée la recherche sont caractérisés par une configuration assez constante : là où des troupes étrangères sont présentes sur le territoire d’un état en guerre – par exemple, lors d’opérations de maintien de la paix décidées par l’ONU –, il est normal de recruter du personnel local qui, parce qu’il connaît les langues parlées par les militaires étrangers, peut assurer la communication entre ces derniers et la population locale ou les militaires/combattants qui appuient l’intervention étrangère. Très souvent, il s’agit de jeunes gens qui, grâce à leur parcours d’éducation ou, à une époque plus récente, à la fréquentation d’internet, connaissent au moins une langue véhiculaire.

Quant aux raisons qui poussent ces personnes à devenir interprète, elles sont multiples, comme il ressort, par exemple, des récits de vie des interprètes iraquiens « motivated by their ties to their nation, a social or political cause or by economic necessity, things which, by whatever means and despite the absence of clear lines, can appear to be worth fighting for » (Inghilleri, 2010, p. 185). Très souvent le métier d’interprète devient pour ces personnes non seulement un moyen pour gagner leur vie mais aussi pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles (Baigorri Jalón, 2011; Takeda, 2009).

Dans la plupart des cas, ces personnes sont recrutées par des agences qui opèrent pour le compte des armées étrangères, comme le relate Takeda (2009, p. 57) en décrivant les démarches mises en place par les États-Unis. Andlauer et Müller, quant à eux, se concentrent sur la présence des troupes françaises en Afghanistan et soulignent le statut que ces personnes acquièrent et qui se révèle à travers la dénomination par laquelle elles sont désignées : pour les militaires français les interprètes recrutés sur place sont des « PCRL, pour personnel civil de recrutement local » (2019, p. 22; italique dans l’original). Une dénomination qui pourtant semble ne pas rendre compte de la fonction effective remplie par ces personnes. À travers les témoignages de nombreuses personnes qui ont servi d’interprètes en Afghanistan, les auteurs soulignent d’une part l’engagement de ces jeunes habillés et agissant comme des soldats, et de l’autre les conséquences de leur choix :

De 2009 à 2012, le jeune Afghan officie en tant qu’interprète pour l’armée française. En trois ans, il participe à des centaines d’opérations à haut risque dans la province de Kapisa. Parfois armé de fusil-mitrailleur, habillé en tenue militaire, Orya goûte à l’adrénaline des combats. Très vite, il devient une cible de choix pour les talibans.

ibid., p. 30

Il est clair qu’en acceptant ou en proposant de remplir la fonction d’interprète pour les troupes étrangères, ces personnes choisissent de facto leur camp, s’alignent avec l’une des parties en conflit et se font des ennemis. Ces derniers s’identifient généralement à plusieurs groupes de personnes. Par exemple, pour les interprètes afghans – que les événements d’août 2021 ont propulsés sur le devant de la scène aux côtés des milliers de personnes qui ont collaboré avec les troupes de la coalition occidentale pendant les vingt dernières années de maintien de la paix – les talibans ne sont pas les seuls dont les interprètes doivent se méfier. Les délateurs – parfois au sein de la famille – sont tout aussi dangereux. Les tarjuman (« traduction dari du mot “interprète” » (ibid., p. 22; italique dans l’original)) sont donc contraints de changer de domicile assez souvent.

Les conséquences du métier d’interprète pendant le conflit s’étendent bien au-delà de la fin des affrontements. Au départ des troupes étrangères, les interprètes n’envisagent qu’un seul avenir possible pour eux-mêmes et leurs familles : fuir l’état de guerre qui persiste dans leur pays et sauver leur vie ainsi que celle des membres de leur famille en obtenant un visa pour le pays pour lequel ils se sont engagés. Mais cette solution ne voit pas toujours la faveur du pays en question. La France, par exemple, n’a pas accueilli toutes les personnes ayant servi d’interprète en Afghanistan[12] : « “On était douze dans l’équipe, et de ces douze interprètes, la France n’en a rapatrié que cinq”, révèle-t-il [Orya] » (ibid., p. 31). L’emploi fréquent du mot « rapatrier » de la part de ces interprètes – c’est ce qui apparaît dans les propos rapportés par les auteurs – nous dit quel est l’État auquel ils pensent appartenir. Toutefois, les autorités françaises voient les choses à partir d’un autre point de vue et préfèrent parler de « relocalisation ». Les auteurs expliquent cette notion en recourant au terme « rapatriement », ce qui indique un rapport de synonymie entre les deux et pointe, d’une manière faussement dissimulée, le statut de mot tabou que ce dernier assume aux yeux des autorités françaises :

La relocalisation est le terme employé par les autorités françaises pour décrire le processus mis sur pied pour protéger les interprètes : un rapatriement en avion depuis Kaboul avec un logement, des aides à l’insertion, et une carte de séjour de dix ans. La France ne leur a volontairement pas donné le statut de réfugié, car l’asile les empêcherait de revenir un jour en Afghanistan.

ibid., p. 37

La relocalisation n’est pas pour tout le monde et le rejet d’une demande provoque la déception et le sentiment d’abandon de beaucoup d’interprètes, mais aussi la réaction de citoyens français comme Caroline Decroix, une avocate qui s’est donné pour tâche de collecter les demandes des PCRL afghans afin qu’ils soient accueillis en France. Et là, c’est la lutte contre une bureaucratie abusive qui cache et révèle en même temps le manque de volonté politique nécessaire pour résoudre une fois pour toutes ce qui peut être appréhendé à la fois comme une affaire diplomatique délicate et une question humaine et humanitaire dramatique :

Sur les 800 PCRL afghans à avoir oeuvré pour l’armée française (ce chiffre regroupe aussi bien les interprètes que les cuisiniers, les chauffeurs, les physionomistes et les personnes aidant au renseignement), seuls 325 parviennent à loger une demande, qui n’aboutit que pour 174 d’entre eux. C’est dire le nombre élevé de ceux que la France élimine de ses rangs!

ibid., p. 67

Le travail de Caroline Decroix montre comment le sort dramatique des interprètes locaux peut entrer dans le débat public et soulever des doutes vis-à-vis de l’engagement de l’État et de sa capacité de reconnaitre le mérite et les droits des personnes qui lui ont permis de mener à bien sa politique. Le positionnement de l’État et celui des défenseurs des tarjuman révèlent comment l’interprète peut faire l’objet d’une perception complètement opposée sur laquelle se greffe la confrontation des parties. L’interprète est perçu d’une part comme un professionnel indépendant et d’autre part comme un serviteur de l’état, un citoyen à part entière injustement abandonné à une vie difficile, voire à un danger de mort. Le rôle d’interprète dépasse ainsi les frontières du terrain du conflit armé pour devenir un sujet de débat, d’action légale et, dans la meilleure des hypothèses, de décision politique ailleurs.

Le sort des interprètes locaux ne semble pas toucher les interprètes militaires, à savoir des soldats qui, ayant des connaissances culturelles et linguistiques spécifiques – souvent dues à leur origine étrangère – assument le rôle d’interprète (Takeda, 2009; Snellman, 2016). Grâce à leur appartenance à l’armée, ils bénéficient généralement de toutes les garanties qui découlent de leur statut. En fait, ils ne sont pas exempts de mesures punitives prises à leur égard sur la base de présomptions de déloyauté vis-à-vis du pays qu’ils sont censés servir et auquel ils appartiennent. De manière paradoxale, c’est précisément leur origine ou leur identité biculturelle et bilingue qui s’avère être la source de ces doutes, comme le rappelle Takeda (2009)[13] en décrivant, par exemple, la situation et le drame des interprètes nés aux États-Unis de parents japonais ou nés aux États-Unis, rentrés au Japon pour se former à la culture et à la langue du pays d’origine de leurs parents, qui sont ensuite retournés aux États-Unis et qui ont participé à la guerre du Pacifique. Bien qu’étant enrôlés dans l’armée états-unienne, ils furent déportés dans des camps d’internement et considérés comme des ennemis :

Soon after the attack on Pearl Harbor on December 7, 1941, all Japanese Americans were reclassified as 4-F (physically, mentally or morally unfit for military service), and later as 4-C (Enemy Aliens: not acceptable for military service because of nationality or ancestry).

Takeda, 2009, p. 52

Le problème de la loyauté et de la fidélité de l’interprète vis-à-vis de la partie pour laquelle il choisit de travailler, se pose également – et peut-être avec plus de dureté – pour les interprètes civils recrutés sur place pour lesquels le poids du manque de confiance se lie au flou qui brouille parfois la frontière entre alliés et ennemis :

Contexts of war demand a clear distinction between friend and enemy, despite the absence of any firm assurance. Without the possibility of clear and absolute fixed distinctions with regard to their allegiances, interpreters and translators can appear duplicitous, creating the potential for questions of loyalty and trust to emerge. In some situations, this mistrust can be mitigated by the donning of a uniform or the wielding of a weapon, but the threat of some type of transgression remains.

Inghilleri et Harding, 2010, p. 167

De toute évidence, l’attitude hostile à l’égard de l’interprète semble se situer là où, dans des contextes très sensibles comme ceux des conflits armés, son identité biculturelle et bilingue, tant appréciée dans d’autres domaines, est ramenée à un trait capable d’indiquer un positionnement ambigu, voire déloyal, comme si l’interprète portait en lui-même le gène de la duplicité. A nos yeux, cela montre l’essence subjective et surtout identitaire de l’acte d’interprétation en tant qu’acte effectué par une personne en chair et en os, ce qui décourage toute revendication d’acte neutre. Les guerres, les conflits et les affrontements de camps opposés mettent au jour, plus que d’autres, l’inanité du principe du « in-between » si cher aux théoriciens de l’interprétation. C’est plutôt le « within » (Pöchhacker, 2006) qui l’emporte et qui, en fait, s’avère comme étant la condition préalable de toute acte d’interprétation et au-delà. Stahuljak le dit sans ménager ses mots en faisant allusion à la guerre entre la Croatie et la Serbie des années 1990 : « Translation is not a neutral zone, and in this case became a war zone in itself » (2010, p. 398). C’est cette impossibilité de l’interprète de se placer « au milieu » – parfois malgré lui – et, simultanément, l’inéluctable possibilité d’être considéré « du côté de », qui fait de l’interprétation un acte politique s’inscrivant dans un contexte politiquement déterminé. Comme le dit Inghilleri, faisant allusion à la guerre entre les États-Unis et l’Iraq :

Although both the means and the ends for waging war are decided by politicians and commanding officers – and in the case of Iraq, by a unilateral decision of the US government – through their participation, both interpreters and soldiers tacitly approve these decisions.

2010, p. 176

L’acte interprétatif représente alors l’étape finale d’une chaîne de pas politiques qui vont du macro-acte politique (dans ce cas la guerre) qui se situe au niveau supra-ordonné, jusqu’au micro-acte politique qu’est l’action de traduire au niveau subordonné. Ce micro-acte, dépourvu de tout caractère neutre, est appréhendé différemment de la part des parties impliquées qui, sous l’influence des aspects qui déterminent une situation de conflit donnée, perçoivent l’interprète comme un allié, un traitre, un saboteur, un ennemi.

Réflexions conclusives

Nous avons commencé notre réflexion en observant que l’interprétation était la réponse aux besoins de communication interlinguistique provoqués par les changements socio-politiques qui dessinent le monde et les sociétés. L’interprète et l’acte d’interprétation s’inscrivent dans des contextes et des situations qui déterminent ce que nous avons identifié comme le niveau supra-ordonné où, par le biais de décisions politiques, naissent ces mêmes besoins. La nécessité de communication ne peut être satisfaite que par l’engagement personnel de l’interprète au niveau subordonné. Le lien entre interprétation et politique apparaît comme inévitable et nécessaire. Sans aucune prétention d’exhaustivité, nous avons essayé de montrer cette imbrication en analysant deux contextes qui, à nos yeux, font ressortir de manière percutante le caractère politique de la fonction d’interprète et de l’acte d’interprétation, à cause des conditions dans lesquelles ils s’inscrivent et des conséquences qu’ils ont sur la vie des individus, de la société et de l’interprète lui-même.

Le domaine de la justice pénale et en particulier la transposition de la Directive 64/2010/UE en Italie nous a fourni l’exemple d’un niveau supra-ordonné déterminé par un encadrement législatif découlant de décisions politiques, exerçant une influence minimale sur le niveau subordonné dans lequel s’inscrit l’interprète et l’acte d’interprétation, mais pouvant avoir des implications d’envergure sur la vie des personnes allophones et, par là, sur le fonctionnement de la justice. La présence de l’interprète est censée assurer une assistance linguistique de qualité dont la finalité est la sauvegarde des droits de défense de la personne allophone suspectée ou poursuivie. L’analyse de la situation italienne à l’égard de la transposition de la Directive 64/2010/UE montre davantage un manque de volonté politique qu’une attitude volontariste ancrée dans l’esprit et la lettre des dispositions européennes, révélant, si besoin est, le lien étroit entre politique et droits de la personne. Le niveau subordonné auquel se situe la fonction de l’interprète occupe une place marginale, puisqu’elle assume les contours de n’importe quel autre métier dans l’espace social donné. Bien entendu, l’acceptation de la part de l’interprète d’exercer sa fonction au sein du système de la justice implique l’acceptation de ce même système et des valeurs qui le sous-tendent, ce qui pourrait provoquer l’hostilité de ceux qui s’y opposent et qui reste néanmoins dans ce contexte une éventualité assez rare.

Le regard que nous avons posé sur la situation de guerre en tant que fruit de décisions politiques supra-ordonnées, a mis en évidence la portée du choix de travailler comme interprète en pointant la dimension subordonnée. Être interprète lors de conflits armés répond à différentes exigences personnelles : de la nécessité économique à l’engagement politique. Quelles que soient ces raisons, être embauché comme interprète équivaut à choisir son camp et à en assumer, consciemment ou pas, toutes les conséquences, jusqu’à être perçu comme un ennemi aussi bien de la part de la population locale à laquelle on appartient que des troupes pour lesquelles on travaille. La lutte menée par Caroline Delacroix pour la reconnaissance des droits des interprètes locaux montre comment la dimension personnelle, subordonnée peut déboucher sur des questions qui se posent, elles, au niveau supra-ordonné et pour lesquelles on souhaite une prise de décision politique.

Les deux contextes analysés ici nous ont permis de montrer l’imbrication changeante du niveau politique supra-ordonné avec le niveau politique subordonné et de mettre au jour l’intensité de ce lien ainsi que le degré de conditionnement de l’un sur l’autre à partir du contexte et des conséquences de l’acte d’interprétation lui-même. Les effets des décisions politiques supra-ordonnées et de l’acte d’interprétation subordonné ne se limitent pas à l’interprète en tant qu’individu mais s’étendent au niveau de la vie de la polis, confirmant ainsi la valeur politique et sociale de l’interprétation.

S’il est vrai, comme le dit Laïdi, que « le politique n’est pas tout, mais [qu’]il est dans tout » (2003, n.p.), il ne fait aucun doute que le politique est dans l’interprétation et que l’interprétation est dans le politique puisqu’elle se lie indissolublement avec les droits de la personne, ses libertés fondamentales et sa capacité d’agir. Il ne fait aucun doute non plus que l’acte d’interprétation se fait acte politique à travers la présence de l’interprète qui choisit son camp, agit dans la société et par là dans le politique, bien que dans une condition de subordination – et parfois d’oppression –, vis-à-vis des conditions historiques, géo- et socio-politiques supra-ordonnées.